Texte intégral
Le Figaro - 9 octobre 1996
Le Figaro : L’attentat contre la mairie de Bordeaux, revendiqué par le FLNC, risque-t-il de modifier la politique gouvernementale sur les zones franches ?
Éric Raoult : L'attentat de Bordeaux est un acte ignoble et irresponsable. Un attentat est une arme de lâche. Une zone franche est un espace pour le courage. Par la zone franche en Corse, nous proposons un outil de travail dont nous souhaitons que les Corses deviennent acteurs de mobilisation. Il est évidemment plus facile de poser une bombe que de créer une entreprise. Mais le gouvernement restera attaché à son action en faveur du développement de la Corse. Face à la violence, nous choisissons l’espoir par l’activité.
Le Figaro : Le pacte de relance, présenté le 18 janvier par le Premier ministre, voté le 20 juin à l’Assemblée nationale et cette semaine au Sénat, bat un record de rapidité…
Éric Raoult : Il était urgent. Nous avons donc traduit certaines propositions du PRV en dispositions législatives à voter rapidement : les mesures sur l'éducation renforcée l'ont été sur un texte Toubon, la dotation Solidarité urbaine de 710 millions de francs supplémentaires sur un texte Perben, les emplois-ville, dans la loi sur l'apprentissage. Nous avons préféré agir dans le cadre d'une inter ministérialité plutôt que laisser à tout prix notre nom à un projet de loi. Mais je crois que le pacte de relance répond aussi à de vraies attentes, celles des élus et des associations.
Le Figaro : Certains maires ne regrettent-ils pas le taux de financement trop élevé concernant les 100 000 emplois de ville ?
Éric Raoult : Nous restons preneurs de toutes les propositions de répartition de financement. Aux maires, que nous avons rencontrés à deux reprises, nous avons dit : « Si on est d'accord sur le fond, on trouvera les fonds » ; quand un jeune ne fait rien, il vaut mieux lui donner un bulletin de salaire qu'une feuille d'allocation. L'État prend en charge 55 % du financement et laisse 45 % à la charge de la collectivité. Cette dernière peut fractionner ces 45 % avec le département et la région. Les collectivités territoriales ont intérêt à s'engager : un emploi rémunéré, cela fait un RMIste en moins.
Le Figaro : Les sénateurs ont émis un certain nombre de réserves, entre autres par le biais de la commission spéciale présidée par Jean-Pierre Fourcade…
Éric Raoult : … Et par son excellent rapporteur, Gérard Larcher. Il est important que le Sénat se penche avec un autre regard que celui des députés sur le texte : les députés ont parfois un regard limité par les contingences de leur circonscription, les sénateurs voient plus large, à l'échelle du département. Ils ont enrichi le texte sur la mixité, l'intégration, la sécurité. Même si cette dernière question a déjà été développée à l'Assemblée nationale, il est vrai qu'il existe un préalable posé par les sénateurs sur la sécurité dans les quartiers. Nous avons apporté une réponse, pour la première fois, sur la délinquance des mineurs et en renforçant la présence policière.
Le Figaro : La délimitation du périmètre des zones franches pose également problème : ceux qui habitent du côté de la rue qui n’est pas compris dans la zone franche se sentent exclus…
Éric Raoult : C'est justement pour éviter de faire des découpages à la louche que nous préférons travailler avec soin la dentelle des quartiers, et que seulement vingt cas sur quarante-quatre ont été réglés jusqu'à présent. Il ne faut pas oublier que chaque fois qu’un périmètre est élargi, cela représente un coût. Les zones franches sont nécessairement restreintes.
Le Figaro : Vous êtes resté en retrait sur l’intégration lors de l’affaire des sans-papiers. L’UDF semble plus présente, avec un colloque pour décembre…
Éric Raoult : Pour ce qui est de mon « silence », il y a des coups de téléphone qui sont plus utiles que des coups de projecteur. Chacun à sa place : je gère ceux qui sont en situation régulière, le ministre de l’intérieur, Jean-Louis Debré, ceux qui ne le sont pas. Il fait en quelque sorte le contrôle à la porte, et moi je fais asseoir autour de la table ceux qui sont entrés régulièrement. Je suis très heureux que l’UDF travaille que la trilogie dégagée par Alain Juppé : intégration, contrôle des flux, coopération. Toute réflexion sur ces différentes étapes de l’intégration ne peut que rendre les Français plus intelligents sur la question.
Le Figaro : L'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard a montré que des mesures en faveur des étrangers vivant en toute régularité en France semblent indispensables…
Éric Raoult : Si certains prétendent nous montrer du doigt sur l'immigration, nous pouvons nous appuyer sur notre tradition en garantissant à tous les mêmes chances. Nous devons mettre fin à l'exaltation du droit à la différence défendue par les socialistes, et promouvoir les ressemblances, dans un cadre républicain. Je propose de donner la priorité à l'insertion, à la médiation et à la promotion des réussites.
Le Figaro : Plus précisément ?
Éric Raoult : Quand on parle d'insertion, on pense avant tout à l'insertion par l'économique. C'est en participant à la vie publique, avec une fiche de paie, que l'on est pleinement citoyen. Je pense à quelques pistes, comme le parrainage de l'emploi ; qui doit être développé avec des organismes professionnels. Je pense également à une formation donnée aux jeunes afin de leur faciliter l’accès aux fonctions publiques d’État et territoriales. Il ne s’agit en aucun cas de préférence étrangère, mais d’un rattrapage national.
Réussir l’intégration, c’est aussi agir sur des symboles. Le refus d’entrée dans une boîte de nuit ou dans un camping est une cicatrice difficile à faire disparaître. Il faut donc une action pratique contre les discriminations : faciliter l'accès des plaignants à la justice, et avant cela rechercher toutes les possibilités de médiation. Enfin, je souhaite que soient promues toutes les réussites, que ce soit celle de Djamel Bourras ou celle de cette major de promotion à Normale sup issue de l’immigration. Le creuset français n’est pas cassé, montrons-le !
Libération - 10 octobre 1996
Libération : Le pacte de relance pour la ville marche parfois sur les plates-bandes de la gauche. Comment avez-vous procédé pour le faire accepter par la majorité ?
Éric Raoult : Le pacte de relance pour la ville ne représente ni une politique réactionnaire ni une politique de gauche. Je dirais, avec Jean-Claude Gaudin, que c’est une politique progressiste qui renoue avec un certain gaullisme social. D’autre part, il ne faut pas oublier que nombre d’élus de la majorité sont concernés par les quartiers en difficulté : 200 sur 490 députés. On a eu effet d’annonce modeste et l’objectif ambitieux. Auparavant, le scénario était en quelque sorte le suivant : un môme se faisait tamponner par un car de police, ça explosait dans le quartier, et le Premier ministre parlait à la télé pour dire : « Je m’en occupe ». Là, on essaie d’être plus architectes que pompiers, autrement dit plus dans le concept et la réalisation que dans le fait divers et l’urgence. Le projet est multiforme. Il y a de l’éducatif avec le dispositif école ouverte, la redynamisation des zones d’éducation prioritaire, du sécuritaire de l’urbain bâti avec un effort certain pour la réhabilitation, le désenclavement. Et aussi un effort en faveur de l’économique, ce que le Président appelle le « Chainon manquant ». Les députés de la majorité ont été plutôt étonnés de voir qu’on les écoutait. Avec Jean-Claude Gaudin, on s’est beaucoup déplacé : dans 29 zones franches sur 44. D’ailleurs, le secteur associatif, tellement critique sur le gouvernement, ne les remet pas en question sur ce sujet. Tout le monde est conscient que c’est un bon investissement : mieux vaut dépenser 100 F quand c’est calme plutôt que 1 000 quand ça brûle…
Libération : D’après vous, l’effort d’explication a permis d’éviter la foire d’empoigne…
Éric Raoult : C’est un pacte et c’est une relance, ce sont des sujets qui encouragent plus le consensus que le fracas idéologique. Et puis, on a réussi à montrer que cela ne concerne pas seulement les domaines de l’immigration, les jeunes en difficulté qui ont la casquette retournée. Ce dossier n’entre pas en concurrence avec les lois Pasqua, par exemple. Et on n’a pas verrouillé le débat. Lorsque les sénateurs nous demandent de ne pas oublier les travailleurs indépendants et de réfléchir au suivi des emplois de ville au bout de cinq ans, on en tient compte. L’opposition n’a pas ferraillé non plus. Quant aux associations, elles se sont dit : ce n’est pas le plan Marshall mais ce ne pas trop riquiqui. Et l’actualité a été favorable à un débat serein : on a eu un été calme dans les quartiers…
Libération : Le message serait bien passé auprès des députés. Les modifications de sénateurs vous comblent. L’ambiance a-t-elle été aussi idyllique avec les maires ou avez-vous été obligé d’adopter un profil bas ?
Éric Raoult : Si par profil bas vous entendez coup de chapeau à nos prédécesseurs, comme Michel Delebarre ou Simone Veil, pourquoi pas. En fait, l’essentiel, c’est qu’on n’a pas cherché à en faire un instrument politique.
Libération : On vous reproche parfois d’avoir cherché à obtenir le consensus à partir de l’économie au détriment de nouvelles orientations de politique urbaine…
Éric Raoult : Effectivement, le côté interministériel n’est pas tout à fait bouclé. Quand on fait une opération en faveur de la réhabilitation de logements, on n’a pas tous les crédits. Certains sont toujours au ministère du logement. D’autre part, il faut admettre les limites d’un ministère de la ville. Pour les problèmes d’urbanisme et les questions architecturales, il est souhaitable d’aller plus loin en écoutant le local. Mais il serait désastreux de constituer un haut-commissariat aux quartiers en difficulté.
Libération : En diffusant la notion de discrimination positive avec les zones franches, ne craignez-vous pas de mettre à mal le modèle républicain d’intégration ?
Éric Raoult : Le modèle républicain, on en avait débattu pour les publics, pas pour les territoires. Le modèle était fondé sur l’intégration sociale de l’individu. Avec le pacte, on poursuit l’action des contrats de ville qui engagent les maires et l’État en y ajoutant une action spécifique sur les quartiers. Pour les hommes, c’est l’égalité et pas la communauté. Pour les quartiers, un peu plus pour ceux qui cumulent tous les moins.
La Lettre de la Nation magazine – N° 358 - 11 octobre 1996
La Lettre de la Nation : Où en est-on de la mise en place des emplois de ville ?
Éric Raoult : La création des emplois de ville est issue d'une loi du 6 mai dernier. Tous les décrets d’application ont été pris dans un délai record. Aujourd’hui, ce sont près de 3 000 jeunes des quartiers qui ont déjà signé un contrat de travail. Par ailleurs, plus d'une dizaine de conseils généraux et cinq conseils régionaux se sont déjà engagés sur des conventions de financement. Enfin, des partenaires importants de la politique de la ville, tels que les entreprises de transport ou les fédérations d'HLM, se sont engagés sur des conventions d'objectifs. Je demande à tous les maires, députés, présidents de conseils généraux ou régionaux, de se mobiliser pour que les emplois de ville soient une totale réussite.
On veut nous faire croire que la France est morose, mais je vous assure que, sur le terrain, il existe une vraie dynamique pour s’en sortir. Chacun a bien compris l'intérêt économique et social de ces nouveaux emplois. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai mobilisé tous les préfets afin que l'information arrive jusqu’aux employeurs potentiels.
La Lettre de la Nation : Que répondez-vous à ceux qui disent que ces emplois sont des gadgets ?
Éric Raoult : Qu'ils demandent aux 3 000 jeunes qui ont déjà signé leur contrat s'il s'agit pour eux d'un gadget. Ce qu'ils me disent plutôt, c'est que c'est l'accès à la fiche de paie et la fin de la galère. Les emplois de ville, c'est à la fois un moyen de créer des emplois qualifiants pour les jeunes des quartiers difficiles tout en permettant aux collectivités locales de créer de nouveaux services à la personne. Nous savons tous qu'il existe dans ce domaine un gisement d'emplois encore inexploré dans notre pays. Je note d'ailleurs avec ironie que les socialistes sont en train de reprendre cette idée à leur compte. Mais là où ils réfléchissent encore, après n'avoir rien fait, nous, pour l'emploi des jeunes des quartiers sensibles, nous agissons.
La Lettre de la Nation : Comment les entreprises réagissent-elles à votre programme de revitalisation des quartiers difficiles ?
Éric Raoult : Avec intérêt, compte tenu des exonérations fiscales et de charges sociales que nous proposons. D'ores et déjà, 200 entreprises d'Île-de-France ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à s'implanter dans les neuf zones franches de la région parisienne alors même que la loi n'est pas encore adoptée. Il s'agit, pour le gouvernement, d'un encouragement fort à poursuivre notre action pour la redynamisation économique. Le social ne suffit plus, c'est l'économie, et donc l'emploi, qui permet de sortir ces quartiers de la relégation.
La Lettre de la Nation : Comment travaillez-vous avec les élus locaux ?
Éric Raoult : La grande originalité de cette nouvelle politique de la ville est qu’elle s’appuie sur un large partenariat entre l’État et les élus locaux. Nous avons travaillé avec eux pendant de longs mois pour élaborer le pacte de relance pour la ville. J'ai pu apprécier, alors, la force de leurs propositions. Aujourd'hui, c'est encore ensemble que nous mettons en œuvre ce pacte sur le terrain. Ce partenariat correspond à notre volonté de souplesse. Il ne s'agit pas d'imposer d'en haut un plan clés en main, mais de prendre appui sur les nombreuses expériences des acteurs de la politique de la ville. C'est comme cela que l'on peut réussir.