Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur les travaux et propositions du Conseil supérieur de la participation, Paris le 8 octobre 1996.

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Circonstance : Réunion du Conseil supérieur de la participation à Paris le 8 octobre 1996

Texte intégral

Un an après son installation, le Conseil supérieur de la participation a déjà accompli un travail important dont je tiens à souligner aujourd’hui la variété et la richesse. Ce travail s’est effectué sous l’impulsion du président Repeczky et des trois rapporteurs, auxquels je rends hommage et que je remercie d’avoir eu le souci constant de maintenir des liens de confiance avec mes services. Les réflexions menées dans les trois groupes de travail, dont certaines rejoignent les préoccupations gouvernementales, peuvent se résumer en trois idées forces :
    - la nécessité de stimuler la production de richesses (notamment au sein de petites et moyennes entreprises) en développant l’esprit participatif ;
    - le souci d’ouvrir de nouvelles voies à la participation des salariés, notamment au travers de leur association aux instances de décision au sein de l’entreprise, et de s’interroger sur des formules qui seraient propres au secteur public ;
    - la volonté d’encourager une épargne de long terme, sur le fondement de la participation.

1. Stimuler la production de richesses au service de l’emploi

1.1. Stimuler la production de richesses

La participation financière, qui permet le partage des fruits de la croissance au sein de l’entreprise, s’appuie sur une législation dense et le bilan chiffré qui a été présenté ce jour montre que cela rencontre un vif succès (1). Cependant, le groupe « intéressement », par l’audition d’entreprises, a décelé quelques insuffisances ou difficultés.

Tout d’abord l’incertitude juridique qui entoure parfois les relations avec les organismes du recouvrement. D’ores et déjà, des expériences de concertation entre les services déconcentrés du ministère du Travail et les organismes de recouvrement, en premier lieu les URSSAF et les services fiscaux, se développent au plan local, afin d’adopter une position commune susceptible d’être communiquée aux entreprises dans un bref délai après le dépôt des accords d’intéressement. Je souhaite que cette orientation soit confirmée afin d’harmoniser les interprétations administratives et accroître la sécurité juridique des signataires de ces accords, sans porter atteinte aux attributions respectives des administrations concernées.

Dans le droit-fil de la volonté gouvernementale d’amélioration des relations entre les usagers et l’administration, il me paraît à cet égard important que « le conseil précède le contrôle », autrement dit que les règles soient claires et qu’on en change pas en milieu de partie.

Le groupe « intéressement » a également mis en exergue le risque de démotivation des salariés qu’entraîne l’utilisation excessive de règles purement comptables ou financières dans la définition des objectifs de l’intéressement.

Ces règles peuvent avoir un effet de distorsion qui altère, voire dénature la mesure de la performance des salariés.

L’intéressement gagnerait à être davantage rapproché des caractéristiques quantitatives ou qualitatives du travail lui-même et de leur amélioration.

Enfin, le groupe « épargne salariale » a utilement fait des propositions destinées à permettre l’accroissement des fonds propres des entreprises par la mobilisation de l’épargne salariale. Il s’agit ainsi d’assurer une croissance saine et robuste, prenant appui sur les acteurs de l’entreprise.

1.2. Encourager l’emploi par la négociation

Conformément aux conclusions de la rencontre du 8 juillet entre le gouvernement et les partenaires sociaux et au vœu exprimé par le président de la République le 14 juillet dernier, j’ai souhaité que le groupe « intéressement » élabore des propositions sur le bon usage de l’intéressement dans la perspective d’une utilisation dynamique de l’aménagement et de la réduction du temps de travail.

Par nature, l’intéressement est un pari sur l’avenir. Son couplage avec l’aménagement/réduction du temps de travail accroîtra sa vocation à répartir équitablement l’enrichissement de l’entreprise entre employeurs et salariés, en répartissant du temps libéré, y compris pour la formation tout au long de la vie, à laquelle je suis attaché, grâce à un autre temps encore plus productif.

La poursuite constatée en 1995 du développement de la négociation d’entreprise – et notamment la reprise de la négociation salariale (+ 20 % en nombre d’accords par rapport à 1994) – et de la négociation des accords d’intéressement (+ 13 % en nombre d’accords conclus par rapport à 1994 (2) laisse espérer que ces négociations sur l’aménagement/réduction du temps de travail peuvent s’inscrire dans une perspective globale et dynamique.

Le bilan dont vous avez eu connaissance montre en effet, d’une part, que la majorité des bénéficiaires d’un accord salarial étaient également couverts par un accord d’intéressement et, d’autre part, que les entreprises qui pratiquent l’intéressement prévoient plus souvent les clauses de rendez-vous dans leurs accords de salaires.

Je me réjouis de pouvoir ainsi constater, sur la base des chiffres les plus récents, que la participation financière continue de progresser et qu’elle le fait dans un lien de saine complémentarité dynamique avec la négociation salariale. Les liens avec la réorganisation du temps de travail doivent être conçus dans le même esprit.

La mission qui vous est assignée consiste à nourrir la réflexion des pouvoirs publics, mais aussi à déboucher sur des modalités pratiques destinées aux entreprises.

J’attends beaucoup, sur ce point, des travaux que vous mènerez d’ici la fin de l’automne, à partir des réflexions conduites par le groupe de Claude Cambus.

2. Ouvrir de nouvelles voies à la participation

La question de la participation des salariés au sein de l’entreprise est une question majeure et nécessairement « transversale » aujourd’hui. Diverses réflexions à ce sujet sont en cours ou viennent d’aboutir.

C’est cet enjeu qui a présidé, lors de la première réunion du Conseil supérieur de la participation, à la création d’une commission « généraliste » (3). Elle s’est donné pour objectifs de traiter de la participation aux décisions, en liaison avec les modes de participation financière, et de la participation dans le secteur public.

La commission a amorcé une série d’auditions de représentants d’entreprises très diverses, tant par leur taille économique que par leur statut juridique : entreprises publiques, récemment privatisées et privées.

a) Ces comptes rendus d’expériences d’administrateurs salariés, d’associations d’actionnaires salariés, de dirigeants, de cadres d’entreprises, vous ont permis de prendre une première mesure des modalités effectives de la participation aux décisions.

Le poids relatif des représentants des salariés au sein des instances de décision., conseils d’administration ou de surveillance, leur accès à l’information, l’attitude du président du conseil d’administration ou celle du directoire face à ces administrateurs d’un type particulier, le rôle de l’intéressement dans la motivation des salariés, la place des associations d’actionnaires salariés, et anciens salariés, qui souhaitent légitimement faire entendre leur voix au sein des assemblées générales, tous ces thèmes ont été au cœur de vos débats.

La communication au sein du Conseil supérieur durant le premier trimestre de 1997 d’un premier bilan chiffré de l’application de la loi du 25 juillet 1994 permettra d’évaluer le dispositif juridique existant, incitatif et facultatif de la représentation spécifique des salariés actionnaires. Elle pourra éclairer et nourrir votre réflexion.

Vous vous êtes aussi intéressés à la participation dans les autres pays comparables. J’en profite pour remercier les membres de cette commission, et spécialement son rapporteur pour tous ces travaux d’analyse, accomplis au cours de cette année.

b) Vous avez aussi porté votre réflexion sur trois autres sujets.

Tout d’abord, la nécessité de mieux faire connaître la notion même de participation trop ignorée du grand public, et même parfois des acteurs concernés, salariés, cadres, dirigeants, administrateurs.

La création même du Conseil supérieur, la transmission de son rapport au Parlement, la diffusion des ouvrages récemment réalisés par mes services apportent déjà une première réponse à ce besoin fondamental de communication autour de la participation. Il nous faut aujourd’hui réfléchir aux conditions dans lesquelles nous pourrions nous appuyer sur le 30e anniversaire de l’ordonnance de 1967 pour donner encore plus d’écho aux vertus de la participation et à la diffusion de ses meilleures pratiques. C’est une occasion unique.

Vous avez (c’est le deuxième point de votre réflexion) exprimé un vœu relatif au développement de la participation dans les trois fonctions publiques, le progrès de la participation ne pouvant être limité aux seules entreprises privées. J’ai transmis ce vœu au ministre de la Fonction publique, en lui laissant bien entendu le soin de lui apporter la suite qui lui semblera la plus appropriée, mais en souhaitant que la transcription de l’esprit participatif soit réalisée. Le monde de la fonction publique est particulier, chacun le sait, mais la réforme de l’État est engagée, comme celle de la sécurité sociale et partant, du monde hospitalier public. L’esprit participatif, c’est aussi une condition d’acceptation et de compréhension des réformes par les agents publics, c’est un moyen de convaincre du bien-fondé des évolutions nécessaires.

Vous vous êtes enfin intéressés au fonctionnement des conseils d’administration des entreprises publiques, qui sont composés à l’heure actuelle, en vertu de la loi dite de « démocratisation du secteur public » du 26 juillet 1983 de représentants de l’État et des autres actionnaires, de personnalités qualifiées désignées par l’État pour représenter l’environnement économique et les usagers, enfin de représentants, élus, des salariés. Mais là aussi, ne sommes-nous pas en pleine évolution ?

Vous vous êtes interrogés sur la participation éventuelle à ces conseils de salariés non élus. Il s’agit là d’une question délicate qui touche à l’équilibre même des conseils.

3. Encourager une épargne de long terme

Je vous avais demandé, lors de notre première réunion plénière, de réfléchir à la mise en place d’une épargne-retraite qui, sans se substituer aux régimes par répartition existants – légaux et conventionnels – offrirait une protection « surcomplémentaire » aux salariés.

Comme il se doit, ce thème a fait l’objet de discussions intenses au sein du groupe de travail constitué au sein du Conseil (4), qui a bénéficié du concours d’experts. Alors que le projet d’institution de l’épargne-retraite se précise, l’affirmation de vos positions respectives permet d’enrichir la réflexion gouvernementale.

La nécessité de constituer une épargne de long terme, distincte du plan d’épargne d’entreprise actuel, mais « prolongeant » en quelque sorte celui-ci, vous est apparue clairement, indépendamment de la forme du retour escompté (pension de retraite ou autre utilisation) retenue par le salarié. Cette approche est encourageante. Elle a le mérite de respecter le choix du salarié dans le cadre d’un système qui, comme dans l’avant-projet de loi gouvernemental, serait en tout état de cause facultatif et encadré par la négociation collective dans sa phase d’épargne.

J’ai retenu vos observations sur la diversification des placements et le caractère paritaire du conseil de surveillance des fonds, qui sont des éléments déterminants de l’acceptation de l’épargne retraite, en ce qu’ils prémunissent contre les aléas de la gestion des fonds, tout en assurant aux représentants des salariés l’information nécessaire.

À cet égard, votre proposition s’inspire largement de pratiques déjà validées en matière d’épargne salariale.

Il importe que la mise en œuvre de l’épargne retraite soit aussi l’occasion d’un dialogue social renouvelé assurant aux salariés une information précise sur tous les aspects du placement, notamment les mérites comparés des différents gestionnaires possibles, l’orientation de leur gestion et le coût du dispositif.

Compte tenu des enjeux, la mise en concurrence des organismes gestionnaires est un impératif pour la réussite de l’épargne-retraite. Les petites et moyennes entreprises, si elles veulent bénéficier des conditions les plus avantageuses, auront intérêt à s’unir afin qu’un équilibre sain s’instaure entre l’offre et la demande de produits d’épargne-retraite.

Reste le délicat problème du mode de sortie de l’épargne longue : vous vous êtes exprimés pour la sortie exclusive en capital, ce qui me paraît réducteur et peu conforme à la finalité à mes yeux, principale du produit, à savoir la retraite. La sortie en rente me paraît devoir être prioritaire, sans préjuger de la qualité des organismes gestionnaires, qu’ils appartiennent au secteur des assurances ou au secteur financier, qu’ils aient ou non un caractère lucratif. C’est la solvabilité et la transparence des organismes gestionnaires qui doivent présider à leur éligibilité à l’épargne-retraite et non leur appartenance a priori à un métier ou à une catégorie déterminée de la couverture des risques à terme.

Je conclurai en évoquant la situation générale des petites et moyennes entreprises au regard de la participation. Comme le montre le bilan chiffré, elles dégagent plus souvent de l’intéressement que les autres entreprises lorsqu’un accord existe. La prime par bénéficiaire dans les petites entreprises est beaucoup plus élevée que dans toutes les autres entreprises, particulièrement les plus grandes, et est orientée à la hausse, ce qui n’est pas le cas dans les grands groupes. Les petites et moyennes entreprises contribuent également au fort taux de renouvellement des accords d’intéressement.

Il est donc permis d’affirmer ce que l’on ignore généralement que le dynamisme de la participation financière repose largement sur les petites et moyennes entreprises. C’est un exemple parmi d’autres, de leur engagement social, que l’on retrouve en particulier au niveau de l’embauche. C’est un mouvement à encourager.

Je souhaite qu’elles confirment ce dynamisme dans le chantier nouveau de la liaison entre l’organisation du temps de travail et du temps « libéré », encouragé et entraîné par des pratiques participatives.

 

(1) 9 963 accords d’intéressement et 16 300 de participation en vigueur au 31 décembre 1995, chiffres inégalés.
(2) 3 862 nouveaux accords d’intéressement en 1995, chiffre record.
(3) Dirigée par M. Maurice Aumage.
(4) Dirigé par M. Paul Maillard.