Texte intégral
Je voudrais axer mon propos sur Jean Paulhan, un grand écrivain français peu connu, qui a été le patron de la NRF et qui a mené une guerre de l'esprit pendant la guerre. Il écrivait en 1941 un appel clandestin à la résistance, dans un bulletin clandestin qui s'appelait le Bulletin du Comité national de salut public : « La France est partout où l'on ne consent pas ».
Je trouve cette phrase très belle. Je la propose ici à chacun d'entre nous. Je voudrais la proposer à l'UDF parce que nous ne consentons pas à un certain nombre des fatalités qu'on nous propose, parce que nous ne consentons pas aux dépressions qu'on impose à notre esprit.
Je voudrais vous le dire à travers trois sujets majeurs :
– donner à l'UDF une nouvelle dimension, c'est ce que nous sommes en train de faire. Je voudrais vous dire comment et pourquoi ;
– bâtir la France de la responsabilité. Cela a été dit par chacune et chacun d'entre vous ;
– enfin, ouvrir les yeux sur le monde, ce qui est certainement, pour un Français, à la fois la chose !a plus dure, car nous aimons nous regarder nous-mêmes, et en même temps la plus nécessaire.
Donner à l'UDF une nouvelle dimension
Nous sommes en train de construire quelque chose à La Baule.
Je voudrais d'abord vous parler de notre unité. Je considère que l'essentiel du mandat que vous m'avez confié le 31 mars dernier – et j'ai intégré certaines des réflexions qui étaient faites par d'autres – est d'amener l'UDF vers son unité. Je vous demande d'être jugé sur ce critère-là. Je vous demande d'avoir le courage de dire, au moment de la prochaine élection du Président de l'UDF au suffrage universel : est-ce qu'il a bien fait dans ce sens ? C'est le critère qui m'est le plus cher. J'en serai l'artisan infatigable.
Je ne consens, pour reprendre la phrase de Paulhan, ni à la division, ni à l'impuissance de l'UDF.
Ce mouvement vers l'unité, vous l'avez bâti vous-mêmes ici, à La Baule, d'homme à homme, de militant à militant, de jeune à jeune. Vous l'avez fait dans un mouvement continu, régulier, profond. Vous êtes arrivés chacun avec votre culture et vous repartez avec une culture de l'UDF Vous êtes arrivés chacun avec vos chefs et vous repartez non pas avec un seul chef, mais avec une volonté commune de bâtir cette famille politique.
Je voudrais vous dire que nous n'avons franchi que les premières étapes. Il nous reste une longue route à mener. D'abord parce que nous venons de loin : en 1993, quand il s'est trouvé que sur notre route nous avions quelques primaires avec nos amis du RPR, nous les avons perdues dans leur quasi-totalité. Quand un sondage est réalisé, comme récemment sur l'identité de l'UDF, les réponses ne sont pas très belles. Nous avons un très long chemin à faire, il ne fait que commencer.
Je voudrais vous donner quelques étapes, qui ont été évoquées ce matin. Je vous cite trois actions majeures qu'il faut mener.
Établir le fichier unique. Je vous y invite. Vous êtes les cadres de l'UDF, vous êtes responsables de cela : pas de magouilles, pas de manipulations. Certaines forces sont plus importantes que d'autres, qu'importe. Nous avons à marcher ensemble et à donner cette image que nous donnons aujourd'hui de citoyens rassemblés. Nous allons faire ce fichier unique. J'y mettrai, là aussi, toute mon énergie, toute mon autorité. Vous avez constaté que les dirigeants de l'UDF présents sur cette tribune, partagent cette énergie et cette volonté.
Déterminer avant la fin de l'année, le processus démocratique qui nous permettra de choisir notre position au moment d'une élection présidentielle. C'est cela qui nous a fait un tort considérable en 1995. Avant la fin de l'année, nous aurons établi, dans le consensus, en écoutant chacun, parce que c'est difficile techniquement, la manière dont l'UDF la prochaine fois choisira son candidat. Que ce soit une formule de soutien ou que ce soit une formule – vous imaginez quelle est ma préférence – de désignation d'un candidat issu de nos rangs. Cela sera fait de façon démocratique, c'est vous qui choisirez. Tant mieux s'il y a des ambitions.
Je le dis à tous ceux qui ont la tentation d'avoir un pied dans l'UDF et un pied ailleurs : qu'ils jouent le jeu, qu'ils viennent chez nous. Est-ce que cette maison ne leur est pas accueillante ? Est-ce qu'ils ont été à un moment ou à un autre empêchés de s'exprimer ? Nous ouvrons donc les bras à tous ceux qui ont pu considérer que l'UDF ce n'était pas bien, ce n'était pas suffisant, ce n'était pas cela. Qu'ils reviennent, qu'ils nous rejoignent dans la construction démocratique d'une grande famille politique.
Élaborer un projet véritable, un projet politique Pierre Méhaignerie a bien voulu en accepter la charge. Les projets politiques suscitent en France quelque ironie, et hélas quelquefois quelque ironie légitime. Il ne s'agit pas de faire un projet de séduction de l'électorat français. Nous n'allons pas faire une série de promesses qui ne seraient pas tenables. Nous voulons tracer des perspectives, donner un sens à notre vie commune, faire en sorte que les Français puissent se reconnaître dans ce projet et les hommes qui l'ont conçu.
Je crois que cette UDF à la fois plus forte, plus rassemblée, dont le message sera entendu et j'espère compris, pourra apparaître comme la force centrale autour de laquelle se construira le vrai débat politique de notre pays. Nous avons besoin de cette force, à la fois indépendante, ouverte et généreuse.
Indépendante, cela veut dire que nous ne devons notre conduite qu'à nous-mêmes, devant le seul jugement des Français et à travers une démocratie interne riche et pluraliste, respectueuse de chacun.
Ouverte, cela veut dire que nous ne fermons aucune porte, ni celle de l'intelligence, ni celle du cœur.
Généreuse, cela veut dire que nous sommes sensibles à la détresse de certains de nos compatriotes. Nous ne sommes pas indifférents à cette situation et nous n'acceptons pas, nous ne consentons pas à ce qu'elle se pérennise.
Si nous ne faisons pas l'unité de l'UDF nous ajouterons un obstacle de plus à notre marche vers la réussite de 1998. Ils sont déjà très nombreux.
La pluralité des courants à l'intérieur de l'UDF, c'est une chance, mais à une seule condition, c'est que ce ne soit jamais le retour du chacun pour soi, le retour de la querelle des étiquettes ou le retour du jeu très subtil et très dangereux de l'un contre l'autre.
Vous êtes les gardiens de cela. L'unité de l'UDF suppose un certain nombre d'attitudes : la transparence, que chacun sache qui fait quoi, pourquoi il le fait, dans quel esprit, avec qui ; la volonté commune et -permettez-moi de le dire parce que nous avons une tradition un peu libertaire – la discipline. Je peux vous dire que je m'efforcerai, à chaque fois avec l'aval du Bureau politique, de sanctionner ceux qui jouent les uns contre les autres et ceux qui pourraient être tentés de jouer nos partenaires du Rassemblement pour la République contre l'UDF
Notre unité sera fondée sur notre message et sur la qualité du projet que nous présenterons devant les Français. A plusieurs reprises, ces temps derniers, nous nous sommes interrogés sur le triptyque très cher à Valéry Giscard d'Estaing : libéral – social – européen. Ce n'est pas devenu faux – je ne sais pas ici qui pourrait dire qu'il n'est ni libéral, ni social, ni européen ; à part les communistes et Le Pen, les Français sont libéraux, sociaux et européens – mais nous nous sommes interrogés simplement pour affirmer un certain nombre de postulats, que je voudrais vous proposer, qui sont les suivants :
– la liberté de l'économie, c'est la condition de l'emploi. Plus de liberté, c'est plus d'emploi. En disant des choses aussi simples que cela, vous vous apercevez que vous dites exactement le contraire de ce que disent les socialistes. Ainsi le renouveau de l'autorisation administrative de licenciement et autres fariboles de ce genre, c'est le retour à l'âge de bronze du dialogue social ;
– le deuxième postulat : le dialogue, c'est la condition de l'autorité. Je crois qu'il faut que nous le disions très fortement : nous refusons une autorité qui serait aveugle et solitaire ; nous sommes pour une société du dialogue ;
– enfin, le troisième postulat : l'Europe. C'est la condition de la réussite française. Cette dernière proposition, nous pourrions d'ailleurs la retourner : la réussite française est une condition de la construction de l'Europe.
Il faudrait ajouter à. ces trois postulats, qui ne sont pas toujours des évidences pour les Français que la décentralisation est la pierre angulaire de toute réforme en profondeur de la société française. Vous observerez que, parmi toutes les questions qui nous sont posées, une partie de la réponse est dans la décentralisation, c'est-à-dire dans la volonté pour nous-mêmes et par nous-mêmes d'assurer ce principe de proximité, de subsidiarité qui a été évoqué à plusieurs reprises dans vos ateliers.
Sur toutes ces questions : la liberté de l'économie, l'autorité de l'État – cher José Rossi, vous voyez à quelle partie du territoire français je fais allusion –, l'Europe comme dimension première du rayonnement français, la décentralisation comme condition de toute réforme majeure, nous devons être audacieux, ne pas avoir peur de nous-mêmes, être offensifs et être cohérents, c'est-à-dire une fois que nous avons affirmé quelque chose ne pas faire ou penser le contraire.
Face à ces débats, nous avons quelques questions de fond. Je ne pourrai pas toutes les aborder. Tout à l'heure nous avons a évoqué les questions de défense. Je vous dis avec beaucoup de simplicité, ayant exercé ces fonctions très lourdes, que je suis un des rares à ne pas avoir voté la dernière loi de programmation parce qu'elle mettait fin implicitement à la conscription. Je ne l'ai pas fait, je ne me suis pas de cette manière isolé ou mis en dehors de la solidarité gouvernementale. Je demande aux présidents des groupes parlementaires de respecter, sur les questions essentielles, la complète liberté de vote des parlementaires UDF Nous avons le devoir, quand nous sommes en profond désaccord, de dire : « non je ne voterai pas ce texte ». Nous ne sommes pas dans une majorité de caserne, pour reprendre ce thème de la défense. Je souhaite qu'on ait cette attitude responsable. Nous sommes solidaires, notamment quand cela va mal. Mais il y a des questions de conscience sur lesquelles nous devons exprimer notre position, comme j'ai pu le faire moi-même sur cette question.
Il y a la question de l'immigration. Je ne vais pas la traiter longuement, mais ne fermons pas le dossier. Je le dis devant nos amis africains présents aujourd'hui qui sont souvent les spectateurs étonnés des politiques françaises sur l'immigration. Je leur dis aussi à eux comme à vous : la France des communautés ethniques n'est pas la France de la République. Il faut que nous le disions avec beaucoup de force. Vous vous souvenez peut-être d'une phrase terrible de Michel Rocard : « au fond la France est un hexagone dans lequel vivent des communautés ». Comme si nous étions une figure géométrique dans laquelle des tribus celtes, gauloises ou autres venaient s'installer provisoirement. Ce n'est pas cela la communauté nationale.
Je voudrais qu'on revienne, à travers les ateliers et notamment celui sur la citoyenneté, sur cette question de l'immigration en la liant aux deux autres questions que sont l'intégration et la coopération avec nos amis, notamment africains.
La dépense publique a été évoquée avec un talent formidable par Main Lamassoure hier. Il a dit, avec une clarté qui m'a semblé éblouissante, ce qu'il fallait penser de nos dérives, dont nous sommes probablement chacune et chacun ici responsables. Essayons de faire en sorte qu'à une demande d'assistance constante, quotidienne, sans cesse exprimée, ne réponde pas une offre démagogique_ Quand on entend assistance qu'on ne réponde pas systématiquement : pourquoi pas ? Je voudrais que nous essayions de faire autrement.
Je pense à la sécurité. On ne réglera la question, irritante pour les Français, de la sécurité que par une très forte décentralisation des forces de sécurité. Que l'on donne à la police nationale les grandes responsabilités de protection des frontières, de maintien de l'ordre, de contrôle général, mais que l'on donne à des autorités décentralisées, dans la gestion du personnel et dans la gestion des délits, la responsabilité d'organiser cette lutte contre les délits. Je pense aux maires notamment qui sont en première ligne dans ce combat et dans cette réflexion.
Enfin, je voudrais que nous puissions mettre notre accent sur quatre directions pour l'UDF, qui correspondent à chacun de nos défauts ou de nos lacunes. Je vous dois cette vérité : nous ne sommes pas bons sur ces quatre points que je fixe, si vous l'acceptez, comme des lignes de travail pour les uns et pour les autres :
– la place des femmes ;
– la présence de l'UDF dans les départements d'outre-mer ;
– l'organisation de nos élus ;
– les Français de l'étranger.
LA PLACE DES FEMMES
Vous avez entendu le débat passionné et passionnant que nous avons eu avec Simone Veil, sur la place des femmes dans In vie publique. Beaucoup a été dit. Je voudrais vous remercier, pas vous simplement Mesdames – ce serait là aussi faire du sexisme – mais les uns et les autres d'avoir abordé cette question sans ironie, sans légèreté, sans mépris, avec une idée simple de respect de l'autre et de lucidité sur cette situation infamante je ne vois pas d'autre mot – de notre pays qui nous place derrière de nombreux pays musulmans.
Nous ne pouvons accepter cela. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. A travers les propositions de lois qui ont été présentées par Gilles de Robien et Nicole Ameline : réfléchissez-y, faites des propositions, je souhaite qu'à l'occasion des journées parlementaires à Deauville, le Groupe UDF propose des textes dont nous veillerons à ce qu'ils soient proposés au Parlement.
J'ai entendu certaines d'entre vous, et; en dehors de cette salle, Madame Badinter et un certain nombre de femmes tout à fait respectables, exprimer des réserves sur l'utilité de légiférer. Je m'y suis engagé parce que je ne vois pas d'autre formule. Parce que sinon ce seront vos petites-filles ou vos arrière-petites-filles, Mesdames, qui peut-être auront une chance d'arriver à l'Assemblée nationale ou à la Présidence de la République.
L'un d'entre nous, Michel Herbillon, a proposé qu'un manifeste soit rédigé. Je pense que c'est une bonne orientation.
Je vais m'efforcer – pour ma part – de faire en sorte que l'organisation concrète de l'UDF fasse leur place aux femmes au sein des différentes instances de l'UDF Je voudrais par ailleurs que nous fassions de cet engagement une sorte d'acte collectif. C'est ma responsabilité, je ne réussirai pas seul. Je demande notamment aux présidents des composantes, de faire en sorte que cela soit également leur engagement.
LES DOM-TOM
L'UDF doit être présente et active dans les départements et territoires d'outre-mer. En dehors des questions économiques, qui ont été évoquées hier par des amis martiniquais, je souhaite que nous nous attachions à ce regard que portent sur la France ces compatriotes de si loin, du Pacifique, des Antilles, de l'Océan Indien. C'est grâce à eux que nous sommes la troisième puissance maritime du monde, grâce à ces femmes et ces hommes qui tiennent à leur statut de compatriotes, pas simplement pour des raisons économiques, comme on le dit quelquefois avec beaucoup de mépris.
Je crois que cela doit être une dimension essentielle de notre message politique, comme c'est une dimension essentielle de la République. C'est parce qu'il y a des Français dans le Pacifique, aux Antilles, dans l'Océan Indien et dans l'Atlantique que nous sommes une grande puissance. Je vous demande d'avoir ce regard sur eux.
J'ai demandé à. Jean-Paul Virapoullé d'animer une conférence régulière sur les départements d'outre-mer, une conférence de l'UDF de l'outre-mer afin que nous soyons, comme l'est le Président de la République, très attentifs aux attentes de nos compatriotes de l'outre-mer.
L'ORGANISATION DE NOS ÉLUS
J'ai demandé à Thierry Cornillet de rencontrer chacun des présidents des composantes de l'UDF Je lui ai dit : « va voir les uns et les autres et regarde si un accord politique peut aboutir le plus vite possible à la création nationale d'une fédération des élus de l'UDF ». Elle n'existe pas actuellement et nous en souffrons. Il les a vus, et a eu la bénédiction de chacun d'entre eux.
Je lui demande devant vous de mettre en place cette fédération nationale des élus de l'UDF, avec un triple objectif :
– aider les élus minoritaires dans les communes où ils sont en opposition avec la majorité -c'est très difficile dans certaines communes socialistes ou communistes ;
– développer les actions de formation – vous avez vécu pendant ces trois jours combien la formation est indispensable à l'exercice d'un mandat politique ;
– enfin, exprimer nos propositions sur la démocratie locale – c'est un des éléments forts de notre message.
LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER
Dernier volet de nos lacunes. Il ne s'agit pas là de nos compatriotes des départements d'outre-mer, il s'agit de nos compatriotes, dont vous savez qu'ils ne s'expatrient pas assez. Nous avons un devoir vis-à-vis d'eux : ils sont loin, ils nous regardent, un peu attristés de nos débats politiques, ils ont un regard plus cruel et plus tendre aussi parfois que le nôtre sur notre pays.
Le sénateur Cantegrit les représente à notre Bureau Politique. Vous devez, je vous le demande et je le demande aux ministres s'ils le veulent bien, les rencontrer dans vos déplacements. Je souhaite que les ministres – qui le font généralement – et les parlementaires à chaque fois qu'ils se déplacent rencontrent nos amis Français de l'étranger. Ils en ont besoin et avec eux nous devons préparer un certain nombre d'échéances électorales qui peuvent nous être proposées.
À travers tout cela, j'ai voulu tout simplement vous dire que l'UDF doit être le partage des idées. Proposer, c'est imaginer, mais c'est aussi donner à l'autre. J'ai été heureux hier d'entendre le Premier Ministre utiliser des termes, devant vous, que l'UDF lui avait proposé, quand il a dit : « vous n'êtes pas simplement des alliés mais des partenaires » ; quand il a parlé de « contrat de législature ». II ne faut pas parler de projet de gouvernement mais de contrat de législature, un contrat entre les deux familles, allant ensemble à la bataille, ayant chacune ses propositions. Mettons-nous autour d'une table et regardons ce qu'il y a de bon dans chacune de ces propositions.
Le partage des idées, à mon sens, est essentiel. Il n'y a pas de « coffre-fort à idées » dans la vie politique. Il suffirait de regarder le sort qui a été réservé je dis cela avec humilité – à la CSG : nous avons tous voté contre à l'époque et maintenant nous l'utilisons. Soyons modestes. Il suffit de regarder le sort qui a souvent été réservé, dans l'autre sens, aux idées libérales : elles ont été brocardées, rayées, qu'il s'agisse de l'économie d'entreprise, de la dignité du mandat d'entrepreneur, de la responsabilité, du risque et de la concurrence. Maintenant elles appartiennent au lieu commun et c'est grâce à l'UDF en grande partie. Mais attention au retour en arrière.
BÂTIR UNE FRANCE DE LA RESPONSABILITÉ
Je crois d'abord que c'est répondre aux questions que nos compatriotes nous posent. Je ne parle pas tellement de morosité, je parle d'inquiétude. Je crois que ce qui s'exprime aujourd'hui c'est une inquiétude des Français sur l'avenir. Je ne sais pas si nous sommes responsables de cette inquiétude, mais nous sommes responsables de notre réponse, tout simplement parce qu'elle ne doit pas être mensongère. Je crois qu'entre le fatalisme et l'euphorie, il y a une toute petite place, c'est celle du courage. Entre la longue plainte de la famille des « tout va mal », qui est hélas une spécialité française, et les quelques voix, généralement gouvernementales, de la famille des « tout va bien », il y a de la place pour un peuple responsable. Cette place n'est pas très grande, mais c'est à nous de l'élargir. C'est cette responsabilité qui fait notre dignité. C'est ce souci de la responsabilité qui pourrait définir le mieux l'UDF
Le manque d'espoir ou l'inquiétude, que j'évoquais tout à l'heure, ne sont pas un manque de civisme. Je crois que nous aurions tort de culpabiliser les Français en leur disant : « ne pas croire dans l'avenir du pays, ce n'est pas bien ». Ils ne doivent pas être culpabilisés. Le problème n'est pas tellement, ou pas seulement, la confiance qu'ils doivent donner à l'État – je comprends qu'ils se méfient – mais plutôt le problème de leur confiance en eux-mêmes. Je crois que, pour répondre à Madame Notat ou à d'autres responsables syndicaux, c'est plus une inquiétude qu'une colère. On ne répond pas à de l'inquiétude uniquement avec de la fermeté. On y répond par le dialogue, l'explication, la mise en perspective.
Comme Cadet Roussel, cette inquiétude a trois maisons : la crainte du chômage, la crainte de la retraite et la crainte de l'impôt. Ce sont ces trois craintes qui se conjuguent aujourd'hui dans chaque foyer français. Sur chacun de ces trois sujets : chômage, retraite, impôt, il faut, comme des trappeurs inlassables, chercher la piste de la responsabilité ou des responsabilités. Comme toujours, il y a de fausses pistes. La plus large, la plus avenante, c'est la fausse piste du socialisme. Mais il faut dire ici avec beaucoup de force, car nous n'avons pas à regretter ce message dans sa force – j'allais presque dire dans sa brutalité – que l'UDF a l'intention d'aider les Français à sortir du socialisme explicite ou implicite, dans lequel on les a enfermés.
Ce ne sont pas tellement, ou uniquement, des recettes techniques que je voudrais développer – les ministres qui sont ici les connaissent et vous les ont exposées -, ce sont quelques règles de bons sens.
Sur le chômage, le postulat est simple : quand le niveau de la dépense publique monte, le niveau de l'emploi baisse. Il faut arriver à définir cela devant les Français : si vous faites monter le niveau de la dépense publique, vous êtes à peu près certains – il se trouve que l'histoire économique des dernières années l'a montré – que vous faites baisser le niveau de l'emploi. C'est notre mandat commun de convaincre nos compatriotes de ne pas aller dans cette direction.
Sur les retraites, le texte Barrot-Thomas sur l'épargne-retraite n'est certainement pas un sujet grand public, mais a pour objectif de développer la responsabilité de chaque Français dans la préparation volontaire de cette période de sa vie. Nous avons demandé au Premier ministre – c'est une initiative de l'UDF – qu'on inscrive ce texte – cela a été fait -, qu'on en débatte – cela a été fait -, et d'un seul coup on a le sentiment qu'il part ailleurs. Il faut que l'on continue le débat à l'Assemblée nationale sur ce dossier. C'est une qualité de l'UDF que d'avoir évoqué cette question et je souhaite que nous arrivions à un texte, qui recueille l'accord des organisations syndicales. Jean Arthuis a engagé des discussions sur l'épargne-retraite, qui est un élément fondamental de la retraite, après la retraite par répartition et la retraite complémentaire.
Les impôts : Quand, en juillet 1995 Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances, a dit « attention, ce collectif budgétaire est mauvais », nous avions un trend, une évolution de reprise de la croissance, et puis d'un seul coup, massivement, cette espèce de frappe fiscale de juillet 1995. Est-ce que c'était agresser quelqu'un de dire simplement notre conviction à l'UDF : attention, la croissance est fragile, la consommation des Français est fragile ; si vous faites cela vous allez probablement provoquer un recul de la croissance ? Pierre Méhaignerie l'a dit avec beaucoup de force, beaucoup d'entre nous l'ont dit. Et c'est parce que nous l'avons dit à ce moment-là, que nous sommes à même aujourd'hui d'appuyer la décision du Premier ministre d'aller vers 75 milliards de diminution dans les cinq ans qui viennent. Nous l'approuvons, bien évidemment, parce que nous avons regretté cette disposition qui avait massivement augmenté de plus de cent milliards la fiscalité des Français.
Je crois qu'il faut que nous ayons cette cohérence. Ce n'est pas être non solidaire que de dire cela, c'est encore une fois exprimer une conviction. C'était la nôtre et cela reste la nôtre.
Il reste quelques questions que je voudrais vous poser et qui seront les lignes de force du débat que Pierre Méhaignerie va engager avec vous :
Quel contenu donner au renouveau de la décentralisation ? On en parle, c'est un mot. Mettez un contenu concret dans ces mots-là : simplification des responsabilités, simplification des financements, principe de subsidiarité. Il faut que nous cessions de nous gargariser de quelques mots, pour essayer de donner à chaque fois un contenu concret à certaines de nos propositions.
Quelles réponses apportons-nous à la question du passage trop fréquent dans notre société de la solidarité, à laquelle nous sommes attachés, à l'assistance, que nous refusons ? Où finit la première et où commence la seconde ? Nous avons petit à petit, autour de nous, que nous le voulions ou non, créé un monde d'assistés. Il faut regarder cela avec attention. Où agit la solidarité nécessaire ? Je pense à la détresse de nombreux Français qui n'arrivent plus à s'en sortir, ceux qu'on appelle quelquefois le quart-monde. Il faut que la solidarité nationale s'exprime. Quant à la paresse, là aussi employons des mots simples : lorsqu'on a un revenu à peu près identique à celui qui travaille, c'est vrai que pour certains il est plus agréable de ne pas travailler. Il faut que nous ayons le courage de le dire.
Sur l'immigration aussi, allons jusqu'au bout de nos idées. Est-ce qu'il est possible de dire dans une salle de la majorité que l'immigration-zéro est une vue de l'esprit. La France s'est enrichie jadis et peut continuer à s'enrichir d'apports extérieurs, nous sommes pour une société ouverte. Mais en disant cela, nous devons affirmer aussitôt que l'entrée sur un territoire étranger de façon illégale n'est pas un accident mais un délit. Bien sûr, il faut réprimer ce délit. J'entends le concert des bons apôtres qui voudraient qu'on réalise un accueil universel du monde entier : quelle bêtise ! Ce sont souvent des gens intelligents, respectables par ailleurs, mais cette idée-là n'est pas une idée respectable parce que la conséquence mécanique d'une attitude de cette nature – j'ouvre mes bras à tout le monde, que tout le monde vienne sur ce beau territoire français -c'est le racisme, c'est la xénophobie, c'est la haine de l'autre. Vous pouvez en être assurés.
Sur l'économie, saurons-nous, dans les mois qui viennent, faire les analyses qui conviennent ? Vous avez observé que le débat est devant nous et je souhaite que l'UDF l'aborde avec courage : sommes-nous face à un ralentissement provisoire de la croissance, provisoire depuis quelque temps, ou sommes-nous devant une déflation ? La deuxième hypothèse, celle de la déflation, pourrait bien utilement servir de prétexte à tous ceux qui ne peuvent plus attaquer de front l'objectif de la monnaie unique, mais qui s'efforcent d'en démentir ou d'en détruire la nécessité.
Je ne crois pas pour ma part que nous soyons dans cette situation. En France, la production continue d'augmenter, certains prix continuent d'augmenter, et les salaires continuent d'augmenter, y compris les salaires des fonctionnaires, contrairement à ce que pensent beaucoup de Français. Les Pays-Bas sont dans une situation de santé extraordinaire en Europe. La dépression des années 30 était tout à fait différente : tout le monde baissait, les États-Unis, l'Asie, l'Europe, et cela nous a amené à la guerre. Nous ne sommes pas du tout dans une situation de cette nature. Les croissances asiatiques, la croissance américaine sont plutôt des bonnes nouvelles, tout comme la croissance des pays d'Europe centrale ou de l'ancienne Allemagne de l'Est.
Le débat est légitime, mais il ne faut pas qu'il serve de prétexte à revenir sur l'objectif que nous avons, d'affirmer très fort que la monnaie unique est pour nous la condition de la construction du continent européen. Nous ne voulons pas, sur ce sujet, un échec analogue dans ses conséquences à celui de 1954 quand il s'est agi de la défense des Européens. Parce que ce serait la même chose, nous aboutirions à ce résultat qui a fait qu'il a fallu quarante ans pour retrouver le mot « défense européenne ».
Enfin, à côté des questions économiques que nous venons d'évoquer, il y a tout un volet de dysfonctionnements de la société politique française que nous devons aborder avec courage. Le malaise de nos compatriotes vient aussi de notre mauvaise façon de nous comporter.
Je voudrais que sur les cinq sujets suivants :
– les femmes je l'ai évoqué tout à l'heure, je n'y reviens pas ;
– les modes de scrutin, c'est-à-dire la pérennisation des modes de scrutin dans la constitution ;
– le cumul des fonctions ;
– les droits du contribuable ;
– et les fondations politiques.
Nous puissions avoir une consultation, soit parlementaire, soit référendaire, pour ajouter au volet de la modernisation économique, que nous avons en partie réussie, le volet de la modernisation politique. Ce sont des vrais sujets. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas de conséquences économiques, qu'ils ne sont pas directement liés aux questions qu'on nous pose dans la rue. Si nous réussissons sur ces cinq sujets, nous pourrons donner un appel d'air à la démocratie des Français. Ne laissons pas ce thème à la disposition des socialistes.
Un mot sur les fondations politiques : il faut que nous arrivions à développer en France, avec un statut particulier, des fondations politiques analogues à celles d'outre-Rhin, qui permettraient aux formations politiques d'exprimer leurs idées et d'être représentées dans le monde, à l'extérieur, grâce à un recours à l'argent privé. Il faut bien sûr dissocier cela de la fonction électorale des partis politiques, qui reste soumise à la loi de financement des partis politiques – dont je continue à. dire qu'elle n'est pas libérale, puisqu'elle met les partis entre les mains de l'État. Il faut bien sûr également établir des règles de transparence et de protection nécessaires pour qu'il n'y ait pas de lien avec les marchés.
N'ayons pas peur des idées ou des mots : sommes-nous pour une France profondément décentralisée, pour un équilibre réel des pouvoirs, y compris celui de la magistrature ? Pour une Europe à vocation fédérale, mot terrible qui fait effroi ici ou là ? Pour un renouveau véritable du syndicalisme français ? Pour une véritable parité hommes-femmes le plus rapidement possible ? Pour un pouvoir parlementaire réel de contrôle sur l'administration ? Je pense que la réponse est oui. Cela suppose que nous ayons le courage d'aller jusqu'au bout de notre démarche pluraliste, démocratique et responsable.
NOTRE REGARD SUR LE MONDE
Dernier volet très bref, alors que le sujet est vaste. Une réflexion simple d'abord : nous n'avons été battus, comme communauté nationale, que lorsque nous avons cessé de regarder autour de nous. Les Français ne sont pas facilement défaits. Ils ne le sont que lorsqu'ils cessent de regarder ce qui se passe autour d'eux. Je souhaite que nous ne soyons pas dans cette situation qui a peuplé toute notre histoire. Quand François Ier était prisonnier de Charles Quint, il y avait des Espagnols partout autour de nous, au nord, à l'est, en Italie, en Espagne ; le roi était prisonnier. Les Français n'ont pas été défaits. On pourrait multiplier les exemples. Là aussi, il y a la prémonition de Jean Paulhan « la France est partout où l'on ne consent pas ».
N'ayons pas peur du monde. Nous avons appris cela quand nous étions petits, la peur de nos ancêtres, c'était que le ciel leur tombe sur la tête. Est-ce que nous avons peur que le monde nous tombe sur la tête ? Je ne crois pas. Je crois à un courage français et je l'ai vécu dans les fonctions que j'ai exercées. Je crois à la furia francese, comme disent les Italiens, à cette capacité que nous avons, quelquefois un contre dix, d'affronter les épreuves et les difficultés.
Tout cela nous mène à une lecture de la crise que nous traversons dans le monde. La crise, ce n'est pas une descente aux enfers, c'est une formidable mutation du monde qui nous entoure. Ne sommes-nous pas suffisamment intelligents, courageux, travailleurs pour y faire face ? Ne baissons pas les bras, la tête, le regard. Regardons ce qui se passe autour de nous. C'est vrai que nos compatriotes ont quelquefois un sentiment de dépossession parce qu'ils voient des décisions prises en Asie, en Allemagne, en Amérique qui ont des conséquences immédiates sur leur salaire. Il faut observer qu'en 1993 une révolte mexicaine a provoqué, par toute une série de jeux de dominos, des troubles sur le franc. La tentation est forte de retrouver les forteresses de jadis, de faire appel à Colbert, à Louvois, à toutes nos traditions de frontières naturelles. Ce n'est pas la réponse d'aujourd'hui.
La réponse est en nous-mêmes, dans notre cœur et dans notre intelligence : c'est le courage. Nous ne pouvons pas à la fois, dans le même discours, nous à l'UDF, dire que nous sommes favorables à des actions pour lutter contre la détresse du monde, contre les difficultés du tiers-monde, aller au Rwanda avec nos soldats, compatir à la situation du Bangladesh, et, en même temps, quand une partie de la conséquence de la mondialisation est une élévation du pouvoir d'achat de ces pays-là et de ces gens-là, nous en plaindre. Et c'est cela qui est en train de se faire, même si ça nous coûte, même si c'est difficile. C'est une communautarisation planétaire des pouvoirs d'achat et des richesses.
En 1982 le Parti républicain avait fait une affiche avec une petite main noire qui serrait une petite main blanche. Le sous-titre était : « nous ne pouvons pas être riches seuls ».
Je persiste et signe. Nous ne pouvons pas être riche seuls. C'est une vue de l'esprit.
Nous n'avons pas, pour autant, l'intention d'abandonner le thème de l'Europe. Il faut le dire avec cet entrain, cette insolence qui fait que quelquefois on va contre des idées reçues. L'Europe monétaire, qui est une belle ambition, ne doit pas se substituer ni dans nos esprits, ni dans la réalité à l'Europe politique, c'est-à-dire à la construction d'un continent solidaire qui se détermine lui-même et qui pèse sur la scène du monde. Quelles humiliations avons-nous ressenties récemment lorsque les Américains sont allés régler un conflit entre deux pays européens ou qu'ils nous disent cavalièrement, comme ils le font quelquefois : « on va partir de la Bosnie, ce n'est pas notre affaire » et que derrière les gouvernements européens disent : « si vous partez, on part aussi » ! Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire. Je préférerais qu'on dise le contraire : « si vous partez, on reste, parce que la Bosnie ce n'est pas le Wyoming, et quand dans une après-midi on assassine trois, quatre, cinq mille Européens à Srebenica, c'est notre affaire, ce n'est pas l'affaire des gens du Texas ». Même si souvent ils sont venus à notre secours.
Je crois que l'arbre de la monnaie unique ne doit pas mus cacher la forêt de la construction européenne. La monnaie unique c'est bien, c'est un outil, nous y sommes totalement attachés. Mais il y a la forêt très belle, avec ses frondaisons, de la construction européenne, cet immense territoire de civilisation, de culture, de réflexion, de générosité que nous avons à construire. Redonnons le goût de l'Europe à nos compatriotes.
Nous ne voulons plus que l'Europe soit internationalement mineure. C'est une humiliation constante que nous ressentons dans les relations internationales et malheureusement cela nous est signifié quelquefois un peu de haut par nos alliés. C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'apparaisse une véritable impatience française au sujet des lenteurs de la conférence intergouvernementale. Nous voulons des résultats. Je sais que c'est difficile, je ne fais pas de démagogie. Je sais bien qu'à trente, comme le dit Jean-Louis Bourlanges, c'est une Europe un peu virtuelle qui se dessine. A trente, cela veut dire une présidence française tous les quinze ans. Mais que la France dise qu'elle est impatiente. Que la France dise ce qu'elle veut avec nos amis allemands et vous verrez, comme à chaque fois, que c'est grâce à ce dialogue et ce duo-là que nous y arriverons. Nous avons accédé petit à petit à la monnaie unique. Il faut maintenant que ceux qui veulent accéder à l'Acte unique, c'est-à-dire nos compatriotes polonais, hongrois, tchèques, slovaques, baltes, etc., puissent non seulement taper à la porte mais que de l'autre côté de la porte il y ait un pays, la France, qui leur dise : vous êtes en Europe chez vous ; cette Europe-là, nous la ferons avec vous.
Nous ne combattrons ces fléaux qui apparaissent autour de nous – je pense au fanatisme religieux, je pense aux grands déséquilibres du monde – qu'avec une Europe organisée, une Europe forte, consciente de sa force, pacifique et qui saura combattre cette espèce de national-intégrisme qu'on voit apparaître à ses portes. Si les trois plus grands pays du bassin méditerranéen que sont la Turquie, l'Égypte et l'Algérie étaient touchés l'un après l'autre par ce national-intégrisme, si jamais ils basculaient tous les trois, imaginez la Méditerranée que nous aurions. Ce serait revenir quatre, cinq, six siècles en arrière. Je crois que nous devons faire attention. Seule l'Europe pourra permettre de le faire, à condition qu'elle ne soit pas dispersée, qu'il n'y ait pas l'Europe de l'OTAN et l'Europe hors de l'OTAN, l'Europe de l'UEO et l'Europe hors de l'UEO, l'Europe de la monnaie unique et l'Europe hors de la monnaie unique. Cette espèce de dispersion des Européens n'est pas notre intérêt. Il faut que nous invitions tous les autres Européens à participer au banquet commun de la richesse et de la culture.
Nous ne nous priverons pas, dans cette réflexion, d'une analyse très lucide et sans complaisance, sur le rôle que jouent nos amis Américains, rôle dominant et parfois dominateur sur la scène internationale. Je le dis avec regret parce que je suis très attaché à ce pays, très attaché à ce qu'il représente et très attaché à ce qu'ils ont fait pour nous. Nous n'avons pas à participer par soldats interposés à la campagne électorale américaine. Même si nous détestons Saddam Hussein, si nous considérons que c'est un dictateur épouvantable, je ne crois pas que ce soit le rôle de la France de prêter son concours à une compétition interne à la démocratie américaine, par frappe de missiles Tomahawk interposée. Malheureusement on voit apparaître ces conflits à chaque fois que la Maison Blanche est un enjeu. Je le dis avec tristesse, avec beaucoup de tristesse car, sur Saddam Hussein et sur la guerre du Golfe, j'étais un de ceux qui étaient venus à la tribune pour dire qu'il fallait que la France soit présente. Mais qu'on ne ravive pas ces querelles réelles ou imaginaires à chaque fois qu'il y a une compétition électorale.
Si les soldats français doivent être quelque part, je préfère la Bosnie, où nous sommes directement, constamment responsables. Il est un peu absurde d'imaginer que nous allons poursuivre des opérations militaires là-bas et partir de Sarajevo, de Mostar, de Srebenica. Je ne comprends pas. Je voudrais vous le dire, même si vous ne partagez pas ma conviction : j'ai approuvé les réserves que le gouvernement français, le ministre des Affaires étrangères, le Président de la République ont exprimé vis-à-vis de ces interventions parce que ce n'est pas notre intérêt.
Je voudrais, que demeure très longtemps en nous l'esprit de La Baule, à la fois clair, fort, pacifique et paisible. La Baule aura été le moment où l'UDF est apparue comme une force. Vous avez pris conscience, au cours de ces trois jours, de votre force. Je me souviens d'un très beau livre d'un auteur américain, John Dos Pasos. Il décrit la situation qu'ont connue les États-Unis quand d'un seul coup, après la récession, la guerre est venue sur le territoire américain : Naissance d'une nation. Ce très beau livre montre ces citoyens éberlués, voyant qu'on leur en veut, voyant que sur leur propre territoire on vient les agresser. Sur le territoire de nos idées, c'est quelquefois le cas.
L'UDF à La Baule, c'est la belle naissance d'une nation. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de pluralisme. Une nation c'est pluriel, c'est une communauté de destins. Je voudrais que vous vous sentiez co-responsables de ce destin. Nous avons non seulement à gagner cette bataille, je suis très confiant pour 1998, mais au-delà à faire en sorte que la société française soit plus heureuse, plus pacifiée, plus paisible, plus respectée dans sa démarche, moins marquée par l'autoritarisme, plus ouverte au dialogue. Nous en sommes responsables.
Je retire de La Baule ce profond sentiment non pas de complaisance vis-à-vis de la direction actuelle de l'UDF, mais de satisfaction et de réconfort, de votre force. Soyez porteurs de cette force, vous le ferez pour la France.