Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur l'organisation de l'État et des services publics.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties.
Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Permettez-moi tout d'abord de remercier les orateurs de chacun des groupes. Je n'ai hélas pas beaucoup entendu de remerciements – en particulier de la part de ceux qui critiquent l'action du Gouvernement – aux agents des services publics qui, alors que nous parlons de leur avenir, des décisions que nous prendrons collectivement pour eux, travaillent chaque jour dans la fonction publique territoriale, d'État ou de la santé au bien-être de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe LR.)
La critique est facile, remercier est parfois difficile.
M. Ugo Bernalicis. Un jour, vous serez aussi remercié, monsieur le ministre !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il est vrai que les agents des services publics, sous tous les gouvernements de la République, mais singulièrement avec ce gouvernement – car nous leur demandons beaucoup – témoignent d'un engagement républicain chevillé au corps.
Il est vrai que beaucoup ont douté, en particulier d'un certain côté de l'hémicycle, de leur capacité, par exemple, à mettre en place le prélèvement de l'impôt à la source. N'entendant plus désormais aucune critique, j'imagine qu'ils remercient les agents des finances publiques (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Permettez-moi d'ailleurs de m'étonner que les orateurs – avec mes collègues du Gouvernement, nous les avons écoutés attentivement…
Mme Brigitte Kuster. C'est un bien grand mot !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous ai bien écoutée, madame Kuster, et je vais vous répondre dans quelques instants, ne craignez rien : comme vous, je sais faire plusieurs choses à la fois !
Je note donc que sur la petite dizaine d'orateurs de l'opposition, sept sont partis. Les mêmes ont d'ailleurs dit que mes collègues du Gouvernement et moi-même étions là pour les écouter. Je regrette le départ de Mme de La Raudière, de M. Abad, de M. Larive, car nous aurions pu leur répondre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Sébastien Jumel. M. Dharréville est là, lui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Les communistes ont des défauts, mais ils sont toujours présents ! Vous pourriez d'ailleurs m'applaudir ! (Sourires. - Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
C'est un peu étonnant : des gens disent que nous ne les écoutons pas, et lorsque nous voulons leur répondre, ils ne sont pas là ! Mais je suis sûr que d'où ils sont, ils nous entendent.
M. Ugo Bernalicis. Ils sont sur You Tube ! (Sourires)
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous pouvons tirer quelques idées simples d'une question compliquée.
Tout d'abord, les différents orateurs l'ont dit, les Français sont attachés à leurs services publics. Plus encore, ils sont attachés à l'État et à l'idée qu'ils s'en font, ainsi qu'à leurs communes.
M. Ugo Bernalicis. J'étais attaché, avant ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous n'êtes plus sur You Tube : nous pouvons maintenant discuter tranquillement. Ce débat est sérieux et votre présentation, monsieur Bernalicis, même après un propos publicitaire gratuit pour une chaîne multinationale qui paie peu d'impôts en France, mérite d'être écoutée et entendue (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. - Protestations sur les bancs du groupe FI.)
Mme la présidente. Monsieur Bernalicis, seul M. le ministre a la parole !
M. Ugo Bernalicis. C'est bien le problème !
M. Gérald Darmanin, ministre. Les Français sont donc attachés à l'État et à leurs communes, c'est ce qu'ils ont dit pendant tout le grand débat. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent.
Ce n'est pas très étonnant, puisque le maire est à la fois l'élu de ses concitoyens et l'agent de l'État. Or ils sont attachés à un État qui soit proche d'eux et qui les aide.
J'ai écouté avec intérêt les interventions de M. Morel-À-L'Huissier et M. Viala. Ils ont dit des choses différentes, chacun dans leur style. Je m'arrêterais sur le constat que M. Viala a fait, peut-être malgré lui : les Français ne veulent plus d'une sur-administration – beaucoup ici ont dit qu'il y avait trop de normes, trop de fonctionnaires, de circulaires, comme le dirait le Président de la République – et, en même temps, ils ont besoin de plus de services publics et d'agents publics de proximité.
Cela veut dire que l'on peut moderniser la fonction publique et organiser le service public différemment dans les territoires – ce que nous n'avons pas su faire collectivement – pour avoir plus d'agents publics au contact des usagers dans les territoires et moins d'agents qui créent des normes.
Nous pouvons remodeler le service public sans imaginer un Gosplan avec un million de fonctionnaires supplémentaires.
M. Loïc Prud'homme. Et sans en supprimer 120 000 !
M. Gérald Darmanin, ministre. Sans rendre plus de services à nos concitoyens, ils viendraient surtout alourdir la dépense publique et donc les impôts que vous nous reprochez de créer pour écraser la classe moyenne.
Nous devons moderniser sans accroître les montants engagés pour un service public dont vous savez qu'il est l'un des plus importants des pays occidentaux. Vous n'avez pas dit cela, monsieur Viala, mais je souligne le paradoxe que vous avez évoqué. Nous pouvons être d'accord sur ce point.
L'État joue un rôle particulier dans notre pays. Si nous l'avons peu rappelé, c'est parce qu'il nous semble que c'est une richesse qui nous a permis de lutter contre les indépendantismes, les communautarismes, les régionalismes qui touchent d'autres pays européens.
Il ne faut pas jeter le bébé État-nation avec l'eau du bain de la colère ou de la modernisation. Il faut sans doute que l'État soit plus souple, il faut la différenciation et l'expérimentation. J'encourage les députés qui demandent cela au Gouvernement à adopter la réforme constitutionnelle que vous propose le Président de la République depuis un an et demi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Ugo Bernalicis. Je n'ai rien vu à l'ordre du jour !
M. Gérald Darmanin, ministre. Cela fait un an et demi que nous vous proposons la différenciation, l'expérimentation et l'accompagnement. Même si M. Acquaviva a eu raison de le rappeler : il y a toujours des tentations administratives de limiter un pouvoir que l'on n'a pas encore donné. Votre remarque, monsieur Acquaviva, mérite de faire partie de la future réflexion des parlementaires et du Gouvernement.
En même temps, je m'étonne de la façon dont certains orateurs s'expriment. Je regrette l'absence de Mme de La Raudière, car je voudrais revenir sur la manière dont elle a décrit l'organisation territoriale de l'État. C'est comme si la majorité, arrivée au pouvoir il y a deux ans, portait seule la responsabilité de la situation actuelle.
M. Hubert Wulfranc. Eh bien, c'est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vais répondre aussi à Mme Pires Beaune, qui est restée et que j'écoute toujours avec attention, et à d'autres parlementaires de l'opposition qui ont eu à prendre des décisions quand ils étaient aux responsabilités.
Sous les deux gouvernements précédents, il y a eu 1200 fermetures de trésoreries.
M. Ugo Bernalicis. Il a raison !
M. Gérald Darmanin, ministre. Peut-être fallait-il aménager la carte des trésoreries car les habitudes changent : on paie ses impôts différemment, notamment en raison de la numérisation, même si celle-ci n'est pas encore devenue un réflexe pour tout le monde. Il faut accompagner le mouvement en évitant la démagogie. Nous serions ceux qui ferment les services publics, alors que les plans de fermeture ont eu lieu sous les gouvernements précédents ?
M. Hubert Wulfranc. C'est facile !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quand j'entends certains des orateurs réclamer des agents des impôts supplémentaires alors qu'ils ont fait de grands plans sociaux à la direction générale des finances publiques, je me pince. Nous avons peut-être fait collectivement des erreurs et insuffisamment déconcentré. Nous n'avons peut-être pas assez dit à l'administration centrale de se serrer un peu plus la ceinture pour être plus proche des territoires. Mais c'est une oeuvre collective.
Vous ne pouvez pas, du haut de la tribune, dire que vous vous en lavez les mains. C'est collectivement que nous n'avons pas su organiser le territoire. Il faut savoir partager sa faute. J'entends beaucoup de gens qui critiquent. Beaucoup de croyants sont peu pratiquants quand ils sont au pouvoir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Nous devons moderniser le service public sans mentir à la population. Je vais prendre l'exemple de l'administration dont j'ai la responsabilité, mais le ministre de l'intérieur pourrait dire la même chose en ce qui concerne l'organisation de la préfectorale et celle des collectivités locales.
La France se modernise. La modernisation n'est pas tout, elle n'est pas un but en elle-même, mais la numérisation fonctionne même si le mouvement doit être accompagné pour que cela soit le cas partout. Au bout du tuyau, il faut de l'humain. Les élus, les parlementaires et les habitants réclament du numérique, mais aussi de l'humain. Il faut sans doute revoir la façon dont nous concevons le service public, et la machine ne remplace pas l'homme.
Cela étant, le service public se modernise. Lorsque nous supprimons la taxe d'habitation, responsable de 35 % des contentieux dans les trésoreries, c'est une manière de moderniser le service public. Les personnes venaient faire des réclamations concernant un impôt compliqué, occasionnant des erreurs d'adresse et des contentieux. Il y aura moins de monde dans ces trésoreries.
Mme de La Raudière est partie, mais notre majorité est celle qui a proposé…
M. Philippe Vigier. Je serai votre porte-voix !
M. Gérald Darmanin, ministre. Mme de La Raudière est partie.
M. Sébastien Jumel. Il y a un contentieux personnel !
M. Gérald Darmanin, ministre. Mme de La Raudière est partie.
M. Sylvain Maillard. Qu'on la réveille !
M. Gérald Darmanin, ministre. Mme de La Raudière nous reproche de ne pas avoir su moderniser le service public (Exclamations et rires sur divers bancs). Mais Mme de La Raudière est partie.
Monsieur Vigier, vous étiez présent lors de la discussion du projet de loi de finances lorsque nous avons décidé d'arrêter de diminuer chaque année la part du paiement en liquide dans les trésoreries. Il y a, en effet, des gens qui veulent continuer à payer en liquide. Ce sont notamment des personnes âgées ou des gens qui sont surendettés et qui n'ont plus de chéquier ni de carte bancaire. Les deux majorités précédentes avaient abaissé le montant autorisé pour les paiements en liquide.
Cependant, le travail principal des agents des finances publiques n'est pas de compter les pièces pour récupérer le paiement des amendes ou de la taxe d'habitation. C'est pourquoi nous avons lancé un appel d'offres qui permettra à La Poste et aux buralistes de recevoir ces règlements en liquide dans leurs réseaux. Mme de La Raudière nous demande de faire une chose pour laquelle elle a voté l'année dernière…
M. Sébastien Jumel. Alors qu'elle est partie ! (Sourires)
M. Gérald Darmanin, ministre. …ce qui m'étonne un peu. Mais comme elle est partie, elle ne peut pas m'écouter. (Exclamations et rires sur divers bancs.)
Je voudrais revenir sur la proposition intéressante de Jacques Maire sur la "contemporanéisation" et l'automaticité des prestations sociales. Il a raison : le recouvrement de ces allocations devrait se faire là où les gens en ont besoin. C'est un sujet très important pour des personnes qui souffrent non pas d'une phobie administrative, mais d'un éloignement à l'égard de l'administration. Nous leur devons cette amélioration.
Je connais trop de gens qui, par exemple, ne touchent pas le chèque énergie parce qu'ils n'ont pas déclaré leurs impôts. S'ils n'ont pas déclaré leurs impôts, ce n'est pas parce qu'ils sont des fraudeurs. Ils ne l'ont pas fait parce qu'ils sont éloignés de la vie administrative. S'ils avaient fait une déclaration, on aurait constaté qu'ils étaient non imposables et qu'ils devaient toucher ce chèque.
Nous avons abordé ce sujet au moment des débats sur le projet de loi de finances, à propos des crédits qui restaient pour le chèque énergie. Votre démonstration, monsieur le député, était frappée au coin du bon sens.
Nous devons en effet aller vers cette administration d'accompagnement, de proximité sociale. Nous sommes favorables, comme l'a suggéré le député Laurent Saint-Martin, à l'idée de donner le coût des services publics à nos concitoyens chaque année, pour qu'ils se sentent citoyens et liés à l'impôt.
Nous sommes favorables au bulletin social et à l'accompagnement de l'automaticité, comme vous l'avez proposé. C'est le sens du travail que vous faites avec les parlementaires, notamment ceux du MODEM, sur l'allocation unique et sur le lien entre les citoyens et les prestations sociales. Le prélèvement à la source le permettra.
Mme Kuster a évoqué des choses étonnantes.
Mme Brigitte Kuster. Je suis là !
M. Gérald Darmanin, ministre. J'ai bien vu que vous étiez là, madame Kuster ! Permettez-moi néanmoins de regretter que vous n'ayez pas été là hier.
M. Fabrice Brun. C'est un peu facile !
M. Gérald Darmanin, ministre. Hier, nous avons beaucoup parlé de finances publiques et de fiscalité.
Mme Véronique Louwagie. C'est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Mme Louwagie était là. Nous avons beaucoup parlé de dépenses publiques et, madame Kuster, votre groupe nous a demandé…
Mme Brigitte Kuster. Vous ne pouvez pas me reprocher de n'avoir pas été là hier !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, vous auriez écouté avec attention. Que s'est-il passé hier ? Votre groupe politique a demandé au Gouvernement de faire un plan d'économies sans précédent. Il nous a demandé de supprimer 500 00 postes d'agent public, conformément à l'engagement pris pendant la campagne présidentielle.
M. Sébastien Jumel. Où sont les autres ministres ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Hier, votre groupe politique a demandé que les agents publics fassent 39 heures payées 35 heures. Aujourd'hui, vous nous dites qu'ils doivent faire les 39 heures, mais payées 39 heures.
Mme Brigitte Kuster. Je n'ai pas dit cela !
M. Gérald Darmanin, ministre. En plus, vous nous dites qu'il faut diminuer les dépenses publiques. Sachez que les 39 heures payées 39 heures représenteraient 30 milliards d'euros de dépenses publiques supplémentaires. Dites-nous, une bonne fois pour toutes, si vous demandez aux agents publics de faire 35 heures payées 35 heures, ou 39 heures payées 35 heures, ou 39 heures payées 39 heures, mais arrêtez, s'il vous plaît, madame, de faire comme la girouette du clocher de l'église Saint-Christophe de Tourcoing ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)
M. Fabrice Brun. Que les agents de la fonction publique fassent déjà 35 heures, et ça ira mieux !
M. Gérald Darmanin, ministre. En l'occurrence, la question des dépenses publiques est très intéressante. Dans la réforme de la fonction publique, nous demandons aux collectivités locales, dans l'année qui suivra leur élection, d'appliquer les 35 heures. Nous sommes tout à fait prêts à discuter pour que dans la fonction publique d'État, sans doute à quelques exceptions près, les horaires soient conformes à la durée légale du temps de travail.
De même, vous dites qu'il y a trop de doublons, en évoquant le Grand Paris. Mais, madame la députée, nous n'avons pas entendu quel était votre choix.
M. Sébastien Jumel. C'est un débat qui n'intéresse que la droite !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quelle structure faut-il supprimer en Île-de-France pour être conforme à la simplification administrative que vous appelez de vos voeux ?
M. Ugo Bernalicis. Le ministère des finances !
M. Fabrice Brun. Supprimez Bercy !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez fait beaucoup de constats, mais peu de propositions. Si vous voulez nous faire dire qu'il y a un millefeuille administratif, nous sommes à peu près d'accord. Vous qui êtes une élue parisienne, dites-nous quelle instance supprimer à Paris. C'est un point très important, auquel nous serons très attentifs.
M. Morel-À-L'Huissier a abordé des sujets tout à fait intéressants, qui mériteraient d'être étudiés par le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat. Il a notamment évoqué le droit à l'erreur et l'accompagnement. Nous essayons de le faire, mais il nous reste à prendre des dispositions concrètes.
M. Fabrice Brun. C'est vrai que depuis quelques mois, tout va bien dans notre pays !
M. Gérald Darmanin, ministre. Tous les décrets d'application ont été pris et nous avons mis en place beaucoup de mesures concernant le droit à l'erreur, notamment la durée de contrôle dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et dans la région Hauts-de-France. Cela va révolutionner l'accompagnement que vous souhaitez.
Nous encourageons le partenariat fiscal, sur le modèle britannique. Comme plusieurs parlementaires l'ont rappelé, des expérimentations sont aussi menées dans trois départements pour qu'un même agent puisse répondre à des questions multiples.
M. Fabrice Brun. Vous avez répondu au-dessous de la ceinture à l'une des meilleures députées de la République !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous devons poursuivre cet accompagnement. Vous qui êtes élu d'un territoire rural, vous estimez qu'il faut faire les choses différemment en Lozère et en Île-de-France. C'est frappé au coin du bon sens. Ce n'est pas pris en compte dans notre actuelle organisation territoriale.
Tout à l'heure en Bretagne, le Président de la République a dit la même chose que vous, et Sébastien Lecornu abondera peut-être aussi dans votre sens.
M. Fabrice Brun. Il sera certainement plus élégant que vous !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne sais pas si Emmanuel Macron cite Morel-À-L'Huissier ou si c'est l'inverse, mais une chose est certaine : les préfets doivent avoir, comme les élus, plus de pouvoir de décision sur le plan local. Nous devons arrêter de décider depuis Paris et accompagner de manière différente la Lozère et l'Île-de-France. C'est l'une des leçons à tirer du grand débat national. Plusieurs parlementaires, de divers bords politiques, l'ont évoqué.
M. Bernalicis pense qu'il faut nationaliser la SNCF. Pourquoi pas si elle était privatisée ? La seule difficulté, monsieur le député, c'est qu'elle n'est pas privatisée. Si votre mouvement arrive un jour au pouvoir, il ne faudrait pas qu'il vous confie les comptes publics : nationaliser une entreprise qui l'est déjà, cela nous coûterait très cher. (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Ce serait très embêtant pour les comptes publics.
Vous avez également tenu des propos frappés au coin du bon sens, comme M. Dharréville dont la présentation nous conduit à nous interroger puisque nous sommes, comme vous, dans des territoires.
Il faut que les agents publics puissent être davantage responsabilisés et encouragés.
M. Fabrice Brun. Moins nombreux et mieux payés !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ils ne font évidemment pas de profit, car ce n'est pas le rôle des agents publics. Vous refusez que leur notation soit liée au mérite. Nous allons en rediscuter dans le cadre de la réforme que va présenter Olivier Dussopt.
Monsieur le député, nous pouvons néanmoins être d'accord sur un point : les missions qu'on leur confie doivent correspondre aux moyens qu'on leur donne. Jusqu'à présent, les gouvernements successifs ont appliqué une règle en matière de remplacement de fonctionnaires partant en retraite : un sur deux ou deux sur trois.
Pour notre part, nous osons dire que nous changeons les missions, notamment celles de l'administration des finances publiques : suppression de la taxe d'habitation, partenariat fiscal, data mining, adoption du prélèvement à la source qui revient à supprimer la déclaration d'impôt. Nous avons bien sûr une discussion sur les moyens que nous lui donnons.
Il est certain que le Gouvernement devra définir ces missions devant l'Assemblée nationale et le Sénat. Laurent Saint-Martin, qui a réalisé un important travail d'évaluation, a raison de dire que vous devez forcer le Gouvernement à tirer les conclusions des évaluations que vous faites.
La Cour des comptes fait aussi des évaluations. Ses rapports sont peu suivis et ils ne sont pas toujours cités in extenso. Le groupe communiste a fait référence au rapport de la Cour des comptes sur le numérique dans le milieu rural. Vous aurez constaté que la Cour des comptes estime qu'il n'y a pas de problème de numérique dans le milieu rural. C'est un point sur lequel nous pouvons d'ailleurs être en désaccord avec les magistrats de la Cour des comptes.
M. Jean-Paul Dufrègne. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je le sais très bien, puisque vous n'avez repris que ce qui vous arrangeait, monsieur le député, mais permettez-moi de compléter votre propos.
M. Jean-Paul Dufrègne. J'ai cité exactement ce qu'a dit la Cour des comptes !
M. Gérald Darmanin, ministre. Au Gouvernement, nous sommes très attentifs aux rapports d'évaluation, d'où qu'ils viennent, et en particulier ceux du Parlement.
M. Bernalicis m'a invité hier à lire le rapport d'information…
M. Ugo Bernalicis. J'étais là !
M. Gérald Darmanin, ministre. En effet, et vous m'avez invité à lire le rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière, que vous avez co-rédigé avec un député de la majorité, M. Jacques Maire, et présenté au ministère de l'intérieur ainsi qu'au ministère de l'action et des comptes publics. Nous travaillerons sur l'évaluation que vous avez menée et en tirerons des conséquences.
M. Ugo Bernalicis. J'espère bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. Par ailleurs, j'observe avec intérêt la prise de position du ministre Lecornu – soutenue sur plusieurs bancs de cette assemblée, de la majorité comme de l'opposition – selon laquelle la question du conseiller territorial mérite d'être débattue. Il s'agit d'un point important. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Sébastien Jumel. Retour vers le futur ! Il disait le contraire lorsqu'il présidait le conseil départemental de l'Eure !
M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales. C'est à la suppression des départements que je m'opposais !
M. Gérald Darmanin, ministre. Voyons, monsieur Jumel ! M. Lecornu est jeune, mais il n'était pas président de conseil départemental lorsque nous avons imaginé le conseiller territorial ! Il n'avait pas même le brevet des collèges, c'est vous dire ! (Sourires.) Pour ma part, j'estime qu'il s'agit d'une idée intéressante, due au président Sarkozy.
M. Fabrice Brun. Rendons à César ce qui appartient à César !
M. Gérald Darmanin, ministre. Au demeurant, je m'étonne que François Baroin ne la soutienne plus. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
On peut être d'accord comme on peut avoir des divergences, mesdames, messieurs les députés du groupe Les Républicains. Aux présidents Baroin et Morin, qui sont d'anciens ministres du président Sarkozy, je réponds que j'ai toujours été favorable à l'instauration du conseiller territorial – il n'y a aucun doute sur ce point – sans pour autant refuser qu'on en débatte.
En effet, le découpage régional a changé depuis, et il faut s'interroger sur la façon dont les choses fonctionneront demain. Le ministre Lecornu, dans le cadre de ce débat, n'a pas dit qu'il fallait imposer le conseiller territorial, mais qu'il fallait aborder les sujets.
M. Fabrice Brun. Notamment la proximité avec les territoires !
M. Sébastien Jumel. Il est précoce, s'il présidait le conseil départemental de l'Eure un an après avoir obtenu le brevet des collèges !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il me semble que l'Assemblée nationale, dans toutes ses composantes ou presque, n'a pas envisagé la suppression d'un échelon d'élection, car les Français tiennent à chacun d'entre eux et n'ont plus très envie, désormais, que l'on modifie la carte électorale. S'agissant de la fusion des cantons, qui a été évoquée, je ne suis pas certain qu'elle constitue la meilleure solution, et la modification des collectivités territoriales pas davantage.
En revanche, envisager l'élection sur la base de la proximité offerte par le canton me semble être une proposition intéressante. Pourquoi pas ? Nous verrons bien si cette idée émerge du grand débat national.
Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les députés. Il est certain que ces débats parlementaires, à l'issue du grand débat national, peuvent être un peu frustrants, car nous ne pouvons pas débattre de propositions concrètes sur lesquelles le Gouvernement s'engagerait. Toutefois, le symbole est fort : les parlementaires se sont exprimés avant le Gouvernement.
M. Philippe Vigier. Ce n'était pas prévu initialement !
M. Gérald Darmanin, ministre. Plusieurs questions ont été soulevées hier soir, dans le cadre d'un débat très intéressant que nous poursuivrons. Lundi prochain, M. le Premier ministre procédera à la restitution du grand débat national. Puis, le Président de la République aura l'occasion d'adresser à la nation des propositions, que les parlementaires voteront, amenderont ou contesteront.
M. Fabrice Brun. Seul et isolé à son bureau !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Brun, le Président de la République est élu par tous les Français. Il a là – plus que nous tous, me semble-t-il – l'occasion d'exposer ce qu'il a compris du grand débat national. Le Parlement débattra ensuite de ses propositions. De toute évidence, c'est lui qui en débattra et qui les votera, les amendera et les évaluera.
Ce qui est certain, c'est que nous devons améliorer l'offre de services publics dans nos territoires, sans être tout à fait schizophrènes : on ne peut pas, en même temps, nous reprocher de ne pas lutter assez contre l'augmentation de la dépense publique ou d'augmenter la fiscalité. Il y a là un paradoxe difficile à résoudre !
M. Fabrice Brun. Vous n'êtes pas à un paradoxe près !
M. Gérald Darmanin, ministre. En tout état de cause, il est certain que nous devons, pour le bien de la nation française, agir sans prétention et avec humilité – dont j'espère qu'elle est partagée, et je sais qu'elle l'est, sur tous les bancs.
Nous sommes prêts à écouter ce qu'a dit le peuple français et à essayer de changer les choses, notamment en donnant plus de moyens aux territoires ruraux, aux services de proximité et aux dispositifs d'accompagnement des territoires. Nous considérons que la France est un beau pays…
M. Fabrice Brun. Vous finissez mieux que vous n'avez commencé !
M. Gérald Darmanin, ministre. … et que nous pouvons dire merci aux agents des services publics, quel que soit le Gouvernement qu'ils servent. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Loïc Prud'homme.
M. Loïc Prud'homme. Dans toute la France, au cours des dernières semaines, des professeurs ont manifesté leur profond désaccord avec le projet de loi pour une école de la confiance. Or vous n'êtes pas sans savoir, messieurs les ministres, messieurs les secrétaires d'État, qu'en matière de services publics, celui de l'éducation est l'un des plus essentiels.
Depuis le mois de décembre, plus de 70 000 fonctionnaires de l'éducation nationale se mobilisent sur des plateformes numériques et les réseaux sociaux. Depuis le mois de février, ils – et elles – sont dans les rues, pour manifester contre la casse sociale que vous organisez minutieusement.
Par souci d'économie de moyens, vous regroupez les écoles dans les territoires périurbains. Ce faisant, vous fermez des classes dans les zones rurales.
Vous renforcez l'isolement et la précarisation de milliers de familles et d'enfants. Vous creusez les inégalités sociales, territoriales et culturelles entre les élèves.
Vous supprimez les postes de directrice et de directeur d'école, par le biais de la constitution des établissements publics des savoirs fondamentaux, et qualifiez de menteurs les enseignants qui le déplorent.
Drôle de façon de créer de la confiance ! Aux côtés des parents d'élèves, organisés dans leurs syndicats, et des comités des « stylos rouges », des professeurs lancent l'alerte en se mettant en grève dans toute la France.
Pendant que M. Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, faisait le tour des médias, les grilles de 150 à 200 écoles de mon département de la Gironde – soit un quart de ses établissements scolaires – étaient fermées.
La privatisation de l'école, le tri social organisé et l'autoritarisme ne peuvent être des mesures correctes et justes pour les enfants de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Christophe Jerretie. N'importe quoi !
M. Sylvain Maillard. Plus c'est gros, plus ça passe !
M. Loïc Prud'homme. À cette opposition légitime, vous répondez par la manière forte et brutale. Ce 19 mars, des professeurs ont été gazés devant le rectorat de l'académie de Toulouse, alors même qu'ils ne faisaient que manifester leur opposition à vos réformes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Sylvain Maillard. Et on mange des enfants, aussi !
M. Loïc Prud'homme. La brigade anti-criminalité a été missionnée pour déloger les grévistes, sur ordre de la rectrice de l'académie, madame Anne Bisagni-Faure !
Quand ferez-vous enfin en sorte de réduire les inégalités d'accès à l'éducation ? Quand assurerez-vous aux personnels de l'éducation nationale des conditions de travail et de salaire dignes ? Quand comprendrez-vous que notre école – l'école de la République – n'est pas un coût mais un investissement ?
Mme la présidente. Merci de conclure, cher collègue.
M. Loïc Prud'homme. Je termine, madame la présidente.
Mme Cendra Motin. Oui, terminez !
M. Loïc Prud'homme. Victor Hugo disait : « Les maîtres d'école sont des jardiniers en intelligences humaines ». J'ai l'impression que ce gouvernement entend épandre du glyphosate sur ces jeunes pousses !(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Prud'homme, je n'ai pas bien compris le sens de votre question, car elle n'était pas clairement formulée.
M. Ugo Bernalicis. C'est parce que vous n'étiez pas là hier !
M. Gérald Darmanin, ministre. J'ai cru comprendre que vous n'êtes pas tout à fait d'accord avec la politique menée par M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, si j'ai bien résumé la situation.
Tout d'abord, permettez-moi de rappeler qu'aucun gouvernement, en matière budgétaire comme dans la pratique, n'a fait autant pour l'éducation nationale que celui d'Édouard Philippe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.– Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Celui-ci a procédé à l'augmentation de crédits budgétaires destinés à l'école de la République la plus importante – je suis bien placé pour le dire – de tous les gouvernements de la Ve République.
Qu'a fait le ministre Blanquer ? D'abord, il a battu en brèche – puisque nous débattons ce soir de l'organisation de l'État et des services publics – cette idée absurde selon laquelle l'État peut imposer les rythmes scolaires aux maires de France, lesquels sont les premiers à savoir, au niveau local, comment il convient de s'organiser en la matière. Les rythmes scolaires de l'enfant ne sont pas les mêmes en Lozère et à Paris.
M. Loïc Prud'homme. Je vous parle des agents de l'éducation nationale !
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez-moi de parler des enfants et des parents. Que l'école soit aussi faite pour eux ne devrait pas vous déranger !
Ensuite, aucun ministre de l'éducation nationale n'aura donné aux professeurs, au cours d'un quinquennat, une augmentation de pouvoir d'achat aussi importante que celle décidée par M. Blanquer.
Mme Élise Fajgeles. Exactement !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le protocole PPCR – parcours professionnels, carrières et rémunérations – permettra d'augmenter la rémunération de chaque enseignant de100 euros – nous finançons cette hausse à 90 % – d'ici 2022.
M. Loïc Prud'homme. Ce sont surtout des allongements de carrière !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce sont 100 euros supplémentaires, monsieur Prud'homme ! Il serait bien, de temps en temps, que vous vous réjouissiez des bonnes nouvelles, surtout si elles concernent les gens que vous semblez vouloir défendre.
Quant aux heures supplémentaires des enseignants, elles n'ont jamais été si bien payées que par ce gouvernement.
M. Ugo Bernalicis. Par comparaison avec les autres pays d'Europe, non !
Mme Sylvie Tolmont. Travailler plus pour gagner plus, on connaît !
M. Gérald Darmanin, ministre. La prime REP+, d'un montant de 1 000 euros, sera doublée pour les enseignants affectés dans un établissement réseau d'éducation prioritaire. Seul ce gouvernement l'a fait.
Le dédoublement des classes dont les élèves sont issus de milieux difficiles, où l'on sait que les difficultés scolaires sont les plus lourdes, seul ce gouvernement l'a fait.
M. Maxime Minot. Et dans les territoires ruraux ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il n'existe aucun enseignant en France, me semble-t-il, qui ne constate pas que la politique publique de dédoublement des classes en CP et CE1 en zone REP+ est un bel investissement pour la République et que beaucoup de gens auraient dû le faire avant. Vous devriez vous en réjouir ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme Sylvie Tolmont. C'est pourquoi ils seront dans la rue demain !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Prud'homme, mille mensonges ne feront jamais une vérité. La pédagogie, me semble-t-il, est l'art de la répétition.
Permettez-moi de vous dire que nous sommes fiers de l'école de la République. Ce gouvernement la met en avant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gabriel Serville.
M. Gabriel Serville. Grand débat ou grande illusion ? On est en droit de s'interroger, messieurs les ministres, messieurs les secrétaires d'État. Pendant que les Français débattaient, le Gouvernement et sa majorité poursuivaient leur petite entreprise, sans jamais changer de cap ni se remettre en question.
Réforme de la justice, réforme de la santé, loi PACTE et autres privatisations : autant de projets qui méritaient d'être suspendus, dès lors que l'on prétendait laisser au peuple le soin de s'exprimer !
Vous comprendrez aisément que l'on se pose des questions sur la sincérité de votre démarche. Que reste-il du grand débat national ? Des miettes de brioche pour celles et ceux qui veulent du pain ! La grande illusion, sans doute !
Ma question porte sur la réorganisation des services de l'État en Guyane, annoncée par le Président de la République le 26 octobre 2017 et présentée il y a peu par M. le Premier ministre. L'incompréhension règne, sur le fond comme sur la forme.
En effet, le chef de l'État a promis de renforcer l'ingénierie territoriale des services et leur capacité à mieux accompagner les collectivités locales. On espérait donc un véritable mouvement de déconcentration, visant à donner plus d'intelligence partagée aux services déconcentrés. Or il n'en est absolument rien.
Sur la forme, cette réorganisation intervient sans que les parlementaires de Guyane – dont le rôle est aussi de contrôler l'action du Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques – n'aient été consultés, et les élus locaux pas davantage.
Or, par ce biais, vous engagez l'avenir du territoire. Il s'agit de réviser les capacités de l'État à répondre aux exigences d'efficience qui s'imposent, et qui nous ont cruellement fait défaut jusqu'à présent.
Plus grave encore, le calendrier retenu intrigue. En effet, l'accord de Guyane signé le 21 avril 2017 prévoit que les Guyanais seront consultés à court terme au sujet d'une possible évolution statutaire du territoire.
Or un « projet Guyane » est en cours d'élaboration localement. Ne fallait-il pas attendre qu'il aboutisse, afin de bâtir ensemble les fondations d'une nouvelle organisation des institutions locales et étatiques en Guyane ?
Ma question est claire : peut-on cesser de mettre la charrue avant les boeufs, afin de démontrer la véritable motivation de l'État à accompagner la Guyane vers l'excellence ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Monsieur Serville, comme vous l'avez rappelé, le Président de la République s'est rendu en Guyane à l'automne 2017. Il y a constaté des dysfonctionnements et a donc annoncé l'ouverture d'une réflexion sur la transformation des services de l'État en Guyane, afin de tenir compte des caractéristiques spécifiques de ce territoire, notamment en matière de sécurité, de problèmes sociaux et économiques et d'immensité.
Une réflexion a donc été engagée. Je puis vous assurer que certains arbitrages ont d'ores et déjà été rendus par M. le Premier ministre, et vous livrer quelques orientations de l'état de la réflexion – car tel est bien l'objet de ce débat –, laquelle a été menée avec les services de Mme la ministre des outre-mer.
Il est envisagé de créer, sous l'autorité du préfet, à l'échelon interministériel, des directions administratives destinées à mettre en oeuvre certaines politiques de l'État, notamment la politique de cohésion sociale et de développement du territoire ainsi que la politique de sécurité.
Une deuxième orientation porte sur la possibilité de procéder à la mutualisation des moyens entre les services de l'État.
Une troisième orientation consiste en une réflexion sur l'ingénierie du bâtiment et de l'immobilier. Il s'agit de créer, à moyen terme, une cité administrative à Cayenne et une autre à Saint-Laurent-du-Maroni, en vue de regrouper les services de l'État et de refondre leur organisation à l'échelle du territoire guyanais.
Vous nous interrogez sur la possibilité de déconcentrer des pouvoirs d'État. Cette réflexion est également en cours et des mesures ont d'ores et déjà été prises.
Au mois de juillet dernier, une circulaire a été adressée aux préfets afin qu'ils formulent des propositions relatives aux pouvoirs qui pourraient être déconcentrés. Cette réflexion se poursuivra.
Par ailleurs, en ce qui concerne le ministère de l'intérieur, la classification des postes du corps préfectoral sera revue en vue de les rendre très attractifs.
Telle est la réponse que je peux formuler, monsieur Serville. Croyez bien que nous sommes déterminés, dans le cadre du grand débat national, à nous adapter à la réalité des territoires et à appliquer le plus souvent possible le principe de modularité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Ma contribution ira dans le même sens que celles de mes collègues Pinel et Acquaviva, que vous n'avez peut-être pas bien entendues, messieurs les ministres.
M. Christophe Jerretie. Si vous le dites !
M. Paul Molac. Vous voyez que les membres du groupe Libertés et territoires sont proportionnellement les plus nombreux ce soir, ce qui démontre l'intérêt qu'ils portent à ce type de débat !
M. Philippe Vigier. Absolument !
M. Paul Molac. La France est sans doute l'un des pays les plus vastes et les plus divers d'Europe, mais aussi, malheureusement, le plus centralisé – ce qui a pour conséquence d'annihiler l'action publique menée par les élus locaux.
Aujourd'hui, nos collectivités territoriales ont besoin d'une réelle autonomie fiscale et d'un véritable pouvoir d'adaptation législatif et réglementaire afin d'épouser la grande diversité de nos territoires. Croire que la répartition actuelle des compétences et l'uniformité de la loi permettent de répondre efficacement à toutes les situations n'est qu'une vue de l'esprit.
Emmanuel Macron avait promis un « pacte girondin ». Or, les évolutions proposées dans le cadre de la très hypothétique révision constitutionnelle seront inefficaces ; nous avons déjà dénoncé cet état de fait. Dans l'appel de Marseille du 26 septembre 2018, les présidents des associations des maires de France, des départements et des régions de France ont lancé un message très clair : une nouvelle étape de la décentralisation est nécessaire pour nous conduire vers une République réellement décentralisée.
Le Président de la République était aujourd'hui à Saint-Brieuc, aux premières assises des maires de Bretagne. Les 600 élus présents lui ont demandé plus de liberté, pour faire de la Bretagne un laboratoire. Le président de la région Bretagne appelle à un sursaut démocratique par la différenciation et un éminent élu breton de notre assemblée, Richard Ferrand, plaide pour une loi donnant plus de marges de manoeuvre aux territoires.
Or, dans les propositions concrètes qui circulent, il s'agirait de répondre à ces demandes en donnant plus de pouvoirs aux préfets ! Le funeste conseiller territorial pourrait aussi faire son retour. On confond, une fois de plus, déconcentration et décentralisation, comme on confond réduction du nombre d'élus avec efficience de l'action publique.
Dans les faits, les élus locaux dénoncent une recentralisation des décisions, et ils le font avec force.
Messieurs les ministres, messieurs les secrétaires d'État, l'occasion vous est offerte de faire de la France un État moderne, aux standards européens. Entre la subsidiarité et le modèle bonapartiste, saurez-vous donner aux élus locaux les moyens de conduire de manière efficiente nos politiques publiques ? C'est à mon sens une nécessité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales. Vous avez tort, je crois, d'opposer décentralisation et déconcentration ; d'ailleurs, les maires de Bretagne se sont largement exprimés ce matin sur ces deux aspects. Ils se sont plaints de l'éloignement de l'État et de son déplacement de l'échelon départemental vers l'échelon régional ; ils ont regretté une distance parfois importante entre eux et les rectorats, entre eux et les agences régionales de santé.
Ce que dit le grand débat national, c'est un besoin de proximité avec la puissance publique. Il y est question de décentralisation, mais aussi de déconcentration. Vous nous reprochez, un peu gratuitement, de ne pas avoir écouté le propos de vos collègues. Mais il semble que vous-même, élu du Morbihan, n'ayez pas entendu le Président de la République qui s'adressait ce matin aux maires de Bretagne. Il a dit oui à un mouvement de décentralisation pour des compétences de proximité ; il a dit oui à un mouvement de décentralisation qui permettra d'identifier clairement les responsabilités de chacun, car aujourd'hui différentes instances s'occupent malheureusement de tout, et pour finir personne n'est responsable de rien.
Ce processus posera aussi des questions en matière de ressources financières et fiscales.
Nous devons avancer. Mais, pour cela, il va falloir être précis ! Le chef de l'État a donné le « go » pour l'ouverture de ce nouveau chantier de la décentralisation. Nous allons donc travailler avec les associations d'élus, avec l'Assemblée nationale, avec le Sénat. Mais, dans votre question, je ne vous ai pas entendu citer de compétences précises : desquelles parlez-vous, et à quel niveau ?
Quant au conseiller territorial, vous ne le distinguez que pour mieux l'attaquer. Mais si c'est effectivement une des propositions qui est sur la table, et que nous expertisons, c'est parce que des élus locaux l'ont faite formellement pendant le débat national.
À l'inverse, nous sommes dans cet hémicycle depuis vingt et une heures trente, et il faut reconnaître que nous avons entendu peu de propositions. Je remercie donc M. Morel-À-L'Huissier, et plusieurs députés des groupes LaREM et MODEM, qui ont bien voulu formuler des propositions concrètes et précises : maintenant, il faut vraiment écrire ce nouvel acte de la décentralisation.
Enfin, s'agissant de différenciation, tout est dans le projet de loi de réforme constitutionnelle qui a été déposé par le Gouvernement : il autorise les dérogations, il autorise le transfert de normes, c'est-à-dire de compétences de l'État, à certaines collectivités territoriales.
Arrêtons les slogans, et mettons-nous autour de la table pour travailler ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Errante.
Mme Sophie Errante. Nous avons entendu beaucoup d'incompréhension et de colère quant à l'organisation de nos services publics : délais de réponse trop longs, décisions négatives rendues sans explications, réponses différentes selon les lieux de vie sans justification.
Nous avons aussi rencontré des agents publics démunis et constaté que notre organisation complexe ne fait pas souvent confiance à ceux qui sont au contact de la population – au passage, un grand merci à eux.
Ces irritations, ces barrières, nous les avions déjà identifiées et nous avons commencé à y répondre avec la loi pour un État au service d'une société de confiance, souvent appelée « loi pour le droit à l'erreur ». Nous allons bientôt débattre du projet de loi destiné à accompagner la transformation de la fonction publique ; le Gouvernement a établi un plan pauvreté, un plan santé ; bientôt nous débattrons de projets de lois relatifs au handicap et au vieillissement. Nous croyons en une action publique efficace, qui protège, conseille, accompagne et simplifie la vie.
Cette exigence d'efficacité et de transparence, nous la devons à nos concitoyens.
Aucun service public n'est gratuit, même quand le paiement s'effectue de manière indirecte par l'impôt ou les taxes. Alors que peu de nos concitoyens sont conscients de l'écart important entre le coût réel des services publics et ce qu'ils en paient réellement, comment rendre cet effort collectif concret et lisible pour chaque citoyen ?
Le millefeuille administratif, souvent dénoncé, pourrait être allégé par un système de démocratie locale où les élus, davantage polyvalents, auraient plus de recul. Le conseiller territorial peut-il constituer une solution pour améliorer les réponses apportées à chaque territoire ?
Concernant la demande de proximité et d'adaptation, la mairie n'est-elle pas le premier point de contact des citoyens ? En ce qui concerne les territoires plus ruraux, des services publics itinérants ou regroupés peuvent-ils être rapidement instaurés ou intensifiés ?
Enfin, les différents services vont-ils enfin dialoguer entre eux pour mieux répondre aux usagers ?
Voici quelques-unes de nos pistes de réflexion. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Les maisons de services au public – MSAP – sont désormais populaires et bien connues de nos concitoyens ; il en existe plus de 1 300. Vous avez voté dans la loi de finances une augmentation de 47 % des crédits destinés à les développer. Leur croissance va continuer ; nous devrons d'ailleurs demeurer attentifs à la qualité des services proposés, et c'est pour nous pencher de façon précise sur cet aspect que Mme Jacqueline Gourault et moi-même avons déclenché un audit.
Vous évoquez le besoin de proximité – et votre question me permet de continuer à répondre à M. Molac. Nous devons absolument distinguer deux binômes. Le premier, c'est le binôme commune-intercommunalité : il est clair que les intercommunalités XXL ont provoqué chez les maires un sentiment de délaissement, d'abandon, et créé par là un doute sur la proximité avec l'intercommunalité, qui n'est pas une collectivité territoriale mais un établissement public. Le second, c'est le binôme conseil régional-conseil départemental ; là, la loi NOTRe a tranché dans le vif des compétences. Vous serez prochainement amenés à examiner la proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales – SPL – et des sociétés d'économie mixte – SEM – qu'Olivier Dussopt défendra dès demain au Sénat. Elle permettra de corriger un certain nombre de désagréments.
Sur les relations entre ces deux couples, commune et intercommunalité d'un côté, département et région de l'autre, nous devons pouvoir progresser. C'est pour cette raison que l'idée d'un conseiller territorial a refait surface dans le cadre du grand débat national : l'idée, c'est de remettre un peu de proximité dans nos grandes régions.
J'entendais des parlementaires commencer à s'interroger sur le mode de scrutin : pardon, mais nous n'en sommes pas là ! Nous cherchons pour le moment des réponses à apporter au grand besoin de proximité qui s'est exprimé au cours du grand débat national.
Ni Mme Kuster, ni Mme de La Raudière ne sont là à cette heure tardive. Mais je leur dirai que si elles souhaitent supprimer un échelon à Paris, qu'elles réunissent donc Mme Pécresse, M. Bédier, M. Devedjian, M. Ollier, qui partagent tous la même sensibilité politique, et qui pourraient d'ailleurs être rejoints par M. Wauquiez, président de leur parti…
M. Maxime Minot. C'était aussi votre parti, il n'y a pas si longtemps !
M. Sébastien Lecornu, ministre. …et que tous ces gens nous fassent une proposition sur l'échelon à supprimer ! Je pense là encore qu'il est temps de formuler des propositions concrètes – et moins de critiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Paula Forteza.
Mme Paula Forteza. « Le passage au numérique a accentué les difficultés d'accès des plus fragiles, l'accompagnement n'est pas à la hauteur. » « La révolution numérique a atteint ses limites : nous n'avons plus d'interlocuteur, les administrations sont déshumanisées. » Ces remarques proviennent des contributions au grand débat national ; elles ont été extraites notamment grâce à la Grande Lecture, projet issu du hackathon organisé à l'Assemblée nationale.
Face à l'angoisse que suscite la numérisation des services publics, nous devons mieux cibler le recours au numérique et en traiter les externalités négatives. Voici nos pistes d'actions.
Tout d'abord, au lieu de se concentrer sur la numérisation de ce que l'on appelle le front office, c'est-à-dire l'interface de contact avec l'usager, pivotons vers la numérisation du back office : simplifions les systèmes d'information, fluidifions les tâches administratives, optimisons les procédures. Ceci permettra de libérer du temps de travail pour que les agents puissent se consacrer davantage au face-à-face avec les usagers !
Ensuite, à l'instar de la plateforme « Mes Aides », développée par les start-up d'État, le numérique pourrait être davantage utilisé comme un outil de lutte contre le non-recours aux droits. De la même façon que le prélèvement à la source rend automatiques les contributions obligatoires, le numérique pourrait permettre d'automatiser l'accès aux droits, en versant directement les aides auxquelles chaque citoyen peut prétendre selon sa situation et son parcours.
Enfin, nous devons consolider et renforcer notre stratégie d'inclusion numérique : aménagement numérique du territoire, chèque de formation Aptic, coopérative MedNum... Dans ce contexte, un point nous semble clef : la formation des agents à la médiation numérique. Nous pourrions y associer différent types d'acteurs : les jeunes du service national universel, les agents de La Poste qui sillonnent les territoires, ou encore des associations locales.
Messieurs les ministres, messieurs les secrétaires d'État, entendez-vous intégrer ces pistes à la feuille de route gouvernementale, et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. La réponse à votre question est simple : oui, ces pistes seront intégrées à la feuille de route gouvernementale, et tout de suite.
Nous avons conscience, en effet, que 13 millions de Français rencontrent des difficultés pour accéder aux services numérisés : pour la moitié d'entre eux, ils n'ont pas l'habitude de la technologie, ils ne la maîtrisent pas suffisamment pour être à l'aise avec cet outil ; pour l'autre moitié, ils habitent sur un territoire où le débit des réseaux ne permet pas d'utiliser ces technologies.
Le Président de la République a dit, au mois de juillet dernier, qu'il fallait numériser, mais aussi réhumaniser. Si le numérique s'impose aujourd'hui comme un outil particulièrement efficace et performant pour permettre l'accès aux services publics à toute heure et en tout point du territoire, dès lors que les conditions techniques sont réunies, nous devons comprendre que cela ne supprime pas la nécessité d'une médiation, d'un accompagnement, tant pour celles et ceux qui sont éloignés géographiquement d'une connexion que pour ceux qui ne maîtrisent pas cette technologie.
Nous voulons nous appuyer sur les maisons de services au public, où les animateurs et animatrices sont à même de proposer une médiation. Il existe de nombreuses compétences que nous pouvons mettre à profit : ainsi, dans de nombreuses agences des directions départementales des finances publiques, nous avons accompagné la mise en oeuvre de l'espace numérique personnel des contribuables lors du passage au prélèvement à la source en ayant notamment recours à des jeunes en service civique, qui ont pu servir de médiateurs.
Nous ne devons oublier aucun de ces deux objectifs : l'intégralité des services de l'État doivent être accessibles par voie numérique, comme nous l'a demandé le Président de la République ; mais l'humain doit aussi être présent, personne ne doit être oublié. Le numérique ne doit pas devenir un nouveau facteur d'exclusion, mais au contraire une nouvelle voie d'accès.
Vous avez développé ce soir trois propositions, mais je sais que vous en avez formulé d'autres. Elles seront intégrées au travail du Gouvernement, et à la feuille de route de tous les ministères et agences de l'État. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Descoeur.
M. Vincent Descoeur. La crise des gilets jaunes est en partie née du sentiment d'abandon d'une France rurale, ou plus largement d'une France périphérique, éloignée des métropoles, qui s'estime oubliée des politiques publiques qui privilégient la concentration des populations et qui assiste, impuissante, à l'éloignement des centres de décision et des services publics.
Cette fracture territoriale est illustrée par l'inégalité des ressources des collectivités territoriales, et aggravée par une inégalité des dotations. C'est particulièrement vrai des dotations allouées aux communes, et en particulier de la dotation forfaitaire, calculée à partir d'un montant par habitant d'autant plus élevé que la population est importante. Cette inégalité est vécue comme une injustice, et elle n'est que partiellement compensée par les dotations de solidarité. Il en va de même pour les départements et les droits de mutation, qui varient dans des proportions astronomiques – élu du Cantal, je suis malheureusement bien placé pour le savoir.
Ces inégalités de ressources devraient corrigées par la péréquation, mais celle-ci ne produit plus toujours les effets escomptés.
Si le grand débat doit avoir une utilité, c'est celle de corriger ces inégalités de richesses. Êtes-vous prêts à saisir cette opportunité ? Comment opérer cet indispensable rééquilibrage entre les collectivités les plus riches et celles qui le sont moins ?
L'État doit aussi apporter des réponses différenciées, qui tiennent compte de la diversité des territoires. Un dispositif comme celui des zones de revitalisation rurale y contribue, mais il ne suffit plus à compenser les écarts de développement. À l'heure de faire des propositions, il me semble indispensable d'appeler à la mise en place de nouveaux dispositifs d'exonération fiscale et sociale, plus recentrés, pour accompagner plus efficacement l'accueil de nouvelles populations et de nouvelles activités dans les territoires les plus défavorisés, dans les territoires éloignés des grands axes de communication et qui peinent à enrayer l'érosion démographique. Quelles propositions entendez-vous faire pour répondre aux attentes des citoyens vivant dans les territoires les plus fragiles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le député, ce soir, c'est un peu le Grand soir, puisqu'avec la ministre Jacqueline Gourault, nous venons de notifier le montant de la dotation générale de fonctionnement – DGF – à l'ensemble des collectivités territoriales de France. Cette enveloppe de 27 milliards d'euros étant stable, vous pourrez répéter dans les différents territoires que vous représentez que ce gouvernement ne la diminue pas.
En revanche, des variations existent, qui, pour 2018, sont essentiellement dues aux modifications des différentes cartes d'intercommunalités. Cette année, le nombre de ces variations, qui est moindre, s'expliquera par deux critères.
La variation de la population, tout d'abord. Une commune qui gagne des habitants aura une DGF plus importante, et ce sera l'inverse pour une commune qui en perd. Ce n'est cependant pas si vrai, puisque nous avons imaginé dans cet hémicycle des garanties de sortie qui amoindrissent le choc – Jean-René Cazeneuve et quelques autres députés pourront en témoigner.
Des mécanismes de péréquation, ensuite, sur lesquels tout le monde s'accorde lors des débats dans cet hémicycle ou dans celui du Sénat, mais qui sont plus difficiles à défendre lorsqu'on se retrouve dans les assemblées générales de maires dans les territoires. Plus personne n'explique alors que la dotation forfaitaire fait l'objet d'un écrêtement, qui permet de redistribuer aux communes rurales les plus pauvres, avec la dotation de solidarité rurale – DSR – comme aux communes urbaines les plus pauvres, avec la dotation de solidarité urbaine – DSU.
Il est donc curieux de ne regarder que la dotation forfaitaire. Monsieur le député, nous nous connaissons bien, vous avez présidé un conseil général peu de temps après mon brevet des collèges. (Sourires.) Parce que nous avons travaillé ensemble à l'Assemblée des départements de France – ADF –, je sais comment vous fonctionnez. Dans cette affaire de DGF, reconnaissez que nombre de vos collègues répandent certaines contre-vérités dans les territoires.
M. Vincent Descoeur. C'est pourquoi l'État doit intervenir !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je profite donc de mon temps de parole de deux minutes pour rétablir ces vérités.
Fondamentalement, nous assumons tous cette péréquation. Le groupe LR, comme l'ensemble des groupes qui sont ici, l'a votée. Cela explique que certaines dotations aient bougé. Il n'est pas vrai, en revanche, que la dotation par habitant est moins importante en milieu rural qu'en milieu urbain.
Si l'on additionne la dotation forfaitaire et la péréquation, on se trouve bien au-dessus. Pour prendre l'exemple du Vigean, la commune du président des maires ruraux du Cantal, qui compte 825 habitants, sa DGF s'élève à 290 euros par habitant, contre une moyenne nationale de 164 euros par habitant. Les chiffres sont têtus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dive.
M. Julien Dive. Les fractures, de l'accès aux services publics, à la santé, à l'emploi, à la justice – la liste est longue !– sont nombreuses. À chacune des réformes, nos concitoyens voient des services publics fermer. On leur explique que la dématérialisation est la nouvelle solution. C'est vite oublier que, la fracture étant aussi numérique, certains Français ne peuvent y avoir accès.
Alors que, pendant plusieurs mois, les Français ont exprimé leur désarroi quant à la disparition des services publics, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, vous vous êtes vu remettre la semaine dernière un rapport de contributions au grand débat de la part d'un cabinet privé, qui préconise le recours massif à l'externalisation des services publics, arguant de 25 milliards d'euros d'économies.
Cela revient à confier au privé des services et des missions du service public. Certains pourraient penser que cette fausse bonne idée est la solution pour faire des économies mais, avant de limiter et de dépecer une nouvelle fois nos services publics, je vous invite à faire preuve d'audace et de bon sens pour réaliser ces économies, en faisant simplement confiance aux élus locaux.
Nous venons tous les deux d'une région que nous connaissons fort bien, une terre populaire, qui a connu des décennies de difficultés, où des citoyens, laborieux, fiers de leur travail, et de leur solidarité expriment, peut-être plus qu'ailleurs, leur refus de voir les décisions publiques qui les concernent s'éloigner chaque jour un peu plus d'eux et être prises depuis des bureaux lointains, froids, anonymes, déconnectés des réalités locales.
La France a besoin d'une nouvelle gouvernance, qui prenne en compte les demandes et les besoins de la population, relayés par les élus de terrain. Cela signifie que tout ne peut pas être décidé à Paris. Il faut repartir de la base pour comprendre les aspirations de nos concitoyens.
M. Maxime Minot. Eh oui !
M. Julien Dive. Il faut favoriser la coconstruction, chercher l'efficacité, s'appuyer sur les régions, les départements, redonner une place aux communes et permettre à la région d'intervenir pleinement en ayant l'intégralité des compétences dans des domaines où elle intervient – l'économie, l'emploi, les transports, les lycées. Il ne s'agit pas d'opposer les collectivités territoriales à l'État, mais de permettre une nouvelle et meilleure articulation entre les différents acteurs.
Aussi, monsieur le ministre, que ferez-vous de ce rapport qui préconise une nouvelle donne, un new deal de l'externalisation à outrance des services publics ? Ne serait-il pas plus pertinent, comme le président de la région des Hauts-de-France l'a proposé ce week-end, d'acter un autre new deal entre l'État et les collectivités territoriales, en franchissant une nouvelle étape de la décentralisation ?(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député, j'avoue avoir du mal à suivre vos évolutions. Il y a peu, vous avez cosigné une proposition de loi, enregistrée le 21 mars 2018, visant à réserver le statut de la fonction publique aux agents exerçant une fonction régalienne. Dans l'exposé des motifs, vous expliquez la nécessité de retirer le statut d'agent public, donc d'accepter le phénomène d'externalisation. La proposition de loi ne comptant que sept signataires, il ne s'agit pas d'un texte de l'ensemble du groupe.
Je crois comprendre aujourd'hui qu'à peine un an plus tard, peut-être influencé par le grand débat, vous n'êtes plus favorable à l'externalisation.
Vous citez le président de la région des Hauts-de-France. Il se trouve que comme vous, je le connais bien. J'ai lu récemment une interview très intéressante au Journal du dimanche, où il expliquait qu'il fallait que l'État se recentre sur ses fonctions régaliennes. Dans sa propre collectivité, où je siège, dans sa majorité d'ailleurs, vous le savez, nous externalisons certaines activités. Dans votre propre circonscription, le centre aquatique de la base urbaine de loisirs de Saint-Quentin, que Xavier Bertrand a mis en place avec succès, est par exemple externalisé.
Il faut donc arrêter les postures, qui me semblent contrevenir à l'esprit public que nous partageons.
Il y a eu des rapports de la Cour des comptes, de l'Assemblée nationale, du Sénat, et d'une société privée, qui s'appelle Webhelp et propose des externalisations. Je l'ai reçue, comme toutes les contributions au grand débat. À certains moments, externaliser n'est pas tout à fait idiot : il faut savoir le faire. J'en parlais notamment à propos de la récupération du numéraire du paiement en liquide dans les réseaux des finances publiques.
Elle pourrait être confiée aux buralistes ou aux agents de La Poste, qui ne me semblent pas être les émanations du capitalisme le plus sauvage qui puisse exister. D'un côté, La Poste rencontre un problème car le nombre de courriers diminue ; de l'autre, les buralistes doivent envisager d'autres activités que la seule vente de tabac.
Il ne me paraît pas totalement délirant que le lieu où l'on vend des timbres fiscaux puisse aussi être celui où l'on paie ses amendes. En revanche, d'autres domaines ne doivent pas être donnés au secteur privé. Je suis non pas dans l'idéologie, mais dans la pratique, et pour l'efficacité, au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Patrick Mignola applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sylvain Waserman.
M. Sylvain Waserman. Ma question concerne la transparence sur les hautes rémunérations dans le secteur public. Tous les parlementaires et les ministres ont des impératifs forts de transparence s'agissant de leurs rémunérations et de leur patrimoine. Dans le secteur privé, la loi impose aux entreprises privées des indicateurs, détaillés et précis, sur les plus hautes rémunérations.
À mon sens, ce que nous demandons au monde politique et à l'argent privé, nous devons aussi l'exiger de l'argent public. Actuellement, ni les ministères, avec leurs hauts fonctionnaires, ni les agences de l'État, ni les autorités administratives indépendantes, ni les organismes qui vivent de l'argent public n'ont les mêmes exigences de transparence. Pour reconstruire un lien de confiance avec nos concitoyens, il est temps de mettre fin à ces décennies d'opacité.
Il n'est plus acceptable non plus de découvrir dans Le Canard enchaîné que le Défenseur des droits gagne 30 000 euros par mois, parce qu'il cumule ses 15 000 euros de salaire avec 15 000 euros de retraite, en raison d'une dérogation exceptionnelle aux règles de cumul emploi-retraite qui s'appliquent à tous les autres citoyens.
Nous héritons de cette situation opaque, dont plus personne ne veut. C'est pourquoi je vous demande simplement : êtes-vous favorables à une loi imposant aux institutions et aux organismes publics la même transparence pour les rémunérations les plus importantes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM, LaREM, SOC et LT.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Monsieur le président Waserman, je donnerai quelques éléments de réponse à votre interpellation sur la question de la transparence.
D'abord, même si ce n'était ni votre propos, ni votre intention, je veux dire que ces questions ne doivent être traitées ni avec populisme, ni avec démagogie, puisqu'il ne s'agit en aucun cas de livrer certains noms à la vindicte populaire.
Il ne faut pas non plus fantasmer sur le niveau de rémunération des hauts fonctionnaires de notre pays. Dans le secteur privé, la rémunération des dirigeants des entreprises de plus de 50 salariés s'élève en moyenne à 9 900 euros nets, ce qui est 50 % plus élevé que les 6 500 euros nets évoqués en moyenne pour les plus hauts fonctionnaires de l'État.
De même, les 1 % de salariés les mieux rémunérés du secteur privé – de dirigeants, en réalité – perçoivent un salaire brut moyen de 17 970 euros, soit deux fois plus que les 1 % de fonctionnaires les mieux payés.
Nous connaissons certains éléments. Ainsi, nous pouvons reconstituer, parfois imparfaitement, la rémunération des plus hauts dirigeants d'administration centrale. Nous savons rendre publics, comme nous l'avons fait, la rémunération des présidents d'autorités administratives indépendantes. Nous disposons de la rémunération des dirigeants de sociétés publiques ainsi que des établissements publics à caractère industriel et commercial – EPIC –, car la loi prévoit leur publication.
Nous devons poursuivre sur cette voie de la transparence. Cependant, le ministre Gérald Darmanin l'a évoqué hier, au cours d'un débat sur un sujet légèrement différent, pour aller plus loin, il ne faut pas nécessairement publier une liste nominative avec les rémunérations associées, mais indiquer les niveaux de rémunération des postes les plus importants occupés par les fonctionnaires de notre pays.
Nous devons aussi travailler pour faire en sorte que la rémunération de celles et ceux qui acceptent des responsabilités importantes à la tête des autorités administratives indépendantes et qui bénéficient par ailleurs d'autres revenus, notamment de pensions, comme vous l'indiquiez dans votre exemple, puissent faire l'objet d'un écrêtement. Les situations de cumul qui ont pu être dénoncées ne doivent plus être admises.
Enfin, nous devons lier la question de la transparence à celle de la déontologie. Dans le cadre du projet de loi sur la fonction publique que nous vous présenterons, avec Gérald Darmanin, dans les semaines qui viennent, nous aurons à travailler sur la déontologie et son contrôle. Nous comptons sur les propositions de la majorité pour avancer. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
Mme Christine Pires Beaune. Le 16 janvier 2015 et le 7 août 2015, j'ai voté la loi relative à la délimitation des régions et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Quelle funeste erreur !
Sous prétexte de donner à nos régions une échelle européenne, mais aussi de faire des économies, nous avons créé des monstres. Pas partout, il est vrai, car certains ont bien su manoeuvrer.
Pas une seule fois, je dis bien pas une seule fois, depuis vingt-six mois, je n'ai trouvé un acteur, que ce soit dans le domaine économique, culturel, sportif, de la santé, de la formation, de l'éducation, pour me dire que c'est mieux aujourd'hui. Des décisions qui se prenaient en trois mois demandent aujourd'hui neuf mois.
M. Vincent Descoeur. Eh oui !
Mme Christine Pires Beaune. Les centres décisionnels se sont éloignés pour beaucoup. Pas plus tard que ce matin, je rencontrais avec quelques députés, notamment Vincent Descoeur, la Fédération régionale des travaux publics de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui soulignait que ces textes n'avaient eu aucun effet bénéfique.
Plus de deux ans après, je crois qu'il est temps de mener une première évaluation de ces nouvelles régions. Je veux remercier ici Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d'avoir accepté de créer une mission sur le sujet. Il ne s'agit évidemment pas de revenir sur le découpage, mais de corriger ce qui peut l'être encore. Aurez-vous une oreille attentive, monsieur le ministre ?
Surtout, ne calquez pas la carte des services de l'État sur ces nouvelles régions. Arrêtez le massacre ! Non, big n'est pas toujours beautiful. Surtout, big n'est pas toujours synonyme du meilleur, tant sur le plan de la qualité des services publics que sur celui de leur coût de revient.
Quant à la loi NOTRe, nous avons créé des EPCI XXL dans certains cas. La vérité est qu'aujourd'hui, certains EPCI, regroupés contre la volonté des élus, fonctionnent mal.
Alors, monsieur le ministre, j'ai entendu le Président de la République dire qu'il était prêt à revoir les « irritants de la loi NOTRe ». Pouvez-vous nous donner un calendrier et le véhicule législatif ?
J'ai d'ailleurs une première suggestion d'irritant à corriger : rendez facultatif le transfert des compétences en matière d'eau et d'assainissement aux communautés de communes. En bref, faites confiance aux élus et laissez les collectivités choisir l'organisation du service pour atteindre le taux de rendement fixé par la loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame la députée, je vous remercie d'abord pour cette contrition, que vous aviez déjà exprimée lors du débat sur le projet de loi de finances l'année dernière.
Mme Christine Pires Beaune. N'exagérons tout de même pas !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est vrai que toute une génération d'élus locaux n'en finit pas de se remettre de ces lois qui ont brutalisé de nombreuses pratiques, en particulier dans les territoires les plus ruraux.
« Irritants de la loi NOTRe » : mon expression prospère, sans doute parce qu'elle traduit le bon équilibre. Il ne s'agit pas de tout remettre en question. Certaines avancées positives doivent être saluées, mais il faut malheureusement revenir sur d'autres.
S'agissant du couple intercommunalité-commune, le président de la République l'a rappelé de nombreuses fois pendant le grand débat, il faut évidemment conserver de la souplesse en matière de compétences. Olivier Dussopt me rappelait très justement que le transfert des compétences en matière d'eau et d'assainissement avait été voté ici, en fin de débat parlementaire, à l'initiative du Gouvernement, alors représenté par Mme Lebranchu.
Mme Christine Pires Beaune. C'était un amendement de dernière minute, que nous avons combattu !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme quoi, lorsque les décisions sont prises de manière trop autoritaire, cela ne peut pas fonctionner.
Il faut également travailler sur des assouplissements en matière de gouvernance dans le binôme intercommunalité-commune. Je le disais tout à l'heure, les maires de Bretagne parlaient ce matin d'instituer une conférence obligatoire des maires dans les grandes intercommunalités. Tout cela doit être expertisé.
S'agissant du binôme département-région, on trouve les irritants de compétence pure. Je parlais des sociétés publiques locales – SPL – et des sociétés d'économie mixte – SEM. Il faut répondre à cette question, cela va dans le bon sens.
Peut-on pour autant prétendre à un principe de subsidiarité plus important, dès lors qu'une volonté locale y serait favorable ? Je pense que oui. Aujourd'hui, la loi l'empêche, mais des possibilités pourraient être offertes.
Des choses se font déjà dans certaines régions - Occitanie, Grand-Est ou Hauts-de-France. Cela s'avère plus compliqué dans d'autres, la vôtre en particulier.
Depuis que je suis ministre en charge des collectivités territoriales, depuis octobre dernier donc, je n'ai jamais réussi à rencontrer le président de votre conseil régional – cela n'aide pas.
Enfin, la troisième manière d'avancer – ce que nous faisons en Alsace en est un bon exemple – consiste à apporter des réponses plus locales, soit par le biais des compétences et des institutions, soit en s'appuyant sur des projets – ce fut le cas récemment en Bretagne et dans les Ardennes.
Nous devons parvenir ensemble – Parlement, associations d'élus et peut-être même élus dans une consultation plus large – à faire évoluer la loi NOTRe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-À-L'Huissier.
M. Pierre Morel-À-L'Huissier. Ma question a pour objet de clarifier les intentions du Gouvernement. Le principe d'égalité est un principe constitutionnel très important. La Constitution prévoit néanmoins un droit à l'expérimentation. Par le passé, j'ai plaidé, au travers de deux propositions de lois, en faveur du principe d'adaptation des normes permettant de donner au préfet une certaine latitude en la matière selon les territoires.
Aujourd'hui, le Gouvernement propose le droit à la différenciation. Pourquoi pas ? Pouvez-vous préciser si la différenciation concerne les compétences ou l'adaptation des normes ? Je redoute que ce droit soit privé d'effectivité par la jurisprudence constitutionnelle, qui est très arc-boutée sur le principe d'égalité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s'agit d'une question fondamentale, qui regarde deux grandes valeurs de la République lesquelles, à écouter nos concitoyens et les élus locaux, sont parfois en concurrence : le désir de liberté – « foutez-nous la paix et laissez-nous nous organiser librement » pour être trivial – et le désir d'équité, voire d'égalité – pourquoi un territoire aurait-il plus de droits qu'un autre ? C'est là le noeud du beau débat qui doit avoir lieu au Parlement sur l'organisation des pouvoirs publics. Il nous faut trouver le juste milieu.
L'adaptation est déjà possible. Nombre de textes prévoient des dispositions spécifiques pour les collectivités d'outre-mer ou la Corse. S'agissant du territoire hexagonal, nous devons encore avancer.
Une plus large faculté d'adaptation va de pair avec une plus grande déconcentration : plus on laisse de pouvoirs à un représentant de l'État proche des décideurs locaux, plus on laisse l'intelligence locale s'exprimer – le préfet ou le sous-préfet est lui aussi à portée d'engueulade, à l'instar des maires ou des conseillers régionaux et départementaux.
La question de la révision de la Constitution se pose, puisque le cadre actuel est très contraint par le principe d'égalité qui nous guide depuis longtemps. Dans notre pays, l'État a précédé la nation et notre histoire est marquée par ce principe.
La différenciation permet, d'une part, à l'État de se défaire d'une compétence au profit d'une collectivité sans pour autant que cette compétence soit attribuée à la famille de collectivités à laquelle appartient cette dernière – en résumé, une compétence peut être conférée au département de la Lozère mais pas à celui de l'Eure. Aujourd'hui, ce n'est pas possible, ce le sera demain.
D'autre part, la différenciation permet de transformer l'expérimentation, qui ne connaît pas un grand succès du fait de sa complexité, en un véritable système de dérogations et ainsi d'inscrire dans le temps les transferts de responsabilités.
Il importe de progresser sur la révision constitutionnelle mais, même sans elle, nous pouvons déjà avancer en suscitant l'intelligence locale, en lien avec les préfets notamment.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Je dois l'honneur de conclure ce débat au fait que lorsque les services publics ont été abattus, j'ai été le seul à me lever ; lorsque la France a perdu 500 000 entreprises – ce dont elle ne s'est jamais remise –, j'ai été le seul à me lever ; lorsque la fracture entre les hommes s'est clairement dessinée dans notre pays, j'ai aussi été le seul à me lever. J'ai fait 6 000 kilomètres en marchant tandis qu'un autre faisait deux fois le tour du salon en disant : « En marche », et cela a marché !
J'ai incarné ici le mouvement des gilets jaunes car cette maison s'appelle l'Assemblée nationale et continue de revêtir un caractère révolutionnaire. J'ai décrit dans une dizaine d'ouvrages ce qui était en train d'arriver.
Tout ce qui pouvait être dit a été très bien dit. Des propositions ont été faites. Je souhaite demander aux membres du Gouvernement ici présents de transmettre au Président de la République deux suggestions pour essayer d'apaiser cette crise qui est loin d'être finie selon moi – le Président de la République a lui-même reconnu qu'elle vient de très loin et qu'elle n'est pas finie – et pour adresser un signe d'espoir : la reconnaissance du vote blanc avant le scrutin pour les élections européennes – cela améliorerait la participation des citoyens, ils pourraient dire ce qu'ils pensent des programmes présentés ; l'abrogation de la loi NOTRe – Jacques Chirac l'a fait pour le contrat première embauche, qui avait également fait couler beaucoup d'encre. Ce serait un signe très encourageant pour les maires, morts-vivants que le Président vient de ressusciter pour quelque temps.
M. Vincent Descoeur. Très bonne proposition !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous remercie pour votre question très claire, monsieur le député.
Votre espoir de voir la situation s'améliorer me permet de répondre à certains de vos collègues, qui sans oser le faire ouvertement, ont, en creux, dénigré le grand débat national et les 1,5 million de Français qui y ont participé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Au sein de cet hémicycle où les députés représentent la nation, il me semble dommage et bizarre de se moquer de cet exercice démocratique inédit, qui a été observé dans le monde entier et qui a permis de refaire nation et de refaire société.
S'agissant de la loi NOTRe, son abrogation créerait de l'instabilité. En revanche, il faudra la revoir et examiner ce qui pose problème – essentiellement le manque de proximité et de clarté. Au début de ce quinquennat, la majorité, de bonne foi, a préféré laisser un peu de temps pour que les choses puissent éventuellement se stabiliser. Force est de constater que deux ans plus tard, les élus locaux ne digèrent toujours pas la loi telle qu'elle est rédigée. Comme le disait Mme Pires Beaune, il faut savoir en tirer les leçons et la revoir.
Je vous remercie pour votre question, monsieur le député, qui nous permet de terminer en sympathie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 5 avril 2019