Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les questions sur la mise en oeuvre de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Sophie Auconie.
Mme Sophie Auconie. Je me réjouis qu'un sujet aussi crucial que celui de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes soit abordé ce soir. Mais, en même temps, comment ne pas regretter l'horaire choisi – il est vingt-trois heures quarante-cinq –, qui démontre une fois encore le peu d'intérêt que la société porte à cette question ? J'y vois aussi une étrange consonance avec l'adoption de la loi du 3 août 2018, par un vote simple, en pleine nuit, dans un hémicycle désert.
Alors qu'elle aurait dû faire consensus, tant la cause était partagée, cette loi a paru insatisfaisante, éloignée des enjeux. Elle a déçu. Elle a engendré un sentiment de frustration très largement partagé sur les bancs de cet hémicycle, y compris au sein de la majorité. Ce fut également le sentiment quasi unanime des associations et des ONG, qui nourrissaient une forte attente. J'ai voté en faveur de ce texte parce qu'il était porteur d'une amélioration, l'allongement de dix ans du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs – un si petit pas pour une cause qui aurait nécessité tellement plus d'ambitions. Nous attendions une loi qui aurait protégé les victimes, pas les auteurs.
Par exemple, beaucoup d'entre nous appelaient à la création d'une infraction spécifique, afin que tout acte sexuel commis par un adulte sur un enfant soit constitutif d'un viol, sans avoir à prouver une quelconque absence de consentement.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme Sophie Auconie. Vous aviez rétorqué que nous ne pourrions créer cette infraction, compte tenu du risque d'inconstitutionnalité. Force est de constater que, dans la conduite de vos politiques, cet argument est à géométrie variable : pour bon nombre de projets de loi, vous avez balayé ce risque d'un revers de manche. En revanche, lorsqu'il s'agit de protéger nos enfants, le Conseil constitutionnel vous effraie.
Mme Valérie Boyer. Vous avez raison !
Mme Sophie Auconie. Comprenez notre étonnement !
Les experts que nous avons rencontrés s'accordent tous à reconnaître que la création d'une infraction spécifique, comme nous le proposons, ne serait pas frappée d'inconstitutionnalité. En outre, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n'instaure absolument pas, comme vous le laissez à penser dans les médias, un seuil d'âge.
Cela dit, je me réjouis de la création d'un groupe de travail chargé d'évaluer les condamnations prononcées depuis l'entrée en vigueur de cette loi.
Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à quand une loi ambitieuse et protectrice pour les victimes, qui mettrait un terme à l'impunité totale des agresseurs sexuels ?
Mme la présidente. J'invite chacun d'entre vous à respecter son temps de parole, qui ne peut excéder deux minutes.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Effectivement, madame la députée, le sujet que vous avez évoqué est extrêmement sensible. Vous dites avoir placé beaucoup d'espoir dans la loi adoptée par le Parlement en août dernier. C'est un espoir que nous avons nourri collectivement et que nous continuons à porter.
Vous affirmez que l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs vous a conduite à voter en faveur de la loi. Au-delà de cette disposition, le texte contient des évolutions positives dont les juges se sont emparés. Vous évoquez les caractéristiques du viol. Les juges s'étant emparés de la loi du 3 août 2018 – nous aurons l'occasion de le mesurer lorsqu'Alexandra Louis, qui s'est vu confier une mission d'évaluation de ce texte, aura rendu ses conclusions –, ils ont pu qualifier de « viols » un certain nombre d'actes lorsque cela apparaissait nécessaire. Je pourrais vous citer des exemples très concrets, notamment les affaires de Pontoise et de Meaux qui ont indigné l'opinion publique et dans lesquelles nous avons obtenu des évolutions de la part des magistrats.
Je ne crois pas que cette loi n'ait pas apporté de réponses positives. Dans la question du discernement, telle qu'elle a été formulée, le législateur a apporté des éléments importants.
La rédaction adoptée ne se justifie pas uniquement par des raisons d'ordre constitutionnel. La question de la non-rétroactivité a également joué un rôle central : avec les dispositions que vous avez votées, le texte s'est immédiatement appliqué, y compris aux affaires en cours.
Voilà les principales raisons pour lesquelles cette loi comporte des avancées extrêmement sérieuses.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Auconie, pour une deuxième question.
Mme Sophie Auconie. Madame la garde des sceaux, je vous remercie pour votre réponse, mais les associations, les ONG et un certain nombre de députés considèrent que cette loi ne protège pas les victimes de pédocriminalité mais renforce plutôt, comme vous le disiez d'ailleurs, le pouvoir interprétatif du juge. Les juristes et les professionnels du droit s'accordent tous sur ce constat.
Je tiens à votre disposition l'ensemble des décisions judiciaires prises depuis l'entrée en vigueur de la loi. Elles sont assez parlantes. Sur les quatorze jugements rendus depuis le 1er mars 2019, sept l'ont été aux assises et sept l'ont été en correctionnelle. Cette loi pousse donc à la correctionnalisation des procédures. Le résultat est que les jugements ne sont pas à la hauteur des enjeux dont nous parlons ce soir. Voici les peines prononcées en correctionnelle : quatre mois de prison ferme, trente mois de prison avec sursis, trois mois de prison avec sursis, cinq ans de prison ferme pour des faits extrêmement sordides, une relaxe, six mois de prison avec sursis. Dans l'affaire du Mans, qui a motivé l'une de mes questions au Gouvernement, un grand-père récidiviste ayant violé sa petite-fille de 8 ans a été condamné à huit mois de prison avec sursis.
Cette loi représente donc, aux yeux de certains d'entre nous, une régression par rapport aux jugements antérieurs. Elle n'est pas à la hauteur des enjeux.
Mme Valérie Boyer. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Sincèrement, madame la députée, avec tout le respect que je vous dois, il est excessif de parler de « régression ». J'ai du mal à entendre ce terme pour le texte que vous avez adopté. Sur bien des points, cette loi ne constitue pas une régression, mais une avancée. Je conçois que vous dénonciez ce qui vous apparaît comme des insuffisances, mais encore faudrait-il suivre un raisonnement complet.
Vous évoquez une série de jugements rendus depuis l'adoption de la loi, mais la nouvelle définition de la contrainte morale et de la surprise a sans doute permis – j'emploie les mots « sans doute » car on ne peut pas être dans le for intérieur du juge, qui garde sa liberté d'appréciation – de condamner en appel l'accusé de l'affaire de Meaux, qui avait été acquitté en première instance par la cour d'assises avant le vote de la loi. Cette dernière a modifié la perception du juge et l'appui qu'il pouvait prendre sur la disposition législative.
Par ailleurs, vous dénoncez la trop fréquente correctionnalisation de ces affaires. Madame la députée, vous avez autorisé, dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le lancement d'une expérimentation nouvelle consistant en la création de cours criminelles départementales. Cette expérimentation va commencer dès le 1er septembre dans sept départements ; nous pensons qu'elle sera un succès et qu'elle sera donc généralisée. Ces cours criminelles départementales jugeront comme crimes des actes trop souvent correctionnalisés, car les preuves sont parfois un peu délicates et que les victimes, comme les coupables d'ailleurs, ont besoin d'un jugement plus rapide.
Je suis persuadée que ces éléments iront dans le sens que vous souhaitez.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Auconie, pour une troisième question.
Mme Sophie Auconie. Madame la garde des sceaux, reconnaissez que l'établissement d'un seuil d'âge aurait au moins permis de protéger les enfants victimes de pédocriminalité.
Je voudrais également vous interpeller sur un sujet que beaucoup considèrent comme injuste, celui de l'amnésie traumatique, qui concerne 40 % des victimes de violences sexuelles. Les récentes réformes de la prescription, dont celle de la loi dont il est question ce soir, n'ont pas de portée rétroactive et ne peuvent donc s'appliquer aux victimes nées dans les années 1970 et 1980. Pour ces victimes d'amnésie traumatique, le seul moyen de poursuivre leur agresseur est de démontrer l'existence d'une cause de suspension du cours de la prescription.
Or la Cour de cassation a développé une jurisprudence excessivement stricte. Même si la victime démontre qu'elle ne pouvait pas agir, cela ne suffit pas ; il faut démontrer l'existence de manoeuvres élaborées par l'auteur. Cette jurisprudence inacceptable est contraire au droit européen et sera bientôt condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Elle méconnaît en effet le droit à une enquête, consacré par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, et le droit à un procès équitable, prévu par l'article 6 de la même convention, puisque la prescription empêche ces personnes d'avoir accès à un tribunal.
Votre loi n'a pas pris en compte le dramatique problème de l'amnésie traumatique. Toutes les victimes devraient pouvoir disposer des mêmes droits, ne serait-ce que par esprit de justice et de réparation pour ces personnes, qui ont subi une agression si inacceptable que son oubli a été le seul moyen d'y faire face et de survivre. L'histoire de l'abbé Preynat, que le film Grâce à Dieu relate comme un magnifique reportage, montre combien l'amnésie traumatique est un vrai sujet. Votre loi a oublié ces victimes, mais pas nous ! Que pensez-vous de ce sujet de l'amnésie traumatique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Là encore, madame la députée, je trouve votre propos quelque peu excessif. Vous dites « votre loi », mais ce n'est pas la mienne : c'est la nôtre, la vôtre plus précisément. Cette loi prend en compte la question de l'amnésie traumatique. Vous avez dit vous-même que vous aviez voté ce texte parce qu'il allongeait de dix ans le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs. Une personne ayant subi un viol dans son enfance pourra dénoncer ce crime jusqu'à l'âge de 48 ans. Nous avons donc bien pris en compte cette question de l'amnésie traumatique, en allongeant le délai de prescription de dix ans. Cette loi représente un véritable progrès par rapport aux difficultés que vous soulevez.
Vous dites que la Cour de cassation a rendu une jurisprudence contraire au droit à un procès équitable, sur laquelle la CEDH reviendra. Nous verrons ! La Cour de cassation est souvent extrêmement attentive à la jurisprudence européenne, dont elle est sans doute l'une des plus fidèles interprètes.
C'est parce que nous avons entendu les propos de spécialistes comme le docteur Muriel Salmona et que nous avons voulu prendre en compte la question de l'amnésie traumatique que la loi que vous avez votée allonge le plus possible le délai de prescription. Il va de soi que plus le temps passe, plus les preuves sont difficiles à apporter – vous le savez comme moi. Il ne faut jamais perdre de vue cet élément.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Becht.
M. Olivier Becht. Après moult débats dans cet hémicycle, le Parlement a décidé de fixer dans la loi le principe d'un seuil à 15 ans, au-dessous duquel, lors d'un acte sexuel entre un majeur et un mineur, la contrainte ou la surprise sont caractérisées par l'abus de vulnérabilité du mineur, incapable de discernement. A contrario, pour un mineur âgé d'au moins quinze ans, il n'y a pas lieu d'apprécier l'absence ou la présence de discernement.
Lors des débats, nombre de députés ont fait remarquer que cette précision sur la contrainte ou la surprise risquait de semer la confusion entre viol et atteinte sexuelle, dont le seuil d'âge est fixé à 15 ans. D'autres parlementaires ont encore regretté que l'on se focalise trop sur la question du consentement ou de la présomption de son absence, alors que l'on aurait pu créer une interdiction nouvelle en qualifiant systématiquement de viol le fait pour toute personne majeure d'avoir des relations sexuelles avec un mineur, âgé de moins de 13 ans par exemple.
Loin de vouloir rouvrir le débat, même si cela me paraîtrait nécessaire, je souhaiterais connaître, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, les enseignements que vous tirez des premiers mois d'application de la loi. Concrètement, qu'est-ce qui a changé dans le traitement judiciaire des affaires ? Quelle est la réaction, positive ou négative, des associations représentant les victimes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Vous faites état, monsieur le député, de la notion d'atteinte sexuelle, qui avait pu semer la confusion lors de la présentation du projet de loi. Ce dispositif, qui se trouvait à l'article 2, a été supprimé de la rédaction finale, la commission mixte paritaire ayant adopté un texte dans lequel cette notion ne figurait plus. La confusion n'est donc plus possible.
Nous avons choisi de soumettre aux parlementaires un texte mentionnant explicitement l'âge de 15 ans, car les experts que nous avons fait travailler nous ont dit que cet âge était plus pertinent que celui de 13 ans, et qu'il n'y avait aucune raison de ne pas protéger les jeunes âgés de 13 à 15 ans avec ce dispositif.
Il est trop tôt pour évaluer les effets concrets de cette loi sur les jugements des tribunaux. Vous l'avez dit vous-même, nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour savoir si elle a augmenté les qualifications de viol dans les affaires concernant des enfants de moins de 15 ans. Sous l'autorité du Premier ministre, la garde des sceaux et moi-même avons décidé de confier une mission d'évaluation à la députée Alexandra Louis, rapporteure de la loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui débutera à l'issue de la première année d'application de ce texte. Après avoir auditionné des associations et, surtout, des victimes, mais également des juges, des avocats et des professionnels de l'accompagnement de la petite enfance et de l'enfance, Mme Louis nous dira si cette loi a permis ou non de mieux qualifier les violences sexuelles sur les mineurs de moins de 15 ans.
Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle Obono. Aujourd'hui, lundi 29 avril, une femme a été tuée par son compagnon. Il s'agit du quarante-septième féminicide recensé en France depuis le début de l'année par le collectif de bénévoles qui tient ce décompte depuis 2016. En 2017, le nombre de victimes de violences sexuelles a explosé, avec 265 000 cas contre 173 000 en 2016, selon une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et de l'INSEE publiée en décembre dernier.
Nous partageons toutes et tous l'objectif d'éradiquer le fléau des violences sexistes, dont les féminicides sont l'expression la plus extrême, et des violences sexuelles. Toutefois, l'un des points d'achoppement de nos débats porte sur la question des moyens, tant ceux attribués à la formation des membres de la police, de la justice et du corps médical que les moyens financiers alloués aux associations, lesquelles sont confrontées à des problèmes de viabilité financière récurrents.
L'article 9 de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dispose : « Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'agressions sexuelles, permettant à ces victimes d'être accompagnées et de réaliser les démarches judiciaires au sein même des centres hospitaliers universitaires ». Huit mois se sont écoulés depuis la promulgation de la loi, et il nous est impossible de mettre la main sur ce rapport. À nos yeux, cette absence de données risque de conduire à la mise en oeuvre d'une politique publique inadaptée, s'agissant notamment des besoins des associations sur le terrain.
Pour jouer notre rôle de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement, nous avons besoin de connaître ces chiffres et ces diagnostics, qui sont exclusivement fournis par les services du Gouvernement et les comités interministériels.
Nous souhaitons donc savoir où en est exactement la production de ce rapport, quand il sera disponible et, si par hasard sa parution avait échappé à notre vigilance, quelles en sont les premières conclusions. Surtout, nous souhaitons savoir si vous comptez allouer à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes les moyens substantiels demandés par le rapport publié conjointement, en 2018, par le Conseil économique, social et environnemental – CESE –, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes – HCE – et la Fondation des femmes. Ce rapport évalue à 500 millions d'euros le budget nécessaire pour les parcours de sortie des femmes victimes de violences conjugales, soit bien davantage que les 79 millions actuellement alloués au dispositif et que les auteurs du rapport jugent très clairement insuffisants.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Madame la députée, vous avez raison de rappeler l'ampleur glaçante prise par le phénomène des violences conjugales, notamment les féminicides, tout particulièrement depuis le début de l'année. Il fait l'objet de plusieurs décomptes réalisés par des associations différentes. Vous avez cité la page Facebook « Féminicides par compagnons ou ex ». D'autres organisations effectuent également des décomptes, de même que le journal Libération. Bien entendu, les pouvoirs publics en réalisent aussi. Mon collègue Laurent Nunez et moi-même lancerons bientôt une initiative à ce sujet.
Aucun gouvernement n'a jamais consacré autant de moyens à la lutte contre les violences conjugales et à la prévention des féminicides. Avec Nicole Belloubet, garde des sceaux, Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, et Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, nous avons ouvert une plateforme de signalement disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Deux unités de police et de gendarmerie sont mobilisées afin de répondre aux victimes de violences conjugales et leur permettre de préparer leur plainte ainsi que de s'orienter au mieux.
Par ailleurs, nous avons demandé directement à la Fédération nationale Solidarité Femmes, chargée de la gestion du numéro d'urgence 3919, quels moyens supplémentaires étaient nécessaires pour que 100 % des appels téléphoniques obtiennent une réponse. Les responsables de la fédération nous ont répondu qu'elles avaient besoin de 120 000 euros, et nous leur avons signé sans discuter un chèque de ce montant pour abonder leur subvention, afin que 100 % des appels au 3919 obtiennent une réponse. (Mme Maud Petit applaudit.)
Mme Danièle Obono. Ce n'est toujours pas le cas !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. En outre, nous avons considérablement augmenté plusieurs subventions. Je ne rappellerai pas ici tous les chiffres et me contenterai de donner quelques exemples. Le Collectif féministe contre le viol perçoit désormais une subvention de 372 500 euros, ce qui est énorme. La Fédération nationale Solidarité Femmes a également vu sa subvention augmenter, pour atteindre 1,445 million d'euros. La Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles reçoit désormais 1,280 million d'euros. Bref, énormément de subventions supplémentaires sont attribuées aux associations, qui ont donc davantage de moyens. Nous continuons à travailler et augmentons le budget de nos politiques publiques.
Le rapport que vous évoquez, madame Obono, est en cours de réalisation. Dès que nous disposerons du recul suffisant sur ces politiques publiques, nous vous le communiquerons.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon. Une publication de l'INED – l'Institut national d'études démographiques – datée du 8 mars dernier fait état de chiffres alarmants en matière de violences sexuelles et sexistes à La Réunion. Pire, l'écart avec la situation de l'Hexagone se creuse. Ainsi, 36 % des femmes déclarent avoir été sifflées et accostées sous prétexte de drague. Autre constat : si 1 % des femmes de métropole rapportent avoir subi des propositions insistantes faisant fi de leur refus, cette proportion s'élève à 3 % à La Réunion. Et n'oublions pas les faits de violence au travail ! Je pourrais continuer à égrener des chiffres attestant que les mentalités sont loin d'avoir changé. Les crises de jalousie, le contrôle de la personne, sa dévalorisation et son dénigrement, les privations et l'interdiction d'accéder à l'argent du couple sont autant de violences invisibles qui tendent à se banaliser. Elles frappent surtout les femmes, mais aussi, dans une proportion moindre, les hommes.
Si la mise en place du 3919 – numéro gratuit et anonyme permettant de dénoncer ces violences – ainsi que la création d'un portail de signalement en ligne en vue d'accompagner les victimes sont d'excellentes initiatives, on peut toutefois regretter leur discrétion au sein de l'opinion publique. La communication actuelle ne suffit pas. Il faut procéder à un affichage généralisé dans les lieux recevant du public, notamment les hôpitaux, les cabinets de médecins, les mairies et les transports en commun.
Par ailleurs, on peut s'étonner que les autorités ne s'attaquent pas à la diffusion de publicités comportant une connotation sexiste. On connaît leur effet sur les représentations des citoyens, notamment les plus jeunes. On peut donc s'inquiéter de leur banalisation silencieuse.
Compte tenu de mes propos décrivant une situation alarmante, êtes-vous prête, madame la secrétaire d'État, à consacrer des moyens à une lutte efficace contre les violences sexuelles et sexistes à La Réunion ? Si oui, lesquels ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous avez tout à fait raison. Je partage d'autant plus votre constat qu'il est factuellement documenté. L'indice de violences conjugales est 1,5 fois plus élevé à La Réunion qu'à l'échelle nationale. Il y a donc urgence à agir spécifiquement dans ce territoire – ma collègue Annick Girardin et moi-même nous y employons.
Je rappelle toutefois que l'État mène depuis plusieurs années, dans les outre-mer, une politique locale spécifique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, en améliorant par exemple les connaissances particulières sur ce sujet. Ainsi, une extension de l'enquête Virage sur les violences et rapports de genre est en cours en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Sur ce sujet, le ministère des outre-mer a investi 150 000 euros depuis 2017, soit 50 000 euros par an.
Par ailleurs, nous améliorons la prise en charge des femmes ultramarines victimes de violences conjugales, notamment grâce à l'extension du dispositif « téléphone grave danger », à la généralisation des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries et à l'expérimentation, lancée en priorité dans les territoires ultramarins, de centres hospitaliers dotés d'unités spécialisées dans la prise en charge globale du psychotrauma.
Nous travaillons également à l'adaptation des formations des professionnels intervenant auprès des femmes victimes de violences aux spécificités sociologiques ultramarines décrites dans un récent rapport du CESE. Je pense notamment à l'interdépendance économique au sein du couple, qui est plus répandue dans ces territoires.
En outre, nous consolidons le soutien aux associations. Ainsi, une aide de 250 000 euros a été versée en 2018 aux associations intervenant dans ce domaine. Cette aide a été reconduite en 2019.
Enfin, nous développons l'éducation à la vie affective et à la santé sexuelle, par le biais de campagnes d'information. En 2018, 80 300 euros ont été attribués aux lieux d'information et d'accompagnement des femmes victimes de violences situés à La Réunion – contre environ 70 000 euros en 2017 –, dont 34 800 euros aux deux centres d'accueil de jour et 45 500 euros aux sept lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation.
L'Observatoire réunionnais des violences faites aux femmes a confié à un prestataire l'organisation d'ateliers d'écriture bienveillante destinés aux femmes victimes de violences suivies par les associations. Plus de cent textes ont été produits et rassemblés dans un recueil. Certains ont été lus par les participantes lors de la journée du 25 novembre 2018. Depuis 2018, l'Observatoire a également développé la formation en organisant des journées de sensibilisation. Ainsi, 270 acteurs ont été sensibilisés l'année dernière. Ces actions ont été reconduites en 2019. Citons notamment la conclusion d'un partenariat avec le syndicat mixte de transports de La Réunion en vue de mener une campagne spécifique de sensibilisation contre le harcèlement sexiste dans les transports.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain Bruneel. Nous nous félicitons de l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs, prévu par l'article 1er de la loi du 3 août 2018. Nous savons combien il est dur, pour les victimes, de dénoncer ces crimes. Il leur faut parfois de très nombreuses années pour trouver la force de le faire, ou simplement pour affronter le choc traumatique.
Cependant, chacun ici conviendra que l'allongement du délai de prescription à trente ans ne peut à lui seul suffire à améliorer la prise en charge et l'accompagnement des victimes de violences sexuelles. Aujourd'hui, le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes représente 0,007 % du budget de l'État. Ce chiffre n'est pas à la hauteur du défi auquel nous sommes confrontés. Partout en France, alors même que la question est censée être une priorité du quinquennat de M. Emmanuel Macron, les associations accompagnant les femmes victimes de violences peinent à boucler leur budget.
Chaque année, 225 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur partenaire ou leur ex-partenaire. En 2016, 123 femmes en sont mortes. Pourtant, dans plusieurs villes de France, des dispositifs d'accueil et d'aide aux femmes victimes de violences sont menacés à court terme ou d'ores et déjà fermés, faute de financement. La question de l'hébergement d'urgence aboutissant à un lieu de vie stable et serein est cruciale. Les baisses de financement proviennent de toutes parts.
Depuis les campagnes « MeToo » et « Balance ton porc », un plus grand nombre de femmes osent contacter les associations, qui réalisent un travail formidable auprès des femmes victimes de violences. Or ces mêmes associations voient leurs subventions baisser voire disparaître. Les moyens pour accueillir, écouter, réconforter, orienter et aider ces femmes se réduisent donc comme peau de chagrin. Dans nos circonscriptions, nous constatons combien ces associations sont essentielles. Madame la secrétaire d'État, nous vous demandons de ne pas les laisser tomber.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Monsieur le député, je m'inscris en faux contre ce que vous venez d'affirmer. Un fait qui pouvait être vrai en 2017 ne l'est plus en 2019. Aucune association se consacrant à l'accueil de femmes victimes de violences sexistes ou sexuelles n'a vu sa subvention baisser. Absolument aucune !
Mme Danièle Obono. Ce n'est pas vrai !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. J'ai ici tous les chiffres. Si vous en connaissez, envoyez-les moi ! Aucune de ces associations ne peine à boucler son budget. Je donnerai quelques chiffres car les faits sont têtus.
Le Mouvement du nid : nous avons doublé sa subvention. Le Collectif féministe contre le viol : 100 000 euros en plus. Le Planning familial : 100 000 euros en plus. Le 3919, géré par la Fédération nationale Solidarité Femmes : 120 000 euros en plus. L'association Excision, parlons-en : une augmentation de 300 %. La fédération GAMS – Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants – : 40 000 euros en plus. Je pourrai continuer longtemps ainsi !
En tout, nous avons augmenté les subventions de 21,3 %, soit 5 millions d'euros. Par ailleurs, j'ai reversé 400 000 euros de crédits de communication inutilisés dans l'enveloppe des subventions accordées aux associations. (M. Olivier Gaillard applaudit.)
Je suis absolument formelle : il n'y a pas eu un euro de baisse des subventions. Il n'y a eu que des augmentations. Lorsque les budgets des associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ont été modifiés, ils l'ont tous été par le haut. Je suis absolument formelle sur ce point. Ce n'est pas de la rhétorique ! Si vous avez connaissance d'associations en difficulté financière, je vous demande de m'en faire part car nous ne laissons aucune association fermer pour des raisons financières.
Il peut arriver que des antennes locales d'associations ferment à la demande du bureau national, ou parce qu'elles ne remplissent pas telle ou telle condition, ou encore parce que telle est la vie des associations… Certaines sont créées, d'autres ferment. Mais à aucun moment, en aucun cas, une association en activité ne ferme faute de subventions de l'État. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Ericka Bareigts. Ce n'est pas vrai !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M. Jean-Paul Dufrègne. En février 2019, 332 contraventions pour outrage sexiste ont été dressées par les policiers et les gendarmes sur le territoire national. D'après les associations de lutte contre les violences sexistes, ce chiffre est dérisoire si on le rapporte au nombre de victimes de sexisme. Ainsi, selon une enquête de l'INED publiée en 2017, 3 millions de Françaises déclarent avoir été victimes de harcèlement de rue au cours de l'année.
Pour de nombreux professionnels, la lutte contre le harcèlement de rue se joue également ailleurs, notamment dans le domaine de l'éducation, mais aussi au sein des forces de sécurité, qui doivent être sensibilisées à ces problématiques. La question de la formation des juges, des magistrats et des policiers est cruciale, car beaucoup de procédures peuvent être maltraitantes et destructrices pour les victimes.
Par ailleurs, de nombreux policiers estiment que la création de l'outrage sexiste peut s'avérer potentiellement dangereuse pour les victimes. Si celles-ci rapportent une infraction impossible à constater, elles risquent d'être à nouveau exposées à leur agresseur après le départ des policiers.
Enfin, je souhaite rappeler que notre action de législateur est loin d'être terminée. La lutte contre les violences sexistes et les discriminations envers les femmes doit se traduire dans la loi et les actes réglementaires de manière beaucoup plus importante ; elle doit être menée dans tous les champs de la société. C'est au moins ce que la « grande cause du quinquennat » mérite.
Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ces questions ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Je partage évidemment le sentiment d'urgence que vous venez d'exprimer.
Pour actualiser les chiffres, je voudrais préciser que ce sont désormais 447 contraventions qui ont été dressées pour outrage sexiste ou harcèlement de rue. Très honnêtement, ce n'est pas un chiffre dont nous avons à rougir ! Je rappelle que, lorsque nous avons débattu il y a quelques mois de la création de l'outrage sexiste, vous avez été nombreux sur ces bancs à nous dire que cela ne marcherait jamais.
M. Erwan Balanant. Pas moi !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Pas vous, monsieur le député, mais d'autres. (Sourires.)
Nous n'arriverions jamais à verbaliser l'outrage sexiste, il serait trop difficile à caractériser, ce serait un gadget, un échec… Vous vouliez bien le voter pour le principe mais il ne serait jamais appliqué ! Or les faits nous montrent, avec ces 447 verbalisations en quelques mois à peine, que cet outil fonctionne, grâce à la détermination des forces de l'ordre.
La France est le premier pays au monde qui a choisi de verbaliser le harcèlement de rue ; la verbalisation en flagrance de l'outrage sexiste a été choisie pour son caractère efficace. En Belgique, à l'inverse, où c'est un délit qui avait été créé, trois plaintes seulement ont été déposées, et aucune n'a donné lieu à une condamnation.
Notre dispositif est efficace et va monter en puissance, car nous allons continuer à former les forces de l'ordre. Les préfets doivent fixer des objectifs concrets. Nous devons aussi continuer à sensibiliser l'ensemble de la société. Une campagne de communication, pour un montant de 4 millions d'euros, a été engagée par le Premier ministre. Nous menons également des actions d'éducation à la vie affective et sexuelle.
Je profite de votre question pour féliciter les députés qui ont voté cette loi, et ceux qui, en amont, ont travaillé sur la création de l'infraction d'outrage sexiste. Ils ont réussi !
M. Erwan Balanant. Merci ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani. Il y a un an, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes nous était présentée comme un outil majeur. Ce texte était en effet attendu et nécessaire pour agir véritablement avant qu'il ne soit trop tard. Mais le 5 mars dernier, en Haute-Corse, Julie Douib, une jeune maman, a été tuée par son ex-conjoint. Ce meurtre était le trentième féminicide depuis le début de l'année. Cette mort inacceptable nous oblige à nous poser la question de l'efficacité des dispositifs qui existent pour éviter de tels drames.
Nous le savons tous : la première étape, celle de l'accueil et de la prise en charge des victimes, est essentielle. Ce n'est pas facile de pousser la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie pour dénoncer de telles violences. Raconter cela à une personne que l'on ne connaît pas, c'est comme une seconde phase de violence, une violence faite à soi-même pour mettre de côté la peur, la honte, pour taire l'espace de quelques instants la souffrance afin de tout relater clairement, presque froidement, parce que les circonstances l'exigent, pour espérer être compris.
Nombreux sont les témoignages qui font état, par exemple, du refus d'un agent de prendre une plainte au motif que le viol conjugal n'existerait pas, ou d'un autre qui explique à une femme qui vient d'être violée que ce n'est pas un viol parce qu'elle ne démontre pas son absence de consentement, alors qu'elle était tétanisée, incapable de réagir.
L'accueil des victimes de violences sexuelles ou sexistes dans les commissariats et les gendarmeries est un enjeu majeur. Certes, les forces de l'ordre travaillent sur ce sujet, mais elles sont souvent démunies et il y a encore à faire pour former et professionnaliser des référents dans chaque territoire.
Si la parole des victimes de violences physiques ou sexuelles se libère depuis plusieurs années, les plaintes sont rares et les mains courantes également. L'une des causes de cette situation, ce sont les dysfonctionnements qui perdurent dans l'accueil et la prise en charge des victimes. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires souhaite que vous nous indiquiez si, depuis la promulgation de cette loi, le parcours des victimes de violences sexuelles ou sexistes est, dans la réalité, plus humain et plus facile. (Applaudissements sur les bancs des groupes LT et UDI-Agir.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Après le meurtre de Mme Julie Douib, que vous avez rappelé, j'ai souhaité réunir les élus de Corse et les acteurs locaux – non pas parce que ce meurtre avait eu lieu en Corse, mais parce qu'il constituait un symbole, étant le trentième féminicide de l'année. Hélas, le rythme est tel que nous en comptons déjà quarante-sept.
Il est important pour nous de comprendre, à chaque fois, ce qui a dysfonctionné, quel que soit le lieu où une femme est assassinée par son conjoint ou son ex-conjoint. Nous devons systématiquement analyser le parcours qui a mené, parfois, à un défaut de prise en charge par telle ou telle structure.
Le Gouvernement réalise un travail significatif de formation, de prise en charge des victimes et de conduite des investigations. Nous voulons améliorer l'accueil et l'orientation des victimes, mais aussi l'efficacité des enquêtes, notamment par la formation des professionnels par la MIPROF, la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Ces formations se déploient de manière exponentielle.
Un groupe de travail commun aux ministères de l'intérieur et de la justice se penche sur la création de formations, au niveau local, pour les enquêteurs et les magistrats. De plus, 261 intervenants sociaux en police et gendarmerie permettent d'assurer une prise en charge sociale des victimes en situation de détresse. Le recrutement de soixante-treize psychologues supplémentaires, la création d'un groupe d'enquêteurs chargés de lutter spécialement contre les infractions à caractère sexuel commises dans les transports et la plateforme de signalement que j'évoquais tout à l'heure vont dans le même sens. Cette dernière n'a rien d'anecdotique : en quelques mois, plus de 2 100 contacts ont eu lieu avec les policiers et les gendarmes, et ils ont débouché sur près de 600 signalements aux forces de l'ordre.
Tout cela est important car, comme vous l'avez très bien dit, les femmes n'osent pas toujours pousser la porte du commissariat, ou la poussent une première fois mais renoncent, pour des raisons de tous ordres dont certaines que vous avez évoquées. Nous devons les aider à aller au bout de leur démarche, à déposer des plaintes, pour que des enquêtes soient menées et que des condamnations soient prononcées.
Ces plateformes, ces numéros de téléphone, permettent de préparer les plaintes, de faciliter les démarches, afin que ces femmes bénéficient du meilleur accompagnement possible. Un dépôt de plainte ne doit pas constituer un second traumatisme, après le premier traumatisme de la violence.
Le Gouvernement est pleinement engagé. Mais il ne peut pas tout : pour mieux prendre en charge les victimes, ce sont tous les acteurs de terrain qui doivent être mobilisés. C'est pourquoi nous avons engagé, dans les territoires, des « contrats locaux contre les violences » signés autour des préfets pour permettre un partage d'alertes entre les associations, les urgentistes, les forces de l'ordre, les magistrats… L'Île-de-France et la Normandie ont déjà signé de tels contrats ; douze contrats seront signés d'ici au mois de mai, et onze supplémentaires au mois de juin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvia Pinel.
Mme Sylvia Pinel. Les femmes ont, de tout temps, été présentes dans l'histoire, mais leur rôle et leurs droits ont trop souvent été niés, gommés, du récit historique. Fort heureusement, l'effacement des femmes dans notre pays a régressé. Nous célébrons d'ailleurs ce soir un anniversaire important, celui du premier vote de l'histoire des femmes françaises.
Aujourd'hui, nous continuons de lutter pour les droits des femmes, contre toutes les atteintes qui leur sont faites, notamment contre les violences sexuelles ou sexistes que votre loi, madame la secrétaire d'État, ambitionne d'éradiquer.
Comme vous le souligniez il y a un an, cela passe par une meilleure prise en charge des victimes dès les premières manifestations de violences. Le dispositif « téléphone grave danger » a été créé par la loi en 2014. Où en est son déploiement ?
Cependant, cette avancée ne se suffit pas à elle-même, et nous devons nous interroger sur les moyens de prévenir de tels comportements. Lors de l'examen de votre projet de loi, madame la secrétaire d'État, vous affirmiez qu'au-delà des lois, au-delà de la sanction, la communication est importante, la pédagogie est essentielle. C'est effectivement parce que notre société redonnera toute sa place, toute sa dignité, à l'être humain, notamment aux femmes, parce que ces dernières seront enfin visibles dans ce monde encore trop dominé par les hommes, et parce qu'elles seront acceptées pour elles-mêmes, que de telles agressions pourront disparaître. La communication et la pédagogie sont donc essentielles.
Pouvez-vous faire un point sur les campagnes de communications nationales à venir, ainsi que sur celles qui pourront être menées dans les territoires, en particulier au niveau régional, grâce à l'appel à projets que vous avez lancé ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous nous interrogez sur la prise en charge des violences sexuelles et sexistes. C'est un dossier sur lequel nous sommes arc-boutés. Aux différents dispositifs déjà cités par Mme Schiappa, j'ajouterai que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que vous avez adoptée, rend possible le dépôt de plainte en ligne. Ce n'est évidemment pas la seule réponse à apporter, mais c'est bien une réponse supplémentaire qui me semble essentielle.
D'autres dispositifs existent pour assurer une protection des femmes plus efficace. Je pense d'abord à l'ordonnance de protection, dont nous avons très récemment accru la portée, et qui mérite à mon sens d'être davantage utilisée qu'elle ne l'est à l'heure actuelle. L'Espagne, par exemple, prononce plus souvent ce type de mesure. Je publierai dans quelques jours une nouvelle circulaire relative aux violences faites aux femmes, qui insistera, en donnant des éléments très concrets, sur ces ordonnances de protection.
Le « téléphone grave danger », que vous avez évoqué, sera également davantage utilisé dans les années à venir : de quelque 700 aujourd'hui, leur nombre sera porté à 1 100 dans deux ans.
Par ailleurs, grâce à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que vous avez votée, je pourrai expérimenter un nouveau dispositif de protection des femmes. Ce dispositif électronique de protection anti-rapprochement – DEPAR – est un bracelet électronique qui permettra une meilleure protection des femmes susceptibles d'être victimes de ces violences : dès que la personne violente s'approchera de la victime, dans un rayon qui devra être déterminé, une alarme se déclenchera automatiquement.
Nous nous efforçons donc de multiplier les dispositifs pour aller dans le sens que vous souhaitez, madame la députée.
Mme la présidente. La parole est à M. Dimitri Houbron.
M. Dimitri Houbron. Je commencerai mon intervention en rendant hommage à la quarante-huitième femme morte sous les coups de son compagnon. C'était il y a quelques heures, elle s'appelait Chloé, elle avait 33 ans. (Mme Sophie Auconie applaudit.)
Au cours des dernières années, la lutte contre le cyberharcèlement a fait l'objet d'une production législative intense, afin de contrer les évolutions de ce fléau. La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a notamment permis de donner une définition juridique des raids numériques, qui constituent désormais un délit spécifique passible d'une peine pouvant atteindre trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
La révélation d'affaires de cyberharcèlement comme celle de la « Ligue du LOL » ou d'autres qui surgissent quelques semaines après les rentrées scolaires nous amène à nous interroger sur l'efficacité et la densité de notre arsenal législatif et réglementaire visant à prévenir ces actes, accompagner leurs victimes et sanctionner leurs auteurs. Cette réflexion se concrétisera prochainement lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Laetitia Avia sur la lutte contre la cyberhaine.
Il est difficile d'évaluer l'ampleur du phénomène. Il n'existe aucune statistique officielle. Un rapport de l'ONU évoque 73 % de femmes victimes de violences en ligne. Une étude américaine soutient que quatre adultes sur dix ont été victimes d'une forme de harcèlement en ligne. Un sondage nous apprend qu'un tiers des femmes disent avoir été menacées par leur partenaire, ou par un ex-partenaire, de diffusion de contenus intimes.
Madame la secrétaire d'État, vous avez affirmé à juste titre que rien n'empêchait d'étudier l'allongement des délais de prescription de ces délits. C'est une piste intéressante, car les harceleurs échappent parfois à la sanction à cause d'une révélation trop tardive des faits. C'est aussi pour cette raison que nous devons encourager et accompagner la libération de la parole des victimes.
La création du délit de raid numérique était très attendue. Disposez-vous d'indicateurs mettant en lumière l'efficacité de cette création et montrant éventuellement les améliorations qui pourraient être apportées à ce dispositif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Monsieur le député, permettez-moi de commencer par saluer le travail que vous avez mené lors de la discussion de cette loi.
L'article 11 de la loi du 3 août 2018 pénalise en effet le cyberharcèlement en meute. Il a permis plusieurs condamnations, notamment de ceux qui harcelaient Nadia Daam, Nicolas Hénin, ou encore, de façon tout à fait anecdotique, moi-même.
Bien que la circulaire du 3 septembre 2018 présentant les nouvelles dispositions et formulant des recommandations à l'intention des procureurs de la République dispose que « les plaintes de victimes de ces raids numériques devront donner lieu aux investigations nécessaires pour identifier sinon la totalité des auteurs de ces messages, du moins les principaux d'entre eux et notamment ceux qui sont à l'initiative du harcèlement », il reste d'énormes progrès à faire, du côté non pas tant des forces de l'ordre et de la justice que des plateformes et des hébergeurs. Si certains d'entre eux coopèrent, d'autres, à l'instar de Twitter, ne le font pas du tout : ils ne fournissent pas les adresses IP, et parfois même ne retirent pas les messages incriminés et condamnés par la justice. Il en résulte des situations paradoxales incroyables où, au mépris du droit, des tweets restent en ligne malgré une condamnation en justice pour cyberharcèlement en meute.
Pour combattre et prévenir ce cyberharcèlement, notamment en milieu scolaire – il faut garder à l'esprit que nous agissons surtout pour les personnes éloignées du droit, en particulier pour les plus jeunes –, nous avons créé un « permis internet » qui peut être passé à partir de la classe de CM2. En 2018, 8 118 actions « permis internet » ont été menées, qui ont touché près de 170 000 élèves.
Par ailleurs, 163 000 signalements ont été effectués sur la plateforme PHAROS – plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements –, dont certains ont été qualifiés de cyberharcèlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Gérard.
M. Raphaël Gérard. Il y a quelques semaines, face à la déferlante de haine dont il était la cible sur les réseaux sociaux, le jeune Hugo lançait un cri de détresse, allant jusqu'à implorer dans un tweet qu'on le laisse en vie. Son crime ? Avoir publié une plaisanterie sur la Kaaba de La Mecque, qui l'a exposé à un flot d'injures et de menaces de mort.
Hélas, son cas est loin d'être isolé. D'après les statistiques publiées par l'association e-Enfance en charge de la ligne nationale d'écoute, près de 40 % des adolescents âgés de 13 à 17 ans déclarent avoir déjà subi une agression en ligne.
Or les recherches initiées depuis le début des années 2000 font état des conséquences dramatiques de ces agressions sur la santé mentale des jeunes victimes, mais aussi sur leur réussite scolaire.
La loi du 3 août 2018 a permis au Gouvernement et à la majorité de se mobiliser sur ce sujet puisque l'article 11, dont nous avons parlé à l'instant, pénalise le cyberharcèlement en meute afin de briser le sentiment d'impunité qui règne trop souvent en ligne.
Nous poursuivrons cet objectif en juin prochain avec la proposition de loi de notre collègue Laetitia Avia, qui vise à lever l'anonymat des auteurs de haine et à faciliter les poursuites judiciaires.
Toutefois, il convient d'observer que, dans bien des cas, le cyberharcèlement n'est rien d'autre que le prolongement des formes traditionnelles du harcèlement scolaire. Il concerne par conséquent une majorité de mineurs pour qui la portée d'une sanction pénale n'est pas toujours suffisamment dissuasive. C'est pourquoi l'éducation et la sensibilisation des élèves aux problématiques du civisme en ligne constituent un enjeu fondamental, dès le plus jeune âge, avant même que les jeunes ne deviennent pleinement autonomes dans leurs usages numériques.
L'article 12 de la loi du 3 août 2018, qui modifie le code de l'éducation, prévoit d'intégrer la thématique du cyberharcèlement au sein de l'éducation au numérique. Pourriez-vous, madame la secrétaire d'État, nous éclairer sur la manière dont l'éducation nationale s'est emparée de cet enjeu ? Comment la problématique du respect d'autrui sur internet est-elle aujourd'hui intégrée aux programmes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Je vous remercie de votre question, monsieur le député. Dans le cas que vous avez choisi pour l'illustrer, je veux tout d'abord rappeler que le blasphème n'existe pas dans la loi, alors qu'il constituait le fondement du cyberharcèlement en meute qu'a subi le jeune Hugo à la suite de sa plaisanterie en ligne.
Si l'article 11 de la loi du 3 août 2018 pénalise le cyberharcèlement en meute, son article 12, qui modifie le code de l'éducation, prévoit en effet d'intégrer la thématique du cyberharcèlement au sein de l'éducation au numérique car l'ensemble de la communauté éducative doit se mobiliser.
Dans ce cadre, j'ai pu me déplacer dans un établissement scolaire avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, Brigitte Macron et différents acteurs de la lutte contre le cyberharcèlement, dont Facebook. L'entreprise a lancé un appel à projets, doté de financements considérables pour lutter contre le cyberharcèlement et toucher la cible des jeunes, par le biais d'influenceurs et de youtubeurs connus et appréciés des jeunes, notamment des élèves.
Nous avons trois priorités à cet égard.
La première est de former les jeunes et de les sensibiliser, notamment grâce à la journée nationale de mobilisation contre le harcèlement, organisée le premier jeudi de novembre, et au site dédié www.nonauharcelement.education.gouv.fr.
Nous souhaitons aussi prévenir le cyberharcèlement par le biais d'enquêtes sur le climat scolaire et de plans de prévention. Les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle apportent également une réponse à ces questions.
Enfin, nous voulons informer pour mieux prendre en charge, grâce au numéro vert 3020, très largement diffusé dans les établissements scolaires, et à la professionnalisation des acteurs de terrain, aidés par les 310 référents académiques mobilisés sur ce thème.
L'article 1er bis C du projet de loi pour une école de la confiance, qui traite spécifiquement du harcèlement scolaire, dispose qu'« aucun élève ne doit subir les agissements répétés de harcèlement scolaire qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'étude susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
M. Erwan Balanant. C'est l'amendement Balanant ! Je dis cela, je ne dis rien ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Josso.
Mme Sandrine Josso. La lutte contre les violences sexuelles et sexistes est une urgence absolue. Ces violences sont intolérables.
Les insultes et les commentaires sexistes, le harcèlement sexuel, les violences physiques et morales, les viols sont intolérables. C'est aujourd'hui une réalité contre laquelle nous devons toutes et tous lutter car ces violences marquent, traumatisent, brisent et tuent.
Depuis le 1er janvier 2019, quarante-cinq femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Une femme est tuée tous les deux jours dans notre pays. Ces chiffres sont intolérables, insupportables.
La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a permis de grandes avancées. Je pense en particulier à l'allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs, porté de vingt à trente ans après la majorité des victimes, ou à la création d'infractions visant à lutter contre les outrages sexistes. C'est un premier pas : les avancées à initier et les combats à mener sont encore trop nombreux. Nous devons encore agir, et plus vite.
Aujourd'hui, de nouveaux outils innovants visent à lutter contre les violences faites aux femmes et à prévenir la récidive. C'est notamment le cas du dispositif électronique de protection anti-rapprochement, qui a fait ses preuves en Espagne, ou du dispositif « téléphone grave danger ».
Madame la garde des sceaux, quelle est votre position sur le dispositif électronique anti-rapprochement, ainsi que sur l'ensemble des dispositifs et outils innovants de lutte contre les violences faites aux femmes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la députée, je suis extrêmement favorable à ce dispositif. J'ai d'ailleurs demandé à mon administration de mettre en place rapidement les conditions pour qu'il puisse être mis en oeuvre au plus vite.
S'agissant des féminicides, je dois agir avec davantage de volonté. J'ai tout d'abord pris l'engagement, que Christophe Castaner a approuvé, d'analyser les situations en lien avec le ministère de l'intérieur. Nous devons nous pencher sur les affaires clôturées, puisqu'un retour d'expérience sur une affaire en cours n'est pas possible, afin de rechercher si le processus mis en place fait apparaître une faille, et si oui, où elle se situe. Il s'agit d'analyser comment les choses se sont passées, et non nécessairement d'identifier les responsabilités. Un bilan devra être tiré de ces analyses.
M. Erwan Balanant et M. Xavier Breton. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Deuxième élément, que j'ai évoqué tout à l'heure : l'ordonnance pénale. J'ai demandé à Mme la directrice des affaires criminelles et des grâces, ici présente, de prendre les mesures nécessaires pour que cette disposition juridique très performante se déploie plus efficacement.
Troisièmement, le soutien aux associations. Marlène Schiappa a évoqué tout à l'heure les financements qu'elle accorde à ces dernières. Le ministère de la justice, qui a aussi besoin de financer certaines associations – ce sont d'ailleurs souvent les mêmes – portera ses subventions de 26 millions à 30 millions d'euros.
Enfin, je souhaite vraiment déployer avec énergie des dispositifs innovants, dont certains sont portés par des associations. Je pense par exemple à l'application App-Elles, que nous soutenons. Je pense également au DEPAR, que vous avez évoqué et que nous avions déjà expérimenté il y a quelques années, sans disposer alors de l'environnement juridique permettant d'assurer son efficacité. Or certaines des dispositions que vous avez votées dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permettent justement de rendre ce dispositif plus efficace. C'est ce à quoi nous nous attellerons. Un décret en Conseil d'État est cependant nécessaire afin d'assurer la protection des données personnelles ; nous sommes en train de le préparer. Nous pourrons alors lancer une expérimentation de ce dispositif dans des juridictions qui se sont portées volontaires, notamment celle de Pontoise. Je souhaite que celle-ci ait lieu avant la fin de cette année.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Chapelier.
Mme Annie Chapelier. L'histoire jalonne notre mémoire d'anniversaires qui nous rappellent le chemin parcouru. Cela a été dit, un autre 29 avril, celui de 1945, avait vu pour la première fois les Françaises, avec leur tout nouveau droit de vote, se rendre aux urnes lors des élections municipales. Soixante-quatorze ans plus tard, je voudrais tout d'abord saluer l'engagement du Gouvernement sur la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, et plus particulièrement votre investissement, madame la secrétaire d'État.
L'histoire ne se répète peut-être pas, mais certains effets perdurent. Notre société est malade du sexisme. Si une loi peut infléchir la société, en nommant ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, elle peut surtout renforcer notre mobilisation commune, par des prises de conscience venant influer des comportements figés dans le temps. La création de l'outrage sexiste va en ce sens, car notre société a toujours minimisé les infractions sexistes. Cette loi vient combler un vide juridique en réprimant certains comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui échappaient jusqu'alors à toute sanction pénale, car ce qui était jusqu'alors admissible de manière latente est aujourd'hui devenu intolérable. Le nombre croissant de contraventions pour outrage sexiste nous prouve la pertinence de cette loi.
Aujourd'hui, madame la garde des sceaux, je souhaite vous interpeller sur la formation de la force publique et des agents des transports assermentés. La circulaire du 3 septembre 2018 définit les contours de l'outrage sexiste, mais un flou subsiste toujours dans l'évaluation pour constituer la contravention. On relève aussi la difficulté à être réactif dans l'intervention. Nous le disions, il n'est pas possible de placer un policier derrière chaque femme.
Les personnes coupables de ces contraventions encourent également l'obligation d'effectuer un stage contre le sexisme. Certains procureurs ont pu développer ce type de stage dans leur ressort. Si je salue là encore votre soutien, notamment financier, qu'en est-il du décret d'application prévu ?
Enfin, je crois beaucoup en la vertu de la formation. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai soutenu dernièrement l'initiative portée par le centre d'information sur les droits des femmes et des familles – CIDFF – de mon département, le Gard, visant à généraliser, pour la première fois en France, un référentiel canadien permettant de mieux détecter les risques dans les dossiers de violences conjugales. L'objectif est de faire baisser le chiffre noir des féminicides, qui s'élève à quarante-huit en ce 30 avril 2019.
Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.
Mme Annie Chapelier. Aussi, madame la garde des sceaux, quels sont les moyens envisagés pour former les forces de l'ordre à distinguer les contours de l'outrage sexiste ? Où en est-on dans l'organisation des stages prévus en complément de ladite contravention ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous remercie pour votre question, madame la députée. Je crois comme vous qu'il est absolument nécessaire de lutter contre le sexisme, en particulier contre les outrages sexistes. Il n'est pas tolérable que des jeunes filles se rendant à leur lycée ou des femmes quittant leur travail soient obligées de changer de trottoir pour éviter des propos à forte connotation sexuelle. Il fallait créer cette contravention. Marlène Schiappa l'a dit, 447 infractions de harcèlement de rue ont d'ores et déjà été prononcées. Ce chiffre n'est pas sans importance !
La formation des professionnels de la justice dans le domaine des violences sexuelles et sexistes constitue évidemment une priorité pour notre ministère. C'est pour cette raison que les magistrats reçoivent des formations sur ce thème dès leur entrée à l'École nationale de la magistrature, en formation initiale, puis suivent des modules de formation continue dédiés à cette thématique.
La formation des magistrats sera considérablement amplifiée par une action volontariste, portée par une personne dédiée de mon administration. Marlène Schiappa l'a déjà annoncé dans l'une de ses réponses, nous comptons organiser des formations communes au ministère de l'intérieur et à celui de la justice, afin d'assurer une continuité dans la prise en charge de ces difficultés. La formation des agents verbalisateurs relève davantage du ministère de l'intérieur, même si des procureurs – je pense à celui du Mans – ont instauré dès novembre 2018 des formations spécifiques dédiées à la constatation de l'outrage sexiste à destination des agents verbalisateurs, qu'ils soient gardiens de la paix, gendarmes, policiers, agents de la SNCF ou contrôleurs de bus. Une action très volontariste a donc été engagée.
Quant au décret visant à préciser le contenu du stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, il est en cours de finalisation. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a intégré ce stage dans la nouvelle peine unique de stage. La loi étant désormais votée, le Conseil d'État sera saisi du décret dans les prochaines semaines. Le contenu de ce stage a été défini en concertation avec le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce stage devra notamment permettre au condamné de comprendre ce qu'est le sexisme ainsi que les raisons de l'interdiction de toute forme de violence sexuelle ou sexiste dans l'espace public comme dans l'espace privé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Graziella Melchior.
Mme Graziella Melchior. La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a apporté des améliorations significatives, mais elle doit aller plus loin car les violences contre les femmes sont présentes partout, jusque dans le cabinet de leur gynécologue.
De nombreuses femmes pubères, mûres ou âgées se sont exprimées dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour dénoncer des pratiques inacceptables. Une femme consulte un gynécologue ou un obstétricien cinquante fois en moyenne dans sa vie. Cette visite est un moment intime au cours duquel la femme doit être particulièrement mise en confiance, écoutée et respectée car elle se met à nu.
La grande majorité des professionnels de santé, généralistes ou spécialistes, savent s'y prendre. Pourtant, des actes sexistes demeurent sous une forme qui paraît anodine, mais ne l'est pas. Je veux parler de ces propos sexistes, de ces jugements malvenus et de l'absence de considération de la gêne de la patiente. Les chiffres en attestent, le phénomène n'est pas mineur. Ces manques d'attention et de respect sont autant de flèches qui atteignent la femme, la dévalorisent et la blessent psychologiquement. Ce n'est pas normal !
Et que dire de la situation alarmante dénoncée par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport de juin 2018 sur les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical ? Une femme sur deux qui a subi une épisiotomie déplore un manque ou l'absence totale d'explications sur son motif. Ne serait-il pas temps que cet acte courant soit pratiqué avec le plein assentiment de la mère et non à son insu, dans des conditions parfois douteuses ?
À la suite de ce rapport, le Gouvernement a installé un groupe de travail pour formuler des propositions visant à faire reculer les violences gynécologiques et obstétricales. Madame la secrétaire d'État, avez-vous déjà pris connaissance des pistes envisagées ? Quelles sont-elles et dans quel délai pourront-elles être mises en oeuvre ? En bref, quand sera-t-il possible, pour toutes les femmes de France, d'aller chez leur gynécologue ou leur obstétricien sans craindre d'avoir à subir les jugements et les remarques sexistes, voire les gestes déplacés de quelques praticiens machistes ? (Mme Nicole Le Peih applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Madame la députée, je vous remercie pour votre question qui n'est toutefois pas directement liée au contenu de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je perçois néanmoins un continuum entre les deux sujets.
La question des violences gynécologiques et obstétricales reste encore très taboue dans notre société. J'en veux pour preuve que, peu après ma nomination au Gouvernement, lorsque j'ai commandé au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes un rapport sur ce phénomène, de très nombreuses personnalités éminentes ont appelé à ma démission au motif que j'avais osé dénoncer ces agissements. Dans quelques années, cette réaction sera, je l'espère, regardée avec interrogation parce qu'il est temps de mettre au jour ces violences que vivent les femmes dans le plus grand silence et de manière taboue depuis des années – depuis des générations, devrais-je dire.
Je tiens à rendre ici hommage aux militantes féministes et aux militantes contre les violences gynécologiques et obstétricales qui ont permis de mettre un nom sur ce problème et de le faire émerger dans le débat public. Je pense notamment à Marie-Hélène Lahaye, ainsi qu'à d'autres qui ont mené des recherches et des actions militantes fortes sur ce sujet.
J'ai donc commandé, conjointement avec Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, un rapport au Haut Conseil. Ce rapport nous a été remis, assorti de nombreuses préconisations. Nous avons décidé de prolonger le travail qui a été mené. Nous allons ainsi demander au Haut Conseil de créer un groupe de travail pour suivre l'application de ces mesures afin de restaurer la confiance entre les soignants et les soignées et d'éviter aux femmes d'avoir peur lorsqu'elles s'apprêtent à consulter un gynécologue ou un obstétricien.
Il ne s'agit évidemment pas de jeter l'opprobre sur une profession. De tout temps, les gynécologues ont été engagés aux côtés des femmes. C'est aussi grâce à des gynécologues que la dépénalisation de l'avortement a pu avoir lieu. Les gynécologues et les obstétriciens font très souvent au mieux pour sauver la vie de femmes ou de bébés lors de l'accouchement. Il ne leur est pas toujours possible, sur le moment, de détailler chaque acte chirurgical, mais il importe de restaurer la relation de confiance entre les soignants et les soignées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton. Je profite de ce débat sur les violences sexuelles et sexistes pour revenir sur le douloureux problème des violences conjugales.
Chaque année, près de 220 000 femmes subissent les violences de leur compagnon ou de leur ex-compagnon. Chaque année, 130 femmes décèdent sous les coups qui leur sont portés, soit une femme tuée tous les trois jours. La situation en 2019 est loin de s'améliorer. Bien au contraire, elle se dégrade puisque, nous venons de l'apprendre, la quarante-huitième victime est décédée il y a quelques heures.
Il est donc indispensable et urgent de trouver de nouveaux moyens d'agir. Une expérimentation dans le Val-d'Oise du dispositif DEPAR vient d'être proposée. Il s'agit d'un bracelet électronique permettant de tenir à distance les compagnons violents grâce au déclenchement d'une alerte dès que l'auteur des violences franchit un périmètre défini. Ce dispositif serait complémentaire du « téléphone grave danger », qui permet de traiter certaines situations mais reste toutefois insuffisant dans d'autres.
Le bracelet électronique est déjà utilisé dans plusieurs pays dans lesquels il a fait ses preuves – je pense notamment à l'Espagne. Dans notre pays, la loi du 9 juillet 2010 prévoyait l'expérimentation de ce dispositif pendant une période de trois ans. En 2011, Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités, avait choisi de mener cette expérimentation dans le ressort de trois tribunaux de grande instance – Amiens, Aix-en-Provence et Strasbourg. Malheureusement, l'expérimentation n'a pas permis de valider l'efficacité du dispositif, puisque le seuil de la peine retenu pour le recours au bracelet électronique s'est révélé trop élevé, et donc inadapté pour les violences au sein d'un couple.
Madame la garde des sceaux, nous avons bien entendu votre volonté d'expérimenter ce dispositif, mais il faut sans aucun doute réfléchir à une évolution du cadre législatif. Êtes-vous prête à revoir le niveau des peines et à travailler sur ce sujet ? (Mme Valérie Boyer applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le seuil des peines est abaissé à deux ans. Cela permettra désormais de mener l'expérimentation dans de meilleures conditions.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Je maintiens ce que j'ai dit il y a quelques jours : la société prend mieux en compte les féminicides et les meurtres de femmes. Une femme est tuée en moyenne tous les trois jours par son conjoint ou son ex-conjoint. Hélas, l'expérience nous montre que cette moyenne se lisse sur l'année. Nous constatons toutefois que la presse fait de moins en moins référence à des crimes passionnels et de plus en plus à des féminicides ou à des meurtres par conjoint ou ex-conjoint – c'est heureux. Cela signifie qu'ils sont davantage visibles mais il faut aussi les combattre davantage.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Pauget.
M. Éric Pauget. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles est un combat de première importance. Si l'objectif est consensuel, les moyens d'y parvenir font débat et sont loin d'être suffisants. Ils ne répondent pas aux besoins criants de financement pour mener une politique ambitieuse des droits des femmes.
L'agrégation des différents programmes et plans publics comprenant des mesures destinées à cette cause représente environ 80 millions d'euros alors qu'il faudrait au minimum 500 millions d'euros chaque année pour aider sérieusement les femmes victimes de ces violences.
Seuls 10 % des projets financés par le secteur associatif concernent spécifiquement la lutte contre les violences faites aux femmes.
La baisse des crédits au niveau national conduit à une situation très préoccupante, que j'observe notamment dans mon département des Alpes-Maritimes, alors même que les services de l'État et les associations sur le terrain font preuve d'un dynamisme remarquable.
Les violences sexistes et sexuelles sont un phénomène d'une ampleur telle qu'elles imposent une véritable mobilisation générale et transversale des pouvoirs publics.
La protection des mineurs contre les violences sexuelles, la lutte contre les nouvelles formes d'agressions sexistes, la lutte contre les violences domestiques dont sont victimes 225 000 femmes chaque année, ou encore l'insécurité et les violences dans les espaces publics et privés, justifient cette impérieuse nécessité.
Le manque de moyens se fait également cruellement sentir pour le nécessaire hébergement d'urgence des victimes en situation de précarité fuyant leur agresseur. Leur accompagnement après le procès par les associations nécessiterait des financements pluriannuels. À ce propos, un réel statut de victime serait le bienvenu.
Enfin, les effectifs de la police de sécurité du quotidien et leur manque de formation rendent leurs missions difficiles, voire inapplicables, et leur action inefficace.
La loi a certes le mérite d'aborder les problèmes et de vouloir maintenir une vigilance collective, mais sans moyens suffisants, le seul volontarisme est inopérant face à l'ampleur de la tâche.
Ma question sera simple : madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, loin des effets d'annonce, pour être vraiment efficaces et servir réellement la cause que nous entendons défendre tous ensemble, allez-vous mobiliser tous les moyens de l'État ? Et lesquels ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Malgré tout le respect que j'ai pour vous, pour votre mandat et surtout pour votre présence à cette heure tardive – je vous en remercie car ce mérite n'est pas très partagé sur les bancs de cette assemblée –, je dois vous dire une fois encore mon désaccord.
En effet, 530 millions d'euros sont engagés sur les crédits de mon seul secrétariat d'État. C'est une somme bien supérieure à celle que vous avez indiquée, et elle est en hausse très nette puisque toutes les réserves de précaution ont été levées grâce à l'engagement de mon collègue Gérald Darmanin.
J'ai par ailleurs fléché des crédits supplémentaires qui étaient destinés à la communication vers les subventions aux associations, preuve qu'on peut communiquer beaucoup à peu de frais et, contrairement au bruit qui court, augmenter les subventions aux associations.
En outre, ce montant n'est pas exhaustif. Ainsi, la plateforme de dialogue avec les policiers que nous avons évoquée précédemment et qui concourt très directement à la protection des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles n'est pas financée par mon secrétariat d'État mais par le ministère de l'intérieur. Il en va de même des travailleurs sociaux. Le dispositif « téléphone grave danger » est pris en charge par le ministère de la justice. Les trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle relèvent du budget de l'éducation nationale. Il faut bien comprendre qu'il s'agit d'une politique fortement interministérielle.
Avec 530 millions d'euros de crédits engagés en 2019, jamais autant d'argent n'a été consacré à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les chiffres le disent : ils sont vérifiables et figurent dans le budget.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cela a été dit à plusieurs reprises, il y a un an que la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été votée. Vous avez souligné que l'amende pour outrage sexiste, mesure emblématique de ce texte, avait été infligée 447 fois. Bien que je salue cette avancée, je ne voudrais pas que l'on mette sur le même plan toutes les violences. Comme bon nombre de mes collègues, je suis profondément engagée sur ces questions. J'ai déposé plusieurs propositions de loi, car je ne peux pas me contenter de textes où tout se vaut, l'agression verbale, les pressions psychologiques et les atteintes physiques. L'ancien monde a toujours su dépasser les clivages pour s'entendre sur les grandes causes, notamment sur celle des femmes.
Le chef de l'État a fait des violences faites aux femmes, sous toutes leurs formes, un sujet essentiel. Pourtant, cela a été dit tout à l'heure, quarante-huit féminicides ont été commis depuis le début de l'année. Ce chiffre est absolument intolérable. Rappelons cette statistique morbide : en moyenne, 130 femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint violent.
Renforçons les ordonnances de protection, comme vous le préconisez, madame la garde des sceaux. Inscrivons dans notre droit le syndrome de la personne battue. Continuons à développer le bracelet électronique et le DEPAR, qui permet d'objectiver les relations entre le conjoint battu et le conjoint violent. Cessons de considérer le parent violent comme un bon parent. Faisons en sorte, en cas de violence conjugale avérée, que les enfants soient vus dans un lieu médiatisé, au moins jusqu'à la fin de l'affaire.
Vous mettez en avant la lutte contre les violences sexuelles. Pourtant, cela a été souligné par mes collègues, plusieurs affaires de viol sur des mineurs ont particulièrement choqué nos concitoyens. Je tiens à vous citer un exemple : le vendredi 15 mars 2019, le tribunal correctionnel du Mans a condamné un grand-père récidiviste ayant apparemment commis un viol sur sa petite-fille de 8 ans à seulement huit mois de prison avec sursis pour agression sexuelle. Ce jugement est difficile à comprendre pour les Français.
Le désengorgement des tribunaux, notamment des cours d'assises, ne doit pas se faire au détriment des victimes. Il est temps de dépasser le stade de l'expérimentation. Le viol est un crime et doit être jugé comme tel, surtout lorsque la victime est mineure.
Une question n'a pas encore été abordée, celle de l'excision. Nous devons rappeler un chiffre : 60 000 femmes excisées vivraient sur le territoire français. La lutte contre les mutilations génitales féminines doit pleinement trouver sa place dans le carnet de santé. Je souhaiterais connaître le nombre d'affaires ayant trait à des excisions, ce chiffre n'étant pas été publié à ce jour.
J'aurais aussi voulu évoquer – mais le temps m'est compté –…
Mme la présidente. Il faut effectivement conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. …d'autres violences, notamment le voilement des petites filles. Il s'agit d'une agression qui n'est pas traitée dans les textes, alors qu'elle mériterait de l'être. (M. Xavier Breton et Mme Sophie Auconie applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous redis, madame Boyer, que nous partageons pleinement votre volonté de combattre toutes les violences, notamment les féminicides que vous avez évoqués. J'ai fait valoir à quel point nous souhaitions donner un coup d'accélérateur en la matière, dans le cadre d'une action interministérielle – je vous l'ai dit pour le ministère de la justice et Marlène Schiappa vous a donné des éléments concernant son secrétariat d'État –, car ces violences ne sont pas acceptables.
Je vais publier dans quelques jours, je le répète, une circulaire relative aux violences conjugales, qui permettra de renforcer la réactivité des parquets dans ce domaine – c'est un point très important. L'objectif est d'entrer dans les pratiques mêmes et d'inciter les parquets à une vigilance encore accrue. J'ai évoqué les ordonnances pénales, le « téléphone grave danger » et l'expérimentation du DEPAR. Comme je l'ai indiqué en répondant à M. Breton, nous allons désormais pouvoir utiliser ce bracelet plus efficacement, grâce aux dispositions que vous avez adoptées dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ce sera, je l'espère, un élément très positif.
Bien évidemment, comme vous l'avez dit, le viol est un crime. Je le répète, les cours criminelles départementales permettront d'apporter une réponse plus efficace en la matière. Vous avez mentionné des affaires qui vous ont choquée, en particulier celle du Mans. Je respecte l'indépendance des juges. Je considère que, à partir du moment où les magistrats ont pris une décision, ils l'ont fait en prenant en considération l'ensemble des éléments. Je vous rappelle que, dans l'affaire du Mans, le parquet a fait appel.
Mme Valérie Boyer. Je le sais, mais tout de même…
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Lorsque nous citons des affaires précises, nous devons considérer la situation dans son ensemble.
Sur la question des femmes excisées, madame la députée, nous ne pouvons que vous rejoindre. Dans ce domaine, Agnès Buzyn et Marlène Schiappa mènent une action tout à fait résolue, que le ministère de la justice est en mesure d'accompagner.
Mme Valérie Boyer. Combien y a-t-il d'affaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane Viry. C'est avec pertinence que le groupe UDI, Agir et indépendants a inscrit à l'ordre du jour les présentes questions sur la mise en oeuvre de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Cette loi était attendue. Même si le débat législatif a été âpre et a suscité de l'amertume, pour différentes raisons, nous reconnaissons qu'elle constitue une brique complémentaire dans les fondations et le mur à construire contre les violences sexuelles et sexistes. Toutefois, cela a été dit à plusieurs reprises, nous ne pouvons que constater et déplorer que, en l'état de notre société, ce 30 avril 2019, beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
Le texte a effectivement permis des avancées. Toutefois, la traduction législative me paraît baroque et ne correspond probablement pas à la volonté affirmée avec force par le Président de la République de faire de son quinquennat une étape majeure pour la protection des femmes.
J'ai noté vos réponses : 447 outrages sexistes ont fait l'objet d'une verbalisation. C'est un pas, certes, mais cela reste très peu par rapport aux 3 millions de femmes qui sont victimes de tels comportements chaque année.
M. Erwan Balanant. Vous aviez prédit que cela ne marcherait pas et qu'il n'y aurait aucune verbalisation !
M. Stéphane Viry. Beaucoup de choses restent à faire. Nous demeurerons vigilants sur toutes les mesures que pourront prendre les pouvoirs publics pour s'assurer que le texte soit applicable. La principale crainte des magistrats était qu'il ne le soit pas.
Ma question porte sur la non-dénonciation des crimes et des délits sexuels. Des professionnels de l'enfance déplorent que certains se taisent, notamment les intervenants médicaux, qui reçoivent la parole des enfants mais ne peuvent pas dire ce qu'il en est, en raison des règles de déontologie propres à leur métier. Envisagez-vous de faire évoluer le texte sur ce point précis ? (Mme Valérie Boyer et M. Xavier Breton applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. La loi a été votée et promulguée il y a quelques mois à peine. Lorsque nous disposerons du recul nécessaire pour l'évaluer, à savoir une année pleine, sa rapporteure, Alexandra Louis, mènera un travail d'enquête et d'évaluation. La garde des sceaux et moi-même examinerons alors, en toute humilité, le rapport de mission qu'elle aura rendu. Bien évidemment, si ce rapport révèle que la loi n'a pas été efficace au regard de l'objectif fixé et qu'il y a des correctifs à apporter au dispositif législatif, nous reviendrons devant les parlementaires pour faire évoluer la loi et la rendre plus efficace.
À ce stade, en tout cas, rien ne permet de dire ou de penser que la loi ne serait pas suffisamment efficace. Je suggère donc que nous attendions la remise du rapport. Il est nécessaire d'avoir ce recul pour disposer d'une véritable évaluation, objective, de la loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit. Plus personne ne l'ignore, le Président de la République a déclaré l'égalité entre les femmes et les hommes « grande cause du quinquennat ». Pourtant, chaque année, plus de 93 000 femmes déclarent avoir été victimes d'un viol ou d'une tentative de viol. Dans 90 % des cas, la victime connaît son agresseur.
Face à ce phénomène, révoltant pour une société telle que la nôtre et pour un pays comme la France, le Gouvernement a entendu renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, comme l'atteste la loi ainsi dénommée, promulguée le 3 août dernier.
Malgré cela, des centaines de femmes continuent à vivre des situations insoutenables. Le 21 avril dernier, pour ne citer que cette histoire, une femme a subi des attouchements dans le métro. Elle était seule et s'est retrouvée démunie. Elle en a fait part sur les réseaux sociaux. Dans la foulée, un mouvement a vu le jour : « Balance ton métro ». Il permet à des femmes de partager des expériences traumatisantes vécues dans les transports en commun.
Dans ces lieux, alors qu'il agit aux yeux de tous, l'agresseur ne ressent aucune gêne ; étonnamment, il se sent inatteignable. Les témoins de ce type d'événements, sidérés, ne savent pas comment réagir. Faut-il intervenir ? Peu le font. Bien plus nombreux sont ceux qui préfèrent filmer et publier la vidéo sur internet. Bien sûr, il n'est jamais simple de réagir dans ce genre de situation, d'autant que l'on craint parfois de devenir une victime collatérale. Toutefois, dans un pays comme le nôtre, on ne peut pas, on ne doit pas laisser ce genre de personnes agir en toute impunité.
Une campagne de sensibilisation intitulée « Réagir peut tout changer » a été lancée en 2018. Elle va, nous le croyons, dans le bon sens. Cet effort doit être prolongé, pour le bien-vivre de toutes et de tous. Il nous faut changer les comportements, réapprendre le civisme et l'entraide, mobiliser l'ensemble de la société française, pour que chacun se sente concerné, qu'il s'agisse de proches, de la famille, d'amis, de collègues ou de simples anonymes.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite connaître les priorités et les actions concrètes du Gouvernement dans le processus de sensibilisation de nos concitoyens sur ces questions sensibles et urgentes.
M. Erwan Balanant. Très bonne question !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Je vous remercie de votre question, madame Petit. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur « l'après », à savoir la condamnation, mais la question de la prévention et de la sensibilisation est tout aussi importante, vous avez parfaitement raison.
On a souvent tendance à mettre l'accent sur ce qui ne va pas assez vite. En l'espèce, je souligne l'avancée que constitue la verbalisation pour outrage sexiste. Il y a quelques années encore, je le rappelle, la question du harcèlement de rue n'était pas à l'ordre du jour et les termes « harcèlement de rue » étaient à peine utilisés. Grâce à l'implication d'un certain nombre de personnes engagées, notamment de féministes, on a pu commencer à qualifier ce phénomène. Le gouvernement auquel j'appartiens est le premier à avoir mené des politiques publiques volontaristes pour lutter contre le harcèlement de rue, et cette majorité est la première à avoir adopté des dispositifs très concrets à cette fin au niveau national. Nous pouvons en être fiers collectivement.
Vous avez raison d'insister sur l'importance de la sensibilisation. Depuis 2001, la loi prévoit que trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle sont dispensées dans les établissements scolaires, mais elles ne l'avaient pas été véritablement jusqu'à cette année. Mme Boyer a affirmé tout à l'heure qu'il y avait, dans l'ancien monde, une union sacrée sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je ne le crois pas. S'il n'y avait pas eu d'oppositions politiques, ces séances auraient été organisées. Jean-Michel Blanquer a eu le courage de les maintenir. Cette année, pour la première fois, l'ensemble des écoliers, des collégiens et des lycéens seront formés sur cette question.
Par ailleurs, le futur service national universel comprendra un volet dédié à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et à la sensibilisation contre les stéréotypes et contre les violences sexistes et sexuelles. Dans ce cadre, toute une génération sera formée sur ces questions, ce qui favorisera le changement de mentalité.
Enfin, la campagne que vous avez citée, qui correspond à un engagement de 4 millions d'euros décidé par le Premier ministre, sera reconduite, avec un autre thème. Une nouvelle campagne contre les violences sexistes et sexuelles sera donc diffusée au cours de cette deuxième année de la grande cause du quinquennat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme Nathalie Elimas. La semaine dernière, le conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution relative aux violences sexuelles lors des conflits, amputée de la mention du droit à l'avortement pour les victimes de viol. Ce vote révoltant nous rappelle, s'il en était besoin, que les droits des femmes doivent être défendus sans relâche et qu'ils sont malheureusement toujours menacés.
La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes était attendue. Elle a constitué une avancée pour les femmes dans notre pays, notamment grâce à l'allongement du délai de prescription. Toutefois, comme je l'avais dit lors du débat législatif, nous aurions dû aller plus loin pour mieux protéger les victimes, à l'image de la petite Sarah et de tant d'autres. Il est inconcevable qu'en France, pays des droits de l'homme, l'auteur du viol d'une enfant puisse plaider le consentement du mineur, qui plus est âgé de moins de 13 ans. On a laissé le procès se jouer autour de l'apparence de l'enfant, alors qu'il aurait dû se concentrer sur le prédateur.
Je vous le redis, madame la garde des sceaux, nous ne pouvons accepter silencieusement que plus de 80 % des viols et des agressions sexuelles soient commis sur des mineurs et que plus de la moitié le soient sur des enfants de moins de 11 ans. Nous ne pouvons plus accepter que, sur 25 000 plaintes et signalements pour viol ou agression sexuelle sur mineur, il n'y ait que 400 condamnations pour viol.
Nous devons impérativement associer un seuil d'âge à une présomption de contrainte et être intransigeants en reversant la charge de la preuve sur l'agresseur, pour ne plus jamais questionner le consentement de l'enfant. Pardon pour le caractère redondant de ma question, qui arrive à l'issue d'une longue série, mais allez-vous rouvrir ce chantier ?
Mme Maud Petit. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Encore une fois, je comprends votre émotion, mais il est difficile de rouvrir ce chantier neuf mois après l'adoption d'une loi, non que le Parlement n'en ait pas le droit – ayant voté un texte, il peut fort bien décider de le modifier quelque temps après –, mais parce qu'il serait plus raisonnable de dresser un bilan au bout d'un an, comme le fera Alexandra Louis, avant d'envisager une autre hypothèse.
Pourquoi avons-nous abouti à la solution que vous dénoncez comme insatisfaisante ? Des difficultés constitutionnelles ont été pointées non seulement par le Gouvernement, mais aussi par le Conseil d'État, qui a avancé des arguments très justes. Instaurer une présomption à 13 ans, comme nous avions d'abord pensé le faire, risquait de poser un réel problème constitutionnel, dès lors qu'il n'existe pas de présomption en matière criminelle. Une modification des éléments constitutifs du viol – c'était une autre possibilité – aurait créé une difficulté constitutionnelle, car il ne peut y avoir différentes caractéristiques du viol. Enfin, la non-rétroactivité de la loi pénale nous aurait empêchés d'appliquer les dispositions que nous voulions faire adopter aux affaires en cours – je pense l'avoir dit tout à l'heure à Mme Auconie.
Pour toutes ces raisons, nous avons privilégié la disposition interprétative, qui précise les notions de contrainte et de surprise en cas d'atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans, et qui est immédiatement applicable. Je crois sincèrement que les juges peuvent retenir ces éléments pour rendre plus facilement leur décision.
Si vous y ajoutez toutes les dispositions dont j'ai déjà parlé, concernant notamment les cours criminelles départementales, je pense que nous pourrons aboutir à un résultat plus satisfaisant.
Mme la présidente. La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant. En août dernier, en adoptant la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous avons créé une nouvelle contravention en droit pénal français : l'outrage sexiste.
Comme le groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue l'avait indiqué dans son rapport préparatoire, une intervention législative était primordiale afin d'endiguer le fort sentiment d'insécurité que les femmes éprouvent dans l'espace public. En effet, sur cent femmes interrogées par l'INED en 2015, vingt déclaraient avoir été sifflées ou interpellées, huit avoir été insultées et trois avoir été suivies dans la rue au cours des douze mois précédant l'enquête. Face à ce constat insoutenable, notre groupe de travail soulignait la nécessité de distinguer les différentes formes de violences sexistes ou sexuelles.
Si la création d'une infraction d'outrage sexiste va indéniablement dans le bon sens pour lutter contre les violences intolérables infligées aux femmes, elle ne doit en aucun cas mener à la requalification d'actes délictuels plus graves en contraventions.
Mme Schiappa vient de le préciser : depuis le vote de la loi, 447 contraventions pour outrage sexiste ont été établies. Ce chiffre témoigne d'une réelle efficacité de la nouvelle contravention, et je m'en réjouis. Je félicite les forces de l'ordre pour leur travail.
Toutefois, certaines associations expriment encore des inquiétudes quant à d'éventuelles requalifications. Elles craignent notamment de voir disparaître, d'ici à quelques années, les condamnations pour agressions sexuelles. De telles requalifications, qui seraient évidemment dramatiques et regrettables, n'iraient pas dans le sens de la loi que nous avons adoptée. Elles minimiseraient la nature des violences ainsi que les sanctions susceptibles d'être infligées à leur auteur. Elles constitueraient par ailleurs une négation de la reconnaissance des victimes.
Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prévues pour éviter ce risque ? Par ailleurs, des formations spécifiques sont-elles régulièrement dispensées aux forces de l'ordre pour les sensibiliser, tout au long de leur carrière professionnelle, sur les différentes qualifications pénales en matière de violences sexuelles et sexistes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Votre question me donne l'occasion de saluer votre participation au groupe de travail préparatoire à cette loi pour définir l'outrage sexiste et oeuvrer à la verbalisation du harcèlement de rue.
La question que vous venez de poser nous a accompagnés pendant l'examen du texte et continue de le faire. Je puis vous l'assurer : à ce stade, il n'y a aucune déqualification d'actes délictuels en contraventions, aucune dégradation de la qualification. Dans plusieurs affaires, les juges ont même décidé de condamner un individu pour agression sexuelle, ou pour agression, ou pour injure publique, et en outre de verbaliser ou d'ajouter une qualification d'outrage sexiste. Cet élément ne vient donc pas dégrader la qualification : il s'y ajoute.
Je rappelle que la circulaire de la garde des sceaux du 3 septembre 2018 visant à présenter la loi indique clairement que « la qualification d'outrage sexiste ne devra être retenue que dans l'hypothèse où les faits ne pourront faire l'objet d'aucune autre qualification pénale plus sévère ».
Quant à la formation des personnels, elle est permanente. Nous l'avons d'ores et déjà commencée. La semaine dernière, j'étais à Marseille, avec le préfet des Bouches-du-Rhône, pour participer à une pleine journée de formation tant des forces de l'ordre que des agents assermentés, en lien avec une association, le Centre d'information des droits des femmes et des familles. Nous devons aider les personnels à mieux appréhender le continuum des violences sexistes et sexuelles, la qualification d'outrage sexiste, mais aussi les implications et les conséquences du harcèlement de rue sur la vie des femmes, afin qu'ils comprennent l'importance de verbaliser le harcèlement de rue.
Nous continuerons à nous y employer, pour que le nombre de contraventions, loin de stagner à 447, monte en puissance de manière exponentielle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Ericka Bareigts.
Mme Ericka Bareigts. Du 5 au 7 avril 2019 se sont déroulées à Paris les premières assises nationales des violences faites aux jeunes filles et aux femmes dans les outre-mer. Le préambule de ces assises rappelle que 220 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de graves violences physiques et sexuelles et que, selon l'étude réalisée par le CESE en 2017 et remise au Gouvernement, les violences faites aux jeunes filles et aux femmes sont plus nombreuses en outre-mer que dans l'Hexagone. L'enquête Virage sur les violences et les rapports de genre, que j'avais soutenue en tant que ministre des outre-mer, a confirmé en mars 2019 cet écart considérable entre La Réunion ou les autres DOM et l'Hexagone.
La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes prévoit que le Gouvernement nous remette un rapport sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles. Comment et où ces dispositifs ont-ils été mis en oeuvre ?
À La Réunion, le conseil départemental et l'État avaient convenu l'an dernier de cofinancer, par exemple, deux assistants sociaux supplémentaires dans le cadre d'un dispositif de mobilité des victimes. Alors que la collectivité a tenu son engagement, l'État n'a pas été au rendez-vous. Dix parlementaires réunionnais vous ont interpellée, madame la secrétaire d'État. Nous souhaitons connaître votre décision sur ce service remarquable, qui a permis d'accompagner plus de 400 femmes l'année dernière.
Ces dispositifs de mobilité ne peuvent exister qu'avec un tissu associatif vivace. Or nous regrettons l'absence de transparence sur les moyens affectés par l'État à chacun des territoires. Certaines associations nous disent même que leurs subventions ont diminué. Comment l'expliquer ? Le fait a pourtant été signalé par de nombreux collègues depuis le début de la séance.
Nous sommes les porte-parole fidèles de nos associations. Vous devez l'entendre. Dans les faits, la situation ne s'arrange pas. Pour corroborer mes propos, je signale qu'à La Réunion, les violences faites aux femmes ont augmenté de 14 %.
Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.
Mme Ericka Bareigts. Je termine, madame la présidente. La transparence est importante. Quand connaîtrons-nous l'exacte répartition des moyens humains et financiers déployés sur les territoires de manière interministérielle, ce qui nous permettrait de définir une approche stratégique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Je partage votre constat et votre sentiment que la situation est urgente dans les départements d'outre-mer.
Commençons par la fin de votre interpellation. Vous nous demandez de prendre en compte, dans notre politique publique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les spécificités de chaque territoire. Cette approche, que nous nous appliquons à adopter, sera confortée grâce aux nouvelles dispositions proposées par Mme la garde des sceaux.
Pour le reste, je n'ai pas en tête le dossier que vous citez, que je vous invite à nous transmettre. Si l'État s'est engagé à verser un financement, il tiendra évidemment parole. Au cas où un défaut apparaîtrait dans ce domaine, à quelque niveau que ce soit, nous pourrions y remédier.
Si nous demandons aux parlementaires de nous transmettre leurs questions à l'avance, c'est afin de préparer les réponses et de leur apporter des informations précises, quand ils se déplacent à une heure tardive pour interroger le Gouvernement. Dès que vous m'aurez transmis le dossier, je vous répondrai dans les meilleurs délais.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Victory.
Mme Michèle Victory. En cette fin de séance, ma question n'apportera rien de neuf. Les chiffres que nous connaissons tous sont accablants : 43 % des violences sexuelles se produisent au sein de la famille, 81 % des victimes sont des mineurs, 91 % sont agressées par des proches. Les admissions pédiatriques concernant des enfants de moins de 6 ans sont en augmentation et l'invisibilité souvent induite par un climat incestuel couvre nombre d'agressions sexuelles. Finalement, 20 % d'une classe d'âge est concernée par cette problématique infernale, qui touche tous les milieux de notre société.
Malgré une légère augmentation du nombre de plaintes pour agression sexuelle sur mineur en 2017, l'omerta qui règne encore est dramatique. La loi du silence imposée le plus souvent par l'agresseur a de multiples causes : un discours qui culpabilise la victime en invoquant la mise en péril de l'équilibre familial, des violences insuffisamment dénoncées par les autres membres de la famille et sous-estimées par l'entourage, les difficultés pour les adultes à imaginer l'inimaginable et pour les enfants à comprendre ce qui leur arrive, et surtout – on l'a dit – le mécanisme psychologique d'amnésie traumatique de défense qui permet à ces enfants et adolescents de survivre.
L'ascendance des auteurs des crimes sur les victimes est lourde et repose la question de la contrainte morale ou physique imposée par un adulte à un mineur, en lien avec celle du consentement ou du non-consentement.
Lors de la discussion de la loi, nous avons dénoncé votre décision d'enterrer la présomption de non-consentement. C'est toujours la victime qui doit apporter la preuve de son non-consentement ; il revient alors au juge d'évaluer sa capacité de discernement et son degré de vulnérabilité. Cette situation est insupportable s'agissant de mineurs de moins de 15 ans. Le taux de plaintes reste trop bas.
Quels sont les chiffres récents sur ces questions ? Comment obtenir une image réelle de ce fléau, alors que le recueil des paroles des enfants reste si délicat ? Avez-vous des chiffres sur les récidives, alors que l'inscription automatique au fichier des agresseurs sexuels a été sortie de la loi ?
Nous le savons : plus les enfants sont jeunes, plus l'impact de ces violences est destructeur. Il est donc urgent de former davantage les professionnels et les adultes afin qu'ils soient en mesure de détecter les signaux de maltraitance. Il faut développer les outils et ouvrir la formation aux associations qui interviennent dans les écoles afin d'améliorer le recueil de la parole.
Mme la présidente. Merci de conclure, ma chère collègue.
Mme Michèle Victory. Quels outils comptez-vous mettre en place pour détecter les violences et mieux prendre en compte leurs conséquences sur la santé mentale, psychique et physique des victimes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Merci pour votre question. Moi aussi, si je l'avais eue plus tôt, j'aurais peut-être pu vous fournir quelques chiffres, que je n'ai pas sous les yeux.
Vous évoquez la question très douloureuse de l'inceste, que vous qualifiez justement d'invisible. C'est en effet une des difficultés que nous rencontrons.
Je rappellerai deux éléments.
D'une part, la loi dont nous parlons aujourd'hui a prévu une surqualification en cas d'inceste. Elle reconnaît donc une particularité douloureuse, qui mérite – c'est un point important – d'être réprimée pénalement.
D'autre part, les campagnes de communication que nous avons lancées, et que Mme Schiappa et moi-même avons déjà évoquées, visent à libérer la parole sur ces sujets et à donner aux victimes la force de porter plainte. Je ne citerai pas à ce stade l'ensemble des dispositifs que nous souhaitons développer, notamment en matière d'accompagnement et de formation, pour faciliter le dépôt de la plainte.
Un ensemble d'éléments permettent de prendre en considération ce qui se passe dans les familles. Il est vrai que les violences intrafamiliales sont les plus douloureuses. Elles sont extrêmement fréquentes. C'est la raison pour laquelle nous sommes absolument déterminés à les combattre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour la dernière question.
Mme Emmanuelle Ménard. Nommée grande cause du quinquennat, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a fait couler beaucoup d'encre l'année dernière. Et pour cause : aujourd'hui encore, une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les trois jours.
Moins visible mais tout aussi alarmant, le sentiment d'insécurité augmente chez les femmes en France. Selon une enquête de 2017, 65 % des femmes en Île-de-France se sentent en insécurité, en particulier dans les transports en commun.
C'est vrai, personne n'est à l'abri. Mais pour dire les choses clairement, il y a, en France, des lieux, des quartiers où ces violences sont presque monnaie courante – et je ne parle pas seulement de remarques désobligeantes ou de méthodes de drague un peu trop lourdes. Je pense à ces rues où il n'est pas prudent de passer quand on est une femme. Je pense à ces cafés où, jadis, tout le monde, homme ou femme, pouvait s'accouder au comptoir ou s'installer en terrasse pour boire un verre. Aujourd'hui, certains quartiers ressemblent plus à des enclaves islamiques où les femmes ne sont pas tolérées.
En 2016, la secrétaire d'État aux droits des femmes, Mme Pascale Boistard, avait d'ailleurs osé dire : « Il y a sur notre territoire des zones où les femmes ne sont pas acceptées. » Ce constat n'est pas réservé aux banlieues d'Île-de-France. Nous subissons cette situation à Béziers, jusqu'en centre-ville.
Madame la secrétaire d'État, nous sommes loin de votre déclaration de l'été dernier ! Vous affirmiez alors : « Les lois de la République protègent les femmes, elles s'appliquent à toute heure et en tout lieu. »
Ma question est simple : cette loi, que vous présentiez comme le remède à tous nos maux, a-t-elle changé quelque chose, concrètement, à la situation des femmes dans des quartiers où elles ne peuvent toujours pas s'asseoir à une terrasse de café, où elles sont moquées, offensées, quand elles ne sont pas insultées ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. Madame la députée, aucun chiffre ne nous permet de corroborer l'idée qu'il y aurait davantage de harcèlement de rue, de violences sexuelles ou de viols dans un quartier par rapport à un autre. Les données relatives aux violences sexistes et sexuelles nous montrent plutôt que les viols et agressions sexuelles sont, la plupart du temps, commis par une personne que la victime connaissait, voire par un membre de la sphère familiale.
Vous faites comme si l'affirmation du fait que « les lois de la République s'appliquent à toute heure et en tout lieu » était contradictoire avec le constat que vous dressez. Je crois que chacun d'entre nous ce soir pourrait prononcer cette phrase : les lois de la République s'appliquent à toute heure, en tout lieu, pour toutes les femmes. Je ne connais personne dans cet hémicycle qui considérerait que certains ou plutôt certaines devraient être exclues de l'application du droit commun. Vous savez très bien, madame la députée, qu'il s'agit du sens profond de mon engagement, et que je défends farouchement des positions universalistes. Au contraire de ce que vous tentez de me faire dire, les lois de la République doivent s'appliquer à toute heure, en tout lieu, pour toutes les femmes.
Depuis la création de cette infraction, le harcèlement de rue a donné lieu à un total de 447 amendes. Nous sommes très mobilisés pour que la situation des femmes s'améliore dans tous les quartiers. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je me trouvais récemment dans les quartiers nord de Marseille, avec les forces de l'ordre, afin de faire en sorte – y compris dans les quartiers les plus difficiles, ceux que nous avons appelés « quartiers de reconquête républicaine » – que femmes et hommes puissent partager un même espace de travail, de loisir et de transport. C'est le but de toute l'action du Gouvernement.
Mme la présidente. Nous avons terminé les questions sur la mise en oeuvre de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 6 mai 2019