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L'État face aux dérives sectaires

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

En ne reconnaissant aucun culte, l'État traite à égalité les confessions religieuses. Il est neutre vis-à-vis de tous les cultes et aucun texte ne définit ce qu'est une religion ou une secte. En théorie, l'État ne distingue pas une religion ou une secte, qui ont le droit d'exister dans le respect de l'ordre public. Il intervient en cas de dérives.

Après la publication de plusieurs rapports parlementaires et la mobilisation d'associations de défense de l'individu, un dispositif de lutte contre les dérives sectaires s'est progressivement mis en place. Comment l'État agit-il face à un phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur ?

La Miviludes et les services de police spécialisés

En 1996, l'Observatoire interministériel sur les sectes est créé. Il est remplacé dès 1998 par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). La mission était chargée de rassembler des informations sur le phénomène des sectes, d'inciter les services publics à prendre des mesures pour lutter contre leurs dérives et d'informer le public sur leurs dangers.

En 2002, la MILS est remplacée par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Le rôle de la mission n'est pas de lutter contre les mouvements sectaires en tant que tels mais contre leurs dérives. Cette mission, rattachée au ministère de l'intérieur depuis 2020, n'a pas vocation à définir ce qu'est une secte. Elle ne tient pas de registre des mouvements sectaires. Le principe de laïcité lui interdit de porter des jugements de valeur sur les doctrines, les théories ou les croyances en tant que telles.

Cette structure interministérielle a pour mission d'observer et de lutter contre les dérives sectaires. Elle coordonne l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre des dérives sectaires. Elle informe le public sur les risques et les dangers auxquels il est exposé.

Pour exercer sa mission de vigilance, la Miviludes tient notamment compte de critères de dangerosité édictés sur la base des travaux de plusieurs commissions d'enquête parlementaire et sur sa propre expérience :

  • la déstabilisation mentale ;
  • le caractère exorbitant des exigences financières ;
  • la rupture avec l'environnement d'origine ;
  • l'existence d'atteintes à l'intégrité physique ;
  • l'embrigadement des enfants ;
  • le discours antisocial ;
  • les troubles à l'ordre public ;
  • l'importance des démêlés judiciaires ;
  • l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
  • les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.

Un seul critère ne suffit pas pour caractériser l'existence d'un risque de dérive sectaire et tous les critères n'ont pas la même valeur. Dans les affaires de dérives sectaires, la déstabilisation mentale, le premier critère, est toutefois toujours présent.

D'autres organismes interviennent. La Cellule nationale d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (CAIMADES) au sein de l'Office central de répression contre les violences faites aux personnes apporte soutien aux victimes et enquête sur ces dérives. La gendarmerie nationale dispose, de son côté, d'un groupe national de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (GNVLDS).

Parallèlement, la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) suit tous les faits de société visant à remettre en cause les valeurs républicaines tels que les dérives sectaires.

La définition des dérives sectaires

Selon la Miviludes, une dérive sectaire est un comportement "abusif", "nuisible", qui se caractérise par "la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d'exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d'une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société".

Elle précise qu'on ne parle de dérive sectaire qu'en cas de "dévoiement, c'est-à-dire un détournement de la liberté de pensée, d'opinion ou de religion [qui] trouble l'ordre public ou porte atteinte aux libertés individuelles et droits fondamentaux tels que la sécurité ou l'intégrité des personnes". 

La législation concernant les dérives sectaires

Il n'y a pas en France de définition juridique des sectes, pas plus qu’il n'y a de définition des religions. Mais tout n'est pas permis au nom de la liberté de conscience ou de la liberté de religion.

La loi fixe des bornes qui sanctionnent les abus de ces libertés, sous le contrôle du juge. Elle réprime tous les agissements qui portent atteinte aux droits de l’homme ou aux libertés fondamentales, qui constituent une menace à l'ordre public, ou encore qui sont contraires aux lois et aux règlements, commis dans le cadre particulier de l'emprise mentale.

Plutôt qu'une législation anti-sectes, la lutte contre les dérives sectaires s'est traditionnellement organisée dans un cadre classique. Par exemple, une loi du 18 décembre 1998 a renforcé le contrôle de l'obligation scolaire et prévu des sanctions pour les parents qui n'inscrivent pas leur enfant dans un établissement d'enseignement "sans excuse valable". La loi dite "séparatisme" du 24 août 2021 est venue restreindre la possibilité d'instruire ses enfants en famille en requérant une autorisation du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) du département du lieu de résidence de l'enfant. 

Avec la loi du 12 juin 2001 dite "loi About-Picard" tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, une législation ciblée est adoptée. La lutte contre les dérives sectaires est judiciarisée, notamment via : 

  • une amende en cas de promotion auprès de la jeunesse des mouvements sectaires ;
  • la sanction de l'emprise mentale, codifiée à l'article 223-15-2 du code pénal et punie de 3 ans de prison et de 375 000 euros d'amende ou 5 ans de prison de 750 000 euros d'amende pour les dirigeants d'un groupement. 

La loi "About-Picard" permet par ailleurs aux associations reconnues d'utilité publique d'exercer les droits reconnus à la partie civile "à l'occasion d’actes commis par toute personne physique ou morale dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique".

L'arsenal législatif a été renforcé par la loi du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes, notamment dans le domaine médical. Cette loi crée un nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion physique ou psychologique qui aurait "pour effet de causer une altération grave de [la] santé physique ou mentale ou de conduire [une] personne à un acte ou à une abstention qui lui sont préjudiciables". Par rapport au délit d'abus de faiblesse par sujétion psychologique créé par la loi About-Picard, ce nouveau délit permet de faciliter et de renforcer les poursuites pénales à l'encontre des auteurs de dérives sectaires. Les professionnels de santé ont désormais le droit de déroger au secret médical en cas de suspicion de placement ou de maintien en état de sujétion physique ou psychologique.

Parmi les autres dispositions dans le domaine médical, on retrouve également la création d'un délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins ainsi qu'un délit de provocation à l'adoption de pratiques risquées pour la santé. 

L'évolution des dérives sectaires : un phénomène pluriforme

Depuis quelques années, le phénomène sectaire a fortement évolué avec une hausse de 52% des saisines de la Miviludes entre 2020 et 2024 passant de 3 008 à 4 571 signalements recensés.

Dans son dernier rapport d'activité publié le 8 avril 2025, la Miviludes mentionne que les thématiques dominantes des signalements et des demandes d'informations représentaient respectivement 35% pour les cultes et les spiritualités et 37% pour la santé et le bien-être. 

En 2020, dans le contexte de l'épidémie de Covid-19, de nouvelles dérives sectaires sont apparues (théories complotistes, courants apocalyptiques...). Entre méthodes alternatives à la médecine conventionnelle, quête de richesse ou d’immortalité, les dérives sectaires touchent les domaines les plus triviaux et ne sont plus cantonnées au culte et à la spiritualité. Les femmes sont plus touchées par ces manipulations mentales du fait de l'existence d'une prédation sexuelle (par le biais de guérisseurs ou de coachs de vie), de nombreuses thématiques en lien avec la santé ou encore d'une plus grande exposition à la précarité économique.

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