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Lieux de privation de liberté : une "inertie coupable" de l’État selon la Contrôleure générale

Temps de lecture  3 minutes

Par : La Rédaction

Le "sentiment d’un abandon de l’État" : malgré ses "alertes incessantes" sur "l’état déplorable" des lieux visités, le rapport 2022 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) met en cause une "inertie coupable" des pouvoirs publics.

Publié le 11 mai 2023, le rapport de la CGLPL dénonce la surpopulation carcérale, l’entassement dans les centres de rétention administrative, les maltraitances qui résultent de la pénurie de personnel en psychiatrie ou les dysfonctionnements dans les centres éducatifs fermés…

Le constat fait, vient l'appel à l'action : "plus de monde verra et constatera ce que dénonce le CGLPL, plus vite avanceront les chances de changement".

Une situation qui perdure

Atteintes aux droits, manque d'intimité, impossibilité de rénover des établissements surpeuplés, détresse de surveillants en sous-effectifs, pour qui les prisons ne tiennent "que grâce à la résignation des détenus" : voilà les conséquences de la suroccupation pénitentiaire.

Cependant, des évolutions positives sont à noter en 2022 :

  • création d'un véritable code pénitentiaire : la CGLPL juge souhaitable que "la démarche de transparence de la norme" s'inscrive jusque "dans le concret du quotidien" ;
  • nouveau régime du travail en prison et des droits sociaux des détenus, plus protecteur.

Face à la surpopulation carcérale 

Depuis 2017, la CGLPL "prêche un mécanisme de "régulation carcérale"", afin qu'il n'y ait pas plus de détenus que de places en détention. Elle prône de préparer la sortie des détenus en fin de peine, comme ce fut fait durant la pandémie de Covid, où "72 000 détenus sont devenus 58 800."

La crise terminée, un nouveau pic historique est atteint, avec 73 080 détenus au 1er avril 2022.

Dans l'ensemble des lieux de privation de liberté, des problèmes urgents

Les lieux de privation de liberté contrôlés par la CGLPL, outre la prison, sont :

  • les établissements de psychiatrie, caractérisés par :
    • une démographie médicale et soignante insuffisante ;
    • un recours persistant, quoiqu'en baisse, à l’isolement et à la contention, même dans les soins libres, en toute illégalité ;
    • les très grandes difficultés de la pédopsychiatrie, faute notamment d'un statut légal de l'enfant hospitalisé ;
  • les centres de rétention administrative (CRA) dans lesquels, parfois, très peu d'évolutions depuis une visite d'il y a dix ans n'ont été observées :
    • pour la CGLPL, les étrangers en voie d'expulsion sont dans des locaux dégradés, marqués par la saleté et le manque d'hygiène ;
    • durant des rétentions de plus longue durée, l'information sur les procédures en cours fait défaut ;
    • en dépit d'une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les rétentions d'enfants se poursuivent ;
  • les lieux de garde à vue où les atteintes aux droits et libertés peuvent se poursuivre ;
  • les centres éducatifs fermés (CEF) qui restent des structures "fragiles".

L'activité du CGLPL en 2022

En 2022, 115 lieux de privation de liberté ont été visités, dont la majorité de manière inopinées. 2 807 lettres ont été reçues. Sur 194 dossiers d'enquête, 119 le sont au titre des droits aux soins et à la prévention, à la dignité et à l'intégrité.

La CGLPL présente ses recommandations aux pouvoirs publics mais note que leur suivi par les ministres "demeure un exercice formel et fastidieux". Leur prise en compte reste partielle, à l'exception du ministère de la justice qui formule des observations sur l'ensemble d'entre elles.

  • En quoi consiste votre activité ?

    Alors le contrôle général des lieux de privation de liberté a un statut d'autorité administrative indépendante et ça repose sur mon mandat qui est de 6 ans irrévocable.

    Nous faisons 150 visites par an.

    Tous les mois les équipes partent les quinze premiers jours du mois.

    Restent sur place cinq jours, six jours, dix jours s'il le faut et à la suite de quoi nous rendons des rapports concernant les lieux qu'on a visités.

    Mais avant nous effectuons ce qu'on appelle une restitution devant toute l'équipe du lieu visité.

    Nous visitons une immense variété de lieux, puisque ça va de la prison au centre éducatif fermé pour enfants et adolescents, en passant par les hôpitaux psychiatriques, dans les services fermés de soins sans consentement, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention pour étrangers, les points à la frontière où passent les exilés.

    Nous avons en tout à visiter environ 5 000, un peu plus de 5 000 lieux de privation de liberté en France.

    Je préfère que nos visites soient inopinées, c'est-à-dire qu'on ne prévienne pas avant.

    Mais il y a des lieux dans lesquels on prévient, par exemple quand on sait qu'il y a, pendant la pandémie, quand on savait qu'il y avait un cluster dans un hôpital ou dans une prison, on prévenait.

    Dans les prisons, nous sommes accueillis, en raison d'une surpopulation carcérale honteuse, eh bien, l'administration pénitentiaire n'est pas mécontente que nous venions constater ce qui se passe.

    Ce n'est pas eux qui sont responsables de la surpopulation carcérale.

    Ils ne peuvent pas afficher complet.

    Ils ne peuvent pas mettre complet, on ne prend plus personne, au fronton des prisons.

    Donc ils subissent eux aussi les condamnés ou les détenus provisoires que leur envoient les magistrats.

    On en est à 71 000 détenus.

    Il y a 1 800 matelas au sol.

    Un matelas au sol, je l'ai vu dans les prisons, cela veut dire dans des conditions d'hygiène déplorables, avec des rats dans la cour.

    Oui, beaucoup de rats.

    Et dans les cellules, ce que les détenus nous décrivent, et ce que j'ai vu, des cafards, des punaises de lit.

    Qu'est-ce qu'ils font les détenus ?

    Ils s'enroulent très serrés dans leurs draps pour pas que, pendant la nuit, les cafards leur courent dessus, et ils dorment avec du papier toilette dans les oreilles et dans le nez pour pas que les cafards rentrent dedans.

    Ça n'a pas empêché, à la prison de Toulouse-Seysses, un détenu de voir son conduit auditif infecté.

    Et pourquoi ?

    Parce qu'on a retrouvé un cafard mort au fond.

  • Comment êtes-vous alertée sur les situations les plus critiques ?

    Nous recevons environ 3 500 à 4 000 lettres par an.

    Beaucoup d'appels téléphoniques, principalement de la part des détenus qui ont maintenant le téléphone en cellule.

    Bien qu'il coûte extrêmement cher, mais c'est un autre sujet.

    Et puis, aussi de gens enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, dans des services de soins sans consentement.

    Ces appels téléphoniques et ces lettres nous guident dans nos visites parce qu'ils nous signalent des endroits où on devrait bien aller mettre notre nez, si j'ose dire.

    C'est-à-dire que, on se dit : « Tiens, dans tel endroit, on reçoit trop de lettres.

    Ce n'est pas normal.

    Trop de signalements, trop d'appels téléphoniques. »

    Des associations nous saisissent également.

    On prend tous les signalements qu'on peut.

    Par exemple à la prison de Toulouse-Seysses, surpeuplée à 187 %, quand la prison s'est ouverte, il y avait 1 surveillant pour 53 détenus.

    Aujourd'hui, on en est à 1 surveillant pour 150 détenus.

    Je voudrais savoir quel corps de métier pourrait supporter de voir sa tâche triplée.

    Je peux vous citer par exemple un centre éducatif fermé qu'on a visité il y a un an, c'est-à-dire pour les enfants, où la situation était épouvantable.

    Les éducateurs, c'étaient des anciens tenanciers de boîte de nuit qui s'étaient fait engager là parce que leur boîte de nuit avait fermé pendant le Covid.

    L'équipe n'était pas pérenne.

    Il y avait peu d'heures d'enseignement.

    Tout allait à vau-l'eau et bien là, la directrice nous a appelés et la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse aussi pour nous dire : « Écoutez, venez voir. On s'est démenés pendant un an pour se conformer à ce que vous nous aviez dit. »

    Et là, on a passé une journée absolument, je ne peux pas dire enchanteresse, parce que c'est un lieu d'enfermement, mais à voir à quel point tout avait été transformé.

    C'est ainsi qu'on récolte sur place pas mal de résultats.

  • Quelle appréciation portez-vous sur la situation générale de la détention en France ?

    J'ai vu les conditions se dégrader et se dégrader en raison de la surpopulation carcérale.

    Cette surpopulation carcérale, c'est pour moi une honte.

    On ne peut pas laisser vivre des gens dans des conditions pareilles.

    Je regrette d'autant plus cette situation qu'en 2018, il y avait eu un espoir, un très fort espoir suscité par le président de la République lui-même, qui avait dans un discours à l'École de l'administration pénitentiaire, dit qu'il était pour l'expérimentation de la régulation carcérale, à savoir quand la prison atteint un certain degré de suroccupation, eh bien, on arrête d'incarcérer.

    Et quand un détenu rentre un autre sort le plus proche de sa fin de peine.

    Pourquoi ? Pourquoi ça n'a pas été fait ?