Pendant 25 ans, la Banque centrale européenne (BCE) a laissé inchangé le cadre de pilotage de sa politique monétaire. Or, depuis le lancement de l’euro en 1999, nous sommes passés d’une pénurie de liquidité à "un régime de surliquidité". Pour en tenir compte, la BCE a non seulement changé sa stratégie, mais également son cadre d’action. Une note de la Banque de France du 16 septembre 2024 fait le point sur ces changements.
Comment est-on arrivé à un "régime de surliquidité" ?
Au début, la BCE conduisait sa politique monétaire à l’aide d’instruments dits "conventionnels" :
- les taux directeurs d'intérêt (appliqués sur les dépôts, le refinancement long terme et le refinancement court terme) ;
- la quantité (fixe) de liquidité mise à disposition ;
- les réserves obligatoires (liquidités non rémunérées que les banques doivent déposer auprès de la BCE).
Dans un univers de confiance et de rareté de la monnaie émise par la banque centrale, ces instruments suffisaient pour atteindre un objectif de stabilité des prix et influencer la création de monnaie. Le taux directeur le plus important était alors celui des opérations principales de refinancement (taux d’intérêt avec lequel les banques, contre garantie, se refinancent à long terme auprès de la BCE). Le taux monétaire (taux avec lequel les banques se prêtent de l’argent entre elles) était déterminé sur la même orientation.
La crise financière de 2008 a tout changé. Pour contrer la défiance entre les banques qui asséchaient les échanges interbancaires, la BCE a activé des instruments non-conventionnels, d’abord des taux négatifs et l’injection massive de liquidités à montant illimité. Puis, avec les crises successives (de la zone euro et sanitaire), elle a lancé une série de programmes d’achat de titres financiers : c’est l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). "Le montant de liquidité fourni par l’Eurosystème via sa politique monétaire est ainsi passé de 1 000 à 7 000 milliards d’euros entre 2008 et 2021".
Le taux de dépôt est désormais le principal taux
Depuis 2022, afin de sortir du régime de "surliquidité", la BCE est entrée dans une phase de normalisation de sa politique monétaire : hausse des taux d’intérêt et réduction successive de ses programmes d’achat de titre. Néanmoins, les liquidités détenues par les banques sont toujours importantes, de sorte que le taux interbancaire reste collé de près au taux de dépôt de la BCE. Cette tendance s'est installée depuis la mise en place de l’assouplissement quantitatif. Le taux de la facilité de dépôt est ainsi devenu de facto le taux directeur principal.
La BCE a décidé d’en tenir compte et de piloter la politique monétaire à l’aide du taux de dépôt. Ce taux représente une sorte de taux minimal, on parle de système de plancher (floor system) qui implique aussi une réduction de l'écart entre les taux directeurs. Depuis le 18 septembre 2024, il est de 15 points de base au lieu de 50 autrefois.