Image principale 1
Image principale 1
© Stock-adobe.com

La politique de cohésion de l'Union européenne : une adaptation en cours

Temps de lecture  18 minutes

Bien que l’Europe soit très développée, d’importantes disparités persistent entre ses territoires. La politique de cohésion de l’Union européenne vise à corriger ces écarts de richesse et de développement entre les régions, grâce à des fonds structurels qui financent de nombreux projets.

Le traité de Rome mentionnait, dans son préambule, l’objectif de développement harmonieux et de réduction des écarts entre les différentes régions européennes. Cependant, cet objectif formulé de manière assez générale ne se concrétisait pas dans le traité par des dispositions particulières. Si la création du Fonds européen de développement régional (FEDER), en mars 1975, marqua une étape importante, c’est surtout l’Acte unique de 1986 qui consacra l’aide aux régions dans l’ensemble des politiques européennes.

Le traité de Maastricht (1992) érigea par la suite le renforcement de la cohésion comme objectif de l’Union, au même titre que la création d’un espace sans frontières et la constitution de l’Union économique et monétaire. Il institua en outre un fonds de cohésion pour répondre à la demande de l’Espagne, soutenue par d’autres États membres comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal.

Le traité d’Amsterdam (1997) donna, quant à lui, un fondement juridique à la notion de régions ultrapériphériques, qui – à la différence des pays et territoires d’outre-mer – font partie intégrante de l’Union européenne. Ces neuf régions (Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Guyane française, Réunion, Açores, Madère et les îles Canaries) bénéficient de dispositions spécifiques destinées à compenser leurs handicaps.

Le traité de Lisbonne (2007) introduisit ensuite la notion de cohésion territoriale, qui devint un objectif à part entière de l’Union européenne. Il précise les contours de la politique de cohésion : "Afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale. En particulier, l’Union vise à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions, et le retard des régions les moins favorisées."

Le cadre d'intervention : principes, objectifs et financements

Parmi les régions concernées, une attention particulière est accordée aux zones rurales, aux zones où s’opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents, telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. Les règles applicables aux fonds structurels européens relèvent de la procédure législative ordinaire, c’est-à-dire de la codécision entre le Conseil des ministres de l’Union et le Parlement européen.

Des régions prioritaires autour de grands objectifs

Pour la période 2014-2020, une enveloppe de 351,8 milliards d’euros a été consacrée à la politique de cohésion, soit un tiers du budget européen. Compte tenu des contributions nationales et des investissements privés, son impact est évalué à près de 461 milliards d’euros. La priorité a été donnée aux régions en retard de développement – c’est-à-dire celles dont le PIB est inférieur à 75 % de la moyenne des 27 États membres, lesquelles ont bénéficié de plus de la moitié de l’enveloppe (182,2 milliards d’euros).

Selon la catégorie d’appartenance, les fonds européens apportent jusqu’à 50 à 85 % du financement total d’un projet, qui peut concerner des entreprises (principalement petites et moyennes), des organismes publics, des universités, des associations, des ONG et des organisations bénévoles. Onze objectifs thématiques ont été définis en lien avec la stratégie décennale "Europe 2020" que l’Union a adoptée en juin 2010 pour favoriser une croissance "intelligente, durable et inclusive".

La politique de cohésion est mise en œuvre à travers des instruments financiers : les fonds "à finalité structurelle". Le Fonds social européen (FSE) vise notamment à promouvoir la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs, ainsi qu’à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles et à l’évolution des systèmes de production, notamment par la formation et la reconversion professionnelles. Le FEDER finance, quant à lui, le développement et l’ajustement structurel des régions en retard de développement, ainsi que la reconversion des régions industrielles en déclin.

S’ajoutent à ces deux principaux fonds le Fonds de cohésion, qui soutient des projets dans les États membres les plus démunis – ceux dont le PIB est inférieur à 90% de la moyenne européenne –, et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui est destiné à la modernisation de la pêche. Parallèlement, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) soutient l’ambition européenne de développement rural, élément clé de la politique agricole commune (PAC).

La politique de cohésion repose sur plusieurs principes : 

  • d’abord sur un principe de concentration des aides, qui doivent bénéficier en priorité aux régions en retard de développement et concourir à la réalisation d’objectifs précis ;
  • ensuite, un principe de partenariat – renforcé au cours des programmations successives – conduit à une concertation entre la Commission européenne, les États membres et les autorités locales à tous les stades de la procédure ; 
  • les fonds structurels obéissent de surcroît à un principe dit "d’additionnalité" selon lequel l’action structurelle de l’Union ne peut que s’ajouter aux programmes nationaux et locaux.
  • enfin, le principe de subsidiarité implique que les responsabilités soient exercées au niveau le plus proche des réalités ; dit autrement, il vise à placer le pouvoir de décision le plus près possible de l’action.

Afin d’améliorer la cohérence entre la politique de cohésion et les autres politiques européennes, et en vue de renforcer la plus-value de l’action européenne, les crédits doivent être orientés vers des projets qui répondent aux grandes priorités de l’Union européenne. Dans le cadre de la programmation 2014-2020, ces priorités s’articulaient autour de la stratégie "Europe 2020". 

Une dimension stratégique affirmée et une gestion partagée

La cohérence entre les différents niveaux d’intervention est assurée par une "approche stratégique" : au niveau européen, un cadre stratégique commun (CSC) facilite la coordination sectorielle et territoriale de l’intervention de l’Union. Chaque État membre élabore, en concertation avec la Commission européenne, un accord de partenariat (AP) qui transpose dans le contexte national les éléments du cadre stratégique commun et traduit l’engagement d’atteindre les objectifs de l’Union. Les fonds européens sont mis en œuvre à travers des programmes qui couvrent la période de programmation et qui doivent garantir la cohérence avec le cadre stratégique commun et l’accord de partenariat.

La politique de cohésion repose sur une "gestion partagée", qui associe les États membres et la Commission européenne. Chaque État membre doit désigner différentes autorités. Une autorité de gestion (en France, les conseils régionaux) est chargée de la mise en œuvre et du suivi du programme. Elle sélectionne les projets et attribue les financements. Elle peut néanmoins déléguer une partie de ses tâches à un organisme intermédiaire. Une autorité de certification doit attester l’exactitude des dépenses et leur conformité aux règles nationales et européennes. Enfin, organe fonctionnellement indépendant, une autorité d’audit dresse des audits sur la base d’un échantillon et rédige un rapport annuel de contrôle.

Afin d’améliorer la qualité et la conception de chaque programme, une évaluation ex ante doit être menée. Un plan d’évaluation est alors établi par l’autorité de gestion ou l’État membre, pouvant porter, le cas échéant, sur plusieurs programmes. Des évaluations ex post permettent également d’apprécier l’efficacité et l’efficience des programmes.

La volonté de porter une attention particulière à la performance et à la réalisation des objectifs de la stratégie de l’Union pour une croissance intelligente, durable et inclusive a conduit à prévoir pour chaque État membre une « réserve de performance » s’élevant à 6 % de la dotation totale pour l’objectif "Investissement pour la croissance et l’emploi".

Afin d’encourager le respect de la discipline financière, la règle dite "du dégagement" permet de restituer au budget européen la partie du montant d’un programme opérationnel qui n’a pas été utilisée au 31 décembre du troisième exercice financier suivant celui de l’engagement budgétaire.

Le principe de partenariat trouve une expression concrète dans un comité de suivi qui associe la Commission européenne, les États membres, les autorités régionales et locales, mais aussi les partenaires économiques et sociaux ainsi que les organismes représentant la société civile.

Bilan et perspectives de la politique de cohésion

Un bilan positif malgré une exécution laborieuse

Après une montée en charge progressive, la politique de cohésion est désormais bien ancrée dans le paysage européen, même si elle a été confrontée à des défis majeurs avec les derniers élargissements et à un contexte budgétaire aggravé par la crise financière de 2008. Elle a contribué au rattrapage des économies irlandaise, espagnole, portugaise ou grecque. Elle a également accompagné la reconversion des anciennes régions industrielles du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou de la France.

Depuis les derniers élargissements de 2004 et de 2007, qui ont accru les inégalités entre régions européennes, la politique de cohésion bénéficie essentiellement aux États membres de l’Europe centrale et orientale. Selon la Commission européenne, les investissements soutenus par l’Union ont permis, entre 2013 et 2020, de réduire de 3,5 % l’écart de PIB par habitant entre les 10% de régions les moins développées et les 10% les plus développées. Les écarts entre régions dans le domaine de l’emploi restent cependant plus élevés qu’avant la crise économique de 2008 – le taux d’emploi est inférieur de 10% dans les régions moins développées.

Le bilan de la programmation 2014-2020, dressé par la Commission européenne, met en évidence la contribution significative des fonds européens à la réalisation des priorités stratégiques de l’Union, en particulier à la transition écologique et numérique de son économie. Fin 2019, plus de 13 millions de projets avaient été sélectionnés qui concernaient 2,1 millions d’entreprises.

Les programmes avaient consacré 250,6 milliards d’euros à la croissance durable – économie à faible intensité de carbone, changement climatique, réseaux de transport et d’énergie –, soit 39 % de la dotation totale. 25% des fonds européens avaient été orientés vers des projets affichant des objectifs liés au climat. Les fonds européens avaient en outre apporté un appui aux programmes de coopération territoriale qui investissent dans des projets transfrontaliers, transnationaux et interrégionaux.

Face à la crise du Covid-19, l’Union européenne a mobilisé les fonds européens en réorientant certaines ressources vers les secteurs où elles étaient les plus nécessaires. Fin 2020, la reprogrammation avait concerné le secteur de la santé (pour 7 milliards d’euros), le soutien aux entreprises (11 milliards d’euros) et le soutien direct aux personnes (3,1 milliards d’euros). La modification des règles de financement avait en outre permis de mobiliser 7,6 milliards d’euros pour augmenter immédiatement les liquidités.

Fin 2020, 19,7 milliards d’euros de ressources de la politique de cohésion avaient été mobilisés ou reprogrammés pour lutter contre la crise. Au total, dans le cadre du plan de relance européen destiné à faire face aux conséquences de la crise sanitaire, un montant supplémentaire de 47,5 milliards d’euros a été alloué aux programmes de la politique de cohésion 2014-2020 au titre de la nouvelle initiative REACT-EU.

La politique de cohésion a aussi été marquée par une sous-consommation des crédits, qui peut être imputée à la lourdeur des procédures mais aussi aux difficultés rencontrées par les responsables de programme dans la recherche de cofinancements, et dans l’identification de projets viables et suffisamment mûrs pour être soutenus. Dans le contexte de la crise économique et financière de 2008, des mesures de simplification, entrées en vigueur en juin 2010, avaient pourtant déjà permis aux États membres de bénéficier d’un report pour l’utilisation des fonds structurels non consommés.

Pour la programmation 2014-2020, la Commission européenne observe que, après un démarrage lent au cours des premières années de la période de programmation, la mise en œuvre s’est accélérée à partir de 2017 et que des résultats très significatifs ont été obtenus en 2019. Cette accélération a permis des progrès sensibles dans l’engagement des ressources disponibles.

Si ces progrès ont été confirmés en 2020, ils varient toutefois en fonction des thèmes, les meilleures performances ayant été obtenues dans le soutien à la compétitivité des petites et moyennes entreprises, à l’adaptation au changement climatique et à la prévention des risques ainsi qu’aux infrastructures de réseaux dans les transports et l’énergie. En revanche, les investissements dans certains domaines clés, comme la recherche et l’innovation, le passage au numérique et l’inclusion sociale, progressent plus lentement.

De manière générale, l’expérience montre que la majeure partie des réalisations concrètes sont constatées au cours de la seconde moitié du cycle de programmation. Ces fonds européens représentent un enjeu financier important pour la France, qui a bénéficié, au titre de la programmation 2014-2020, de près de 15,6 milliards d’euros de fonds FEDER-FSE et de 0,588 milliard d’euros du FEAMP (et aussi de 11,4 milliards d’euros du FEADER). Quatre-vingt-trois projets européens ont été prévus au cours de la période de programmation. Les fonds européens permettent des réalisations très concrètes dans les régions françaises. Ils sont bien souvent un levier décisif pour mettre en œuvre certains projets. 

Dans le cadre de l’initiative REACT-EU, à l’échelle de l’Union européenne, la France a bénéficié d’une enveloppe de 3,9 milliards d’euros en 2021 et en 2022 pour les fonds de la politique de cohésion : FEDER (2,6 milliards d’euros), FSE (1,2 milliard) et FEAD (Fonds européen d'aide aux plus démunis, 104 millions).

Les enjeux de la programmation 2021-2027

Le premier enjeu de la programmation pluriannuelle en cours est budgétaire. La politique de cohésion se trouve en concurrence avec la politique agricole commune et avec de nouvelles priorités qui concernent la recherche et l’innovation ou encore les politiques sectorielles – transports, environnement, numérique, recherche. 

Pour la période 2021-2027, le cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne s’élève à 1 074 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent les 750 milliards d’euros de NextGenerationEU, un instrument temporaire destiné à stimuler la relance après la crise sanitaire, soit un total de quelque 1 800 milliards d’euros. Le plan national de relance et de résilience de la France, d’un montant de 100 milliards d’euros, bénéficiera ainsi de 40 milliards d’euros de financement par l’Union européenne.

Pour la première fois, les priorités nouvelles constituent la part la plus importante (31,9%), devant la politique agricole commune (30,9%) et la politique de cohésion (30,4%), dont la part relative régresse. En outre, 30% du cadre financier pluriannuel comme de l’instrument NextGenerationEU seront consacrés à la lutte contre le changement climatique. La politique de cohésion devrait bénéficier de 331 milliards d’euros, soit une légère diminution par rapport à la période 2014-2020 (351,8 milliards d’euros). S’y ajoutent les financements du nouveau Fonds pour une transition juste (17,5 milliards d’euros pour 2021-2027), qui vise à accompagner les régions les plus dépendantes des énergies fossiles dans leur transition énergétique.

Les finalités de la politique de cohésion constituent un autre enjeu pour les années à venir. À l’occasion de la nouvelle programmation 2021-2027, une simplification a été opérée par rapport à la programmation précédente. Cinq priorités sont désormais mises en œuvre : 

  • une Europe plus compétitive et plus intelligente, grâce à l’innovation, à la numérisation, à la transformation économique et au soutien aux petites et moyennes entreprises ; 
  • une Europe plus verte et à zéro émission de carbone, qui appliquera l’accord de Paris sur le climat de 2015 et investira dans la transition énergétique, les énergies renouvelables et la lutte contre le changement climatique ; 
  • une Europe plus connectée, dotée de réseaux stratégiques de transport et de communication numérique ; 
  • une Europe plus sociale, qui donnera une expression concrète au socle européen des droits sociaux et soutiendra les emplois de qualité, l’éducation, les compétences, l’inclusion sociale et l’égalité d’accès aux soins de santé ; 
  • une Europe plus proche des citoyens, qui soutiendra les stratégies de développement pilotées au niveau local et le développement urbain durable dans toute l’Union européenne.

Des objectifs en matière de climat sont fixés pour le FEDER (30%) et le Fonds de cohésion (37%), avec un mécanisme d’ajustement spécial permettant de veiller à leur suivi. Le soutien aux régions les moins développées restera prioritaire. Pour la période 2021-2027, comme lors de la période précédente, c’est la Pologne qui devrait recevoir le plus d’aides de la part de l’Union européenne (75 milliards d’euros), devant l’Italie, l’Espagne et la Roumanie. Cette priorité se traduit aussi dans les taux de cofinancement des projets par l’Union européenne : 40% pour les régions les plus développées mais 85% pour les régions les moins développées.

La politique de cohésion devrait continuer à s’organiser autour d’une dimension stratégique affirmée et du principe de partenariat. Chaque État membre devra préparer un contrat de partenariat qui exposera sa stratégie pour contribuer à concrétiser les objectifs avec les financements européens. Ce document présente notamment des programmes opérationnels qui précisent les priorités du pays et des régions ainsi que l’allocation des fonds. Adopté pour la période 2014-2020, le code de conduite européen sur le partenariat continuera à s’appliquer. Les États membres resteront chargés des programmes opérationnels, par l’intermédiaire des autorités de gestion qu’il leur revient de désigner.

L’efficacité de la politique de cohésion devrait aussi rester un défi important. La nouvelle programmation met l’accent sur une simplification des règles et une volonté de flexibilité tout en maintenant les exigences de bonne gestion financière. Soixante-quinze mesures de simplification ont été retenues. Un seul règlement régit les conditions d’utilisation de huit fonds en gestion partagée, ce qui devrait faciliter la tâche des gestionnaires de programme et renforcer aussi les synergies entre les fonds.

Des synergies devront également être trouvées avec la "facilité pour la reprise et la résilience", pièce maîtresse de NextGenerationEU. Les contrôles devraient en outre être allégés pour les programmes présentant de bons résultats, avec un recours accru aux systèmes de gestion des États membres. Le système de l’audit unique pourrait parallèlement être étendu afin d’éviter un redoublement des contrôles. La flexibilité sera recherchée, en particulier à travers l’examen à mi-parcours, qui permettra de revoir certaines allocations, l’objectif étant que les États membres puissent mobiliser rapidement des ressources européennes en cas de difficultés imprévues.

Pendant toute la période de programmation, les États membres devront veiller à satisfaire des "conditions favorisantes", conçues comme un cadre général et sectoriel qui garantit l’efficacité du soutien de l’Union européenne. Ils devront en particulier disposer de mécanismes efficaces pour que tous les programmes soient mis en œuvre dans le respect de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Une meilleure coordination sera en outre recherchée avec le semestre européen, qui tend à harmoniser les politiques économiques, y compris les principes du socle européen des droits sociaux.

Cet article est extrait de