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Les politiques publiques tournées vers l'économie verte

Temps de lecture  14 minutes

Par : Sylvain Waserman - Président de l'Ademe

La France s'engage activement vers la neutralité carbone d'ici à 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de 50% des émissions d'ici à 2030 par rapport à 1990. Comment l’État accompagne les acteurs engagés dans la transition écologique ? Quel est le rôle de l'Ademe dans cet accompagnement et comment s'y prend-elle ?

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de la transition écologique. Celle des objectifs chiffrés, des actions concrètes et de la planification. Ce travail, engagé par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), créé en 2022 et rattaché au cabinet du Premier ministre, a permis de définir un cadre d'action commun et partagé, avec une volonté forte : entraîner le monde économique dans une dynamique de décarbonation, de sobriété et de questionnement des modèles existants.

L'objectif est clair : atteindre la neutralité carbone en 2050, objectif stratégique défini par l'Accord de Paris de 2015. Pour atteindre cet objectif, un ensemble de politiques publiques climatiques et environnementales définissant une trajectoire ambitieuse de baisse des émissions de gaz à effet de serre claire, chiffrée et phasée, a été pensé. En 2030, nous devrons avoir réduit de 50% nos émissions de CO2 par rapport à 1990, avec un objectif de baisse annuelle oscillant entre 4 et 5%. 

En 2023, la France a atteint ses objectifs avec 5,8% de réduction en un an. Ceci est le résultat d'un engagement budgétaire de l'État sans précédent, mais aussi d'une dynamique forte des entreprises (qui considèrent de plus en plus leur décarbonation comme une nécessité stratégique) et des collectivités territoriales (qui se sont emparées du sujet notamment dans le cadre du dialogue avec l'État lors des COP régionales).

L'engagement inédit de l'État répond à une attente du monde économique. En effet, la 24e vague du baromètre "Les représentations sociales du changement climatique", publié en décembre 2023 par l'Ademe, indique : "88% des entreprises sont favorables à une intervention des pouvoirs publics pour lutter contre le changement climatique, […] 9% s'opposent à une intervention de l'État."

Notre mission, en tant qu'opérateur de l'État, est par conséquent d'entraîner l'ensemble des acteurs engagés dans la transition écologique vers une économie plus verte, responsable et durable, avec l'ambition que la France devienne la première économie verte d'Europe en 2040. Cela implique aussi bien un cadre législatif nouveau et à la hauteur de l'enjeu qu'un accompagnement au plus près des territoires pour répondre à ce bouleversement. Dans l'atteinte de cet objectif, l'innovation et le progrès technologique occuperont une place non négligeable, instaurant de nouveaux modèles de sobriété. C'est l'objet de cette contribution.

Une stratégie d'accompagnement nationale indispensable…

Le cadre législatif élaboré à Paris et à Bruxelles ainsi que les dispositifs nationaux d'accompagnements nationaux sont essentiels pour répondre à l'enjeu du dérèglement climatique. Ce cadre a pour ambition de fédérer et d'accompagner l'ensemble des acteurs sur le chemin de leurs transitions. C'est là tout le rôle de l'Ademe, en tant qu'opérateur de l'État et véritable tiers de confiance. 

Grâce aux moyens déployés par l'État, l'Agence de la Transition écologique dispose d'un potentiel d'investissement inédit : budget quadruplé en quatre ans pour construire, avec l'ensemble des acteurs, un avenir désirable pour les générations futures. Mais cette capacité budgétaire nous donne également la responsabilité d'investir avec la plus grande efficacité.

L'argent public des Français est précieux et rare. En ce sens, l'Ademe applique la méthode de "l'efficacité carbone de l'euro investi" : mesurer, développer et améliorer la quantité de carbone évitée pour chaque euro investi – méthode expérimentée notamment avec notre dispositif Fonds chaleur renouvelable. En tant qu'opérateur de l'État, l'Ademe est à sa juste place : avec les budgets que le Parlement et le Gouvernement nous confient, nous avons pour mission d'identifier et d'apporter notre aide aux entreprises et aux collectivités qui s'engagent sur le chemin de la transition écologique, et de garantir que cet argent est investi avec la plus grande efficacité. 

Comme évoqué en introduction, cet engagement sans précédent de l'État est étroitement lié à une attente forte des entreprises. En effet, les dirigeants du monde économique ont parfaitement intégré l'enjeu de la transition écologique dans leurs business models. Ils savent que ne pas se décarboner maintenant remettrait en cause la pérennité de leur entreprise à moyen terme.

Un cas récent, dans ma vie de président de l'Ademe, m'a permis de mesurer l'ampleur de ces changements. Lors d'une rencontre avec des chefs d'entreprise dans l'Orne, un patron d'une PME de verrerie m'a dit avoir reçu, de ses clients de l'industrie du luxe, une lettre expliquant qu'ils seraient totalement décarbonés en 2030 et que donc leurs fournisseurs devraient l'être aussi : ce serait par conséquent avec ou sans lui. Les grandes firmes, comme la clientèle de cette PME ornaise, savent que l'atteinte de leur objectif stratégique de transition écologique dépend largement de leurs fournisseurs. Avec cet exemple, on comprend que les entreprises ont l'ambition de se décarboner.

Pour les accompagner dans ces démarches, l'Ademe a développé une méthodologie destinée à évaluer la solidité des plans de décarbonation (méthodologie Accelerate Climate Transition ACT, qui a fait l'objet d'une convention avec la Banque de France). Un grand groupe français de distribution vient de l'adopter mais surtout elle y entraîne avec elle une centaine de ses plus gros fournisseurs, avec lesquels elle crée une dynamique collective. C'est une approche inédite qui montre combien ce grand groupe veut associer ses fournisseurs dans sa transition stratégique, et qu'il s'y engage dans une relation nouvelle avec eux. La méthodologie ACT transforme ainsi l'enjeu de décarbonation en un véritable avantage concurrentiel pour les entreprises qui s'en emparent. 

… qui s'adapte aux réalités des territoires et de leurs acteurs…

Mais, au-delà du monde des entreprises, la réussite de la transition écologique dépend bien évidemment des territoires. Là où les projets naissent ou non, réussissent ou échouent. Ce chemin vers une économie verte ne pourrait se tracer sans l'engagement des élus locaux, des maires et des collectivités pleinement engagés dans la transition de leurs territoires, et qui entraînent avec eux une multitude d'acteurs.

Les territoires qui réussissent le mieux sont ceux qui réussissent à aligner quatre facteurs essentiels : 

  • la mobilisation des élus et l'adéquation entre les enjeux locaux et les leviers de transition ;
  • les citoyens, dont l'acceptabilité est une condition du succès ; nous devons leur donner les moyens d'être acteurs de la transition, car leur engagement est le moteur du changement ;
  • les entreprises, qui font de la transition un levier de création de valeur, d'activité et d'emplois, notamment par la mobilisation de financements privés cruciaux ;
  • l'État qui doit fixer une trajectoire de long terme, définir un cadre d'action équilibré et qui intervient jusqu'au cœur des territoires avec des moyens financiers inédits.

Tout cela suppose un accompagnement adapté à chaque bassin de vie, à chaque réalité territoriale. En ce sens, l'Ademe a créé en novembre 2023 le réseau Élus pour agir. Composé de plus de 3 200 élus locaux, ce réseau a pour objectif de transmettre les clés de décryptage de la transition écologique. De la gestion des déchets à la débitumisation de la cour d'école en passant par le bilan écologique à porter auprès des citoyens : nos experts présentent les grands enjeux climatiques appliqués à la réalité concrète d'une ville ou d'un village et des cas bien réels sont partagés grâce à des retours d'expériences d'élus locaux.

Pour aller plus loin et construire une stratégie complète de transition écologique, les élus disposent également du programme Territoire Engagé Transition Écologique (TETE), l'outil de référence pour analyser à 360 degrés tous les domaines de la transition : mobilité, bâtiment, espaces verts, énergie, etc. S'engager dans TETE, c'est projeter son territoire 20 ans dans le futur, pour la prochaine génération.

Au-delà des dispositifs d'accompagnements adaptés aux territoires, ce modèle dit réparti, appliqué au niveau local, permet de "benchmarker" les meilleures pratiques et de comparer l'efficacité des initiatives. Nous avons ensuite la capacité de les essaimer dans un triptyque Identifier – Modéliser – Transposer sans pour autant les répliquer à l'identique. Car la réalité d'un territoire n'est pas la même qu'un autre, l'Ademe accompagnant les élus dans la réalisation de leurs projets en s'adaptant à leurs spécificités.

Dans ce modèle qui se veut apprenant, la mission de l'Ademe est double. D'une part, notre agence est très bien placée pour remplir ce rôle d'essaimage parce que nous sommes aux côtés de tous ceux qui prennent le chemin de la transition et nous avons une véritable capacité de modélisation. D'autre part, parce que nous pouvons organiser la répartition des fonds que nous confie l'État pour cibler les investissements et irriguer les territoires, dans une logique d'efficacité maximale. 

… contribuant à valoriser l'innovation et l'émergence de nouveaux modèles de sobriété

Valoriser les innovations

Enfin, comme pour de très nombreux enjeux, l'innovation apporte des solutions nouvelles aux problèmes du dérèglement climatique. Les experts de l'Ademe ne sont pas techno-solutionnistes, c'est-à-dire qu'à aucun moment nous ne pensons qu'il est inutile d'agir aujourd'hui au motif que les technologies régleront les problèmes demain. Mais ils croient en l'innovation des femmes et des hommes engagés dans la transition. L'Ademe opère en ce sens le volet écologique du plan de financement France 2030 porté par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) : près de 8 milliards d'euros destinés à subventionner les travaux en faveur de la transition écologique. 

Les lauréats France 2030, ces entreprises récompensées pour leur innovation écologique, couvrent une multitude de secteurs au service de la transition : panneaux photovoltaïques souples, hydroliennes sous-marines, navires marchands naviguant à la voile, véhicules légers, pompes à chaleur de nouvelle génération. L'enjeu pour l'Ademe est d'accompagner ces entreprises qui développent des technologies offrant des solutions alternatives plus sobres et durables à des besoins essentiels. 

Pour partager ces progrès bénéfiques pour nos concitoyens et apporter de la transparence sur les investissements publics, l'Ademe organise l'Expo Innov'Climat, une tournée en sept étapes à travers la France pour faire toucher du doigt la réalité de la transition écologique. La première étape, à Bordeaux en octobre dernier, a rassemblé plus de 3 200 chefs d'entreprises, étudiants et citoyens curieux de la transition écologique. Six autres Expo Innov'Climat seront organisées tout au long de l'année 2025 et jusqu'en 2026.

La décarbonation numérique

Mais l'innovation concerne aussi bien évidemment le domaine du numérique, comportant de nombreuses opportunités mais aussi des menaces que les responsables politiques doivent appréhender. À l'échelle mondiale, le numérique représente 5% des émissions de gaz à effet de serre, la quantité de déchets électroniques a augmenté de 21% en cinq ans, le poids des logiciels a été multiplié par 171 en deux décennies pour le même usage. 

D'un côté, on ne sait pas dans quelle mesure il sera possible de maîtriser son impact, qui pourrait être considérable. C'est le défi du Green IT, ou numérique responsable : contrôler l'impact en termes de consommation de ressource des outils numériques (en particulier les serveurs), dont les perspectives de croissance sont vertigineuses. De nombreuses pistes sont développées par les acteurs du numérique en ce sens : les grands acteurs de l'IA investissent des sommes considérables pour décarboner leurs data centers parce qu'ils considèrent que le verdissement de l'IA est stratégique et facteur d'acceptabilité pour les citoyens, et donc les législateurs. 

L'écoconception des services numériques se structure avec, par exemple, une méthodologie publiée par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (l'Arcep) et l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), avec le soutien de l'Ademe. Le renouvellement du matériel informatique (le hardware) pèse encore plus des trois quarts de l'empreinte carbone, mais les programmes de lutte contre l'obsolescence programmée ou les comportements de renouvellement compulsifs se multiplient. Autant de pistes pour éviter le dérapage incontrôlé de l'empreinte carbone du numérique, qui constitue un défi auquel ni le législateur ni les acteurs du numérique ne peuvent rester indifférents. 

De l'autre côté, les perspectives de la contribution du numérique à l'efficacité des modèles et leur sobriété sont phénoménales. Ce que l'on nomme l'"IT for Green" représente un potentiel fabuleux d'accélération de la transition écologique, qui est source d'optimisations comportementales et technologiques. Par exemple, pour améliorer les solutions de covoiturage de proximité avec une communauté de confiance ou pour combattre les pics d'électricité en réduisant nos consommations de façon ciblée (recharge de voiture électrique différée, puissance de chauffage limitée en temps réel durant les moments critiques). Ou, encore, pour de nouvelles perspectives jusque-là inatteignables, comme dans le domaine de l'agriculture où une IA a permis, en s'adaptant à des conditions météorologiques spécifiques et localisées, d'utiliser 15% de pesticides en moins. Tant de pistes restent à explorer… L'État, à travers l'Ademe, se tient aux côtés de celles et ceux qui innovent en ce sens à travers le programme France 2030.

Mais ne nous y trompons pas, l'innovation par de nouvelles technologies, par des solutions alternatives à des besoins indispensables, par les progrès du numérique ne suffira pas à eux seuls à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Ces changements profonds dans notre société : la décarbonation de nos entreprises, la transition de nos territoires, l'innovation tournée vers l'écologie doivent être liés au développement de nouveaux modèles de société plus économes et durables. La sobriété et les technologies vertes pourraient paraître antagonistes. Il n'en est rien : le progrès peut être synonyme de sobriété et doit même être concomitant. Lorsqu'une industrie se décarbone, elle travaille systématiquement sur la réduction de sa consommation d'énergie – et pas seulement sur son verdissement. Lorsque l'on repense la mobilité dans nos territoires ruraux et urbains, il s'agit tout autant de repenser la place de la voiture en ville ou d'optimiser les flux logistiques que de développer la gamme des véhicules légers. Lorsque l'on bâtit nos villes, les solutions, par exemple l'utilisation de matériaux biosourcés, intègrent toutes des enjeux de sobriété énergétique, y compris, pour chauffer ou rafraîchir nos logements, avec des procédés de refroidissement adiabatique ou de géothermie de surface avec le géostockage par exemple.

Sobriété et innovations seront toutes deux parties intégrantes de la refondation des modèles que nous connaissons. À l'Ademe, nous croyons en l'innovation et nous la soutenons activement, mais nous pensons que la technologie ne doit être en aucun cas l'alibi de l'inaction climatique et de la défense aveugle de certaines dérives de nos modèles existants. 

Nous sommes désormais en vitesse de croisière pour atteindre notre objectif commun de neutralité carbone d'ici à 2050. Pour les générations futures, décarbonons nos entreprises, réimaginons la ville et menons une transition ambitieuse et positive de nos territoires, développons des technologies innovantes, porteuses d'espoir pour tous.
Le message que je porte est un message d'action –c'est notre raison d'être –, de mobilisation –des citoyens, des collectivités, des entreprises – et d'espoir parce que nous avons prouvé que l'objectif est atteignable, et qu'il faut avoir confiance dans notre capacité à le faire, pour une économie verte et pour des modes de vie durables.
Nous avons tous les atouts pour réussir. Agissons !

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