Les infrastructures routières et fluviales communales : caractéristiques et cadre réglementaire
Le bloc communal : premier gestionnaire de voirie
Le réseau routier français, qui s'étend sur environ 1,1 million de kilomètres, joue un rôle essentiel dans le déplacement des personnes et des biens. Il assure environ 90% des déplacements dans le pays. La gestion de ce patrimoine repose principalement sur le bloc communal (communes et intercommunalités) qui dispose de la compétence pour entretenir et développer 717 000 kilomètres de routes, soit 65% du réseau, plus de 120 000 ponts et environ 700 000 kilomètres de chemins ruraux. L'État est responsable de près de 21 000 km de routes : 9 000 km d'autoroutes concédées (par le biais de 19 contrats), 12 000 km d'autoroutes et de routes nationales gérées par 11 directions interdépartementales des routes (DIR). 99% des infrastructures routières sont donc gérées par les collectivités territoriales (communes, intercommunalités et départements).
Dans chaque commune, la "voirie" locale regroupe les voies publiques (routes, rues) et leurs dépendances (trottoirs, fossés, murs) qui appartiennent au domaine public communal (article L141-1 du code de la voirie routière). Les chemins ruraux, même ouverts à la circulation publique, sont pour leur part du domaine privé de la commune (article L161-1 du code rural et de la pêche maritime). Les routes nationales et départementales ne sont pas communales : elles appartiennent à l'État ou au département, même si le maire exerce dans les agglomérations certains pouvoirs de police sur ces voies. À titre d'exemple, le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur de l'agglomération. Ce pouvoir a été étendu par l'article 62 de la loi n° 2014-58 (dite Maptam) aux voies du domaine public routier communal et intercommunal situées à l'extérieur des agglomérations
La commune et les ouvrages d'art
Pour relier ces infrastructures, il existe aussi des ouvrages d'art (ponts, tunnels). La jurisprudence dite de la "voie portée" imposait aux communes propriétaires l'entretien des ouvrages concernés, mais la loi du 7 juillet 2014 ("loi Didier") est venue clarifier la répartition des charges entre le gestionnaire de la nouvelle infrastructure et le propriétaire de la voie (article L2123-9 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques). Elle prévoit, notamment pour les communes et établissements public de coopération intercommunale (EPCI) disposant d'un potentiel fiscal inférieur à 10 millions d'euros, une prise en charge intégrale, par le gestionnaire, des coûts liés à la structure de l'ouvrage, les autres situations devant faire l'objet d'une convention entre les parties.
Dans ce dernier cas, pour la répartition des contributions respectives des parties à la convention, le principe de référence est la prise en charge par le gestionnaire de la nouvelle infrastructure de l'ensemble des charges relatives à la structure de l'ouvrage d'art. Néanmoins, ces conventions prévues par la loi n'ont, pour la plupart, pas encore été signées. Ce retard laisse les communes dans une situation d'incertitude juridique et financière, alors même que leur responsabilité en matière d'entretien et de sécurité peut être engagée.
La gestion du domaine public fluvial
Sur le plan fluvial, les voies navigables (rivières canalisées, canaux, lacs navigables) font partie du domaine public fluvial de l'État. Leur entretien (biefs, écluses, berges) est souvent confié à Voies Navigables de France ou aux collectivités via la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) des EPCI (article L211-7 du code de l'environnement). Les missions GEMAPI incluent notamment "l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès".
Le maire n'est pas le gestionnaire principal de ces ouvrages, mais il conserve certains pouvoirs au titre de son pouvoir de police général (articles L2122-24 et L2212-1 et suivants du CGCT). Il peut, par exemple, interdire temporairement la baignade ou la navigation en cas de crue, réglementer les manifestations nautiques, prévenir les pollutions ou dépôts sur les berges, ou encore restreindre l'accès à un quai ou un chemin de halage dégradé pour éviter tout risque d'accident.
Les droits et les obligations des maires dans la gestion des infrastructures communales
Voirie communale : les compétences du maire
Le maire est l'autorité de police de la voirie communale. Il doit assurer la sécurité et la fluidité des circulations sur ces voies. Il peut réglementer la vitesse, créer des zones 30, des sens uniques ou des aménagements (giratoires, pistes cyclables, îlots, etc.) pour limiter les risques. Il dispose aussi du pouvoir de fermer temporairement une rue ou d'interdire certaines zones aux véhicules trop lourds (articles L2213-1 à L2213-6-1 du CGCT).
Le maire délivre les autorisations sur le domaine public routier local comme le permis de stationnement sur voirie, les permissions de voirie pour travaux, etc. (article L113-2 du code de la voirie routière). Il coordonne les chantiers qui affectent la chaussée ou le sous-sol (en lien avec le préfet pour les routes à grande circulation). Il doit en outre veiller à « la commodité du passage » : les dépenses de nettoiement, d'éclairage public et de dégagement de la neige relèvent de la commune.
Cet entretien est considéré comme une dépense obligatoire (article L141-8 du code de la voirie routière): en cas d'accident dû à un défaut d'entretien (nids-de-poule, branches encombrantes…), la responsabilité financière de la commune et du maire peut être engagée. En effet, dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative prévus par la loi, les maires ont l'obligation d'agir pour prévenir et réduire les risques liés à la circulation routière. En cas de carence dans l'exercice de ces pouvoirs, leur responsabilité administrative, voire pénale, peut être engagée.
Transfert de la compétence "voirie" à l'intercommunalité
Si la compétence voirie est transférée à l'intercommunalité, le président de l'EPCI en assume automatiquement la police spéciale (circulation et stationnement), sauf si les maires s'y opposent dans les six mois suivant l'élection du président. En pratique, le maire peut conserver ou récupérer ce pouvoir de police en faisant valoir sa volonté auprès de l'EPCI (article L 5211-9-2 du CGCT).
En cas de transfert de compétence, les biens meubles et immeubles utilisés (routes, trottoirs, accotements, fossés, emprises foncières et ouvrages d'art comme les ponts, ponceaux, murs, tunnels), également le matériel et véhicules d'entretien, la signalisation, barrières et stocks y compris les éléments devenus immeubles par destination), à la date du transfert, pour l'exercice de cette compétence sont mis à disposition de plein droit de la collectivité bénéficiaire. Tel est par exemple le cas en matière de voirie pour les voies et leurs dépendances.
L'EPCI bénéficiaire du transfert de la compétence voirie est responsable de l'entretien de la voirie transférée ainsi que de ses dépendances. En cas d'accident, c'est donc cet EPCI qui pourra voir sa responsabilité engagée pour défaut d'entretien normal. Toutefois, il convient de rappeler que le maire exerce le pouvoir de police générale, sur la base de laquelle sa responsabilité pourrait éventuellement être engagée conjointement en cas de carence avérée dans l'exercice de ce pouvoir de police (article L. 2212-2 du CGCT).
La gestion des chemins ruraux
S'agissant des chemins ruraux, le maire en est le policier de la conservation et de la circulation (articles L 2212-2, L 2213-1, L 2213-5 et R 2213-1 du CGCT). Il peut interdire l'usage des chemins par des véhicules inadaptés ou dangereux. Contrairement aux voies communales, l'entretien de ces chemins ruraux n'est pas une obligation de la commune. Toutefois, dès lors que la commune a effectué des travaux destinés à assurer ou à améliorer la viabilité du chemin, acceptant ainsi d'en assumer l'entretien, sa responsabilité peut être mise en cause par les usagers pour défaut d'entretien normal.
Aussi, le maire doit rester vigilant : un chemin rural non entretenu peut être perdu par prescription (occupation paisible publique continue et non équivoque pendant 30 ans, articles 2272 à 2275 du code civil) : lorsqu'une commune réalise des travaux pour remettre en service un chemin rural, elle s'expose à une obligation d'entretien : en cas de défaut d'entretien conduisant à un accident, sa responsabilité peut être engagée, et, si l'absence d'entretien perdure, l'emprise du chemin peut finir par être perdue au profit de riverains par prescription acquisitive. En revanche, la commune peut imposer des contributions spéciales aux personnes qui détériorent ces chemins (article L 161-8 du code rural et de la pêche maritime).
Les infrastructures communales : quels enjeux et quelles priorités ?
Le financement des infrastructures au cœur des priorités 2026
Rappelons que le réseau routier français, essentiel pour 90 % des déplacements, est majoritairement géré par le bloc communal, qui assure l'entretien de 65% des routes.
La gestion de la voirie communale repose essentiellement sur des petites communes : selon le Bulletin d'information statistique publié par la Direction générale des collectivités locales (DGCL), 71% de la voirie communale est gérée par les communes de moins de 3 500 habitants, mais il n'y a pas de chiffre officiel concernant le montant des dépenses auxquelles elles font face. Quant aux communes et leurs groupements de plus de 3 500 habitants, ils ont dépensé en 2023 7,1 milliards d'euros pour la voirie (sur les 13,3 milliards dépensés par l'ensemble des collectivités territoriales).
Ces dernières années, l'inflation, la hausse des prix des matériaux routiers et les effets du changement climatique font augmenter les coûts unitaires d'entretien. Cette double contrainte (ressources disponibles en baisse et coûts en hausse) limite fortement le nombre de chantiers possibles sans ressources supplémentaires. Pourtant une partie du réseau routier est en mauvais état, ce qui impose des opérations de rénovation plus lourdes.
Les communes n'ont plus de ressource fiscale directe liée à la route (la vignette a été supprimée en 2000). Les recettes fiscales issues de la route (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques-TICPE, péages, taxes) génèrent des revenus importants, mais ne sont pas directement affectées à son entretien. Les communes doivent donc s'appuyer sur la Dotation globale de fonctionnement (DGF) de l'État, mais celle-ci n'est indexée que très faiblement sur les besoins réels. Or cette DGF ne suit pas la montée des coûts (en euros constants, elle ne représente en 2024 plus que 64% du montant de la DGF de 2013). D'ici 2026, les communes devront arbitrer leurs budgets face à cette dégradation du patrimoine routier. Cette situation entraîne un accroissement du risque d'accidents pour les usagers et expose les élus locaux à une responsabilité accrue.
Pénurie d'expertise : un défi pour la maintenance des voiries locales
De nombreux tronçons communaux, notamment les ponts, sont arrivés en fin de vie technique. Une part notable du réseau est en mauvais état. Pour 2026, les communes doivent donc programmer massivement la réfection des routes, des ouvrages d'art et le renforcement du drainage pour maintenir la sécurité et la fonctionnalité du réseau. Tout ceci exige des savoir-faire spécifiques (gestion des chaussées, traitement préventif des fissures, diagnostics d'ouvrages d'art, etc.).
Par ailleurs, la main-d'œuvre qualifiée et l'expertise technique routière se raréfient : l'ingénierie routière autrefois présente au niveau départemental et les bureaux d'études spécialisés se sont réduits, et il devient plus difficile de mobiliser des compétences pointues pour les opérations complexes. Ce constat s'accompagne d'un affaiblissement du réseau scientifique et technique. Dans un contexte où la décentralisation a multiplié les maîtres d'ouvrage (État via les DIR, conseils départementaux, régions, communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes, ainsi que les organismes ou entreprises auxquels la gestion ou des travaux sont délégués), la fragilisation de ces ressources de référence complique la mise en œuvre et le suivi cohérent des politiques routières à l'échelle communale. Le phénomène est accentué par les réductions d'effectifs et les départs à la retraite, qui ont amoindri les capacités d'expertise tant dans les services routiers locaux que dans certaines directions de l'État.
Néanmoins, des dispositifs d'accompagnement ont été développés pour soutenir les communes dans la gestion de leur patrimoine routier. Le service SOS Ponts en constitue un exemple concret. Il est proposé par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et offre un service numérique gratuit pour guider les communes dans l'entretien et la rénovation de leurs ouvrages. Il apporte une réponse aux questions des communes, qui ont besoin d'un premier conseil pour la bonne gestion de leurs ponts. Ce service permet aux communes de poser leur question au travers d'un formulaire. Les experts du Cerema formulent des recommandations sur les actions à conduire et les acteurs à contacter.
Les communes confrontées à des contraintes réglementaires croissantes
Au-delà des directives (quotas carbone et fiscalité verte), des normes nationales plus strictes impactent la voirie communale. Par exemple, les obligations de gestion des eaux pluviales (infrastructures d'infiltration sur les voiries), les normes de formulation (mélange) des enrobés bitumineux (interdiction progressive des hydrocarbures aromatiques), la réduction du bruit ou l'éclairage public bas carbone imposent des travaux supplémentaires. Les communes doivent intégrer ces contraintes dans leurs projets routiers (drains supplémentaires, surfaces végétalisées, matériaux écologiques), ce qui accroît la complexité et le coût des chantiers.
Par ailleurs, la législation encadre de plus en plus la sécurité (exigences de revêtement antidérapant, réduction des accidents). Tous ces cadres réglementaires enrichissent la charge administrative et technique pour les communes, qui doivent veiller à rester conformes sous peine de sanctions.
Par exemple l'obligation de repérage d'amiante avant travaux sur les infrastructures routières (arrêté du 4 juin 2024 relatif au repérage de l'amiante avant certaines opérations réalisées dans les immeubles autres que bâtis tels que les ouvrages de génie civil, infrastructures de transport ou réseaux divers) entraîne une forte hausse des coûts, liée à la complexité des analyses exigées et à la formation des opérateurs spécialisés. Si l'objectif de sécurité est légitime, cette réglementation se traduit par des charges financières prohibitives, multipliant jusqu'à dix le coût des diagnostics pour les secteurs en agglomération et contraignant de nombreuses communes à différer ou annuler leurs travaux.
Les matériaux utilisés doivent aussi répondre à des exigences strictes de qualité et de sécurité, notamment l'interdiction d'emploi de substances dangereuses comme le plomb ou certains hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) conformément au règlement européen REACH (n°1907/2006/CE) et aux prescriptions du Code de l'environnement. Parallèlement, les travaux de réfection de chaussées, trottoirs ou accotements doivent être réalisés selon les normes techniques en vigueur.
À cela s'ajoute l'obligation d'adapter les infrastructures aux épisodes climatiques extrêmes – gestion des eaux pluviales, renforcement des chaussées soumises aux fortes chaleurs ou aux inondations – qui mobilise des investissements importants, des études préalables, des contrôles renforcés et des matériaux plus coûteux Les routes et les ouvrages d'art doivent également être adaptés aux nouveaux usages – voies réservées, pistes cyclables, aires de covoiturage et solutions de route intelligente.
La gouvernance et la coordination: déterminantes pour l'avenir des routes communales
La gestion des routes communales implique une articulation étroite entre plusieurs échelons : communes, intercommunalités, départements, régions et État. Les EPCI mutualisent souvent la compétence voirie et peuvent porter des projets plus lourds. Pour optimiser les moyens, les communes doivent donc travailler en concertation avec leur communauté de communes/agglomération (mise en commun des ateliers, achat groupé de matériaux, fonds routiers intercommunaux éventuels).
Les contrats de plan État–Région comportent une enveloppe « travaux routiers ». Les communes doivent veiller à ce que leurs projets (sécurisation d'écoles, aménagements cyclables structurants, adaptation au climat) soient inscrits dans ces contrats, en lien avec les préfets et les conseils régionaux.
Les services de l'État arbitrent la répartition de la DGF et des aides à l'investissement ; il est donc essentiel pour les communes de dialoguer avec le préfet sur leurs besoins spécifiques de voirie (par exemple via les états régionaux des lieux ou les conférences territoriales de l'action publique).
La gouvernance est un enjeu majeur pour 2026, les communes doivent contribuer aux réflexions d'ensemble pour peser sur l'avenir institutionnel de la voirie. Il est essentiel de structurer cette gouvernance en encourageant la mutualisation des services techniques au sein des intercommunalités, la mise en place de groupements de commande pour les marchés d'entretien, ainsi que l'élaboration de plans pluriannuels d'investissement partagés entre communes et EPCI. Ces démarches favorisent une utilisation plus efficiente des ressources, une hiérarchisation concertée des priorités et une programmation cohérente des interventions à l'échelle du bassin de vie.
Rendre plus efficace l'action du bloc communal en matière routière
Face aux enjeux pour 2026 — sécurisation des ressources, reconstitution des capacités techniques, montée des contraintes réglementaires et besoin d'une gouvernance territoriale renforcée — les maires n'ont d'autre choix que d'articuler simultanément des réponses techniques, financières et organisationnelles. La mise en œuvre de méthodologies rigoureuses, appuyées sur des équipements et solutions innovantes permet d'optimiser la gestion patrimoniale, de prioriser les investissements et d'accroître la résilience des réseaux : entretenir aujourd'hui, c'est éviter de dépenser demain, car, selon le directeur du Cerema lors des Assis de la Route le 22 janvier 2025, "1 euro non investi aujourd'hui coutera entre 6 à 8 euros sur une durée de 30 ans".
Concrètement, cela suppose :
- de renforcer les compétences par la formation continue des agents et le recours à l'ingénierie territoriale;
- de stabiliser une "ressource voirie" par la mutualisation des contributions intercommunales;
- de diversifier les sources de financement en mobilisant de façon coordonnée dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), fonds européens et appels à projets ciblés.
Il convient également de rationaliser les coûts réglementaires — notamment les diagnostics (repérage amiante) — par des marchés cadres et des cartographies partagées. Enfin, la réussite de ces trajectoires repose sur une communication transparente des priorités et des coûts, ainsi que sur l'implication des élus et des usagers via des comités de suivi pour garantir l'acceptabilité et l'efficacité des choix.
Cette synthèse propose des pistes opérationnelles mais non exhaustives : elle vise à ouvrir un cadre d'action pragmatique pour les communes et intercommunalités et à encourager la construction collective de solutions adaptées aux réalités locales.