Image principale 1
Image principale 1
© Stock-adobe.com

L'État et la laïcité

Temps de lecture  20 minutes

Par : Samuel Charlot - Administrateur au Conseil économique, social et environnemental

Dans les décennies qui ont suivi la loi du 9 décembre 1905, le principe de laïcité a été appliqué en France d’une façon spécifique tout en faisant l’objet d’un large consensus. Il semblait avoir trouvé son point d’équilibre et éteint les controverses. La réaffirmation du religieux dans l’espace public suscite à nouveau des débats passionnés.

Un principe consensuel à l’interprétation parfois problématique

Si la laïcité "fait maintenant partie du patrimoine national français", c’est à la manière d’un mot-valise qui fait parfois l’objet d’interprétations contradictoires. Certes, l’idée va désormais de soi, sauf pour les religieux fondamentalistes, d’une séparation mutuelle, et donc d’une autonomie d’organisation de l’État et des Églises. Les avis divergent sur :

  • la délimitation des espaces d'expression des appartenances religieuses, au-delà des espaces privés et des lieux de culte ;
  • le degré d'implication exigé des pouvoirs publics pour rendre possible cette expression (entre la simple autorisation et la mobilisation des moyens).

Les pouvoirs publics doivent-ils autoriser, peut-être même garantir par une action matérielle, l’expression de la liberté religieuse dans les espaces ouverts à la circulation publique, voire dans les services publics (écoles, hôpitaux, etc.) ? Cette question principielle se décline en de très nombreuses interrogations pratiques. Par exemple, faut-il autoriser le port du foulard islamique pour les élèves à l’école ? pour les agents publics dans l’exercice de leurs missions ? pour les accompagnatrices bénévoles des sorties scolaires ? sur les terrains des clubs sportifs ? Fallait-il interdire le voile intégral dans la rue ? Les communes ont-elles l’obligation de proposer aux élèves des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par
leurs convictions religieuses ? Les pouvoirs publics doivent-ils cesser de financer des établissements scolaires privés sous contrat, des aumôneries dans les prisons, les hôpitaux et les armées, les travaux de réfection de certains lieux de culte ou encore des plages horaires pour les religions dans l’audiovisuel public ? Et est-il envisageable de supprimer les jours fériés de l’Ascension ou de la Toussaint ? De ne pas faire classe les jours de Kippour et de l’Aïd ? 

Ces questions ne sont pas nouvelles. Loin d’être figée, l’application du concept de laïcité a souvent varié en fonction des attentes du corps social. Actuellement, ces questions s’inscrivent dans le contexte d’une modification du paysage religieux en France, avec la croissance importante de l’islam.

À notre époque comme au moment des débats sur la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, s’affrontent deux conceptions de la laïcité. L’une, d’inspiration libérale et qui s’est traduite dans la loi de 1905, met l’accent sur la liberté religieuse. L’autre, plus spécifique à la France, tend à "neutraliser" l’ensemble de l’espace public, c’est-à-dire à contenir la religion dans l’espace privé et les lieux de culte. Cette consigne de "discrétion" adressée aux croyants n’est pas, sauf récentes exceptions, traduite dans des normes juridiques mais elle
relevait depuis le début du XXe siècle d’une discipline collective, d’un modus vivendi, d’un consensus social.

Depuis 1905 jusqu’à l’essor de l’islam, ces deux conceptions coexistaient globalement sans heurts : les croyants, bon gré mal gré, adhéraient à cette discipline sociale qui venait compléter et limiter le libéralisme de la loi de 1905. Désormais, cet habitus laïque ne va plus de soi même s’il est encore très majoritaire. C’est pourquoi, de façon récurrente, de nouvelles normes juridiques (lois, décrets, arrêtés municipaux, etc.) sont édictées pour donner une force contraignante à ce qui n’était qu’un usage.
L’affirmation d’une partie des croyants dans l’espace public révèle le décalage, resté longtemps inaperçu, entre la loi de 1905 et ce qu’il est convenu d’appeler la "laïcité à la française". D’où le clivage désormais éclatant entre ceux qui réclament la pleine application de la loi de 1905 et ceux qui veulent créer de nouvelles normes juridiques pour ajuster le droit à l’usage majoritaire.

Autrement dit, si la séparation institutionnelle entre les religions et l’État est réalisée et stabilisée, les limites du domaine dans lequel les individus peuvent exprimer leur religion font fréquemment l’objet de débats. Chaque nouvelle controverse fournit l’occasion d’un affrontement entre une "laïcité d’ouverture" et une "laïcité de combat". La laïcité apparaît ainsi comme une politique publique au service soit d’une République multiculturelle, voire communautariste, soit d’une République plus homogène et assimilatrice.

Éléments de définition de la laïcité

Intraduisible dans d’autres langues, le mot "laïcité" s’est formé au XIXe siècle sur un adjectif, "laïque". Est laïque, selon le Littré, ce "qui n’est ni ecclésiastique ni religieux". En effet, le terme vient du grec laos, qui signifie peuple, et le laïc s’oppose au klerikos, le clerc. Si le mot apparaît pour la première fois en 1871 à propos de l’enseignement scolaire, il est absent de la loi de 1905.

Il n’existe pas de définition univoque de la laïcité. Au sens large, elle désigne la perte d’emprise de la religion sur la société, et est alors synonyme de "laïcisation" ou de "sécularisation". En un sens plus étroit, et plus spécifiquement français, la laïcité signifie le refus de l’assujettissement du politique au religieux, et réciproquement, sans qu’il y ait nécessairement étanchéité entre les deux.

 

Objectifs et principes de la politique de laïcité

Un triple objectif de libération de la décision publique, de promotion de la liberté de conscience et de paix sociale

Si la justice consiste, selon Augustin, à "rendre à chacun ce qui lui est dû", la laïcité opère une juste séparation entre politique et religion.

D’une part, l’État devient autonome, souverain, maître des choix politiques, rompant ainsi avec la logique de dépendance qui prévalait partiellement jusque-là. Il devient admis que le fondement du pouvoir est basé sur un contrat social, il ne découle plus d'une source transcendante car divine. Le processus de laïcisation, conjugué à l'extension du droit de vote, débouche donc sur la démocratisation, sinon la rationalisation, de la décision publique. À titre d’exemple, dans un régime laïque, sur des sujets tels que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou l’euthanasie, les arguments de type religieux ne sont pas recevables en tant que tels. La vie peut être défendue pour de multiples raisons, mais pas parce qu’elle serait un don de Dieu.

D'autre part, le principe de laïcité promeut la liberté de conscience – des croyants comme des non-croyants – et garantit l’égalité de leur traitement. La liberté religieuse a été reconnue en France aux protestants en 1789 et aux juifs en 1791. À l’inverse, un État athée (l’URSS hier ou la Corée du Nord aujourd'hui) ou un souverain qui imposerait sa religion à ses sujets (comme sous la monarchie absolue en France) répriment nécessairement la liberté de conscience d’une partie des citoyens. La laïcité protège l’ensemble des croyants et des non-croyants en ne favorisant aucune catégorie et en défendant, le cas échéant, la liberté religieuse des uns contre l’oppression des autres.

Pour cette raison, enfin, le principe de laïcité est le meilleur cadre pour "vivre ensemble" dans une société largement plurielle. Il assure la coexistence pacifique des opinions et conjure le risque de guerres civiles religieuses comme celles qui ont marqué les sociétés européennes aux XVIe et XVIIe siècles.

Deux principes complémentaires mais à hiérarchiser

Pour atteindre ces objectifs, l’État laïque mobilise deux principes :

  • la garantie de la liberté religieuse, dans le respect de l’ordre public et des autres libertés ;
  • la neutralité de l’État, dans le respect de la liberté religieuse.

Mais à quel principe accorder la prééminence ? La question se pose pour chaque cas concret. Plus l’emprise du principe de neutralité s’étend dans la sphère du service public, voire dans l’espace public, plus l’espace d’expression des croyances se réduit, et réciproquement.

La coexistence entre pluralisme religieux et neutralité de l’État ne va pas de soi. Ainsi, le lecteur qui, en parcourant la fin de l’article 2 de la loi de 1905, a été surpris (ou choqué) de constater que l’État doit financer des aumôneries, trahit son adhésion spontanée à la conception d’une "laïcité de combat". Selon cette conception, en effet, les pouvoirs publics ne devraient apporter aucun concours, notamment financier, à l’exercice de la liberté de conscience. Le financement des aumôneries constitue alors une anomalie, un vestige de l’État pré-laïque.

Mais si, à l’inverse, l’accent est mis sur la liberté de conscience garantie à l’article 1er, celle-ci, qu’elle prenne la forme d’une croyance religieuse ou non, doit pouvoir se traduire dans des pratiques et non rester dans le "for intérieur". Selon cette interprétation, il est logique que l’État laïque non seulement autorise mais puisse financer des aumôneries.

Premier principe : la reconnaissance de la liberté de conscience, dans le respect de l’ordre public et des autres libertés

La laïcité accroît les libertés : liberté des croyants et des non-croyants qui, dans des régimes confessionnels, peuvent être opprimés, et plus généralement, libertés individuelles comme le droit au divorce, à l’IVG ou au mariage homosexuel, rendus possibles par l’État laïque sans nuire aux croyants. Comme le dit l’historien et sociologue des religions Jean Baubérot : "Ce n’est pas par la répression mais par la promotion des libertés que la laïcité s’impose aux religions."

Pour autant, la liberté religieuse est doublement limitée :

  • elle s’exerce dans le respect de la liberté d’expression des autres, même si celle-ci prend la forme de pièces de théâtre ou de dessins ou caricatures considérés comme blasphématoires ;
  • l’ordre public et les libertés fondamentales interdisent des pratiques telles que la répudiation, l'opposition à des transfusions sanguines par des témoins de Jéhovah ou la non-révélation à la justice d'agissements criminels au nom du secret de la confession. À cet égard, la lutte contre les dérives sectaires passe par la prévention et la répression des pratiques délictueuses, et non par la définition, donc la stigmatisation de telle ou telle organisation comme secte, ce qui serait contraire à la neutralité de l’État.

Second principe : la neutralité de l’État, sans préjudice pour la liberté religieuse

La neutralité désigne ici l’attitude de l’État qui s’abstient de prendre position dans les domaines de la religion. Cette non-immixtion dans les affaires religieuses peut être vue sous trois angles :

  • institutionnel : État et Églises sont organiquement distincts ;
  • législatif et réglementaire : l’État n’impose, ne privilégie et n’interdit aucune religion ;
  • financier : les pouvoirs publics ne subventionnent directement aucun culte (sauf pour les aumôneries). Sont néanmoins autorisées les aides indirectes telles que les avantages patrimoniaux et fiscaux consentis aux congrégations et aux associations cultuelles, ou les baux emphytéotiques pour la construction d’un édifice cultuel.

En France, le principe de neutralité se traduit notamment par celle du service public, qui implique que :

  • les usagers du service public soient traités sans discrimination ;
  • les agents ne disposent pas, "dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses" (Conseil d’État, 3 mai 2000, Mlle Marteaux).

Une nouvelle fois, toute la question est de savoir si la neutralité implique que l’État doive repousser toutes les religions ou arbitrer entre elles. Le neuter latin signifie-t-il un "ni… ni" (étymologie latine : ne et uter) ou un "et… et" ? Entre l’État qui relègue les religions dans la sphère privée et celui qui apporte son soutien à toutes les religions, sans discrimination, une gradation d’interprétations est possible, qui explique les débats récurrents. Par exemple, faut-il abolir les jours fériés catholiques hérités de l’histoire ou, au contraire, en réduire le nombre et reconnaître de nouveaux jours fériés pour l’islam et le judaïsme ? Faut-il cesser le financement de l’entretien des lieux de culte catholiques antérieurs à 1905 ou admettre également le financement public de mosquées ? Faut-il Imposer un menu unique consensuel (ex : végétarien) dans les cantines scolaires ou proposer systématiquement un menu de substitution quand un plat contenant du porc est servi ? Il existe donc deux façons bien différentes pour l’État d’être neutre, c’est-à-dire d’assurer l’égalité des cultes. On le voit, le principe d’égalité de traitement est consensuel mais autorise des solutions très variables, entre une conception intégratrice voire assimilatrice de la République et le communautarisme qui réduit l’État à un rôle d’arbitre entre des religions qu’il tolère, voire encourage.

De quelque façon qu’on la conçoive, la neutralité laïque n’est pas une politique publique fondée sur une vérité universelle, mais un choix politique fondé sur l'idée selon laquelle le respect de la pluralité des idées et des croyances est préférable à l’imposition d’une vérité unique. Cette neutralité n'implique pas l'inaction. L’État laïque n’est ni indifférent ni passif :

  • il peut intervenir pour faire respecter les libertés religieuses (protection des minorités) et même pour les rendre effectives (via des financements par exemple) ;
  • en sens inverse, il agit, le cas échéant, pour protéger l’ordre public et les libertés fondamentales des comportements religieux lorsque ceux-ci les menacent.

À cet égard, la neutralité ne saurait être absolue. "Il n’y a que le néant qui soit neutre", disait Jean Jaurès. L’État promeut nécessairement une morale laïque, ensemble de principes et de valeurs qui se superposent aux différents credo religieux et rendent même possible leur coexistence. La simple idée que la religion est une affaire privée constitue un postulat, un acte de foi en la raison qui a dû être imposé historiquement aux religions et que l’école reproduit quotidiennement en formant l’esprit critique.

L’action de l’État, entre accommodements raisonnables et laïcité de combat

Un paysage religieux largement reconfiguré depuis un siècle

La loi de 1905 est intervenue dans une France à 90% catholique et s’est employée à apaiser "la guerre des deux France" évoquée par l’historien Émile Poulat, dans laquelle les cléricaux représentaient leurs adversaires sous les traits de chimpanzés et les anticléricaux dépeignaient les cléricaux comme des corbeaux. Par exemple, selon Jean Baubérot, si la IIIe République a instauré l’école laïque, c’est peut-être moins par pure conviction laïque, que parce qu’elle entendait écarter de l’enseignement les membres du clergé et des congrégations, afin d’assurer une instruction éclairée des jeunes générations. Depuis lors, la France s’est massivement déchristianisée, surtout depuis les années 1960. L’islam, deuxième religion de France, suit une dynamique inverse : la part des musulmans dans la population française passerait, selon une étude américaine, de 8,8% en 2016 à environ 18% en 2050. Par ailleurs, le bouddhisme a quitté la marginalité et de nouveaux mouvements religieux connaissent une certaine vitalité, comme les Églises évangéliques. L’État est donc confronté au "retour du religieux dans la sphère publique", selon l’ouvrage éponyme de Jean-Paul Willaime (Éd. Olivetan, 2008).

Ces évolutions créent de nouvelles difficultés :

  • le besoin d’édifices cultuels pour les religions qui ont émergé, afin de respecter l’égalité de traitement entre la religion catholique et les autres ;
  • la nécessité de réinterpréter le cadre juridique existant, voire de le modifier, pour encadrer les nouvelles pratiques rituelles dont certaines prennent des formes extrêmes (on pense au voile intégral, par exemple).

Des difficultés qui ravivent l’opposition entre deux conceptions de la laïcité

La conception libérale met l’accent sur la liberté de conscience. Lors des débats parlementaires, le 26 juin 1905, l’agnostique Aristide Briand (1862-1932) soulignait que "le principe de la liberté de conscience et du libre exercice du culte domine toute la loi". La neutralité se trouve alors subordonnée à la liberté de conscience. C’est la puissance publique, et non l’espace public, qui est neutre ; la religion est une affaire privée mais elle ne doit pas être maintenue dans l’espace privé. De nos jours, par exemple, l’historien de la laïcité Jean Baubérot défend cette perspective.

Une autre approche de la laïcité fait primer la neutralité sur la liberté de conscience. Elle trouve sa source dans la philosophie de Ferdinand Buisson (1841-1932), créateur du mot "laïcité", adepte de la religion civile de Jean-Jacques Rousseau, et inspire, de nos jours, le philosophe Henri Pena-Ruiz comme les anciens ministres de l’Éducation nationale Vincent Peillon et jean-Michel Blanquer.

Quelle est la conception dominante en France ? À première vue, la conception libérale s’est imposée en 1905 et est régulièrement confirmée par la jurisprudence du Conseil d’État. Elle justifie la pratique actuelle des accommodements raisonnables.

Pour autant, la France se singularise par l’accent mis sur le principe de neutralité, au point que l’on peut parler d’une conception française de la laïcité. D’abord, dans de nombreux pays, les agents publics (ou assimilés, comme les accompagnateurs scolaires) sont autorisés à porter des tenues ou signes religieux, ce qui n’est pas le cas en France. Ensuite et surtout, une conception plus intransigeante de la laïcité prévaut fréquemment dans l'opinion publique et le discours politique. Elle s’est traduite par des lois qui imposent la neutralité religieuse à des personnes privées, ainsi :

  • la loi du 15 mars 2004, qui interdit "le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse" (art. 1er), permit de passer outre l’avis du Conseil d’État qui, en 1989, conditionnait l’interdiction à un comportement perturbateur ;
  • la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (visant essentiellement le port du niqab ou de la burqa). Cette loi, validée par le Conseil constitutionnel, est certes motivée par la sécurité publique mais aussi par « "les exigences minimales de la vie en société" et le fait que "les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité". D’un point de vue libéral, seul le premier motif est acceptable, les deux autres relevant d’une forme d’imposition de "valeurs républicaines".

Dans le même esprit, le bureau de l’Assemblée nationale a décidé le 24 janvier 2018 d’interdire aux députés le port de signes religieux ostensibles et il est parfois envisagé d’interdire le voile aux étudiantes (comme le demandait le Premier ministre Manuel Valls en 2016).

Quoique non contraire à la liberté religieuse, cette conception tend clairement à la réduire. Doit-on y voir un durcissement de la société française à l'égard de l'expression des croyances religieuses ? Notons plutôt que le droit vient censurer des comportements, minoritaires mais très visibles, jusqu’alors inédits et risquons l’hypothèse suivante : jusqu’à l’émergence d’un islam radicalisé, les Français pouvaient être juridiquement libéraux parce que les croyants étaient socialement discrets. L’affirmation de l’islam oblige l’État à conformer le droit à la sensibilité d’une majorité de Français qui demeure défiante à l’égard des affirmations religieuses. Il existe en France une préférence collective pour mettre en avant ce qui réunit plutôt que ce qui sépare, afin de rendre possible l'intégration et les brassages. Ainsi, le refus des signes religieux ostensibles à l’école traduit un attachement à celle-ci comme lieu neutre d'émancipation de l'individu, où la religion n’a pas sa place. Cette exception française trouve peut-être sa source dans le fait que l’État, en France, a unifié et façonné la société et non l’inverse. Tout se passe comme si, dans l’esprit d’une partie des Français, l’exigence de neutralité propre à la puissance publique avait vocation à se diffuser dans l’espace public.

En conclusion, il convient de distinguer le principe de la laïcité et ses modalités d’application. L’idée même de laïcité, si elle est actuellement remise en question par l’islam radical, reste largement consensuelle. Depuis plus d’un siècle, la séparation institutionnelle de l’État et des religions est achevée. Mais la vigilance est de mise : la neutralité de l’État est un choix politique qui doit être soutenu par les citoyens pour continuer à s’imposer. Elle est nécessairement combattue par ceux qui estiment que la loi de Dieu doit prévaloir sur la loi de l'État chaque fois qu'elles entrent en conflit. Croyance qui rend possible l’expression de toutes les croyances, la laïcité les oblige à limiter leurs prétentions, ce qui ne leur est pas toujours naturel.

Les débats actuels portent plutôt sur le champ d’extension des libertés religieuses (et réciproquement, de la neutralité religieuse). Où placer le curseur ? Chaque cas concret, dans le contexte d’un retour du religieux, rouvre le débat entre une laïcité libérale ("laxiste", selon ses détracteurs) et une laïcité républicaine ("fermée"). En France, cette incessante réinterprétation du principe de laïcité s’effectue globalement dans le cadre libéral de la loi de 1905, même si une conception plus intransigeante et spécifiquement française de la laïcité s’exprime et tend à modifier le droit lorsque les comportements religieux se font trop visibles (cas emblématique du voile musulman).

Cet article est extrait de

En ce moment