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© Jeff Pachoud/AFP

Sept questions sur les concessions d'autoroutes en France

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

La question de l’exploitation de réseaux autoroutiers par des sociétés concessionnaires revient sur le devant de la scène au moment où l'Etat doit – contractuellement à 7 ans de la fin de concession – définir un cahier des charges pour s'assurer de la "restitution en bon état d'entretien" du réseau.

La concession autoroutière permet à l'État de confier à des entreprises privées le financement, la construction, l'exploitation et l'entretien des autoroutes. En contrepartie, les sociétés concessionnaires sont rémunérées par les péages. Le contrat de concession est établi pour une durée déterminée. À la fin de ce délai, les autoroutes sont restituées à l'État. 

L'État a d'abord attribué les concessions à des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA), puis à des sociétés privées. Les sociétés concessionnaires publiques ont été privatisées (privatisation partielle entre 2002 et 2005, puis totale en 2006). 

Aujourd'hui, plus de 90% des autoroutes sont gérées par 20 sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA).

Les contrats de concession sont approuvés par décret pris en Conseil d’État et publiés au Journal Officiel. La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) est chargée de la passation et de la gestion des contrats de concession. Elle contrôle le respect par les sociétés concessionnaires de leurs obligations.

Le secteur autoroutier concédé représente aujourd'hui près de 9 200 kilomètres. Il existe aussi des autoroutes non concédées, sans péage et gratuites. Elles appartiennent à l'État et sont gérées par la DGITM.

Qu'est-ce qu'une autoroute ?

L'autoroute est une route à plusieurs voies, sans croisement, accessible en des points aménagés spécialement et limitée aux véhicules roulant à une vitesse rapide. Chaque autoroute porte un numéro associé à la lettre A : A6, A7, A10, par exemple (il existe aussi une numérotation européenne qui commence par la lettre E). Le cadre juridique des autoroutes est prévu dans le code de la voirie routière (articles L122-1 à L122-33). 

Dans les années 1950, l’augmentation du trafic automobile nécessite de développer le réseau routier français.

Les projets d’autoroutes se multiplient, avec à la clé d’énormes besoins d’investissement.

Conscient de ne pas pouvoir assurer seul ce financement, l’État décide de recourir au principe de la concession.

La gestion des autoroutes est confiée à des sociétés concessionnaires, dont le capital est partagé entre l’État, qui reste majoritaire, et une société privée.

Ces sociétés assument la construction et l’exploitation des autoroutes en se finançant par des droits de péage auprès des usagers.

Les concessions sont signées pour une durée limitée, avec des échéances prévues entre 2031 et 2036.

Les autoroutes concédées restent la propriété de l’État.

Plus de 90% du réseau autoroutier, soit environ 9000 kilomètres, sont exploités par des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA).

La modernisation du réseau et le désendettement de l’État motivent le gouvernement à totalement privatiser les SCA en 2006.

Dans les années suivantes, des rapports alertent sur la rentabilité élevée de ces sociétés.

Cette rentabilité est perçue comme trop favorable par rapport aux charges et à la dette qui pèsent sur les sociétés concessionnaires.

La privatisation est critiquée pour avoir enlevé à l’État des bénéfices générés par les droits de péage.

En 2015, un protocole prévoit d’allonger la durée des concessions contre la promesse d’investissements pour l'amélioration des autoroutes.

La loi du 6 août 2015 donne à l’Autorité de régulation des transports un rôle central dans le contrôle du secteur autoroutier concédé.

En 2020, un rapport d’enquête du Sénat recommande de mieux encadrer les concessions d’autoroutes, voire de ne plus prolonger certaines d’entre elles.

La question de la renationalisation des autoroutes revient régulièrement à l’ordre du jour, tout comme celle des tarifs de péage.

Après avoir connu une hausse importante en 2023 (+4,75% d'augmentation en moyenne), le prix des péages a réduit son inflation (+3% en 2024 et +1% 2025).

Les recettes de péages représentent 97,3% du chiffre d'affaires du secteur autoroutier concédé. En 2023, le chiffre d'affaires des SCA s'établissait à 12,3 milliards d'euros, selon l'Autorité de régulation des transports (ART).

Le péage est une redevance perçue pour les services rendus aux usagers (commodité, rapidité et sécurité des autoroutes). Il est directement lié au contrat de concession : son montant évolue dans un cadre fixé par cette convention. Les tarifs des péages sont réglementés (article L122-4 du code de la voierie routière et décret du 24 janvier 1995) et indexés sur l’inflation. 

Avant d'augmenter les tarifs de péage, les sociétés concessionnaires doivent soumettre les grilles tarifaires à l'État qui vérifie leur conformité au contrat. Les prix peuvent aussi être ajustés en cas d'investissements nouveaux et non prévus. L’Autorité de régulation des transports doit par ailleurs rendre un "avis préalable sur tout projet d’avenant à un contrat de concession en cours, dès lors que celui-ci a un impact sur les tarifs (ou sur la durée de la concession)."

La fixation des prix est plus complexe pour les sociétés concessionnaires récentes (procédure d’appel d’offres et panier d’indices).

Les concessions d'autoroute font l'objet de vives critiques depuis la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), notamment en raison d'une rentabilité jugée trop élevée.

Le processus de privatisation a permis aux concessionnaires de racheter les parts de l'État à un montant peu élevé (15 milliards d'euros), rappelle, par exemple, le rapport de la commission d'enquête du Sénat en septembre 2020. Par ailleurs, la vente des autoroutes n'a été précédée "ni d’une révision des contrats de concession, ni d’une définition de l’équilibre économique et financier des concessions ni d’une révision des relations avec l’État concédant". Les sénateurs prévoient alors "des perspectives de rentabilité très supérieures aux estimations initiales". Une expertise indépendante réalisée à la demande du Sénat évalue le montant des dividendes versés par les SCA à 40 milliards d'euros (Md€) à partir de 2022 et jusqu'à la fin des concessions.

Une expertise de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de février 2021 confirme une rentabilité très supérieure aux prévisions : ASF-Escota (Vinci) et APRR-Area (Eiffarie, coentreprise d'Eiffage et Macquarie) présentent un taux de rentabilité des investissements respectivement de 11,77% et 12,49%. Les bénéfices vont à l'encontre du principe de rémunération raisonnable qui permet à l'autorité concédante (l'État) de réduire la durée de la concession.

Dans un rapport "Économie des concessions routières" de janvier 2023, l’ART juge au contraire que la rentabilité des SCA n'est pas excessive. Elle évalue "la rentabilité des autoroutes historiques à 7,8%, et celle des plus récentes à 6,3%, très en dessous des 12% de l’IGF, qui ne prenait pas en compte l’amortissement des capitaux propres".

Plan autoroutier : la question de la compensation des travaux par l'État

À trois reprises (le "Paquet vert" en 2010, le plan de relance routier en 2015 et de nouveaux investissements en 2016), l'État a accepté de modifier le cahier des charges des SCA moyennant une compensation, pour effectuer des travaux non prévus dans le contrat de concession. La Cour des comptes dénonce ces accords (référé en 2019 plan de relance autoroutier) et pointe la "position de faiblesse de l'État" qui a accepté les demandes de compensation des SCA (allongement de la durée du contrat de concession qui repousse la mise en concurrence et hausse des tarifs des péages). D'autant plus, souligne le référé, que les SCA devaient percevoir 15 Md€ de prolongation de leur concession accordée en 2015. La Cour rappelle que, depuis la "loi Macron" de 2015, la compensation doit s’appuyer sur une hausse des péages. 

Les principaux contrats de concession se terminent entre 2031 et 2036. Après ces dates, la commission d'enquête du Sénat préconise notamment de :

  • renforcer le contrôle de l'État (donner à l'ART les moyens d'informations sur le suivi de la rentabilité et sur le contrôle de l'attribution de nouvelles concessions) ;
  • cesser de prolonger la durée des concessions (inventaires des biens de retour des concessions, critères sur le bon état des biens restitués...) ;
  • établir des contrats équilibrés dans les futures concessions : durée limitée à 15 ans, et clause de révision tous les cinq ans pour éviter la réapparition de "rente autoroutière" ;
  • verdir les tarifs des péages (réductions tarifaires pour les poids-lourds les plus performants écologiquement, par exemple). 

L'expertise IGF-CGEDD préconise de renforcer l'État dans son rôle de concédant et l'Autorité de régulation des transports (ART) dans son rôle de régulateur. Les négociations sur les contrats de concession devraient être soumises à un cadrage interministériel et légal renforcé.

Saisi de la question de la contribution des sociétés aux investissements publics et de l'équilibre des contrats de concession, le Conseil d'État a rendu deux avis. Il n'est pas favorable à une réduction de la durée des concessions (avis). Le Conseil juge au contraire possible juridiquement une taxation des SCA "catégorie homogène qu’il est loisible au législateur d’imposer de manière spécifique". L'avis rappelle toutefois que les concessionnaires ont alors droit à une compensation (avis portant sur la contribution de certaines sociétés titulaires de contrats de concession).

La loi de finances pour 2024 a instauré une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance qui, en pratique, s'applique aux sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ainsi qu'aux principaux aéroports (Roissy, Orly, Marseille, Lyon, Nice et Toulouse). Cette taxe impose à un taux de 4,6% les revenus d'exploitation qui dépassent le seuil de 120 millions d'euros des exploitations d'infrastructures de transport de longue distance dont le niveau de rentabilité moyen est supérieur à 10%.

Depuis la loi du 6 août 2015, l'Autorité de régulation des transports (ART), ancienne Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), a trois missions :

  • réguler les tarifs des péages ;
  • contrôler les procédures de passation et exécution des marchés (veiller à une concurrence effective et loyale) ;
  • publier, au moins tous les cinq ans, un rapport sur l'économie générale des conventions de délégation et un suivi de rentabilité des concessions chaque année.

L'Autorité contrôle les procédures de passation des marchés de travaux, de fournitures et de services des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), ainsi que celles relatives à la mise en sous-concession des activités liées aux aires de service. Son rapport publié en juillet 2025 montre un niveau de concurrence satisfaisant mais un nombre de marchés attribués aux entreprises liées préoccupant (fournisseurs soumis directement ou indirectement aux sociétés concessionnaires). 

La création d'une autoroute est soumise à plusieurs phases préalables de concertations, d'études et d'autorisations :

  • diagnostic du territoire (état des lieux des forces et faiblesses et des attentes, enjeux économiques, sociaux et environnementaux) ;
  • concertation préalable (association du public) ;
  • étude d'impact et évaluation environnementale ;
  • enquête d'utilité publique ;
  • déclaration d'utilité publique (DUP) par décret permettant les expropriations des propriétaires situés sur les sites des travaux ;
  • procédure de mise en concession : lancement des appels d'offres pour les concessionnaires.

Entre la décision de construire une nouvelle autoroute, la réalisation des travaux et la mise en service, il peut se passer de nombreuses années, en particulier en cas de recours.

C'est le cas par exemple de la construction de l'autoroute A69 entre Toulouse et Castres, qui, depuis l'élaboration du projet en 2010, connait de nombreuses phases judiciaires qui ont pu interrompre le chantier. 

À l'approche de l'échéance de la concession (en principe 7 ans avant le terme), l'État – via l'ART – doit préciser ses exigences sur le niveau d'entretien attendu en fin de contrat en vue de la pérennisation des infrastructures (chaussée, ouvrages d'art, équipements des tunnels...). 

C'est à cette fin que l'ART a publié un rapport en novembre 2024 consacré à l'examen des obligations des concessionnaires en fin de contrat. 

L'État doit également s'assurer que les coûts supplémentaires liés à la remise en bon état d'entretien en fin de concession (1,2 milliard d'euros sur 5 ans selon l'estimation de l'ART) n'engendrent pas une hausse excessive des tarifs de péage pour les usagers dans les prochaines années et que les capacités de financement de ces travaux sont assurés (au besoin par une garantie bancaire).

Les sociétés concessionnaires doivent par ailleurs s'engager à financer les investissements de seconde génération qui figurent dans les contrats mais ne sont pas réalisées à ce jour (par exemple les élargissements de voies prévues).      

Pour les deux sociétés concessionnaires qui seront les premières concernées par une fin déchéance de contrat, la Sanef (en 2031) et Escota (en 2032), l'État a d'ores et déjà établi un programme d'entretien et de renouvellement qui comprend une définition stricte du "bon état entretien" du réseau.

À l'issue de la durée de la concession, plusieurs hypothèses se présentent : 

  • le non-renouvellement du système de concession remplacé par la gestion en régie du réseau autoroutier par l'État ou par les collectivités locales ;
  • un maintien du système mais avec des modifications dans la durée de la concession et dans les engagements des sociétés autoroutières vis-à-vis des autres systèmes de mobilité.

Un cadre plus exigeant pour les prochains contrats et un fléchage des recettes vers les infrastructures de transport 

Le 9 juillet 2025, le ministre des transports, Philippe Tabarot, a annoncé vouloir mettre en place un "cadre plus exigeant, mieux, contrôlé et plus strict de l'État" s'agissant des futurs contrats de concessions. Il a également annoncé une prochaine loi sur les transports qui prévoit "le fléchage de l'intégralité des recettes des futurs péages vers les infrastructures de transports", ainsi qu'une "hausse des investissements pour la régénération du réseau ferroviaire".