Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle 2002, à "France-Antilles", le 1er février 2002, sur ses propositions pour l'Outre-Mer : planification contractuellement définie entre les collectivités locales et l'Etat, défiscalisation des investissements, alignement des taux du crédit sur les taux moyens de la zone euro, et nécessité d'assurer une meilleure sécurité, et déclaration à Paris 9 février 2002.

Prononcé le 1er février 2002

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion à la Mutualité à Paris, le 9 février 2002

Média : France Antilles

Texte intégral

Interview à "France-Antilles"
1 -Pourquoi, dans le cadre de votre campagne pour l'élection présidentielle, avez-vous choisi de venir en Guadeloupe et Martinique ?
Comme la Réunion où je me suis rendu en décembre dernier, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique sont partie intégrante de la France (Je regrette au passage de n'avoir pu visiter la Guyane) Elles sont aujourd'hui au coeur d'un débat largement suscité sinon artificiel qui est celui de " l 'évolution statutaire ", alors que seule l'affirmation d'une pleine citoyenneté peut permettre de relever les vrais défis qui sont d'abord économique. J'ai choisi de venir ici, d'abord pour écouter et aussi pour dire moi-même, ce que j'en pense et quelles sont, à mon sens, les priorités dans l'ordre des problèmes qui concernent nos compatriotes des quatre DOM.
2 -Alors qu'en métropole les sondages vous créditent de scores intéressants, deux études réalisées localement vous situent autour de 1% d'intentions de votes.
Comment analysez-vous ce désintérêt antillais pour votre candidature ?
L'opinion est conditionnée à s'intéresser d'abord aux deux candidats qui gouvernent la France. Il est évident que le résultat des sondages et, surtout, le verdict des urnes seront tout différents, dès lors que j'aurai pu m'exprimer sur mes options, et qu'en particulier nos compatriotes des départements français d'Amérique auront pu comprendre que je suis le meilleur garant de leur avenir qui passe par leur avenir qui passe par leur maintien au sein de la République et non par des glissements successifs qui risquent de nous conduire là où ne nous voulons pas aller.
3 - Quel regard portez-vous sur la candidature de Mme Taubira ?
Madame Taubira-Delanon est une élue que je connais bien puisqu'elle a rejoint le groupe RCV à l'Assemblée Nationale. Je considère donc sa candidature avec sympathie même si je ne partage pas nécessairement ses vues, en particulier sur le statut des DOM.
4 - Dans le cadre de l'évolution institutionnelle rendue possible par la loi d'orientation pour l'outre-mer, les élus guyanais et antillais avancent l'idée d'une collectivité unique par région dotée de pouvoir élargis. Qu'en pensez-vous ?
Le maintien clair du statut départemental peut seul garantir à nos concitoyens leurs droits acquis au sein de la communauté nationale et leurs droits nouveaux au sein de la communauté européenne.
Pour autant, je suis favorable à l'élargissement des compétences des DOM, par exemple pour ce qui concerne la possibilité de nouer des relations plus fortes et plus constructives avec les Etats voisins de la Caraïbe. Je suis également partisan d'une assemblée et d'un exécutif uniques, balancés, si " l'on peut dire ", par une déconcentration des pouvoirs de l'Etat au profit du préfet. Décentralisation et déconcentration vont de pair. C'est une erreur de les opposer alors qu'elles sont complémentaires.
Toutes ces réformes, importantes, peuvent se faire dans le cadre départemental et dans le respect de la Constitution.
5 - Etes-vous partisan d'une révision de la Constitution afin de donner plus pouvoirs aux élus d'outre-mer ?
Je viens de le dire : la Constitution, et notamment son article 73 offre des possibilités qui ne sont que rarement utilisées d'adapter la législation nationale à la situation particulière des DOM. Il nous appartient d'en profiter sans pour autant déroger à la règle de l'égalité. Le Conseil Constitutionnel a clairement rappelé que la loi votée à Paris par les élus corse devait s'appliquer en Corse. C'est le principe posé par la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : la loi doit être la même pour tous sinon c'est la porte ouverte à toutes les inégalités.
Déjà le département et la région pourraient, sans même le vote d'une simple loi, fusionner leurs structures ou leurs services traitant des mêmes problèmes.
Dans le domaine du tourisme, par exemple, l'office départemental du Tourisme et l'agence régionale de développement touristique peuvent fusionner sur de simples délibérations du conseil général et du conseil régional. La loi peut aussi être adaptée par le parlement à la situation spécifique des département d'outre-mer. Le gouvernement peut enfin prendre des décrets propres aux DOM.
Il ne faudrait pas que l'arbre institutionnel nous cache la forêt de nos possibilités et de nos opportunités.
6 - Estimez-vous que la France devra un jour se séparer de ses départements et territoires d'outre-mer ?
Les Antilles sont françaises depuis plus longtemps que la Franche-Comté : c'est Aimé Césaire qui me le rappelait en 1994. Les territoires d'outre-mer ont un autre statut et la Constitution leur permet une quasi autonomie. Je note tout de même qu'ils ne semblent nullement pressés de quitter le giron français mais cela risque de ne pas durer toujours...
7 - Certains élus locaux vous classent parmi les derniers Jacobins de France...
Si être Jacobin signifie aimer la République son idéal de justice sociale, d'égalité et de fraternité, je revendique d'être le premier.
8 - En Martinique, comme en Guadeloupe, la délinquance a fortement augmenté.
Quels remèdes préconisez-vous afin de contrer l'insécurité ?
La sécurité que la République doit aux citoyens est un ensemble qui commence avec le respect des lois et l'adhésion volontaire de chacun aux règles communes. Naturellement les Pouvoirs Publics doivent faire régner l'ordre et la tranquillité publique. C'est la loi qui protège le faible du fort et elle doit être appliquée. Un travail en profondeur est nécessaire pour faire disparaître les causes de l'insécurité : une société frappée par le chômage, où la solidarité nationale n'existe pas, où les conditions de logement et d'éducation sont mauvaises est évidemment beaucoup plus exposée à la délinquance et à la criminalité qu'une autre, fraternelle et industrieuse.
C'est pourquoi je pense qu'il faut s'engager sur l'objectif raisonnable d'un PIB moyen par habitant de 80 % de celui de la métropole en vingt ans. Je rappelle qu'il se situait à 45 % en 1992.
D'autre part, s'agissant de l'ordre public et de l'action de la justice et de la police, la fermeté est de mise. Je ne privilégie aucune forme de lutte contre la délinquance. Toutes doivent être menées avec résolution. C'est la responsabilité du préfet et du procureur général. Au gouvernement de bien les choisir et de veiller à la cohérence de leur action.
9 - Certains syndicats de police militent pour la mise en place de véritables équipes spécialisées dans la lutte contre la drogue ou la sécurité des biens et personnes ?
Etes-vous favorable à une telle démarche ?
Il faut distinguer, pour répondre à votre question, entre les missions de police spécialisée et celles de police générale.
Pour les premières qui concernent la lutte contre la drogue, contre la grande criminalité, contre les ingérences extérieures, la police n'échappe pas à la nécessité de la spécialisation et de la coopération internationale. Je pense que sur ces points, nous avons donné la preuve de notre efficacité.
Pour les missions de police générale, celles qui tiennent à l'ordre public, à la délinquance, aux trafics illicites (drogue, prostitution), l'ensemble des services de police sont concernées et ils doivent agir de manière permanente et concertée. Toutes les formes d'intervention sont importantes, la police de la route comme la sécurité des lieux publics.
Pour assurer la lutte contre la délinquance au quotidien, j'ai lancé une grande réforme : la police de proximité, où le policier est reçu dans son quartier comme un allié ou un ami plutôt que comme un adversaire ; mais bien entendu il faut se donner aussi les moyens d'éradiquer les noyaux durs de la délinquance ; ce que le gouvernement par faiblesse s'est refusé à faire jusqu'ici.
10 - L'économie antillaise souffre d'un climat quasi permanent d'agitation sociale.
Considérez-vous que le droit de grève devrait être davantage encadré ?
Le droit de grève est garanti par la Constitution. Pour autant il ne faut pas confondre la défense des intérêts légitimes des travailleurs avec des opérations nourries d'arrière-pensées politiques. Je ferai à ce sujet trois observations :
· la première est que le droit de grève n'a pas la primauté sur d'autres droits, comme le droit de circulation ou le droit de propriété ;
· la seconde est que le cadre dans lequel il s'exerce, ici, aux Antilles, est insulaire. La Guadeloupe et la Martinique, en raison de leurs échanges importants avec la métropole sont beaucoup plus tributaires des transports que les départements continentaux. Je pense que des mesures particulières doivent permettre d'assurer une desserte permanente pour ne pas les précipiter dans le chaos.
· la troisième est relative à l'accord passé entre les partenaires sociaux de la Martinique qui répond à l'exigence dont je viens de parler et me paraît exemplaire. Cet accord organise précisément les conditions du transport aérien et maritime en cas de conflit social et je ne peux qu'en féliciter les auteurs.
11 - La reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité a ouvert la porte à un débat sur la répartition de ce crime. Etes-vous favorable à une procédure d'indemnisation des descendants d'esclaves ?
J'ai voté le texte proposé par Christiane Taubina-Delanon et me réjouis de son adoption qui marque de la part de la France tout l'attachement qu'elle porte à tous ses enfants, quelle que soit leur couleur, leur origine ou leur religion, puisque dans notre histoire, certaines religions furent persécutées.
Quant à évoquer l'indemnisation des descendants d'esclaves, je me réfère à la très belle interview donnée par Aimé Cesaire à l'Express qui estime " qu'il n'y a pas de réparation pour quelque chose d'irréparable ".
Je préfère dire que la dette de la France envers ses enfants autrefois persécutés est éternelle.
12 - En Guadeloupe, le procès pour incitation à la haine raciale d'un animateur d'une chaîne de télé privée a conduit à des violences à l'encontre de la communauté haïtienne. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?
La communauté haïtienne a droit à notre amitié et à notre fraternité. Elle doit se soumettre à nos lois, celles qui régissent l'immigration comme celles qui règlent le séjour de ses membres.
La haine sociale, qui n'est le fait que de minorités dépourvues de civisme, n'est pas digne. Mes compatriotes guadeloupéens la réprouvent, je le sais, dans leur immense majorité.
13 -Les obsèques de Léopold Sedar Senghor ont été " oubliées " par le Président Chirac comme par le Premier Ministre Lionel Jospin. Pensez-vous qu'une telle attitude réponde aux attentes et à l'attachement de l'Afrique à l'égard de la France ?
C'est une faute politique et, pire, un manquement impardonnable au devoir de solidarité qui doit plus que jamais nous porter vers l'Afrique. Cette absence, des deux responsables de l'exécutif, aux obsèques d'un grand Africain et, si vous le permettez, d'un grand Français, a heurté légitimement au Sénégal, en Afrique et en France. Il appartenait au Chef de l'Etat plus qu'à tout autre de témoigner de l'émotion et de la reconnaissance de tout un peuple, le nôtre, à tous nos frères africains.
Je me suis rendu à Dakar, voici quelques jours, avec Régis Debray et plusieurs parlementaires pour montrer que le peuple français dans ses profondeurs n'oubliait pas l'Afrique et n'entendait pas renier notre histoire commune.
(source http://www.chevenement2002.net, le 4 février 2002)
Déclaration à La Mutualité

Je suis particulièrement heureux de retrouver auprès de vous ce soir, mes chers compatriotes de l'Outre-Mer, cette ambiance incomparable, prenante, émouvante que je n'ai quittée qu'à regret voici quelques jours.
Je reviens en effet des Antilles, de la Martinique et de la Guadeloupe, ébloui de tant de splendeurs, séduit par tant de chaleureuse amitié, comme je le fus, en décembre à la Réunion, incomparable écrin de l'Océan Indien. En vous tous qui êtes rassemblés ici je retrouve cette conviction, ce patriotisme que j'ai senti vibrer au-delà des océans, et qui nous rendent fiers d'être Français ensemble et à jamais.
C'est à partir de l'Outre Mer que nous allons reconquérir la France, la vraie, la France républicaine, celle qui rebondit d'âge en âge et nous porte vers les sommets.
J'ai parcouru les villes et les mornes, j'ai rencontré les élus, les travailleurs, les chefs d'entreprise, des simples citoyens, j'ai été interpellé, j'ai questionné, accompagné, soutenu par ceux qui ont pris à cur de porter mon message, Guy Lordinot -que je remercie tout particulièrement d'être présent ce soir- et Rodolphe Désiré à la Martinique, Franck Quillin et Félix Proto à la Guadeloupe, Bruno Guigue à la Réunion, Ali Boto à Mayotte.
Ce message, c'est celui de la République, une République fraternelle, laïque, ambitieuse, une République qui parle au monde comme je l'ai fait à Porto-Alegre en demandant la suppression du FMI et l'inversion des flux financiers qui vont aujourd'hui du Sud vers le Nord et qui doivent aller demain du Nord vers le Sud pour aider celui-ci à développer ses infrastructures, son système éducatif, son système de santé, pour l'aider enfin à décoller vraiment pour que l'Humanité soit une et non pas divisée et que le XXIème siècle soit un siècle de paix et de dialogue et non pas de confrontation entre les civilisations. Ce message toujours actuel, que certains veulent brouiller, je lui ai redonné toute sa force, toute son actualité, toute sa limpidité. Où peut-on le comprendre mieux que dans notre Outre-Mer où brûle encore la cicatrice de l'esclavage ? Car c'est avec la République et non pas en dehors d'elle que nous pousserons plus loin le vieux combat. Je suis revenu, non pas rassuré, mais convaincu d'avoir enfin replacé les discours de Madiana et de Champ Fleuri pour ce qu'ils sont, des propos de circonstance, inspirés par la démagogie, pauvrement justifiés par la peur de perdre qui se cache derrière la frénésie du pouvoir pour le pouvoir.
Le Président de la République, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a failli à son devoir de garant de la Constitution. Il a, pour répondre à la demande de Mme Michaud-Chevry, accepté, pour la première fois dans l'histoire de la République, que soit remis en cause le statut des DOM. Pour faire bonne mesure, et parce que nos amis réunionnais refusaient cette réforme, il en a proposé la révision " à la carte ", comme si la République était une auberge espagnole où l'on consomme ce qu'on apporte. Il a même donné l'assurance aux élus guyanais que ce serait chose faite avant les élections. C'est plus que de la fébrilité, c'est de la panique.
Le Premier Ministre, qui suit le Chef de l'Etat comme son ombre, au point de le marquer à la culotte, a promptement réagi. Puisque Dupont-Chirac proposait une évolution à la carte, Dupont-Jospin a mis en avant une évolution différenciée. Et pour donner du corps à sa lumineuse idée, comme tout le monde semblait se plaindre de ce qu'il y ait deux assemblées dans chaque DOM, un Conseil Général et un Conseil Régional, il en a rajouté une troisième, le Congrès. Ce congrès qui préfigure l'assemblée idéale puisqu'il compte tous les conseillers généraux et tous les conseillers régionaux, soit près d'une centaine de personnes, n'a débouché que sur des propositions confuses, de l'aveu même des participants.
Je vous donne en exemple les élucubrations de celui de la Guadeloupe présidé par Madame Michaud-Chevry, la seule élue d'un DOM -avec Margie Sudre- qui ait été ministre de la République, et qui aujourd'hui aussi, s'entend fort bien avec les autonomistes, mais aussi avec les indépendantistes du KLNG autrement dit ceux du " combat pour la libération nationale de la Guadeloupe ".
Que propose ce document ? Le transfert à la collectivité, outre les compétences actuelles, de la fiscalité et du régime douanier, de l'aménagement du territoire avec le logement et la gestion du littoral, du patrimoine foncier et agricole, de la politique énergétique, de la coopération régionale et, tenez-vous bien, du choix des emblèmes et signes distinctifs de la nouvelle collectivité. Il propose aussi de partager avec l'Etat l'Education, c'est-à-dire la détermination des programmes du primaire et du secondaire, la désignation des enseignants, celle des hauts fonctionnaires, les transports aériens et maritimes, les télécommunications et l'audiovisuel ! Derrière cette boulimie de pouvoir affichée par Madame Labulle et Monsieur Lacloche, qui digèrent déjà difficilement ceux qu'ils exercent ou plutôt n'exercent pas, sont oubliés les vrais problèmes, ceux du développement économique et social, du rattrapage du niveau de vie, de la place des DOM au coeur de la communauté nationale, de la sécurité, de l'éradication de la drogue, de l'Ecole, de la protection sociale et du Logement.
Durant mon séjour dans nos DFA, j'ai été longuement sollicité par les élus sur ce que je considère comme le faux problème statutaire, parce que nos compatriotes des départements d'Outre-Mer ont le droit d'être aussi pleinement assurés de leur destin que les Auvergnats ou les Corses, ce qui n'empêche nullement une évolution institutionnelle. On n'a pas le droit de faire vivre dans l'incertitude des lendemains tant de femmes et d'hommes qui ont travaillé pour construire une maison au pays, bénéficier d'une retraite décente, savourer la fierté d'être citoyens d'une grande nation. Je l'ai fait en rappelant deux principes : le premier est celui de l'unité et de l'indivisibilité de la République, posé par l'article I de la Constitution, et qui seul assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi en inscrivant clairement l'avenir des DOM au sein de la collectivité nationale ; le second est celui de la nécessité d'une évolution institutionnelle, en application de l'article 73 de la Constitution, qui peut et doit conduire selon moi à une assemblée et à un exécutif uniques pour les DOM et à l'élargissement des compétences réglementaires des collectivités locales de l'Outre-Mer. Car je ne suis nullement un adversaire de la décentralisation, bien au contraire.
Mais rien de tout cela ne nous oblige à sortir de la Constitution, qui est le pacte qui unit les citoyens et qu'on ne doit pas traiter comme un papier Kleenex. En somme, je ne préconise rien d'autre que l'application de la Constitution, rien que la Constitution, mais toute la Constitution en tirant d'elle tout ce qui peut l'être.
Face à cette attitude, que je sais largement partagée par nos compatriotes d'Outre-mer, que trouve-t-on ?
Le bébé voit se pencher sur son berceau deux bonnes fées qui ont les traits de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, qui font assaut de promesses. Ils vantent le droit à la différence. Mais on sait où cela conduit à la fin : à la différence des droits, tout simplement.
Dans leur hâte à combler le nouveau-né, ils ont oublié de lui dire que leurs baguettes magiques n'empêcheront pas le prix de l'électricité de doubler, celui des logements sociaux d'augmenter fortement, le niveau de vie de baisser, toutes choses d'ailleurs que les indépendantistes ne se privent pas d'annoncer, ce qui témoigne dans leur scénario d'une certaine lucidité.
Or la République n'est pas à vendre par appartements. Hexagonale ou ultra marine, elle est simplement en dehors de tout enjeu électoral.
Le plus triste n'est donc pas dans la surenchère démagogique de deux hommes qui nous ont donné pendant cinq ans le spectacle d'un ménage rabiboché, tiraillé, bégayant ses répliques, la tête cherchant la queue et la queue la tête pour une politique sans queue ni tête.
Le plus triste est dans l'oubli des vrais problèmes qui intéressent les DOM.
Il est dans le mépris dont cette démagogie témoigne vis-à-vis de nos compatriotes d'Outre-Mer, que l'on croit, que l'on dit incapables de s'intéresser aux grands, aux vrais problèmes qui concernent les citoyens : la place et le rôle de la France dans le monde et particulièrement vis-à-vis du Sud, l'avenir de l'Europe, la force de notre économie, l'éclat de notre culture et jusqu'à la francophonie !
En fait, on donne un seau et une pelle à nos compatriotes d'Outre-Mer et on les prie d'aller jouer sur leur tas de sable sans s'occuper des affaires des grands, de la diplomatie du développement, de la politique africaine, de l'euro, de la croissance économique, de la criminalité organisée, de la justice, de l'éducation.
Je me refuse à cette dépréciation honteuse. Je regrette cette classification entre les électeurs : il n'y a pas ceux auxquels on parle de la France, et ceux auxquels on parle de leur Ile.
Je veux leur parler, je veux vous parler comme à des concitoyens aussi clairvoyants que n'importe quels autres. Je veux vous parler de la France, que vous avez construite aussi bien que moi (Aimé Césaire me rappelait que la Martinique est française depuis plus longtemps que la Franche-Comté), que vous avez faite ce qu'elle est, et qui, bien entendu, vous doit une attention particulière sur les problèmes spécifiques que vous connaissez.
C'est au nom d'une histoire que, pour ma part, je n'oublierai jamais : la révolution française abolissant l'esclavage, Pertinax et Toussaint Louverture en Haïti, les milliers de soldats des DOM aux Dardanelles, dans la Somme, au chemin des Dames. Je n'oublierai pas le Général Lanrezac qui arrêta par le Nord l'offensive ennemie en 1914, ni le Bataillon du Pacifique, ni les fameux "dissidents" qui rejoignirent la France Libre et la Première Armée. Ces liens nous créent à tous des devoirs. Je constate aujourd'hui, au retour de mes déplacements à la Réunion, en Martinique et en Guadeloupe, que le seul vrai domaine dans lequel la République n'a pas encore réussi à donner aux DOM l'égalité de traitement est celui du développement économique.
Il est clair qu'en dépit des progrès réalisés, les DOM restent en retard par rapport aux autres départements et qu'il convient de les faire plus rapidement progresser. Leur PIB doit atteindre d'ici vingt ans 80 % de celui de la métropole, tel est l'objectif raisonnable et ambitieux que nous devons nous assigner. Je rappelle que nous nous sommes obligés à mettre à niveau nos régions ultra-périphériques. Pour y parvenir je propose une méthode et des moyens.
La méthode c'est une programmation, une planification si l'on préfère, contractuellement définie entre les collectivités locales ultra-marines et l'Etat, sans oublier les concours européens. Ce document établi pour dix ans, reconductible, doit fixer les objectifs, et en garantir la réalisation par la définition de dotations budgétaires indexées.
Je tiens, à ce moment de mon propos, à souligner l'importante contribution assurée par le rapport du sénateur Rodolphe DESIRE en particulier pour ce qui concerne la mise en oeuvre des moyens :
·- une défiscalisation des investissements qui permettrait un nouvel afflux de capitaux, préférable à des transferts massifs par le jeu des mécanismes de solidarité. Guy Lordinot propose par exemple la création d'un fonds partenarial que l'Etat et les Collectivités abonderaient par moitié. Dans cette direction, on peut avancer.
·- un alignement des taux du crédit sur les taux moyens de la zone euro. Une garantie pourrait être apportée en tant que de besoin, par un fonds abondé, en fonction du même principe, par une contribution égale de la Collectivité nationale et des Collectivités Territoriales.
·- la définition et le financement de grands projets, comme ceux du développement maritime et aérien. Les DFA ont vocation à devenir des plates-formes du commerce international dans leurs zones, et à accueillir des infrastructures touristiques de grande capacité. Le capital considérable que constitue l'espace naturel outre-mer mérite une protection vigilante.
·- la mise en oeuvre d'une politique de l'éducation originale avec l'affirmation de la capacité à accueillir des étudiants étrangers dans toutes les disciplines, à assurer l'avenir et l'enrichissement du créole, à placer la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane au premier rang des lieux d'expression de l'intelligence.
Les problèmes des Français sont les vôtres naturellement, et je veux aborder le premier devoir de l'Etat : assurer la sécurité et le respect des lois. Il n'y a pas d'Etat, il n'y a pas de République où et quand règnent le désordre, la délinquance et la criminalité. Cette évidence est perdue de vue par bien des gouvernements. Ceux qui acceptent qu'il y ait des "zones de non-droit", ceux qui refusent l'ouverture de centres de retenue pour les jeunes délinquants multi-récidivistes, ceux qui réduisent le nombre des commissaires et des officiers de police, ceux qui tolèrent que les banlieues se gangrènent de territoires quasi-autonomes où de petits groupes font leur loi, tous ceux-là renoncent aux principes républicain.
Le retour du civisme, condition sine qua non de la sécurité, impose qu'on respecte le code de la route , qu'on paie ses impôts, qu'on ne vole pas dans le métro, qu'on ne viole pas dans le RER, qu'on ne bouscule pas les veilles dames pour leur arracher leur sac.
L'esprit de responsabilité, l'autorité de la règle commune, en un mot le civisme, impliquent que l'on se consacre par priorité aux deux dérives les plus pénalisantes : la grande criminalité et les violences urbaines. L'une et l'autre, et ce n'est pas un hasard, concernent au premier chef les DOM, et ce qui est valable pour la France entière l'est tout autant pour nos département ultramarins.
La grande criminalité s'est installée confortablement au coeur de notre société, avec un chiffre d'affaire situé entre 700 et 1000 milliards d'Euros. Fondée sur de nouvelles activités, drogue, trafic des êtres humains, non sanglantes mais plus insidieuses, elle pérennise une délinquance quotidienne quasi irrépressible. Basée en des lieux à ce point choisis et préservés qu'on les appelle paradis fiscaux, elle corrompt la classe dirigeante et corrode l'âme du corps social.
Il faut aller à l'essentiel, expliquer à nos amis américains et à tous les autres pays qu'inquiète la montée du terrorisme que celui-ci se nourrit souvent dans ces centres offshore. La suppression des paradis fiscaux est une mesure urgente, facilement réalisable, formidablement efficace. Il faut engager la systématisation de la lutte, sans distinguer, comme il est démagogique de le faire, drogues dures et drogues douces. On a récemment mis en valeur l'incidence de la consommation de la drogue sur les accidents de la route. Elle est pire, bien pire, au niveau des vols et des violences quotidiennes.
L'action internationale peut aider à juguler la grande criminalité. Un petit groupe de magistrats l'a clairement démontré dans un ouvrage remarquable "Un monde sans loi", en conclusion duquel ils ont élaboré un message, "l'appel de Genève", que les gouvernements pourraient utilement méditer.
Les violences urbaines, plus spectaculaires, font la " une " de l'actualité. Elle commencent avec les incendies de voitures et vont jusqu'à la dénaturation inquiétante du droit de grève, ou du droit de manifester. J'étais lundi en Guadeloupe quand fut bloqué le pont de la Gabarre, prenant en otage la population des deux Terres comme aux plus beaux temps de la main mise d'organisations autonomistes sur l'économie du département.
La crise de l'autorité de la loi se révèle aussi dans l'abaissement constant de l'âge de la première infraction. Il n'est plus rare de mettre la main au collet de gamins qui n'ont guère plus de dix ans, parfois sans identité, et qui, en tout état de cause, échappent à toute forme de punition. Cela n'est plus tolérable. Il est temps de revenir aux sains principes. La vie en société ne peut se passer de quelques règles élémentaires.
Je regrette que les propositions que j'avais présentées le 30 décembre 1998 à Lionel JOSPIN n'aient pas été suivies. Car nous avons un urgent besoin de réaffirmer les principes, d'adapter nos lois, et de prendre des moyens nouveaux pour garantir un droit, égal pour tous, à la sécurité.
Ni la démagogie, ni l'angélisme ne sont de bons conseillers.
Candidat à la présidence la République je me garderai de vous livrer le catalogue des réponses adéquates qui relèvent de plusieurs départements ministériels : éducation, jeunesse et sports, affaires sociales. Je dirai simplement qu'elles sont essentielles à la restauration de l'esprit républicain.
Tout de même, à cette réserve volontaire, je veux faire exception, à propos de l'Ecole. Vous la connaissez, chers amis originaires de l'outre-mer, cette Ecole laïque, formidable matrice de compétences et de talents qui a, des siècles durant, sélectionné les meilleurs, dispensé le savoir à tous, représenté et assuré l'égalité, la vraie, l'égalite des chances. Il faut les connaître ces instituteurs, ces professeurs qui ont porté les valeurs de la République pour conserver une grande confiance dans notre enseignement, pour comprendre qu'une fois encore ils forment le socle de la République.
J'ai placé l'éducation au premier rang de mes dix propositions. Non pour plaire mais parce que cela est nécessaire. Ministre de l'Education, j'ai rétabli l'Instruction civique. Président de la République, je m'emploierai à la faire entrer dans les faits.
Faisons vivre le message de la citoyenneté. La République rassemble des femmes et des hommes sans distinction d'origine, de religion, ou de couleur de peau. Tous citoyens de la République Française ! Et menons avec énergie le combat contre la discrimination, contre le racisme, contre les préjugés.
Je n'ignore pas les problèmes que les Domiens rencontrent en France métropolitaine. Je salue leur contribution éminente à la vie nationale. Je n'oublie pas ceux qui m'ont soigné au Val de Grâce. Je propose la création d'une Agence d'Accueil administrée par eux-mêmes pour gérer leurs problèmes d'insertion et notamment de logement.
Mes chers amis, vous le savez bien, aucun des deux sortants de l'exécutif ne portent un projet pour la France. Nous dévalons la pente des abandons. Il faut à présent, pour redresser la France et la République, la force et la résolution d'une nouvelle équipe. A coup sûr ni l'Etat RPR, ni l'Etat PS ne nous les garantissent. Car ce n'est ni à une droite homogène ni à une gauche monolithique qu'appartient notre avenir mais au pays tout entier.
Au sein de la France, vous avez votre place, de cette nouvelle équipe vous êtes les équipiers. Je vous y appelle de tout mon coeur, de toute ma conviction.
(source http://www.chevenement2002.net, le 12 février 2002)