Déclaration de M. Georges Sarre, président du Mouvement des citoyens, sur le vote du MDC pour la loi Mattei concernant l'indemnisation des handicaps congénitaux, à l'Assemblée nationale, le 13 décembre 2001.

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Circonstance : Intervention à l'Assemblée nationale, le 13 décembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
La confirmation par la Cour de Cassation, le 28 novembre 2001, de la jurisprudence issue de l'arrêt Perruche, a provoqué chez nos concitoyens une vive émotion. Il est de notre rôle de représentants du peuple de répondre à l'appel qui nous est lancé et de prendre la responsabilité d'une position claire sur une question des plus sensibles.
Bien sûr, la peur de se confronter à des choix éthiques fondamentaux a pu pousser certains à refuser un débat nécessaire mais le hasard de l'actualité, qui a fait se croiser ce nouvel arrêt de la Haute Juridiction et l'annonce du premier clonage de cellules humaines nous a montré avec une évidence brutale l'urgence de poser enfin certaines questions.
En considérant que vivre peut constituer un préjudice indemnisable, la Cour de Cassation a ouvert la boite de Pandorre, et les conséquences logiques à tirer de cette proposition sont vertigineuses : l'inexistence est donc préférable à une vie qui ne répond pas à certains critères ? Mais qui fixe ces critères ? A partir de quel degré de vie devient-elle intolérable ? Question de bien-être ? Mais des personnes lourdement handicapées sont parfois plus heureuses que bien des gens dits normaux. C'est le regard que nous portons sur elles, bien souvent, qui blesse les personnes handicapées, plus que la conscience de leur état. C'est aussi une évolution générale de la société qui tente d'éliminer tous ceux qui ne répondent pas à une norme établie plutôt que de les accueillir et les assumer.
Or une société qui n'accepte pas la différence est une société morte. Pourtant, le jour où Pascal Duquenne a reçu un prix d'interprétation pour son magnifique jeu d'acteur dans le " Huitième Jour ", qui aurait pu nier que la vie d'un trisomique peut être heureuse et riche, autant que n'importe quelle autre ?
La jurisprudence Perruche, en érigeant la " normalité " comme valeur supérieure, en statuant que la différence est un dommage juridiquement indemnisable, en dehors de toute responsabilité - puisque c'est bien la nature et non une erreur médicale qui est à l'origine de ces handicaps congénitaux - s'inscrit dans une évolution générale de la société vers la recherche de l'enfant parfait et le rêve d'une disparition des handicaps grâce au diagnostic prénatal.
Or, répétons-le, tout cela relève de l'utopie : le risque zéro n'existe pas en médecine. Le handicap, la différence existeront toujours ! Or une société qui n'accepte pas la différence est une société morte. La richesse naît de la différence.
La jurisprudence Perruche participe de cette dérive eugéniste, dans la mesure où elle avalise l'idée selon laquelle toute femme, confrontée au diagnostic d'un handicap, choisirait systématiquement l'interruption de grossesse. En cela, elle est une atteinte à l'esprit, voire à la lettre de la loi Veil, comme l'avait déjà souligné le Comité Consultatif National d'Ethique, puisqu'elle limite le libre choix des femmes. Si une vie handicapée est un préjudice, quelle femme se sentira libre de poursuivre sa grossesse au risque d'être attaquée en justice pour ce dommage causé à son propre enfant ? Et comment imaginer que des médecins pourront conseiller une femme en toute sérénité, quand pèse sur eux un tel risque juridique ?
il est du devoir de l'Etat de garantir à ses citoyens les plus fragiles des conditions de vie décentes Allons plus loin. Avant même l'arrêt Perruche, notre législation sur l'indemnisation des personnes handicapées était en contradiction avec l'esprit de la loi Veil, puisque les difficultés matérielles rencontrées par les parents faisaient à la naissance d'un enfant handicapé un poids trop lourd à assumer. Est-il possible de parler de libre choix quand la naissance d'un enfant entraîne des difficultés financières, l'abandon d'une activité professionnelle, parce que les aides à domicile sont insuffisantes en terme d'horaire, un déménagement, parce que les centres d'accueil sont trop peu nombreux.
Ce sont ces problèmes là qu'à voulu souligner la Haute Juridiction en rendant son arrêt Perruche, et c'est à notre responsabilité qu'elle en appelle. Car il est du devoir de l'Etat de garantir à ses citoyens les plus fragiles des conditions de vie décentes. Et c'est un devoir qui n'est pas rempli quand 80 % des enfants handicapés du Nord - Pas de Calais sont scolarisés en Belgique, parce qu'il n'y a pas de centre en France pour les accueillir, quand rien n'est prévu pour les personnes handicapées vieillissantes, alors que l'espérance de vie d'un trisomique dépasse aujourd'hui les 60 ans.
Le grand mérite de la Cour de Cassation est de nous obliger à ouvrir ce débat, en nous forçant à choisir entre une logique de solidarité nationale, qui répond à l'esprit de nos institutions. La question de l'aide aux personnes handicapées ne peut être laissée de côté, car elle interroge la devise même de notre République : la liberté - celle du choix d'assumer ou non un enfant différent -, l'égalité - celle de toute vie humaine, quelle qu'elle soit -, et la fraternité - celle que nous devons aux plus fragiles et aux plus faibles.
légiférer sur cette question est indispensable Pourquoi nous votons la loi Mattei ?
- parce qu'elle reprend la proposition de loi que nous avions déposée au mois d'octobre, en développant des arguments qui sont aussi les nôtres :
. arguments juridiques sur le lien de causalité nécessaire entre la faute et le préjudice, et l'atteinte à l'esprit de la loi Veil.
. arguments éthiques sur l'égale dignité de toute vie humaine, et le danger qu'il y a à fixer des critères pour une vie humaine acceptable
. arguments politiques, sur le devoir de l'Etat envers ses citoyens, et le refus d'une logique individualiste d'indemnisation au cas par cas.
- parce que cette loi propose la création d'un Observatoire qui permettra une amélioration des conditions d'indemnisation des personnes handicapées, que nous appelons de nos vux, et permettra de s'interroger sur les moyens que nous entendons y consacrer.
- parce que cette loi est fondée sur le refus d'une discrimination entre les différents types de handicap, congénitaux ou causés par un accident ou une erreur médicale, discrimination que le gouvernement a été tenté d'introduire.
- parce que légiférer sur cette question est indispensable :
. pour affirmer notre refus d'une société eugéniste qui rejette et élimine la différence.
. pour permettre aux médecin d'exercer leur travail d'accompagnement et de conseil en toute sérénité.

(Source http://www.mdc-France.org, le 17 décembre 2001)