Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur le projet de loi portant réforme du statut des administrateurs et mandataires de justice, Paris, Sénat, le 19 février 2002.

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Texte intégral

Le traitement des difficultés des entreprises est depuis longtemps, en France, confié à des spécialistes.
Cette mission était traditionnellement dévolue à des syndics professionnels, dotés d'un statut réglementé dès 1955. Après quelques modifications en 1967, cette réglementation a été profondément remaniée par la loi du 25 janvier 1985, directement liée à la réforme concomitante du droit des procédures collectives. Elle consacrait l'existence de deux professions aux missions distinctes, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.
Le gouvernement a adopté des mesures urgentes pour garantir l'exécution des mandats de justice dans le respect des intérêts de chacun. Le décret du 29 décembre 1998 a ainsi permis de renforcer le contrôle de ces professionnels et d'assurer une plus grande transparence de leurs activités.
Il s'agit désormais d'adapter la loi de 1985 relative au statut des administrateurs et mandataires judiciaires, pour sauvegarder les entreprises en difficulté et maintenir l'activité et l'emploi.
Ces entreprises doivent être confiées à des professionnels dont le statut garantisse encore mieux l'indépendance, la compétence, la disponibilité et la probité.
À cette fin, ce projet de loi prévoit une profonde rénovation du statut de ces professions, une plus grande transparence et un meilleur contrôle de leur activité.
L'exigence d'une indépendance renforcée passe nécessairement par le maintien du principe du mandat de justice : le choix par une juridiction des professionnels appelés à traiter des difficultés des entreprises est apparu comme le seul moyen vraiment efficace de garantir leur neutralité, aussi bien à l'égard des dirigeants de l'entreprise défaillante que des créanciers.
De même l'exigence de compétence explique le maintien de deux professions spécialisées, l'une chargée des intérêts de l'entreprise, l'autre chargée des intérêts des créanciers.
En revanche, la rénovation du statut de ces mandataires de justice passait par une plus grande ouverture à la concurrence afin de les stimuler. Ainsi, la possibilité de désigner des personnes non inscrites sur les listes est-elle envisagée.
Elle devrait surtout être l'occasion pour les deux professions de se renouveler et de se structurer afin de gagner en qualité et en efficacité.
Parallèlement, sont supprimés les monopoles de fait dont bénéficiaient jusqu'ici certains de ces mandataires de justice. Cette ouverture à la concurrence interne devrait éviter que ne se constituent dans les études, comme c'est parfois le cas, de véritables stocks de dossiers, au détriment des entreprises comme leurs partenaires. La nécessaire ouverture de la profession ne pourra cependant produire de réels effets que si la concurrence est équilibrée entre les professionnels réglementés et les personnes qui seront choisies en dehors des listes pré-établies. C'est pourquoi, il est proposé de soumettre les uns et les autres à des exigences et garanties symétriques.
Un autre objectif du projet de loi est de mieux encadrer l'exercice des professions d'administrateur et de mandataire. C'est ainsi qu'est posé le principe de l'accomplissement personnel du mandat judiciaire et que sont créées de nouvelles incompatibilités, tandis qu'est renforcé le régime disciplinaire. Ainsi devrait-on obtenir des prestations de qualité, accomplies dans des délais raisonnables, pour un coût acceptable.
Votre commission a effectué un travail considérable et sensiblement modifié le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Je lui rends hommage ainsi qu'à son rapporteur pour l'ampleur et la qualité du travail ainsi réalisé. Je sais à quel point il fut lourd et exigeant, notamment pour la codification : cette tâche nécessaire à la cohérence du texte, c'est votre commission qui l'a assumée. Je l'en remercie tout spécialement.
Mais là n'est pas notre seul point de convergence. Votre commission a pris plusieurs initiatives qui améliorent le texte adopté par l'Assemblée nationale tout en restant dans l'esprit du projet du gouvernement. S'agissant des conditions de moralité requises pour accéder aux deux professions, vous proposez de subordonner la prise en compte des faits contraires à l'honneur ou à la probité à une condamnation pénale. Ce retour au projet initial respecte les principes de présomption d'innocence et de proportionnalité. Dans le même esprit, le gouvernement partage votre analyse, vous ne voulez pas que les commissions d'inscription se transforment en une quasi-instance disciplinaire, à l'occasion du passage des professionnels au nouveau régime statutaire. Enfin, vous distinguez très nettement entre la nécessaire réforme du droit des procédures collectives et celle qui doit porter sur le statut des professionnels qui en ont la charge. Même si j'ai, par anticipation, exprimé mon accord, devant l'Assemblée nationale, avec certaines dispositions en matière de procédures collectives, il m'apparaît sage, et je vous rejoins en cela, que la réforme du droit de la faillite fasse l'objet d'un examen global, dans un souci de cohérence.
Je souscris à plusieurs améliorations incontestables que vous proposez, comme l'encadrement de l'exercice par les professionnels d'activités accessoires. L'Assemblée nationale a encadré une future réforme, par voie réglementaire, du tarif des administrateurs et des mandataires. Le gouvernement s'était opposé à ces amendements qui empiétaient largement sur la matière réglementaire. Votre commission des Lois a examiné cette question avec sagesse et proposé un texte équilibré : tout en supprimant les dispositions proprement réglementaires, elle a conservé, en l'améliorant, le dispositif de rétribution des procédures impécunieuses. Le mécanisme de financement retenu permettra une juste rémunération du travail effectué. Les dispositions réglementaires nécessaires à sa mise en uvre répondront aux critiques qui portent sur le tarif en vigueur : celui-ci sera profondément réformé.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je suis en revanche opposée à d'autres amendements, sur des points souvent de grande portée. Nous voulions que les juridictions puissent recourir à des mandataires de justice occasionnels. L'Assemblée nationale a amendé notre projet en ne soumettant cette ouverture à aucune restriction et sans doute est-elle allée trop loin, comme le pense votre commission. J'approuve donc votre proposition de rétablir comme condition de désignation d'un professionnel hors-liste le critère tiré de la nature de l'affaire. En revanche, je ne peux que m'opposer au rétablissement du caractère exceptionnel du recours à des mandataires occasionnels : si l'on ajoute ce critère au premier, on bride la faculté de désignation du juge plus encore qu'actuellement, du moins pour les administrateurs. Le critère lié à la nature de l'affaire me paraît suffisant tout en étant plus précis que celui retenu par le législateur de 1985.
Par ailleurs, et c'est peut-être un paradoxe, votre amendement permet de recourir à des personnes morales non inscrites pour exercer des mandats d'administrateur. Je n'y suis pas favorable : les missions exercées par les administrateurs, et je pense spécialement à celle de représentation, sont caractérisées par un fort intuiti personae. S'il est exact qu'un administrateur inscrit peut exercer dans le cadre d'une société civile professionnelle, d'une société d'exercice libéral, celles-ci sont soumises à une réglementation rigoureuse garantissant son indépendance morale et économique. Tel n'est pas le cas des sociétés de droit commun qui peuvent associer des professionnels d'horizons différents, sans exigences particulières de déontologie. C'est le sens de l'amendement que le gouvernement a déposé.
Enfin, le gouvernement veut renouveler la profession et considère comme inadmissible que certaines procédures de liquidation ne soient closes qu'au terme de délais insupportables. Certaines procédures en cours obéissent encore au régime de la loi de 1967 ! C'est pourquoi le texte instaure une limite d'âge des professionnels et pose des règles régissant le transfert des dossiers en cas de cessation d'activité. Le gouvernement y reste attaché.
En dépit de ces quelques divergences, je ne doute pas que les débats qui s'ouvrent aboutiront à une réforme raisonnable et équilibrée du statut des administrateurs et des liquidateurs judiciaires. Les professionnels eux-mêmes le souhaitent, tout en restant vigilants. Il faut mettre fin au climat de suspicion, et rénover la profession. Celle-ci s'y attache, je lui en rends hommage, encore faut-il que le législateur accompagne ses efforts.
Je remercie à nouveau votre commission et son président pour le travail d'ores et déjà accompli. Le rapporteur, M. Hyest, a remarquablement travaillé ce texte qui sortira donc enrichi de nos débats.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 22 février 2002)