Interview de Mme Marylise Lebranchu, à LCI le 11 janvier 2002, sur les modifications demandées par les policiers à la loi sur la présomption d'innocence, sur d'éventuels dysfonctionnements de la justice et sur le fichier des empreintes génétiques pour les délinquants sexuels.

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Texte intégral

A. Hausser Vous allez recevoir tout à l'heure les syndicats de policiers. C'est quand même une première. La loi sur la présomption d'innocence va être modifiée et on dit que ce sont les policiers qui sont les grands vainqueurs de cette modification, puisque ce sont eux qui se plaignent le plus des difficultés de l'application de cette loi. Alors que les magistrats, eux, ne sont pas tout à fait d'accord. Qu'est-ce que vous allez leur dire ?
- "Je vais d'abord leur dire qu'hier, j'ai terminé - comme tout le monde le souhaitait, et eux en particulier - une circulaire qui permet de redire au bout d'un an tous les progrès qu'on peut faire en terme de garde à vue et de méthodes. Parce que les policiers doivent effectivement pouvoir gagner du temps. L'objectif premier n'est pas les policiers, mais les policiers dans l'acte de lutter contre la délinquance. C'est cela qu'ils veulent. C'est vrai qu'un an nous a permis, avec le rapport de J. Dray, de faire une bonne mise au point sur les méthodes de travail. Je vais leur dire qu'au-delà de cela, ils ont insisté sur des points importants, comme le premier contact avec la personne qu'ils viennent d'arrêter, la notion de garde à vue, afin de savoir si la personne n'est pas plutôt témoin que soupçonnée. Bref, on a, avec eux, décidé qu'il fallait aller au-delà même de cette circulaire et, par la loi, leur garantir une forme de sécurité juridique dans leur acte. C'est ce qu'ils nous demandaient. Bien sûr, la loi va prendre en compte deux ou trois points qui n'étaient pas posés par les policiers. Mais c'est, à l'initiative du Parlement, un ajustement à la marge qui est un ajustement demandé essentiellement par les officiers de police judiciaire."
On dit que la délinquance a augmenté de 10 % et que les mises en détention ont beaucoup baissé ?
- "Il y a deux choses. D'une part, il faut voir que cette augmentation de la délinquance n'est pas liée à la loi de présomption d'innocence, puisqu'on voit bien que les chiffres augmentent avant son application, et après cela fluctue. En revanche, le nombre de gardes à vue, qui avait baissé juste un peu avant l'application de la loi et un peu après, a repris. On a plus de détentions provisoires actuellement qu'au même moment l'an passé. Par exemple, on a 791 mineurs qui sont en détention aujourd'hui et il y en avait 650 à peu près à l'époque. On ne peut pas dire que ce soit l'application stricte de la loi."
Est-ce que cela était quand même nécessaire ?
- "Oui, cela était nécessaire, parce que si le Premier ministre a décidé de demander ce rapport à J. Dray, c'est parce qu'un grand texte comme celui-là ne peut pas souffrir comme en queue de comète, pendant longtemps, de difficultés d'application. Il fallait trancher."
Vous dites qu'on a plus de détentions provisoires qu'il y a quelques mois, mais il y a quand même quelques cas choquants, une fois de plus. Je pense à l'affaire de Barr où il y eu une série d'explosions la nuit de la Saint Sylvestre, avec cinq jeunes arrêtés. Le Parquet demande la mise en détention, mais un seul y est mis...
- "Là, je ne peux pas parler de dysfonctionnement. C'est la décision du magistrat qui est chargé d'un dossier qui décide de mettre une personne en détention provisoire à la vue des dossiers qu'elle a et dont elle a la responsabilité, et pas les autres. Je souligne quelque chose d'important qui s'est passé à ce moment là aussi : face à l'émotion de cette commune très touchée par des attentats terrorisants la population, la substitut a décidé, avec le maire, de faire une réunion publique pour expliquer. Je ne peux pas commenter des décisions qui n'appartiennent qu'à la magistrate. Mais on peut avoir - et heureusement - un Parquet qui demande parfois quelque chose qui n'est pas suivi. C'est la logique et c'est comme cela que notre justice est construite. Ce que je déplore, en revanche, en quittant cette affaire pleine d'émotion, c'est que parfois des dysfonctionnements réels - qui sont des erreurs de méthode, ou des erreurs de procédures - peuvent conduire à des décisions qui ne correspondent pas à ce que tout un chacun attend de sa justice. A chaque fois qu'il y a un dysfonctionnement de ce type, vous me trouverez présente par une enquête pour savoir ce qui s'est passé et éventuellement par l'inspection, si cela est important. Je crois qu'il ne faut pas laisser passer des dysfonctionnements, parce que les citoyens de ce pays ont besoin d'avoir confiance en leur justice."
Dans le cadre de l'affaire du petit Larbi, peut-on parler de dysfonctionnements ?
- "C'est malheureusement autre chose. Je pense d'abord à ce gamin mort dans la frayeur et à ces parents qui maintenant ont à vivre ce chagrin. Je crois que, là, on a affaire à un autre problème, qui est celui de délinquants qui ont été condamnés, qui ont purgé leurs peines et donc redevenus citoyens à part entière. Depuis 1998, on a fait évolué les textes de loi. Maintenant, nous avons le fichier national des empreintes génétiques. Grâce à ce fichier national des empreintes génétiques, on vient d'élucider une affaire. C'est donc très important d'avoir ce fichier. La libération de cette personne est antérieure à toutes les nouvelles dispositions. Avec le groupe Santé-Justice, et avec d'autres, on essaie de voir comment on peut améliorer cette intégration - mot terrible ! - dans ce fichier de personnes qui aujourd'hui ont été libérées. C'est très difficile, parce que si elles n'ont plus de contrôle judiciaire, si tout est fini et si elles ont purgé totalement leurs peines, ce sont des citoyens à qui on ne peut rien demander."
On peut faire un fichier des délinquants sexuels ?
- "Je pense que c'est à partir des nouveaux textes qu'on va se battre et qu'il faut qu'on se batte. Il y a eu une autre affaire terrible qui vient d'être découverte dans le Nord de la France : une affaire odieuse de viol, pédophilie et torture. Cette affaire a pu être élucidée grâce à un signalement par des services sociaux. Je crois donc qu'il faut mobiliser tout le monde, parler, expliquer. Une campagne va s'ouvrir d'ailleurs sous l'égide de S. Royal. Il faut ensuite expliquer comment, à partir de ce fichier des empreintes génétiques, on peut aller au-delà de ce qu'est aujourd'hui le droit. Rien ne sera négligé pour être meilleur dans ce type de dossier."
Est-ce que vous avez le temps de vous occuper de la campagne électorale ?
- "Pour l'instant, non. Je suis honnête. Les dossiers ont été nombreux. Il y a la rencontre avec les policiers ce matin, mais il y a d'autres sujets comme l'arrêt Perruche ou d'autres. C'est difficile. J'y pense, mais de façon épisodique."
Qu'est-ce que vous inspire comme réflexion J.-P. Chevènement quand il dit : "Je suis le meilleur candidat anti-Chirac" ? Il est meilleur que Jospin ?
- "C'est mon point de vue personnel de militante politique : je soutiendrai la candidature, j'espère le plus rapidement possible, de L. Jospin. Je pense que ce n'est pas une bonne phrase, parce qu'on ne part pas en politique pour lutter contre quelqu'un, mais on part pour un projet et pour faire adhérer les gens. On parle de confiance, de solidarité nationale, d'organisation d'un territoire. Ce n'est pas contre quelqu'un qu'on se bat, mais pour une société."
5Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 janvier 2002)