Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la décentralisation, la construction de la démocratie locale, la notion d'autonomie fiscale et financière des collectivités locales et le rôle des sociétés d'économie mixte dans leur gestion, Paris le 25 juin 2002.

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Circonstance : Déjeuner-débat de la Fédération nationale des Sociétés d'Economie Mixte (FNSEM) sur le thème "Acte II de la décentralisation : quelles priorités ? Quelles perspectives pour les SEM ?

Texte intégral

Monsieur le Président de la Fédération Nationale des Sociétés d'Economie Mixte, cher Loïc-Le Masne,
Monsieur le Président d'honneur, cher Camille Vallin,
Mes chers collègues, chers Paul Girod, Marcel-Pierre Cléach, Jean-Léonce Dupont, Jean-Louis Lorrain, cher ami Charles Descours,
Mesdames et Messieurs,
C'est la deuxième fois que j'accepte une invitation de la Fédération Nationale des Sociétés d'Economie Mixte à participer, en tant que Président du Sénat, à un déjeuner-débat.
Lors du précédent déjeuner, qui s'était déroulé au Sénat en décembre 1999, je m'étais engagé à soutenir et, surtout à faire aboutir une proposition de loi de modernisation des sociétés d'économie mixte locales.
Nous étions alors, rappelez-vous, confrontés à une véritable arlésienne, puisque le gouvernement de l'époque promettait, depuis la fin de 1997, une réforme globale des interventions économiques des collectivités locales, dans laquelle les sociétés d'économie mixte locales devaient trouver toute leur place.
Comme vous le savez, M. Zuccarelli, qui avait, si vous me permettez l'expression, laborieusement tenté d'exister entre Dominique Voynet et Jean-Pierre Chevènement, n'a pu aboutir dans cette entreprise. Nous étions, à l'époque, un certain nombre ,-n'est-ce pas Paul Girod-, à avoir anticipé ce risque et à avoir, de ce fait, pris quelques dispositions pour que le secteur des sociétés d'économie mixte ne soit pas l'éternel oublié des réformes.
J'ai donc apporté tout mon soutien au travail des parlementaires qui ont, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, voulu, en quelque sorte, pallier cette " panne " gouvernementale. J'ai décidé d'inscrire une proposition de loi à cette fin, dans le cadre d'une séance réservée de l'ordre du jour du Sénat. Ce texte est depuis devenu la loi du 2 janvier 2002, ce dont je me félicite.
Aujourd'hui, vous m'avez convié pour évoquer un thème fort dense : " Acte II de la décentralisation : quelles priorités, quelles perspectives pour les SEM ? ", dont l'analyse complète supposerait que nous retardions le début de notre déjeuner d'une, voire de deux heures et encore !
Bien que je vous sache tous passionnés de décentralisation, je serai néanmoins compréhensif et je tenterai de ne pas abuser de votre patience
Vous me permettrez cependant, après cette intense période d'ébullition électorale, de vous faire part d'un double motif de satisfaction, si je puis dire, sénatoriale.
Force est en premier lieu de constater que " l'anomalie " se porte bien et fait figure de " vivier de talents politiques ".
C'est tout d'abord, ironie du sort, un sénateur qui succède, à Matignon, à l'auteur de cette malencontreuse formule. A cette nomination s'ajoutent quatre autres membres du Gouvernement -et non des moindres- issus de nos rangs. Il s'agit de Jean-Paul Delevoye, Alain Lambert, Xavier Darcos et Hubert Falco.
Le record de la participation sénatoriale à un Gouvernement, toujours détenu par le Cabinet Debré de février 1959, qui comprenait 6 sénateurs, est presque égalé !
Force est en second lieu d'admettre que le Sénat, " laboratoire d'idées " et " force de proposition ", a vu reconnaître, voire consacrer, une grande partie de ses travaux et de ses réflexions sur les grandes problématiques de notre société et de notre temps, au premier rang desquelles se situe la décentralisation.
Nous arrivons, dans ce domaine, à une véritable croisée des chemins, celle où il nous faudra passer de l'évocation, bien trop longtemps incantatoire, d'un acte II de la décentralisation pour enfin opérer un véritable passage à l'acte.
Vous le savez, et je ne vous lasserai pas avec un long rappel, j'ai, depuis mon élection à la Présidence du Sénat, pris en quelque sorte mon bâton de pèlerin pour faire remonter auprès de nos dirigeants cet élan de la France du terrain, celui de cette France girondine qui ne demande qu'à s'exprimer.
Ce choix politique, au sens noble du terme, et cette volonté m'ont conduit, c'est vrai, à m'opposer très fermement aux nombreuses initiatives du gouvernement précédent, qui sont venues porter atteinte de façon massive à l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Mais cette démarche combative n'est en rien partisane : elle est simplement la traduction de ma volonté de faire enfin reconnaître pleinement l'action des élus locaux et le rôle des territoires au sein de notre République.
Je serai donc particulièrement vigilant, et au besoin insistant, pour que les engagements pris à très juste titre par le Président de la République au cours de la campagne présidentielle, en matière de décentralisation, soient respectés.
En prenant l'engagement de rompre avec un " étatisme centralisateur ", dont il dit lui-même qu'il est devenu aujourd'hui " un handicap pour la France ", Jacques Chirac a évoqué, dans un discours prononcé à Rouen le 10 avril dernier, que si la France " veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités ". On ne saurait exprimer de façon plus éminente l'importance de la rupture que nous devons opérer.
Pour ma part, je tâcherai, dans la limite du temps qui m'est imparti, d'en tracer quelques grandes lignes.
Pour bâtir cette République territoriale, gage d'efficacité économique et vecteur de démocratie, plusieurs étapes seront nécessaires.
Il faudra tout d'abord réviser notre Constitution pour conférer un soubassement constitutionnel à la République territoriale.
Il s'agirait, en l'occurrence, de consacrer le principe d'autonomie locale, concept plus dense et plus porteur que la notion étriquée de libre administration des collectivités locales. Il conviendrait également d'introduire le principe de subsidiarité dans la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, en conférant à celles-ci un titre de compétence générale pour gérer les services publics de proximité ou non régaliens.
Il s'agirait, en outre, de reconnaître aux régions, dont l'existence serait consacrée, un pouvoir réglementaire " encadré " d'adaptation de la réglementation nationale aux spécificités locales. Enfin, la révision constitutionnelle devrait consacrer le droit à l'expérimentation afin d'offrir aux collectivités locales la faculté d'exercer une compétence relevant de l'Etat ou d'une autre catégorie de collectivités locales.
Il conviendrait également, pour garantir l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales, d'inscrire dans notre loi fondamentale le principe de prépondérance des recettes fiscales au sein des recettes de fonctionnement de chacune des trois catégories de collectivités locales, de conférer une valeur constitutionnelle au principe de la compensation concomitante et intégrale des transferts de charges et, enfin, de consacrer la règle selon laquelle toute suppression d'un impôt local donne lieu à attribution de ressources fiscales équivalentes.
Une fois ces préalables protecteurs posés, il s'avèrera indispensable de transférer de nouvelles compétences aux collectivités locales.
Cette nouvelle donne pourra porter pour les régions sur la responsabilité pleine et entière de la formation professionnelle et de l'apprentissage, sur l'entretien et la construction des bâtiments universitaires avec une mise à disposition du personnel ATOS, sur l'environnement et sur la possibilité de réaliser des équipements sanitaires.
Pour les départements, sur l'aménagement et l'entretien du réseau routier national, sur la médecine scolaire, sur l'environnement et sur le logement social.
Pour les communes sur l'environnement et sur le sport.
A cet égard, il apparaît indispensable de promouvoir, d'une part, un couple communes-intercommunalité et département et, d'autre part, un binôme Etat-région.
De façon générale, il nous faudra réaliser cette nouvelle étape des transferts de compétences, en se donnant enfin les moyens de faire réellement contrôler et sanctionner les éventuels manquements à la règle, sans cesse transgressée, de la compensation concomitante et intégrale aux collectivités locales du coût de ces transferts.
A cet égard, la consécration constitutionnelle de cette règle, jusqu'ici simplement législative, constituerait une première sécurité, dans la mesure où le Conseil constitutionnel serait amené, lors d'un transfert de compétences par voie législative, à exercer son contrôle sur la réalité de la compensation prévue à cet effet.
Mais, au-delà de ce contrôle initial, il serait à mes yeux indispensable d'avoir une sorte de " contrôle continu " où une autorité administrative indépendante pourrait surveiller, dans la durée, le respect de ces règles de compensation financière des transferts de compétences.
Cette autorité serait, à la différence de l'actuelle commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), dotée de véritables pouvoirs d'investigation et de sanction. Cette autorité administrative indépendante, véritable Conseil des finances locales, pourrait résulter d'une fusion de l'actuelle CCEC et du comité des finances locales.
Concernant la révision constitutionnelle, à laquelle j'accorde la plus haute importance, j'ai décidé, en accord avec le Président de la République et le Premier ministre, d'installer très rapidement un petit groupe de travail sénatorial qui contribuera à la réflexion, en amont, et au travail de préparation de cette révision.
Avant de conclure, je me permettrai simplement d'ajouter quelques éléments de réflexion sur le second aspect de notre rencontre, à savoir le rôle des sociétés d'économie mixte au sein de cet acte II de la décentralisation.
A l'évidence, les SEM ont vocation à accompagner les collectivités locales dans le renforcement de leurs compétences. Les SEM pourraient, en particulier, se voir offrir de nouveaux secteurs d'intervention dans des domaines tels que la santé, la gestion des aéroports, les nouvelles technologies de l'information, ou encore la gestion des domaines universitaires.
Par ailleurs, nous pourrions envisager de réfléchir, dans le cadre par exemple du droit à l'expérimentation, à un assouplissement des règles de répartition du capital, qui pourrait permettre, comme dans la plupart des grands pays européens, d'avoir des SEM à capitaux publics minoritaires.
Voici donc, en guise de conclusion, quelques pistes de réflexion concernant les SEM. Mais, bien entendu, je prendrai note avec soin des suggestions ou des remarques que vous pourriez formuler dans la suite de cette rencontre.
En vous remerciant de votre attention, je vous souhaite, à toutes et à tous, bon appétit !
(Source http://www.senat.fr, le 1er juillet 2002)