Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à France 2 le 4 juillet 2002, en réaction à la déclaration de politique générale du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, sur les retraites, le service public et la notion de "service garanti", la décentralisation, le projet de loi d'amnistie, le rôle de l'opposition au Parlement.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

J.-B. Prédali Dans l'exercice d'un discours de politique générale d'un nouveau Premier ministre, en général, la majorité est très satisfaite et l'opposition s'oppose. Est-ce que sur les 1h20 du discours de J.-P. Raffarin, il y a eu au moins un bon moment ou un passage qui vous a satisfait ?
- "C'est quand même un exercice difficile, il faut le reconnaître. Ce ne sera pas un événement qui marquera l'histoire parlementaire mais c'est le rôle du Premier ministre : il a fait sa déclaration de politique générale. C'est d'autant plus difficile que la veille, le président de la République avait fait lire un message, lui avait un peu brûlé la politesse. Et puis, pour le reste, le Premier ministre était obligé de présenter un catalogue de l'ensemble des promesses de J. Chirac, et cela n'était pas le plus simple. Et c'est vrai qu'il a peut-être manqué un souffle. Je n'ai pas senti de grand moment comme on en ressent quelquefois. Encore une fois, je pense que maintenant, le temps de l'action est venu. Mais j'espère que ce n'est pas, à travers les propos du Premier ministre, également le temps de la réaction."
Dans les premiers commentaires à gauche, on parle d'un discours de droite, dur... Prenons l'exemple les retraites : quand on regarde le discours de J.-P. Raffarin, il y a le maintien des retraites par répartition, l'âge de la retraite à 60 ans comme base légale maintenue, même si on peut prolonger. Et puis, on parle simplement d'un complément d'épargne pour la retraite et non plus de fonds de pension - le terme même ne figure pas dans le discours -, cela vous rassure plutôt ?
- "C'est vrai qu'il y a beaucoup de mots, beaucoup de verbes qui sont peut-être encore dans la suite de la politique de communication de monsieur Raffarin depuis qu'il est Premier ministre. Mais ce vernis de la communication va finir par se craqueler. Il faudra bien qu'on aborde concrètement les choses. Et sur la retraite - sujet qui préoccupe beaucoup les Français, à juste titre -, l'avenir du financement de notre système de retraites, malgré tout, si on écoute bien ce qu'il a dit, même si le mot n'est pas employé, ce n'est pas autre chose que des fonds de pension. Je trouve qu'il y a une vraie imprudence, un vrai danger à répondre à la question du financement des retraites aujourd'hui par l'appel à une épargne individuelle - il a bien dit "épargne individuelle", ce sont des fonds de pension défiscalisés, ce ne sont pas autre chose que des fonds de pension - au moment où la Bourse s'effondre. Beaucoup de Français s'inquiètent quand même de voir ce qui s'est passé aux Etats-Unis avec Enron ou encore récemment avec Vivendi en France. Le temps de réalité arrive et je pense que là, les Français vont se rendre compte qu'on a vraiment une politique conservatrice."
Dans un autre domaine, celui des services publics, il y a eu une annonce : le Premier ministre parlait d'un "service garanti".
- "C'est le service minimum !"
Vous êtes d'accord ou pas avec cela ?
- "Laissons les partenaires sociaux négocier, mais respectons aussi le droit de grève. C'est un peu la tarte à la crème de la droite : quand il y a une grande grève, on dit qu'il faut un service minimum. D'ailleurs, très souvent, ce service minimum existe - tous les bus et tous les tramways ne sont pas arrêtés lorsqu'il y a une grève. C'est un peu le leitmotiv de la droite. Par contre, sur les services publics, il y a une vraie inquiétude puisque le Gouvernement a annoncé beaucoup de dépenses, mais il les finance essentiellement par la diminution des postes de fonctionnaires. Les fonctionnaires deviennent la variable d'ajustement budgétaire du Gouvernement. Il y a quand même de quoi s'inquiéter, parce qu'effectivement, nous avons besoin de bons services publics, efficaces, nombreux, au service des Français."
Pourtant, un des axes du dernier Gouvernement, pendant cinq ans, c'était ce qu'on appelle un "redéploiement" ; cela impliquait aussi des ajustements. Qu'est-ce qui a changé ?
- "Là encore, nous n'en sommes qu'aux débuts, on va juger sur pièces. Le temps des promesses est passé, c'est le temps de la réalité, le temps de l'action. Et comptez sur la vigilance des députés socialistes à l'Assemblée nationale."
Il y a eu un gros chapitre "décentralisation" ; le Premier ministre annonce une relance de la décentralisation, parle de nouveaux transferts de compétences. La décentralisation, à l'origine, en 1982, c'est un gouvernement de gauche qui l'a faite. Vous, comme député mais aussi comme élu local de Nantes, vous devriez être pour quand même ?
- "Je suis pour la décentralisation, je suis même un ardent défenseur d'une nouvelle étape de la décentralisation, à condition, évidemment, qu'on y mette les moyens et surtout qu'on assure la péréquation entre les villes riches et les villes les plus pauvres et qu'on partage les richesses fiscales, les moyens. Il y a trop d'inégalités entre les villes. Il y en a aussi entre les territoires : entre des territoires qui se développent et des territoires qui sont plus en déclin - je pense à certains territoires ruraux qui sont éloignés. Je crois que c'est cela l'enjeu : quel est le projet pour développer la France, le faire de façon plus efficace, plus démocratique, plus proche ? Là encore, on va juger sur pièces. Mais comptez, là encore, sur notre vigilance puisque nous sommes à l'origine de la décentralisation et donc, nous ne pouvons pas passer pour des conservateurs."
J.-P. Raffarin parle par exemple d'inscrire la région dans la Constitution. Est-ce que pour vous, c'est vraiment une étape qui augurera d'une réorganisation de la France administrative ?
- "Inscrire la région dans la Constitution, en soi cela ne va pas changer grand-chose. La région est déjà reconnue ; c'est simplement la solennisation de la région. La régionalisation, là encore, c'est la gauche qui a fait cette réforme. Il faut effectivement déconcentrer l'administration de l'Etat, la rendre plus proche des citoyens. Mais il faut donner plus de responsabilités non seulement aux régions mais aussi aux communes qui se sont regroupées dans des communautés d'agglomérations ou de communes, et qui peuvent ainsi être beaucoup plus efficaces et peser sur les choses de la vie concrète de nos concitoyens. A condition qu'on ait une volonté politique globale. Je pense par exemple à un grand dossier, qui est celui de la politique de la ville. Lutter contre les quartiers ghettos : quels moyens va-t-on nous donner ? Evidemment, si nous avons les moyens, non seulement financiers, mais aussi les moyens politiques de la décision, alors cela ira dans le bon sens."
A partir de mardi commence vraiment le travail parlementaire, l'examen des textes de loi. La première loi à être examinée sera la loi d'amnistie. Le Gouvernement a présenté hier une loi assez restrictive, qui ne concerne vraiment que des petits délits. Est-ce que vous allez voter cette loi ?
- "Les députés socialistes ont longuement débattu de ce projet et vont voter contre. Pourquoi allons-nous voter contre ? Nous ne sommes pas contre une amnistie en soi. La France, la République française a voté déjà des amnisties quand il s'agit de réconcilier les Français pour repartir de l'avant, après un conflit, après une grave fracture nationale - après la guerre d'Algérie par exemple, et cela a été le cas également beaucoup plus tôt, après la Commune de Paris ou plus tard... Mais pour les amnisties, telles qu'on les conçoit aujourd'hui - pour les contraventions, des petits délits comme ça -, il faut tourner la page de cet archaïsme politique. Ce n'est pas "la tradition républicaine", comme on dit, c'est plutôt monarchique. Il faut d'abord penser au civisme, à l'encouragement à la citoyenneté. Et si on fait cela, on oublie les victimes. C'est important de prôner l'exemplarité des comportements, c'est pour cela que nous voterons contre. Et puis, je n'oublie pas non plus que se profile derrière une tentation de l'amnistie politico-financière."
Pour l'instant, elle est exclue par le garde des Sceaux.
- "Mais vous savez que le Parlement peut voter des amendements. Il y a aussi d'autres textes de loi qui viennent, celui sur la justice. Et là, nous craignons que le Gouvernement nous prépare un mauvais coup."
Est-ce que vous vous préparez à faire une sorte d'été législatif de guérilla, comme on a connu à droite en 1981 ?
- "Je ne suis pas pour la guérilla, pour faire durer les débats. Ce qui est important, c'est que l'opposition s'oppose et soit d'une vigilance extrême sur tout ce qui pourrait remettre en cause les acquis fondamentaux - je pense aux 35 heures, à la Couverture maladie universelle, aux emplois-jeunes -, ce qui risque d'arriver dans les semaines et les mois qui viennent. Mais nous sommes aussi une opposition qui doit adresser un message aux Français et aux hommes et aux femmes de gauche qui espèrent qu'un jour la gauche pourra proposer au pays un autre projet. C'est ce que nous devons faire : à la fois une opposition intransigeante sur l'essentiel, mais également une opposition de propositions, une opposition qui explique."

(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 juillet 2002)