Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'Outre-mer, sur les relations entre l'Etat et la Polynésie, l'aide financière au Territoire, la formation des jeunes, la préparation d'une loi de programme et la rénovation du statut de la Polynésie en vue de renforcer son autonomie, Papeete le 23 août 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de Mme Girardin en Polynésie française du 23 au 27 août 2002-intervention devant le gouvernement de Polynésie à Papeete (Tahiti) le 23

Texte intégral

Monsieur le Président du gouvernement,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Ma joie est grande de retrouver aujourd'hui la Polynésie, car voilà plusieurs années que je n'avais pas eu le plaisir de retrouver ce territoire d'une beauté incomparable à la population si attachante. J'ai beaucoup de chance d'être parmi vous. C'est ce que m'a dit le Président de la République avant mon départ de Paris, car la Polynésie est proche de son coeur et il m'a demandé de vous transmettre un message de solidarité, de sympathie et d'amitié à vous même, à votre gouvernement et, à travers vous, à tous les Polynésiens. Vous savez combien le chef de l'Etat est impatient de vous rendre visite, il s'est engagé à le faire prochainement et cet engagement, comme tous les autres, sera bien sûr tenu.
Vos mots de bienvenue et vos paroles amicales, Monsieur le Président, me vont droit au cur et je vous en remercie très chaleureusement.
Mais vous me permettrez, en cette journée du 23 août, d'exprimer aussi une pensée pleine d'émotion et une profonde tristesse. Il y a en effet exactement trois mois, le 23 mai 2002, trois conseillers territoriaux Lucien KIMITETE, maire de Nuku Hiva, Boris LEONTIEFF, maire d'Arue et Arsène TUAIRAU disparaissaient brutalement dans un avion au-dessus des Tuamotu avec deux autres personnes.
J'ai rencontré plusieurs fois Lucien KIMITETE, j'ai très bien connu Boris LEONTIEFF, avec lequel j'ai travaillé il y a plus de 10 ans. Tous se sont investis pour défendre l'intérêt général en s'engageant dans la vie publique au nom de l'idéal démocratique.
Je tiens, devant vous à leur rendre l'hommage qu'ils méritent.
Je souhaite surtout exprimer toute ma sympathie et ma sincère solidarité aux familles de ces 5 disparus qui, depuis 3 mois, vivent un véritable drame, celui de l'attente, de la douleur et de l'angoisse.
En septembre 1995, quelques jours après les événements qui avaient profondément meurtri Papeete, le Président de la République, Jacques CHIRAC, avait affirmé : " Tahiti, c'est la France ". Par ce constat, le Chef de l'État rappelait ainsi que la Polynésie a avec la France une longue histoire partagée, faite d'adhésion à des principes communs et de solidarités réciproques dans le cadre de la République.
Car, si la France est présente ici en Polynésie, c'est parce que les Polynésiens en ont fait le choix, un choix librement exprimé et maintes fois réitéré, qui fonde l'étroitesse des liens qui nous unissent au sein de la Nation.
C'est en effet dès 1842, c'est-à-dire avant même Nice ou la Savoie, que la Polynésie adhère volontairement à la France, choix qu'elle réaffirmera avec force à chaque étape déterminante de l'histoire de notre pays. Et c'est aux heures les plus sombres de l'histoire de France que s'est exprimée fortement, ici, la défense des valeurs universelles qu'elle incarne. Ainsi, durant l'été 1940, un " comité de Gaulle " est créé et les Polynésiens reconnaissent massivement par référendum le gouvernement du Général. Bora Bora offrira ensuite un site exceptionnel aux États-Unis en guerre à nos côtés pour y installer l'une des grandes bases aéronavales du Pacifique.
La Polynésie a toujours exprimé au plus haut point sa fierté d'être au coeur de la Nation ; c'est dans sa chair qu'elle a démontré qu'elle savait ne pas être défaillante.
Lorsque j'ai rendu hommage il y a quelques instants aux Polynésiens morts pour la France, j'ai eu une pensée forte pour ces hommes qui ont quitté leurs îles paradisiaques en 1914, puis en 1940 pour aller défendre à des milliers de kilomètres les valeurs de la démocratie et de la République. Ce sont des événements, ce sont des hommes que la République ne peut pas et ne doit pas oublier.
Notre histoire commune a démontré que deux cultures, pourtant fort éloignées l'une de l'autre, pouvaient se retrouver pour adhérer aux mêmes valeurs fondamentales qui font l'honneur de notre pays. Il en a résulté une solidarité réciproque exceptionnelle entre la Nation et la Polynésie française.
La Polynésie française a apporté une contribution unique et déterminante à la défense de la sécurité extérieure de la France. De 1960 à 1996, le Centre d'expérimentation du Pacifique a permis à notre pays de se doter d'une arme nucléaire indispensable à la préservation de sa souveraineté et de son indépendance dans le concert des nations. Sans la Polynésie, la France ne serait pas une grande puissance. Nous devons avoir à cet égard une reconnaissance immense pour la population polynésienne et la manifestation de cette reconnaissance ne doit jamais s'éteindre.
La République, de son côté, n'a jamais ménagé son effort de solidarité envers la Polynésie française. Cette solidarité s'exprime aujourd'hui par les transferts financiers de l'État. Ils se sont élevés à 860 M en 2000, 1 milliard d'euros en 2001 ; c'est une aide de 4 100 par habitant qui est ainsi apportée. Ces mesures doivent garantir aux Polynésiens un développement économique et social harmonieux de leur Territoire et, comme s'y était engagé le Président de la République, le fonds de reconversion de l'économie polynésienne suite à la cessation des essais nucléaires, sera pérennisé.
Mais au-delà de la poursuite de cet effort de solidarité, je vous le dis avec force aujourd'hui, je veux construire un nouveau partenariat entre l'État et le Territoire fondé sur des relations de confiance et des sentiments de fierté réciproques.
J'ai pu observer en effet combien ces dernières années les relations entre l'Etat et le Territoire se sont enfermées dans un processus de défiance. Nous devons ensemble mettre fin à cette situation en rétablissant un climat de respect mutuel. Ce n'est plus à Paris de décider ce qui est bon ou mauvais pour la Polynésie. C'est aux Polynésiens de choisir librement leur stratégie de développement.
C'est aux Polynésiens de décider des projets d'investissements qu'ils entendent prioritairement réaliser. Cette démarche de confiance et de responsabilité est essentielle. Elle s'appliquera à l'exécution du contrat de développement 2000-2003 dont nous tiendrons un comité de suivi cet après-midi, mais également à la poursuite de la convention pour l'autonomie économique de la Polynésie, conclue en 1996 pour une durée de 10 ans, et qui sera pérennisée à hauteur de 150,92 millions d'euros (18 milliards de CFP).
Le fonds de reconversion, outil important au service du développement de la Polynésie, sera transformé en une dotation globale de développement économique, ce qui permettra d'alléger les procédures et de respecter les choix du Territoire, qu'il s'agisse des grands programmes d'équipement, du logement social, de l'aide aux entreprises ou à l'emploi. Le Territoire choisira ainsi librement son modèle de développement économique et pourra valoriser ses atouts dans la durée.
La solidarité de l'État, ce n'est pas non plus l'expression d'un assistanat humiliant. Les Polynésiens doivent être fiers d'appartenir à l'ensemble français et la métropole doit être consciente que, sans la Polynésie, la France ne pourrait jouer ce rôle central dans le Pacifique.
L'État partenaire doit faire un effort tout particulier à l'égard de la jeunesse polynésienne qui est un atout formidable pour le développement du Territoire. 40 % de la population a, ici, moins de 20 ans et 3.500 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. Cette jeunesse ne doit pas avoir pour horizon la précarité de l'emploi, mais de vraies perspectives de formations dispensées sur place, mais aussi en métropole, pour déboucher sur de vrais emplois durables. A l'heure de la mondialisation, votre jeunesse doit s'ouvrir à l'extérieur. L'État jouera pleinement son rôle pour l'y aider. Vous savez qu'une première mesure entrera en vigueur le 1er septembre prochain pour favoriser la mobilité des jeunes d'outre-mer et donc des jeunes polynésiens. Le " passeport mobilité " leur permettra de bénéficier chaque année d'un billet d'avion aller-retour gratuit pour venir suivre des études en métropole ou une formation professionnelle qualifiante, s'ils ne peuvent y accéder en Polynésie faute de structure adaptée. Je vais profiter de ma visite pour conclure avec le gouvernement du Territoire une convention facilitant la mise en place de cette mesure.
L'Etat ne ménagera pas non plus ses efforts pour aider le Territoire dans ses actions de formation, notamment dans les secteurs porteurs comme la pêche, le tourisme ou la perliculture. Outre les 6.300 enseignants qu'il met à disposition, l'Etat participera au financement de l'extension du campus universitaire.
L'Etat partenaire doit aussi bâtir un nouveau système de défiscalisation, moteur puissant au service de l'investissement productif. Ici, comme dans les autres collectivités d'outre-mer, le constat de ces dernières années est affligeant : alors que pour la seule année 1997, le montant des investissements défiscalisés en Polynésie atteint 610 millions d'euros, il ne représente plus que 305 millions d'euros, soit la moitié, pour l'ensemble de la période 1998-2001, c'est-à-dire 4 années.
C'est pour mettre fin à ce marasme que la loi de programme que je prépare, mettra en place un dispositif très innovant, susceptible de relancer fortement l'investissement et de rétablir grâce à une durée de 15 ans, un climat de confiance favorable aux décideurs économiques. Tout projet sera désormais éligible à la défiscalisation, sauf incompatibilité avec le droit communautaire et certains secteurs prioritaires pourront bénéficier de taux plus favorables. Je pense par exemple aux infrastructures touristiques, aux équipements structurants pour les communes ou au logement social. Mais surtout, cette nouvelle défiscalisation marquera une transformation des pratiques administratives.
Je citerai enfin un autre domaine essentiel où l'Etat partenaire jouera pleinement son rôle auprès du Territoire, c'est celui de l'environnement. Je sais l'attention que porte votre gouvernement aux questions d'environnement. Le premier capital de la Polynésie, ce sont ses paysages et ses sites. Face à une urbanisation croissante, face au développement des infrastructures touristiques, les défis environnementaux concernent aussi bien l'élimination des déchets que le traitement des eaux usées, c'est plus de 20 millions d'euros, soit plus de 2,4 milliards CFP, qui sont consacrés par le Territoire à l'environnement dans le contrat de développement 2000-2003.
Je sais que des réflexions sont d'ores et déjà engagées pour établir un programme spécifique Etat-Territoire dans le domaine de l'environnement. Il conviendra dans le cadre de ces travaux d'inclure le volet risque industriel qui prend une dimension nouvelle avec le développement de la zone portuaire de Papeete. Soyez assurés que l'Etat sera à vos côtés pour encourager votre action, qui est déterminante pour les générations futures.
Monsieur le Président, j'ai souhaité que mon premier déplacement en Polynésie me permette de mesurer sur le terrain, à Tahiti mais aussi à Bora Bora, Rangiroa et aux Marquises, les difficultés que vous rencontrez dans vos efforts de développement du Territoire. Dans cette volonté qui m'anime pour construire ce nouveau partenariat Etat-Territoire, fondé sur la confiance, le respect et la fierté réciproques, cette approche me paraît indispensable car l'Etat doit répondre à vos besoins sans être en décalage par rapport aux réalités locales. C'est à mes yeux la meilleure méthode pour vous accompagner de la façon la plus efficace.
J'évoquerai pour terminer une expérience originale et exclusive qui doit être un sujet de satisfaction et de fierté mutuelles, et qui est l'autonomie institutionnelle dont jouit la Polynésie dans le cadre de la République.
Cette autonomie qui s'est construite dans un équilibre permanent entre la souveraineté politique de la République et l'autonomie administrative, doit pouvoir connaître une nouvelle étape dans le cadre de l'unité et des principes de la République rappelés par le Chef de l'Etat. Cette nouvelle étape de l'autonomie se fera bien sûr dans le respect et l'affirmation de l'identité polynésienne, source de richesse et diversité pour notre pays.
Nous aurons des réunions de travail sur ce sujet. vous savez que la prochaine révision constitutionnelle prendra en compte trois préoccupations essentielles du territoire :
- il ne devra plus être possible qu'une compétence attribuée au Territoire par la loi organique statutaire puisse, ultérieurement, être remise en cause par une disposition législative ordinaire adoptée subrepticement.
- de même, la possibilité pour la Polynésie française de se voir reconnaître le droit de prendre des mesures spécifiques de protection de l'emploi local et de son patrimoine foncier justifie des mesures de discrimination positive en faveur de ses habitants et compatibles avec la convention européenne des droits de l'homme.
- enfin, il nous faut trouver pour vos délibérations, lorsqu'elles interviennent dans le domaine de la loi, un régime juridique adapté qui concilie tout à la fois le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par la Constitution et par la Cour européenne des droits de l'Homme, mais aussi la préservation de la liberté d'action de votre assemblée qui, dès lors qu'elle statue dans le domaine législatif, ne doit pas se voir opposer par le juge d'autres normes supérieures que celles qui sont opposées au Parlement lorsqu'il adopte une mesure similaire.
Ces trois points essentiels, comme d'autres moins déterminants, seront traités dans le cadre de la révision du titre XII de la Constitution que prépare le gouvernement. Il n'est pas question ici, comme l'a rappelé le Président de la République, de " bricoler la Constitution au coup par coup en y ajoutant des titres supplémentaires chaque fois qu'il faut répondre à l'attente d'une collectivité ". La Constitution est un cadre solennel que se donne le peuple français, dans son indivisibilité. C'est pourquoi la réforme engagée par le gouvernement concernera l'ensemble des collectivités d'outre-mer, comme celles de métropole.
Cette refonte complète du titre XII, avec un nouvel article 74, permettra à la Polynésie française de disposer d'un statut rénové renforçant son autonomie, étendant ses compétences, renforçant sa sécurité juridique, sans pour autant porter atteinte aux principes qui, depuis la fondation de la République, nous réunissent.
La révision de la loi organique statutaire s'inscrira donc comme une conséquence de la démarche constitutionnelle d'ores et déjà engagée par le gouvernement. Nous avons déjà commencé à travailler ensemble sur la future loi organique.
Le chantier qui nous attend est important. Je sais que nous allons le mener à bien grâce à notre volonté commune. Vous pouvez compter, Monsieur le Président, sur ce sujet comme sur tous les autres, sur mon état d'esprit constructif et sur ma détermination pour que ce nouveau partenariat que je souhaite entre l'Etat et le Territoire n'ait qu'un seul objectif : le bien-être et l'épanouissement de tous les Polynésiens dans le respect de leur dignité et de leur identité.
(Source http://www.présidence.pf, le 29 août 2002)