Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à France 2 le 15 novembre 2002, sur le congrès fondateur de l'UMP et le projet de loi sur la décentralisation.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde.- Nous allons parler de l'actualité gouvernementale, avec la visite qu'a rendu le Premier ministre au groupe UMP, et avec le congrès qui doit se tenir dimanche au Bourget et qui va porter définitivement sur la création de ce parti. D'abord, cette visite de J.-P. Raffarin au groupe, qu'est-ce que c'était ? Une façon de mieux expliquer la décentralisation, de remettre un peu les pendules à l'heure après les déclarations de J.-L. Debré, qu'on avait pu interpréter de façon un peu distante à l'égard de la décentralisation ?
- "L'UMP est un lieu de débat. Mais hier, en effet, le Premier ministre, dans une ambiance extrêmement positive, est venu expliquer qu'il ne s'agissait pas bien sûr de renoncer à un Etat national, qui a son rôle à jouer pour assurer la cohérence de la République, pour permettre que tous les citoyens soient traités de manière équitable devant la loi. Mais en même temps, la décentralisation doit faire en sorte que la politique agisse au plus près des gens et que par exemple, tout ce qui concerne la formation professionnelle, un enjeu important, c'est la région qui va pouvoir s'en occuper de manière beaucoup plus proche et beaucoup plus efficace."
La santé aussi ?
- "Oui, la santé, mais il y a d'autres sujets, comme par exemple l'urbanisme ou l'environnement. Il faut essayer de faire en sorte que les citoyens soient le plus associés possible aux décisions qui concernent leur vie quotidienne et qu'ils aient le sentiment que lorsqu'ils ont un vrai problème, que ce problème ne va pas remonter systématiquement à Paris, mais va trouver sa solution sur le plan local."
Ce qui fait peur à certains élus locaux, c'est le côté "expérimentation", parce qu'ils se disent qu'au fond, c'est peut-être quelque chose qui est mi-chèvre mi-chou, c'est-à-dire qu'on commencera une expérimentation et qu'une fois que ce sera en place, on ne reviendra pas en arrière.
- "Le Premier ministre a bien remis les choses au clair. Il y aura d'abord des transferts de compétences, c'est-à-dire qu'il y aura des actions qui seront menées par telle collectivité et cela sera écrit dans la loi. Et il y aura aussi des expériences qui seront provisoires, qui seront bien cadrées, bien évaluées. Et si cela marche, on l'étendra. C'est une méthode de précaution. Donc, nous sommes vraiment tous ressortis avec l'idée que c'est un beau chantier, qui d'ailleurs va finir par intéresser beaucoup les Français, parce qu'ils vont se rendre compte que c'est leur vie au quotidien."
Justement, il y a eu ces Assises, qui ont été préparées avec des sondages auprès de la population et, parfois, on se rend compte que par exemple en Bretagne, les Bretons se demandent pourquoi on ne rattache par tel département à leur région. Ailleurs, certains disent qu'il y a trop de départements et se demandent pourquoi on ne fait pas une seule région... Est-ce qu'au fond, il n'y a pas un risque : c'est que le pays et les Français se saisissent de ce projet de décentralisation et aillent au-delà de ce que vous-mêmes vous envisagez de faire ?
- "Il ne faut pas que le dossier s'égare dans des problèmes et des débats interminables sur l'organisation du territoire. On va garder grosso modo ce qui existe, on va mieux articuler le département et la région, la commune et la communauté de communes. Ce qui importe, c'est que l'on fait..."
Et avec quel argent ?
- "Il faut que le contribuable, à la sortie, il s'y retrouve. C'est-à-dire que le citoyen devrait normalement avoir un service plus efficace, s'il s'agit par exemple de l'eau qui est un service important et, en même temps, grâce à une meilleure gestion de tout cela, le contribuable devrait se sentir soulagé."
Souhaitons-le, car cela arrive rarement... Mais on peut l'espérer !
- "Vous verrez, c'est un débat qui va intéresser les Français, parce qu'ils vont se rendre compte de son côté concret."
Mais ce n'est pas simplement un jeu d'écritures, qui permet de décharger l'Etat, de transférer un certain nombre de frais aux régions, sans forcément avoir les ressources qui vont avec ?
- "Absolument. J.-P. Raffarin n'a rien d'un idéologue, rien d'un technocrate."
La Commission européenne tape un peu sur les doigts de la France, puisqu'elle a sorti le "carton rouge" à l'égard de l'Allemagne en disant qu'il va falloir corriger vite fait son déficit, et nous sommes aussi un peu dans le collimateur car, pour 2003, elle trouve qu'on ne fait pas assez d'efforts.
- "Dans notre cahier de notes, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a la notation qu'on connaît bien : "Cet élève a des possibilités formidables, mais il pourrait faire beaucoup mieux". Il pourrait faire beaucoup mieux si, au lieu d'imaginer que le bonheur ne passait uniquement par la réduction du travail systématique, on avait parlé un peu plus de l'enrichissement du travail, de faire un travail plus intéressant, d'avoir des promotions professionnelles qui, tout au cours de la vie, permettent aux travailleurs de s'épanouir..."
Mais la Commission a dit que non seulement notre déficit n'est pas bon, mais qu'en plus, ses prévisions de croissance sont très inférieures à ce qui est inscrit dans notre budget. Donc, cela veut dire non seulement "peut mieux faire", mais en plus, "compte mal" !
- "Mais les prévisions de croissance, dans le monde incertain où nous sommes - y aura-t-il un conflit en Irak ou pas ? Madame Soleil elle-même ne peut le prévoir... Mais ce qui est important pour la Commission, c'est que la France se remette dans la bonne direction. Et quelle est cette bonne direction ? C'est de faire en sorte que chacun puisse, dans sa vie professionnelle, donner le meilleur de lui-même. C'est l'investissement ; nous sommes en retard car, pendant cinq ans, le gouvernement précédent n'a pas vraiment fait en sorte que ce pays se dote des investissements qui préparent l'avenir, comme les nouvelles technologies."
On a vu justement que Davos, ce fameux symposium qui analyse l'état de la globalisation et des pays, nous a "relégué" - c'est comme au football ! - de la vingtième à la trentième place, en matière de compétitivité ?
- "Alors que j'étais à Bruxelles, j'ai vu avec le parti-frère européen du PPE, qui recoupe le centre et la droite européenne, combien les amis autour de la table attendent de la France, en pensant qu'on peut faire beaucoup mieux. Mais il faut faire quelques réformes structurelles, il faut que nous changions aussi nos mentalités. Et, à cet égard, je suis très heureux, parce que l'UMP - qui sera sûrement "l'Union pour une majorité populaire" - a tous les moyens de faire comprendre dans ce pays les raisons des réformes."
Le nom du futur parti sera "l'UPMP", l'Union pour une majorité populaire ?
- "Ce seront les militants qui vont trancher dimanche. Mais c'est vrai qu'il y a la notion d'union, la notion de populaire - parce que ce que nous voulons, c'est qu'il n'y ait pas deux castes, ceux qui sont au courant de toutes les technologies modernes et puis les autres, qui restent au bord de la route."
Vous qui avez présidé ce groupe UMP avant même que ce parti n'existe, vous avez fait l'expérience in vivo, comme disent les médecins : est-ce qu'il y a effectivement une synthèse qui se fait entre ceux qui viennent de l'UDF, ceux qui viennent du centre, de Démocratie libérale, les compagnons qui parfois n'aiment pas beaucoup les giscardiens... Tout cela s'agrège-t-il ?
- "Il y a un double miracle qui se produit dans ce groupe..."
C'est votre côté chrétien-démocrate ?!
- "C'est vrai que dans le paysage français, on n'avait jamais vu les gens débattre, au lieu de s'enfermer dans leurs souvenirs du passé. Les voilà à affronter les problèmes des Français d'aujourd'hui et à en débattre librement. Et une fois qu'on a bien débattu, de manière démocratique, on forge une volonté d'action. Et c'est cela qui est intéressant. Parce que, qu'est-ce que nous ont dit les Français au premier tour des élections présidentielles ? Ils ont dit que "vous, les politiques, c'est bien beau de parler, mais il faut agir". Et là, nous avons les deux ingrédients : le débat, parce qu'il faut quand même bien voir et bien peser tous les éléments du dossier et, en même temps, nous forgeons une volonté et nous pouvons passer à l'action. Ce Gouvernement est sûr d'avoir une majorité qui va le stimuler, mais qui en même temps va le soutenir."
Ce sont les jeunes élus qui poussent tout cela ? Parce que les vieux compagnons, les vieux giscardiens sont parfois un peu moins allant sur la réforme...
- "Il y a des anciens qui sont contents aussi, au contact de ces nouveaux et de ces jeunes, de changer leur état d'esprit. Et je suis assez étonné de voir combien la jeune génération, les nouveaux venus qui viennent de tous les horizons professionnels, qui ne s'embarrassent pas beaucoup des clivages d'autrefois, veulent créer cette France à la fois plus efficace et beaucoup plus fraternelle."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, 15 novembre 2002)