Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, à france 2 le 22 novembre 2002, sur le naufrage du pétrolier "Prestige", les mesures prises contre le risque de catastrophe écologique et le renforcement nécessaire des mesures de sécurité maritime internationale.

Prononcé le

Circonstance : Naufrage du pétrolier libérien "Prestige" au large des côtes espagnoles de Galice le 19 novembre 2002

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Parlons d'abord de la situation sur le front de la pollution maritime, avec le pétrolier "Prestige" qui a sombré au large des côtes espagnoles. La météo est très mauvaise, on sait maintenant que les vagues poussent les nappes de pétrole vers les côtes.
- "Effectivement, la nappe de pétrole principale est à quelques kilomètres de la Corogne. Nous attendons des creux de 7 mètres aujourd'hui et un peu mollissant demain, des rafales à 40 noeuds. Donc, la situation météorologique est très mauvaise, elle va aggraver la gravité de tout cela. Je comptais d'ailleurs me rendre sur zone aujourd'hui mais je vais être obligée de repousser ce déplacement."
En raison de ces conditions météorologiques ?
- "En raison de ces très mauvaises conditions météorologiques."
Il y a un risque réel pour les côtes françaises ; les pêcheurs du Pays Basque et de l'Aquitaine connaissent bien ce phénomène météorologique, en cette saison, en particulier, les vents et les courants peuvent ramener cette pollution sur les côtes françaises.
- "Il est très difficile, à l'heure actuelle, de savoir ce qu'il adviendra des nappes de fuel : iront-elles sur les côtes portugaises et espagnoles ? Les risques de pollution de notre pays sont très importants, c'est pour cela que toutes les dispositions ont été prises. Les centres Polmar sont en alerte - les centres de Brest, de Saint-Nazaire, du Verdon. Aujourd'hui même, je réunis les associations de protection de la nature au ministère pour qu'elles soient prêtes à encadrer les bénévoles en cas de nettoyage des plages ; les avions et les bateaux de surveillance sont mobilisés dans le Golfe de Gascogne pour vérifier tout mouvement de marée noire vers nos côtes. Nous sommes prêts au pire."
La pollution, c'est la pollution des plages, mais si la nappe de pétrole bouge, même sans arriver jusqu'à nos côtes, il y a aussi des risques pour les zones de pêche, parce qu'on sait que le Golfe de Gascogne est une réserve de pêche extraordinaire.
- "Pour l'ensemble de nos pêcheurs de la côte Atlantique, c'est une catastrophe écologique qui nous attend et une catastrophe économique. C'est pour cela que tout doit être fait puisque l'on sait très bien que les mesures de prévention sont extrêmement aléatoires. On voit par exemple que les barrages flottants, que nous avons d'ailleurs proposés aux Espagnols, que nous leur avons apportés, peuvent protéger des endroits extrêmement localisés ou fragiles sur les côtes, mais ne peuvent pas permettre d'échapper à une marée noire qui peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres de côtes."
Maintenant que ce bateau a été tiré au large, qu'il s'est fendu en deux et a sombré, il n'y a plus rien à faire ?
- "On ne sait pas du tout ce qui va se passer avec ce fuel qui se fige à une température inférieure de moins de 6 degrés, à quel moment la dislocation des caissons va se produire. On peut imaginer que le pétrole se pose par le fond. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons proposé aux Espagnols l'assistance d'un petit sous-marin dit "de poche" de l'Ifremer, pour aller inspecter ce qu'il devient exactement des caissons de pétrole et du devenir des nappes."
Mais dans le meilleur des cas, c'est ce qui va se produire, on ne peut pas récupérer ce pétrole.
- "De toute façon, on ne peut plus le récupérer à l'heure actuelle."
Les ministres européens de l'Environnement se réunissent le 9 décembre à Bruxelles. L'Italie, d'ores et déjà, demande à ce que les bateaux à simple coque ne puissent plus s'arrêter dans les ports italiens. Ce type de mesures suffisent-elles ? Peut-on interdire la circulation des bateaux à simple coque dans les eaux territoriales européennes ?
- "Il faut être beaucoup plus allant sur tous ces sujets. Le président de la République va en parler mardi au sommet franco-espagnol de Malaga, au sommet de Copenhague. Moi-même, je vais en parler au Conseil des ministres européens et le 9 décembre à Bruxelles. Il faut bien entendu que l'agence de sécurité maritime européenne rentre en place ; elle a été décidée le 27 juin dernier. Il faut évidemment que toutes les mesures de vérification se mettent en place mieux qu'elles ne l'ont été. Je constate d'ailleurs, avec regret, qu'alors que nous nous étions engagés contre les 25 % des navires qui rentrent..."
Oui, à peine 12 %...
- "Nous sommes passés de 9 à 14 % - j'ai trouvé une situation qui n'était pas bonne et nous allons forcer le pas. C'est la raison pour laquelle, en attendant d'avoir formé les inspecteurs, le ministre G. de Robien et D. Bussereau ont décidé d'embaucher des jeunes retraités de la marine marchande pour procéder à ces contrôles. C'est évidemment extrêmement important de renforcer les législations tant au plan européen qu'au plan international, et en particulier, porter le fonds d'indemnisation du Fipol - donc également les assurances auxquelles les armateurs sont obligés de souscrire - à augmenter leurs assurances."
Vous dites que peu de choses ont été faites, cela veut dire que depuis la catastrophe de l'Erika, votre "prédécesseuse", D. Voynet...
- "Je n'ai pas dit cela. Nous ne sommes pas allés assez loin, en particulier dans ces mesures de protection. Des choses ont été faites, bien entendu, j'ai d'ailleurs fait le bilan devant l'Assemblée nationale, sur la mobilisation des bénévoles, des moyens de secours en cas de marée noire, avec l'appui des collectivités territoriales."
Vous avez une cellule d'urgence, par exemple, au ministère aujourd'hui ?
- "Tout à fait, avec un comité d'experts. Bien entendu, nous avons mobilisé les préfets de la façade maritime, nous nous voyons cet après-midi avec mes collègues de la région Bretagne. Je n'oublie pas que je suis une élue du Pays-de-la-Loire et quand on va sur la plage du Croisic et que l'on voit les rochers souillés, les oiseaux morts, c'est la rage qui vous prend ! Les gens pleurent devant ce spectacle ; ils ont vraiment la rage au coeur !"
Ce bateau appartenait - je lis - à une firme venus du Libéria, sous pavillon des Bahamas, affrété par une compagnie russe basée en Suisse pour le compte d'une société grecque. On est dans l'absurdité !
- "Dans la caricature la plus totale ! Ce que vous décrivez montre l'importance du concept défendu actuellement par le président de la République à Johannesburg, d'une gouvernance mondiale, d'une organisation mondiale de l'environnement. On voit bien que les problèmes écologiques sont au niveau de la planète et que si on veut se battre pour le développement durable, on ne peut plus uniquement se battre au niveau français et européen."
Vous êtes en charge, avec J.-P. Raffarin, de ce séminaire gouvernemental qui aura lieu le 28 novembre sur le développement durable. C'est une des questions, - ces questions de pollution - que vous allez aborder ?
- "Le Gouvernement s'est mobilisé, moi-même et ma secrétaire d'Etat, T. Saifi, pour dire à chaque ministre "et toi, qu'est-ce que tu fais pour le développement durable pour l'avenir de la planète ?". La mobilisation a été tout à fait considérable, ce n'est pas un gadget. Chacun va s'inscrire dans une stratégie nationale du développement durable, va fixer ses objectifs. Nous avons apporté un plan, un cadre. Au mois de mars, cette stratégie sera définie et elle viendra en résonance avec une énorme échéance qui est celle de la Charte de l'environnement : nous allons inscrire la défense de l'environnement, la promotion du développement durable au plus haut niveau de nos textes, c'est à dire la Constitution."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 novembre 2002)