Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Alors qu'aujourd'hui des centaines de milliers de personnes se rassemblent à Paris et dans toute la France, alors que des centaines de millions de gens de par le monde sont mobilisés contre la guerre, nous sommes réunis, ce matin, à l'Assemblée nationale, parce que vous avez fait le choix, Monsieur le Premier ministre, de faire passer en force la modification des modes de scrutin aux élections régionales et européennes.
L'heure est extrêmement grave : la tension internationale ne cesse de croître, et les Etats-Unis pressent le pas vers une guerre qu'ils veulent à tout prix. Dans ce contexte, la France, le Président de la République adoptent une attitude forte, courageuse. Nous souhaitons, unis dans cette épreuve que tout soit fait pour arrêter la spirale de la guerre et si la question se pose, que la France use de son droit de veto au conseil de sécurité de l'ONU.
Je n'ose croire que vous utilisiez la gravité de ces instants, comme paravent à des réformes désastreuses et liberticides.
Si tel était le cas, cela relèverait d'un procédé indigne qui ne vous ferait pas honneur.
Il y a quelques jours encore sur ces bancs, Monsieur Barrot, président du groupe UMP, en prenait nommément prétexte pour faire taire la représentation nationale. De telles attitudes sont inadmissibles et contraires aux principes républicains.
En utilisant l'article 49-3 de notre Constitution, vous faites, Monsieur le Premier ministre, aveu de faiblesse. La France avait-elle besoin de cela dans cette période que je viens de décrire ? Contrairement à vos affirmations, rien ne vous obligeait à choisir cette voie, rien ne vous obligeait non plus, à présenter une loi dont vous saviez qu'elle susciterait la colère unanime des partisans du pluralisme.
C'est la première fois que l'article 49-3 est utilisé, pour faire passer une réforme des modes de scrutin. Le groupe communiste et républicain avait proposé de nombreux amendements sérieux à cette loi. Vous avez qualifié l'exercice du droit constitutionnel d'amendement de " désordre ". Quel mépris pour le Parlement !
L'utilisation de l'article 49-3 est, comme chacun sait, une arme employée pour contraindre sa propre majorité. Le doute aurait-il gagné du terrain ? Vous craigniez en réalité ce débat, c'est pourquoi il n'aura pas lieu. Après la présentation de cette réforme nuisant gravement à la démocratie, vous faites la preuve, explicitement, par votre attitude, de votre jusqu'au-boutisme. Cela ne peut qu'inquiéter sur votre pratique concernant d'autres questions touchant à la vie quotidienne des Françaises et des Français. Dès qu'ils voudront exprimer leur désaccord avec vos projets, présenter des solutions alternatives, allez-vous les bâillonner ? Protection sociale, retraites, privatisation d'Air France, allez-vous, à chaque fois, dégainer le 49-3 ?
* *
*
Monsieur le Premier ministre, la loi scélérate que vous souhaitez imposer, par la force, à notre peuple, justifie, à elle seule, le dépôt d'une motion de censure. Dans un contexte où l'on stigmatise des minorités sociales ; au moment où certains membres du gouvernement parlent de " droits-de-l'hommisme " ; à l'heure où l'on écartèle la République en brisant l'égalité entre les citoyens et en diluant les responsabilités par une décentralisation factice ; votre réforme vise directement la démocratie et ses valeurs.
Vous voulez une France muselée car nombre d'électeurs et d'électrices, peut-être une majorité, verront leurs voix se perdre dans les urnes sans aucune reconnaissance politique.
Vous voulez une France passée à la moulinette, dont la représentation politique sera à mille lieues de la réalité.
Vous voulez une France au pouvoir politique affaibli, une France au débat d'idées rabougri, aux horizons bornés. Tout cela vous conduit, en définitive, à une négation du peuple.
Avec votre réforme imposée, voulez-vous aujourd'hui nous faire choisir entre les ânes et les éléphants ? Que sera notre vie politique, réduite à deux partis, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ? Nous voyons bien que dans ces deux pays, le bipartisme gangrène la démocratie et aggrave l'abstention. Eloigner durablement les classes populaires du débat démocratique, est-ce cela à quoi vous voulez arriver ? Vous ne changez pas seulement de modes de scrutin, Monsieur le Premier ministre, vous nous préparez, que vous le vouliez ou non, de nouveaux 21 avril. Des 21 avril de plus en plus inquiétants.
Mais que craignez-vous pour faire taire ainsi la pluralité des opinions ? La démocratie a besoin de diversité, de convictions, de débats d'idées, de confrontations Les systèmes faits d'uniformité, d'unicité, de parti unique ou de deux partis dominants, n'ont jamais produit d'avancées de civilisation.
Vous utilisez comme argument à votre loi imposée, le risque du Front national. Monsieur le Premier ministre, c'est un sujet grave, d'autres hélas s'en sont servi à d'autres époques. L'extrême droite, c'est le rejet de l'autre, l'autoritarisme, le racisme, la violence. Pourtant votre loi n'empêche pas que soient élus ses représentants. Et elle ne peut en rien combattre ses idées.
Ce qui fait reculer l'extrême droite, c'est la démocratie, le progrès social, la coopération entre les peuples. Vous n'y travaillez pas, et hélas l'extrême droite n'a pas besoin d'être dans l'hémicycle pour que ses idées soient recyclées.
En fait, cette réforme des modes de scrutin n'est qu'un trompe l'il. La région et l'Europe sont au cur de votre stratégie de remodelage de la société, ce ne sont donc pas seulement les circonstances qui vous poussent à imposer votre loi. En réalité, elle n'a pas d'autre objet que de faire rentrer aux forceps les citoyennes et les citoyens dans un cadre qui ne leur convient pas et qu'ils n'ont pas choisi.
Cette réforme n'est pas digne de notre République, elle n'est pas digne de notre peuple !
Notre culture politique est celle du pluralisme, il est enraciné dans notre histoire de longue date. Il faut, à notre sens, le considérer comme une chance pour la vitalité de notre démocratie. Le pluralisme est le fondement même de notre République. Il puise son impérieuse nécessité dans le principe de liberté qui ne souffre aucun outrage. Car la France est multiple, alors même qu'elle est une. Et c'est à la fois parce qu'elle est une, et parce qu'elle est multiple, qu'elle appartient en propre à chaque citoyen, à chaque citoyenne. C'est justement à cela que vous voulez mettre fin. Seule une démocratie altérée pourrait se satisfaire d'une résolution des contradictions et des diversités par l'élimination et le prisme pervers de filtres déformants.
La crise de la politique ne sera pas résolue par des aménagements à contre-sens historique. Le Conseil National de la Résistance affirmait vouloir " rendre la parole au peuple français ", à nos yeux, ce défi est encore devant nous. Le 5 mai, la majorité des électeurs et électrices a fait le choix de la démocratie, soyons certains que cette majorité sera fort déçue qu'elle leur soit confisquée par ceux-là mêmes qui s'en prétendaient le rempart.
Le 21 avril nous appelle au débat contradictoire, aux confrontations d'idées.
Le 21 avril nous appelle à l'audace d'une démocratie vraie et renouvelée qui donne à chacun et à chacune toute sa place dans le débat comme dans la représentation politique. Vous tournez le dos à ce défi !
Si cette réforme, qui s'attache à des enjeux partisans et foule aux pieds l'intérêt général, est à nos yeux un motif suffisant de censure, depuis dix mois que vous assumez les responsabilités gouvernementales, il en existe bien d'autres, qui justifient mille fois la présente motion.
Que faites-vous, monsieur le Premier ministre, face à la déferlante des plans de licenciements ? Vous parlez de reclassements, vous dites qu'ils seront longs et difficiles. Le gouvernement fait mine de gronder les " patrons voyous ", mais il affiche pour eux la plus grande complaisance. Toutes les mesures que vous avez prises n'ont eu pour objectif que de " libérer les énergies ", comme vous le rappelez sans cesse, c'est à dire de laisser libre cours aux soubresauts du marché. Votre seul objectif : délier les mains des licencieurs.
Que faites-vous, monsieur le Premier ministre, pour les salariés de ce pays ? De fait, vous abolissez les 35 heures, en maintenant la flexibilité, l'annualisation et les bas-salaires. Vous voulez rogner le droit à la retraite. Vous avez supprimé la loi sur le contrôle des fonds publics. Vous voulez que les personnes âgées remboursent sur leur petit héritage l'aide personnalisée à l'autonomie mais aux patrons licencieurs vous permettez de conserver toute l'aide publique.
Que faites-vous pour que l'Etat assure ses missions de service public ? Vous privatisez le gaz, Air France, vous vous défaites de vos obligations d'égalité sur l'ensemble du territoire par votre projet de loi de " décentralisation ", vous vendez des activités humaines essentielles aux marchés, au nom de la concurrence sauvage.
Que faites-vous pour que le droit à la tranquillité soit respecté et qu'advienne un meilleur vivre ensemble ? Vous instaurez un climat de peur et de stigmatisation des pauvres, des jeunes tout en supprimant les emplois jeunes et en attaquant la Couverture maladie universelle.
Que faites-vous de notre peuple ? Vous tentez de le diviser, d'opposer le érémiste au salarié, le salarié de la fonction publique au salarié du privé, le cadre à l'employé, le jeune à l'adulte
Que faites-vous de nos valeurs ? A la liberté, vous opposez l'ordre ; à la solidarité, vous opposez la concurrence ; à l'éducation, vous opposez la répression ; à la justice sociale, vous opposez le mérite.
Que faites-vous de notre démocratie ? Vous la mettez à votre main, la preuve plus que jamais en est faite aujourd'hui.
Tout cela est grave, tout cela marque notre peuple dans sa chair. Les critiques à la gauche ne vous serviront pas d'alibi plus longtemps pour couvrir à bons frais cette opération de démolition sociale et démocratique à laquelle vous vous attelez avec ardeur.
Votre projet est clair. Vous déroulez le tapis rouge au capitalisme mondialisé. Vous cassez les garanties collectives pour livrer notre société au chacun pour soi, à l'individualisme, à la course effrénée au profit.
Vous avez décidé que les inégalités qui fissurent ce monde sont inévitables. Vous semblez même vouloir en rajouter puisque vous abaissez l'impôt sur la fortune, puisque vous ne cessez de faire des cadeaux fiscaux aux puissants. Les conséquences de votre politique, vous entendez les contenir par des choix sécuritaires dont l'efficacité est plus que douteuse. Le respect et l'autorité, cela se gagne. En réalité, à terme, vous voulez réduire l'Etat à un rôle de police, réduire la politique à une fonction tribunitienne, réduire la démocratie à une affaire d'initiés.
C'est une véritable démission choisie et organisée. Quand tout sera bradé, quand tout sera détruit, votre ami Ernest-Antoine Seillière pourra vous féliciter plus encore qu'il ne l'a déjà fait.
Avant cette réforme des modes de scrutin, vous dites nous avoir consultés. Mais cela n'a rien changé à votre projet initial, il est resté intact. Et j'entends encore mercredi dernier, votre ministre du travail et des affaires sociales, monsieur François Fillon, nous expliquer le sens de la grande conférence sur l'emploi que vous projetez d'organiser, je le cite : " aider les partenaires sociaux à avancer plus vite dans la direction que nous leur avons fixée . Si c'est cela la concertation, vous aviez raison de dire ce mercredi: " Nous avons fait la preuve de la concertation ". Nous comprenons mieux désormais, ce que vous nommez " nouvelle gouvernance ".
Allez-vous faire le même sort à la réforme des retraites et à celle de la protection sociale qu'à cette réforme des scrutins ? Au regard des cadres que vous avez fixé, il faut le craindre. Vos projets en la matière portent une fois de plus la marque d'un profond mépris pour les salariés de ce pays, pour les retraités, pour l'immense majorité de notre peuple.
Vos atteintes à la démocratie sont autant d'outils pour passer en force dans le domaine social et dans tous les domaines. En témoignent d'ailleurs les multiples exemples d'atteintes à la liberté syndicale que vous vous gardez bien de réprouver. Vous sentez bien la fragilité de vos projets et la faiblesse de l'adhésion qu'ils suscitent en profondeur dans notre peuple. Vous voulez couper court à tous les combats, éviter les trop grands débats pour étouffer les autres perspectives.
Monsieur le Premier ministre,
C'est au nom des salariés, de Daewoo, d'ACT, de Métaleurop, de Palace parfums, de Reims Aviation, de la Banque de France, d'Air Lib, d'Alcatel, du Giat, d'Arcelor, de Péchiney, de Rivoire et Carré, d'Air France, d'Aventis, de France Telecom et de bien d'autres encore, que nous vous censurons.
C'est au nom de ceux que vous appelez " les petits partis ", au nom de tous les citoyens menacés par vos lois, au nom de la démocratie, au nom de ce principe, " un homme, une femme, une voix ", que nous vous censurons.
C'est au nom de la culture, de l'éducation, de la sécurité de l'emploi et de la formation, des revenus décents, au nom de tout ce qui fait la dignité et la grandeur de l'homme et de la femme, que nous vous censurons.
C'est au nom des plus de 70% d'électeurs et d'électrices qui ont choisi d'autres partis que l'UMP aux dernières élections. Au nom des 82% d'électeurs et d'électrices qui ont choisi la République le 5 mai dernier, que nous vous censurons.
Nous appelons tous nos collègues, tous les démocrates convaincus qui siègent sur les bancs de cette assemblée, qui jugent, sans pour autant adhérer à l'ensemble de notre révolte, que cette réforme des modes de scrutin est une atteinte trop grave à la démocratie pour pouvoir être acceptée, à faire de même.
Nous tenons ici à en appeler solennellement au Président de la République, garant de nos institutions et de leur bon fonctionnement, afin qu'il n'appose pas sa signature au bas de cette loi qui n'a pas été adoptée par le Parlement, qui sape les fondements de notre République.
Pour notre part, nous nous engagerons dans toute démarche susceptible de faire échec à ce coup de force électoral, à commencer par la saisine du Conseil Constitutionnel.
Monsieur le Premier ministre, vous ne stopperez pas l'élan de la résistance et de la riposte. Face à votre gouvernement aux penchants absolutistes, vous ne nous laissez plus pour l'heure qu'une seule solution la censure.
(Source http://www.pcf.fr, le 18 février 2003)
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Alors qu'aujourd'hui des centaines de milliers de personnes se rassemblent à Paris et dans toute la France, alors que des centaines de millions de gens de par le monde sont mobilisés contre la guerre, nous sommes réunis, ce matin, à l'Assemblée nationale, parce que vous avez fait le choix, Monsieur le Premier ministre, de faire passer en force la modification des modes de scrutin aux élections régionales et européennes.
L'heure est extrêmement grave : la tension internationale ne cesse de croître, et les Etats-Unis pressent le pas vers une guerre qu'ils veulent à tout prix. Dans ce contexte, la France, le Président de la République adoptent une attitude forte, courageuse. Nous souhaitons, unis dans cette épreuve que tout soit fait pour arrêter la spirale de la guerre et si la question se pose, que la France use de son droit de veto au conseil de sécurité de l'ONU.
Je n'ose croire que vous utilisiez la gravité de ces instants, comme paravent à des réformes désastreuses et liberticides.
Si tel était le cas, cela relèverait d'un procédé indigne qui ne vous ferait pas honneur.
Il y a quelques jours encore sur ces bancs, Monsieur Barrot, président du groupe UMP, en prenait nommément prétexte pour faire taire la représentation nationale. De telles attitudes sont inadmissibles et contraires aux principes républicains.
En utilisant l'article 49-3 de notre Constitution, vous faites, Monsieur le Premier ministre, aveu de faiblesse. La France avait-elle besoin de cela dans cette période que je viens de décrire ? Contrairement à vos affirmations, rien ne vous obligeait à choisir cette voie, rien ne vous obligeait non plus, à présenter une loi dont vous saviez qu'elle susciterait la colère unanime des partisans du pluralisme.
C'est la première fois que l'article 49-3 est utilisé, pour faire passer une réforme des modes de scrutin. Le groupe communiste et républicain avait proposé de nombreux amendements sérieux à cette loi. Vous avez qualifié l'exercice du droit constitutionnel d'amendement de " désordre ". Quel mépris pour le Parlement !
L'utilisation de l'article 49-3 est, comme chacun sait, une arme employée pour contraindre sa propre majorité. Le doute aurait-il gagné du terrain ? Vous craigniez en réalité ce débat, c'est pourquoi il n'aura pas lieu. Après la présentation de cette réforme nuisant gravement à la démocratie, vous faites la preuve, explicitement, par votre attitude, de votre jusqu'au-boutisme. Cela ne peut qu'inquiéter sur votre pratique concernant d'autres questions touchant à la vie quotidienne des Françaises et des Français. Dès qu'ils voudront exprimer leur désaccord avec vos projets, présenter des solutions alternatives, allez-vous les bâillonner ? Protection sociale, retraites, privatisation d'Air France, allez-vous, à chaque fois, dégainer le 49-3 ?
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Monsieur le Premier ministre, la loi scélérate que vous souhaitez imposer, par la force, à notre peuple, justifie, à elle seule, le dépôt d'une motion de censure. Dans un contexte où l'on stigmatise des minorités sociales ; au moment où certains membres du gouvernement parlent de " droits-de-l'hommisme " ; à l'heure où l'on écartèle la République en brisant l'égalité entre les citoyens et en diluant les responsabilités par une décentralisation factice ; votre réforme vise directement la démocratie et ses valeurs.
Vous voulez une France muselée car nombre d'électeurs et d'électrices, peut-être une majorité, verront leurs voix se perdre dans les urnes sans aucune reconnaissance politique.
Vous voulez une France passée à la moulinette, dont la représentation politique sera à mille lieues de la réalité.
Vous voulez une France au pouvoir politique affaibli, une France au débat d'idées rabougri, aux horizons bornés. Tout cela vous conduit, en définitive, à une négation du peuple.
Avec votre réforme imposée, voulez-vous aujourd'hui nous faire choisir entre les ânes et les éléphants ? Que sera notre vie politique, réduite à deux partis, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ? Nous voyons bien que dans ces deux pays, le bipartisme gangrène la démocratie et aggrave l'abstention. Eloigner durablement les classes populaires du débat démocratique, est-ce cela à quoi vous voulez arriver ? Vous ne changez pas seulement de modes de scrutin, Monsieur le Premier ministre, vous nous préparez, que vous le vouliez ou non, de nouveaux 21 avril. Des 21 avril de plus en plus inquiétants.
Mais que craignez-vous pour faire taire ainsi la pluralité des opinions ? La démocratie a besoin de diversité, de convictions, de débats d'idées, de confrontations Les systèmes faits d'uniformité, d'unicité, de parti unique ou de deux partis dominants, n'ont jamais produit d'avancées de civilisation.
Vous utilisez comme argument à votre loi imposée, le risque du Front national. Monsieur le Premier ministre, c'est un sujet grave, d'autres hélas s'en sont servi à d'autres époques. L'extrême droite, c'est le rejet de l'autre, l'autoritarisme, le racisme, la violence. Pourtant votre loi n'empêche pas que soient élus ses représentants. Et elle ne peut en rien combattre ses idées.
Ce qui fait reculer l'extrême droite, c'est la démocratie, le progrès social, la coopération entre les peuples. Vous n'y travaillez pas, et hélas l'extrême droite n'a pas besoin d'être dans l'hémicycle pour que ses idées soient recyclées.
En fait, cette réforme des modes de scrutin n'est qu'un trompe l'il. La région et l'Europe sont au cur de votre stratégie de remodelage de la société, ce ne sont donc pas seulement les circonstances qui vous poussent à imposer votre loi. En réalité, elle n'a pas d'autre objet que de faire rentrer aux forceps les citoyennes et les citoyens dans un cadre qui ne leur convient pas et qu'ils n'ont pas choisi.
Cette réforme n'est pas digne de notre République, elle n'est pas digne de notre peuple !
Notre culture politique est celle du pluralisme, il est enraciné dans notre histoire de longue date. Il faut, à notre sens, le considérer comme une chance pour la vitalité de notre démocratie. Le pluralisme est le fondement même de notre République. Il puise son impérieuse nécessité dans le principe de liberté qui ne souffre aucun outrage. Car la France est multiple, alors même qu'elle est une. Et c'est à la fois parce qu'elle est une, et parce qu'elle est multiple, qu'elle appartient en propre à chaque citoyen, à chaque citoyenne. C'est justement à cela que vous voulez mettre fin. Seule une démocratie altérée pourrait se satisfaire d'une résolution des contradictions et des diversités par l'élimination et le prisme pervers de filtres déformants.
La crise de la politique ne sera pas résolue par des aménagements à contre-sens historique. Le Conseil National de la Résistance affirmait vouloir " rendre la parole au peuple français ", à nos yeux, ce défi est encore devant nous. Le 5 mai, la majorité des électeurs et électrices a fait le choix de la démocratie, soyons certains que cette majorité sera fort déçue qu'elle leur soit confisquée par ceux-là mêmes qui s'en prétendaient le rempart.
Le 21 avril nous appelle au débat contradictoire, aux confrontations d'idées.
Le 21 avril nous appelle à l'audace d'une démocratie vraie et renouvelée qui donne à chacun et à chacune toute sa place dans le débat comme dans la représentation politique. Vous tournez le dos à ce défi !
Si cette réforme, qui s'attache à des enjeux partisans et foule aux pieds l'intérêt général, est à nos yeux un motif suffisant de censure, depuis dix mois que vous assumez les responsabilités gouvernementales, il en existe bien d'autres, qui justifient mille fois la présente motion.
Que faites-vous, monsieur le Premier ministre, face à la déferlante des plans de licenciements ? Vous parlez de reclassements, vous dites qu'ils seront longs et difficiles. Le gouvernement fait mine de gronder les " patrons voyous ", mais il affiche pour eux la plus grande complaisance. Toutes les mesures que vous avez prises n'ont eu pour objectif que de " libérer les énergies ", comme vous le rappelez sans cesse, c'est à dire de laisser libre cours aux soubresauts du marché. Votre seul objectif : délier les mains des licencieurs.
Que faites-vous, monsieur le Premier ministre, pour les salariés de ce pays ? De fait, vous abolissez les 35 heures, en maintenant la flexibilité, l'annualisation et les bas-salaires. Vous voulez rogner le droit à la retraite. Vous avez supprimé la loi sur le contrôle des fonds publics. Vous voulez que les personnes âgées remboursent sur leur petit héritage l'aide personnalisée à l'autonomie mais aux patrons licencieurs vous permettez de conserver toute l'aide publique.
Que faites-vous pour que l'Etat assure ses missions de service public ? Vous privatisez le gaz, Air France, vous vous défaites de vos obligations d'égalité sur l'ensemble du territoire par votre projet de loi de " décentralisation ", vous vendez des activités humaines essentielles aux marchés, au nom de la concurrence sauvage.
Que faites-vous pour que le droit à la tranquillité soit respecté et qu'advienne un meilleur vivre ensemble ? Vous instaurez un climat de peur et de stigmatisation des pauvres, des jeunes tout en supprimant les emplois jeunes et en attaquant la Couverture maladie universelle.
Que faites-vous de notre peuple ? Vous tentez de le diviser, d'opposer le érémiste au salarié, le salarié de la fonction publique au salarié du privé, le cadre à l'employé, le jeune à l'adulte
Que faites-vous de nos valeurs ? A la liberté, vous opposez l'ordre ; à la solidarité, vous opposez la concurrence ; à l'éducation, vous opposez la répression ; à la justice sociale, vous opposez le mérite.
Que faites-vous de notre démocratie ? Vous la mettez à votre main, la preuve plus que jamais en est faite aujourd'hui.
Tout cela est grave, tout cela marque notre peuple dans sa chair. Les critiques à la gauche ne vous serviront pas d'alibi plus longtemps pour couvrir à bons frais cette opération de démolition sociale et démocratique à laquelle vous vous attelez avec ardeur.
Votre projet est clair. Vous déroulez le tapis rouge au capitalisme mondialisé. Vous cassez les garanties collectives pour livrer notre société au chacun pour soi, à l'individualisme, à la course effrénée au profit.
Vous avez décidé que les inégalités qui fissurent ce monde sont inévitables. Vous semblez même vouloir en rajouter puisque vous abaissez l'impôt sur la fortune, puisque vous ne cessez de faire des cadeaux fiscaux aux puissants. Les conséquences de votre politique, vous entendez les contenir par des choix sécuritaires dont l'efficacité est plus que douteuse. Le respect et l'autorité, cela se gagne. En réalité, à terme, vous voulez réduire l'Etat à un rôle de police, réduire la politique à une fonction tribunitienne, réduire la démocratie à une affaire d'initiés.
C'est une véritable démission choisie et organisée. Quand tout sera bradé, quand tout sera détruit, votre ami Ernest-Antoine Seillière pourra vous féliciter plus encore qu'il ne l'a déjà fait.
Avant cette réforme des modes de scrutin, vous dites nous avoir consultés. Mais cela n'a rien changé à votre projet initial, il est resté intact. Et j'entends encore mercredi dernier, votre ministre du travail et des affaires sociales, monsieur François Fillon, nous expliquer le sens de la grande conférence sur l'emploi que vous projetez d'organiser, je le cite : " aider les partenaires sociaux à avancer plus vite dans la direction que nous leur avons fixée . Si c'est cela la concertation, vous aviez raison de dire ce mercredi: " Nous avons fait la preuve de la concertation ". Nous comprenons mieux désormais, ce que vous nommez " nouvelle gouvernance ".
Allez-vous faire le même sort à la réforme des retraites et à celle de la protection sociale qu'à cette réforme des scrutins ? Au regard des cadres que vous avez fixé, il faut le craindre. Vos projets en la matière portent une fois de plus la marque d'un profond mépris pour les salariés de ce pays, pour les retraités, pour l'immense majorité de notre peuple.
Vos atteintes à la démocratie sont autant d'outils pour passer en force dans le domaine social et dans tous les domaines. En témoignent d'ailleurs les multiples exemples d'atteintes à la liberté syndicale que vous vous gardez bien de réprouver. Vous sentez bien la fragilité de vos projets et la faiblesse de l'adhésion qu'ils suscitent en profondeur dans notre peuple. Vous voulez couper court à tous les combats, éviter les trop grands débats pour étouffer les autres perspectives.
Monsieur le Premier ministre,
C'est au nom des salariés, de Daewoo, d'ACT, de Métaleurop, de Palace parfums, de Reims Aviation, de la Banque de France, d'Air Lib, d'Alcatel, du Giat, d'Arcelor, de Péchiney, de Rivoire et Carré, d'Air France, d'Aventis, de France Telecom et de bien d'autres encore, que nous vous censurons.
C'est au nom de ceux que vous appelez " les petits partis ", au nom de tous les citoyens menacés par vos lois, au nom de la démocratie, au nom de ce principe, " un homme, une femme, une voix ", que nous vous censurons.
C'est au nom de la culture, de l'éducation, de la sécurité de l'emploi et de la formation, des revenus décents, au nom de tout ce qui fait la dignité et la grandeur de l'homme et de la femme, que nous vous censurons.
C'est au nom des plus de 70% d'électeurs et d'électrices qui ont choisi d'autres partis que l'UMP aux dernières élections. Au nom des 82% d'électeurs et d'électrices qui ont choisi la République le 5 mai dernier, que nous vous censurons.
Nous appelons tous nos collègues, tous les démocrates convaincus qui siègent sur les bancs de cette assemblée, qui jugent, sans pour autant adhérer à l'ensemble de notre révolte, que cette réforme des modes de scrutin est une atteinte trop grave à la démocratie pour pouvoir être acceptée, à faire de même.
Nous tenons ici à en appeler solennellement au Président de la République, garant de nos institutions et de leur bon fonctionnement, afin qu'il n'appose pas sa signature au bas de cette loi qui n'a pas été adoptée par le Parlement, qui sape les fondements de notre République.
Pour notre part, nous nous engagerons dans toute démarche susceptible de faire échec à ce coup de force électoral, à commencer par la saisine du Conseil Constitutionnel.
Monsieur le Premier ministre, vous ne stopperez pas l'élan de la résistance et de la riposte. Face à votre gouvernement aux penchants absolutistes, vous ne nous laissez plus pour l'heure qu'une seule solution la censure.
(Source http://www.pcf.fr, le 18 février 2003)