Déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur le développement de l'attractivité des territoires, l'accompagnement de leurs mutations économiques et la mise en place des solidarités entre les territoires, Paris le 10 octobre 2002.

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Circonstance : Séance plénière du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT) à Paris le 10 octobre 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis d'ouvrir cette séance du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, qui est à mes yeux un lieu privilégié d'échange, de réflexion, d'analyse puisqu'il regroupe en son sein toutes celles et ceux qui à des titres divers participent non seulement à l'aménagement du territoire - je crois que le terme n'est plus suffisant - mais au développement des territoires. Et il nous paraît excessivement important de pouvoir recueillir vos avis, vos analyses, vos évaluations, vos attentes sur la problématique de l'aménagement et du développement du territoire. C'est d'autant plus important que nous avons au sein du CNADT des représentants des collectivités territoriales : régions, départements et communes, qui sont par définition les acteurs du développement local, mais aussi des forces associatives, syndicales, économiques, artisanales, agricoles qui sont créateurs de la richesse territoriale et les représentants des deux assemblées, qui ont aujourd'hui devant eux un calendrier législatif très important, relatif à la nouvelle articulation entre l'Etat et les collectivités locales, à la nouvelle répartition des pouvoirs, des moyens, des compétences avec probablement une dimension qui est un peu absente mais présente dans tous nos esprits, la dimension européenne. Je salue donc l'ensemble des membres, je les invite à ce que nous ayons des réunions périodiques - je pense que le rythme était à peu près de deux réunions par an - avec ensuite un certain nombre de commissions qui auront à travailler sur des thèmes particuliers, et notamment la commission permanente.
Après avoir constaté que le quorum était atteint, après avoir vous avoir indiqué que vous ont été remises en séance des notes sur la décentralisation, sur la mise en cohérence des quatre lois, sur le débat communautaire sur l'avenir de la politique de cohésion européenne, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions qui sont au cur de nos interrogations, voire de nos propositions, au sein du ministère et au sein de la Datar.
Nous nous sommes fixés trois objectifs: Comment développer l'attractivité de nos territoires ? Comment anticiper et accompagner les mutations économiques qui font la richesse, voire la détresse de nos territoires ? Comment mettre en place des solidarités entre les territoires ?
Il est important que par rapport à ces objectifs politiques, nous puissions nous interroger aussi sur les ambitions qui sont les nôtres, les défis que nous souhaitons relever, et sur les définitions que nous donnons aux termes que nous utilisons.
Concernant l'attractivité des territoires, nous voyons bien que nous avons là à nous interroger sur nos atouts pour développer l'attractivité mais aussi sur nos handicaps et nos faiblesses qui réduisent cette attractivité. Nous avons un défi collectif à relever, celui du vieillissement de notre population, qui fait que nous devons augmenter le produit intérieur brut pour être en mesure de conserver le train de vie de la France. Il est évident que le développement des territoires a vocation à soutenir une croissance des richesses permettant de faire face à nos dépenses de solidarité publique, d'infrastructures, l'investissement public étant l'un des facteurs de l'attractivité en terme d'infrastructures, en terme de recherche, en terme d'éducation, en terme de formation. Au moment où la mondialisation, quelle que soit l'analyse que l'on peut en faire, est une répartition mondiale de la valeur ajoutée avec des lieux de transformation, des lieux de consommation, des lieux de production qui se répartissent sur l'ensemble de la planète et qui mettent en place des réseaux économiques qui permettent la complémentarité territoriale, quelle est la part de valeur ajoutée que nous devons absolument attirer sur notre territoire et ne pas laisser échapper ? L'on mesure bien aujourd'hui quelles sont les réflexions que nous devons avoir sur les mécaniques de développement du territoire. Est-ce que nous partageons tous l'analyse un peu simpliste selon laquelle le développement d'un territoire est directement proportionnel à une métropole, à une qualité d'infrastructure et à un niveau de formation ? En même temps, on voit bien que derrière ce terme d'attractivité il y a deux types de " consommateurs territoriaux " et qu'il y a plusieurs usages territoriaux : il y a les touristes qui veulent " consommer " nos territoires à condition qu'ils soient exempts de toute activité économique et d'une pureté environnementale et naturelle forte, avec une authenticité patrimoniale, ce qui développe une activité de tourisme et les services qui lui sont liés. Mais ceci est en opposition avec tout développement de caractère économique industriel, et peut même limiter les activités agricoles. Nous commençons à nous demander si nous ne sommes pas en train d'assister à un renforcement de la fonctionnalité de nos territoires, certains ayant une vocation résidentielle, d'autres une vocation environnementale, d'autres une vocation industrielle avec des mécanismes de concentration thématique d'entreprises. Nous allons assister à des concentrations de plus en plus fortes de l'aéronautique sur Toulouse, de l'automobile sur l'Est et sur le Nord. Si cela est le cas, comment sécuriser la vie d'un territoire de plus en plus dépendant d'un seul secteur économique dont les cycles sont quelquefois redoutables ? On voit bien dans l'Ouest aujourd'hui les crises qui frappent parfois en même temps et le textile et l'activité des télécoms, avec des entreprises qui en un an ou deux ans passent de 100 emplois à 1200 emplois pour terminer à 150 emplois. Il faut donc développer une vraie réflexion sur ce sujet. C'est d'autant plus important qu'un certain nombre de facteurs ou de décisions politiques peuvent paradoxalement modifier la fonctionnalité de ces territoires. Comment anticiper un certain nombre de scénarii par rapport aux décisions politiques concernant la politique agricole commune ? Un espace européen unique a-t-il pour vocation de banaliser les pratiques culturales et donc de détruire ce qui fait la richesse culturale de nos pays, comme certaines productions de caractère artisanal qui seraient broyées par une mécanique implacable de rationalisation des prix ? Devons nous garder des valeurs ajoutées particulières liées à ce type de productions, mais qui quelquefois se heurtent à des systèmes de normes environnementales qui ont plutôt tendance à favoriser les pratiques industrielles au nom d'une maîtrise de la santé, au détriment de pratiques de terroirs pourtant importantes sur le plan culturel, sur le plan patrimonial, et sur le plan économique. Ce sont des sujets lourds sur lesquels il faut impérativement que nous ayons un certain nombre de réflexions.
Deuxième réflexion : le vieillissement de la population, auquel s'ajoute dans les pays développés un coût du travail qui, au-delà d'un certain pourcentage dans le produit fini, a tendance soit à augmenter la productivité donc en réalité à détruire l'emploi, soit à le délocaliser. Nous sommes en face d'un véritable problème d'éviction de celles et ceux qui n'ont pas un niveau de formation suffisant. On voit bien que l'efficacité de l'outil de formation professionnelle est un facteur de développement de croissance. Il permet en tout cas d'éviter des ralentissements de croissance par rapport à certaines entreprises qui aujourd'hui ne trouvent plus les moyens de développement parce qu'elles ne disposent pas de la main d'uvre qualifiée. Nous devons également développer une réflexion sur les statistiques dont nous disposons : lorsque l'INSEE nous indique des taux d'augmentation du PIB ou de la valeur ajoutée d'un territoire, cela ne signifie pas forcément que ce territoire a une véritable potentialité de développement. Un département qui voit partir toute sa jeunesse aura un taux de chômage extraordinairement bas, ce qui ne signifie en aucun cas que ce territoire est en train de connaître des moments économiques favorables. Donc nous avons probablement à réfléchir aux indicateurs de performance de développement des territoires et à l'analyse de leur potentialité ou de leurs handicaps. Pourquoi ? Car nous sommes, au moment où nous réfléchissons à la décentralisation, bien obligés de considérer le fait qu'un département vieillissant, sans assiette fiscale économique, verra exploser ses dépenses sociales sans ressources fiscales adéquates et sera entraîné dans des mécaniques de ciseaux redoutables, que dans certains territoires, ce seront les transferts sociaux qui assureront la richesse et les services aux personnes, alors que d'autres territoires auront des ressources tirées directement du PIB, de la valeur ajoutée de l'emploi créé. Les objectifs des politiques de développement du territoire ont peut être besoin d'être un peu précisés : voulons-nous viser la création d'emploi, l'augmentation de la valeur ajoutée par emploi, l'augmentation du PIB, le poids des services ? On voit bien que la fonctionnalité, la spécificité et l'alimentation des ressources et des richesses posent le problème de la péréquation, de la solidarité et du développement endogène et exogène.
Troisième élément que je me permets de vous livrer : on peut le regretter ou pas mais le fait est là, la mondialisation de l'économie s'impose. Nous allons donc assister à une accélération de plus en plus forte des flux d'intelligences, des flux d'hommes et de marchandises. L'un des facteurs limitant l'espace européen sera la saturation de ces flux. Nous commençons à percevoir, notamment en Allemagne, des risques évidents de ralentissement de la croissance par la saturation de ces flux routiers. Dans notre pays, - bien que nous soyons l'un des rares pays européens à avoir un espace -, nous sentons bien que dans un certain nombre de régions nous sommes extrêmement proches de la saturation, donc du ralentissement, donc du déclin économique ou d'un frein au développement économique. C'est tout l'intérêt de l'étude que la Datar pilote à la demande du Premier ministre, avec l'appui du ministère de l'équipement et du ministère des finances. Cette étude vise à s'interroger sur le type d'infrastructures dont doit se doter la France pour relever le défi de l'économie logistique au XXIè siècle dans un espace européen qui va devenir en 2004 la deuxième puissance économique du monde. Nous aurons un débat avec les parlementaires sur les deux piliers du débat : quels sont les critères et quelles pondérations voulez-vous donner aux critères de choix du mode de logistique ? Voudra-t-on pondérer d'une façon très forte l'émission de CO2, le prix de l'énergie (amenée à devenir l'un des plus importants débats politiques du XXIème) ? Voudra-t-on privilégier la sécurité des transports ? Voudra-t-on privilégier la durée du transport, ce qui pose le problème des stocks circulants ou de l'explosion du nombre de routiers ? Voudra-t-on privilégier le mode maritime, au vu de notre façade maritime et de l'explosion des flux de containeurs sur Anvers et Rotterdam ? Comment gérer la France des transits sachant que nous avons les charges et pas les recettes ? Sur ce type de débat, le Parlement aura à se prononcer. Quels types d'investissements voudra-t-on retenir ? Et quels types de financements voudra-t-on mettre en place pour pouvoir financer ce types d'investissements ? Pour prendre un exemple thématique connu du monde entier, le Tunnel sous la Manche : sa construction a bénéficié d'un financement sur 99 ans. Ainsi, si l'on juge sur la durée, si l'on joue sur l'adossement de celui qui paye comme le veut la Commission européenne selon laquelle aujourd'hui les systèmes autoroutiers ne sont payés que par les usagers, on voit bien que cela interdit ipso facto un certain nombre de réalisations autoroutières parce que le prix de la réalisation interdira à l'usager d'en supporter seul le coût. Ainsi, nous aurons là un débat politique extrêmement important sur le système de financement. Les Allemands sont en train d'imaginer une puce par poids lourd, reliée aux satellites, pour permettre à l'Etat allemand de percevoir à la tonne kilométrique un prix d'usage pour ces routes gratuites payé par les poids lourds. En France, nous avons un espace autoroutier très important financé par le contribuable et nous aurons là à réfléchir sur le contribuable, l'usager, le mode de transport. On voit bien que la sous-tarification ou la sur-tarification à l'évidence privilégie tel ou tel type de transport. Nous sommes les uns et les autres convaincus que la maîtrise et la qualité de l'offre logistique en terme d'infrastructures est un élément déterminant du développement de nos territoires. Et il faut donc que nous ayons un débat de cohérence nationale permettant ensuite de voir quelle est, par rapport à cette cohérence, l'irrigation territoriale régionale.
Tous ces débats vont être alimentés aujourd'hui par la montée en puissance de nouveaux acteurs. Le Premier ministre a souhaité ouvrir le débat et consulter, par des tours de France, sur la nouvelle répartition des pouvoirs, des moyens, des compétences entre les différents acteurs que sont les régions, les départements, les agglomérations, les communautés de communes voire les pays. Nous avons à réfléchir à l'articulation entre ces différentes structures. Pour que les choses soient claires et pour clore ou peut-être ouvrir un débat, je vous livre ma vision du pays, puisqu'on en entend beaucoup parler aujourd'hui : je crois que nous avons intérêt à privilégier les périmètres de projet qui doivent être informels, peu contraignants, qui doivent émaner de la volonté des élus locaux de réfléchir à la projection de leur territoire par rapport à l'avenir. Mais à l'évidence, ces territoires de projets ne peuvent en aucun cas être des périmètres d'exécution. Il faut complètement distinguer ce que doit être un périmètre de projet d'un périmètre d'exécution. Si les régions maritimes décident, à trois ou à quatre régions, de réfléchir à ce que pourrait être une offre interrégionale de développement d'une façade maritime qui, de Calais au Havre, ou peut-être en descendant encore plus bas, pourrait présenter une politique contractuelle avec l'Europe et l'Etat, pourquoi ne pas favoriser une réflexion autour de ce périmètre de projet, dont l'exécution mobilisant des fonds se ferait par la région ou les départements concernés ? Nous avons donc à nous interroger sur les structures dont nous devons nous doter pour favoriser cette culture de projet plutôt que cette culture de moyen.
Nous avons aussi des réflexions à mener sur les outils d'exécution pour augmenter l'efficacité de l'action publique notamment en matière d'aménagement du territoire. Ce n'est pas parce que les outils existent que nous ne devons pas les remettre en cause, non pas parce que nous aurions un à priori, mais nous avons je crois chaque fois à nous interroger sur l'efficacité des objectifs, l'efficacité des moyens et mettre en place un système d'évaluation pour mesurer leur pertinence. Devons-nous garder les contrats de plan dans leur état ? Devons-nous augmenter les primes d'aménagement du territoire, le FNADT ? Ou devons-nous les réorienter d'une autre façon ? Il convient que nous puissions bénéficier de cet espace de réflexion commun pour, très librement, très franchement, nous interroger sur l'efficacité des outils, la pertinence de ceux-ci, leur évolution voire leur développement. Nous aurons à nous interroger sur la mise en cohérence des 4 lois dites lois Voynet, Chevènement, Gayssot, Vaillant, mais en même temps peut-être réfléchir aux outils qui doivent structurer la réflexion autour de projets de territoire - je pense notamment aux directives territoriales d'aménagement qui à mes yeux sont un document précieux pour essayer de voir, par le porter à connaissance des différents acteurs, quelles sont les lisibilités que l'on peut avoir de l'usage des territoires, mais dont l'opposabilité aux tiers rend l'exercice extrêmement difficile, extrêmement lourd en cas de modification alors qu'aujourd'hui la mobilité de l'économie, la rapidité avec laquelle les décisions politiques doivent être prises doivent nous inciter à un objectif politique majeur en matière d'aménagement du territoire : comment réduire le délai entre la prise de décision politique et l'action politique. On ne peut plus concevoir aujourd'hui une politique d'attractivité des territoires si entre la volonté d'investissement d'un tiers et la capacité de réponse d'une administration locale, territoriale il se passe deux ans, trois ans, quatre ans. Nous avons à réfléchir donc à la nécessité de préserver un certain nombre de procédures permettant de sécuriser la protection de l'environnement, permettant d'éviter ce que l'on appelle des risques prévisibles, mais en même temps permettant une prise de décision qui ne doit pas par des consultations collectives privilégier les procédures et tuer le projet. Nous avons donc là un certain nombre de chantiers, me semble-t-il, à ouvrir.
Nous avons, et je pense que ce sujet sera au cur de nos préoccupations, à réfléchir au rôle très important que doivent jouer les services publics dans la structuration des territoires. Nous voyons bien qu'aujourd'hui nos décisions politiques sont de plus en plus techniquement exigeantes et doivent être sécurisées sur le plan juridique et doivent être de plus en plus rapide. Et nous avons l'exigence de nos concitoyens qui mettent en avant la notion de délai de réponse et de simplification des démarches. Ils ne veulent plus supporter le poids des procédures, dont ils s'estiment à juste titre en aucun cas les auteurs, et ils souhaitent qu'on leur simplifie totalement les démarches. Et nous avons à réfléchir à ce que l'on appelle en anglo-saxon - pardonnez-moi je n'ai pas d'autres termes - l'organisation d'une administration " back-office, front-office " avec devant une administration de proximité, de guichet, d'accueil avec une valorisation des métiers nouveaux, et derrière une réorganisation administrative pratique avec des pôles de compétence permettant sur l'ensemble du territoire national d'avoir les réponses de qualité que nous sommes en droit d'attendre. Je donne deux exemples : lorsque vous questionnez votre trésorier-payeur général, si vous lui posez une question à laquelle il est incapable de répondre, il consultera par les outils télématiques son centre de ressources pour vous apporter la réponse juste et opposable sur le plan juridique. Si vous allez chez votre notaire, si ce notaire est incapable de répondre à votre question, il consultera son centre de ressources. Nous voyons donc bien que si nous mettons en avant l'efficacité de la réponse administrative par rapport à une logique concurrentielle et territoriale qui doit favoriser le développement et l'attractivité, nous pouvons parfaitement imaginer une réorganisation des services publics gagnant-gagnant, qui permette d'apporter plus de proximité, plus de simplification des démarches et, grâce à une réorganisation collective, plus de masse critique et de pôles de compétences, la différence fondamentale de développement du territoire étant probablement liée non pas à la différence de qualité des élus, des acteurs économiques ou associatifs ou syndicaux, mais directement proportionnelle à la capacité administrative dont dispose ce territoire. Ce problème se pose également pour les pays qui sont candidats en 2004 à l'entrée dans l'Union européenne. On voit bien que l'un des problèmes fondamentaux c'est la capacité administrative à la disposition des territoires et la mutualisation des moyens. On peut imaginer aujourd'hui une révolution intellectuelle avec la déconnexion des organisations politiques et des organisations administratives au service du politique. Dans ce schéma là, ou bien nous sommes dans la défense des procédures et des structures, ou bien nous sommes pour l'adaptation des procédures et des structures pour optimiser nos résultats pour être plus performants pour notre économie et notre solidarité sociale. C'est un vaste chantier de révolutions culturelles dans lequel nous avons à explorer tous les champs du possible sans pour autant renier les valeurs qui fondent notre République, celles de l'égalité des chances territoriales. Nous devons faire en sorte de pouvoir mettre en place la synergie des territoires avec ce souci fondamental qu'au moment où nous allons rentrer dans les lois de décentralisation, nous avons deux principes républicains qui fondent notre République, c'est le principe de la liberté et le principe de l'égalité. Quand vous donnez plus de libertés, les territoires les plus riches deviennent plus riches et les territoires plus pauvres deviennent plus pauvres et plus vous mettez en avant le principe de l'égalité, plus vous tuez la liberté d'initiative des territoires et vous neutralisez toute croissance et performance collective. Nous avons à équilibrer ces deux principes de la République auxquels nous sommes très attachés. Ils sont au cur de l'action que nous avons menée avec les territoires dont la desserte était durablement exclue des plans de déploiement des trois opérateurs de téléphonie mobile, la Datar et l'ART. Un accord des trois opérateurs a été obtenu pour engager sans délai une première phase portant sur environ 1 600 bourgs-centres dont la liste sera arrêtée après concertation sous l'égide des Préfets. Au nom de l'égalité territoriale, je poursuis l'effort pour qu'il n'y ait pas de centres-bourgs et de routes prioritaires exclues de la couverture en téléphonie mobile. Ce service est en effet perçu par la population comme un facteur essentiel de cohésion et d'attractivité territoriales.
Nous avons aussi à réfléchir à des thèmes émergents et extrêmement préoccupants : jusqu'où peut-on accepter la liberté d'installation d'un médecin ? Il convient de reconnaître qu'il y a des risques d' " infarctus territorial " par absence d'offre de santé, parce que dans certains départements dix cabinets ferment sans un médecin qui reprend, alors que ces départements sont quelquefois dans une demande très forte de services parce que ce sont les territoires où il y a paradoxalement le vieillissement le plus important de la population, avec des exigences de qualité de vie que le milieu médical n'accepte plus de supporter dans ce type de territoire. Louis Giscard d'Estaing pourrait aussi parler des problèmes des zones de montagne, qui ont une valorisation touristique forte, mais pour lesquels les procédures imposées peuvent parfois bloquer totalement toute économie de développement touristique.
Je souhaiterais qu'ici au sein du CNADT, nous ayons le souci du pragmatisme, le souci de l'efficacité, nous avons à nous enrichir de nos différences, nous avons à nous enrichir de nos débats, et de nos suggestions. Nous avons ensemble à défricher un certain nombre de chantiers qui sont devant nous, guidés en permanence par le sens de l'intérêt général, sachant que notre souci c'est de faire en sorte que nous évitions de laisser cette maxime apparaître dans l'esprit de chacun : " l'Etat n'est qu'une fiction qui permet à chacun de vivre au détriment des autres ", mais que cette formidable mosaïque des territoires avec ces différences culturelles, économiques, ces particularités, fait toute la richesse de notre pays et que nous avons à réfléchir à développer leurs propres atouts. Il n'y a pas de fatalité du déclin. Pour chaque territoire, il nous faut seulement trouver la solution la plus pertinente sachant que l'unité de la République ne se décline pas forcement par l'uniformité des réponses. Je pense que là nous avons à réfléchir à l'évaluation des politiques publiques actuellement menées, à la problématique des nouvelles technologies qui nous permettent de pouvoir non seulement développer une offre concurrentielle des territoires mais également une logique d'égalité des chances en termes de services publics. Sur les problématiques du développement rural, je suis en train de travailler avec mon ami Hervé Gaymard : qu'entendons-nous par ruralité ? Il ne peut pas y avoir de ruralité sans agriculture mais la ruralité n'est pas que le monde agricole. Avec les groupes de travail que Nicolas Jacquet va détailler, nous avons à réfléchir à la nouvelle problématique de la contractualisation entre l'Etat et les collectivités locales, avec les contrats de plan que j'évoquais tout à heure ou les contrats d'agglomérations, dans le contexte de la décentralisation.
L'Europe a publié il y a quelques années un rapport sur la gouvernance des territoires et a mis en place des fonds de cohésion structurels, dont chacun se plaît à reconnaître la pertinence et l'efficacité. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que ces fonds étaient difficilement mobilisables tant la procédure était compliquée et d'autant plus compliquée que la France avait rajouté ses propres contraintes à celles de l'Union européenne. Au nom du principe du " dégagement d'office ", l'Europe nous dit que si au bout de deux ans, nous n'avons pas présenté de factures correspondant à la tranche annuelle, l'argent était perdu. Au cours des années précédentes, nous avons ainsi perdu plusieurs milliards de francs, ce qui est assez incroyable. Au lieu d'avoir un taux de programmation à 30% qui nous sécuriserait sur la mobilisation totale des fonds européens, au mois de mai nous étions à moins de 15 %. Nous avons aujourd'hui fait sauter la totalité des procédures difficiles : début 2003 les fonds seront affectés aux préfets de région, la simplification des dossiers est maximale, nous mettons aussi en concurrence le trésor public sur le paiement, nous allons pouvoir recevoir des subventions même quand les travaux seront démarrés, je n'entre pas dans les détails, Nicolas Jacquet pourra vous en parler. Aujourd'hui que celles et ceux qui estimeront que les projets sont difficiles à soutenir à cause du poids des procédures nous appellent. Tous les mois à la Datar, nous avons une réunion de suivi avec les SGAR pour analyser leur taux de programmation et leur taux d'exécution. Nous ferons le tour de France avec Nicolas Jacquet pour aller voir et assister nous mêmes aux comités de suivi. Demain le Premier ministre reçoit les Présidents de région et les préfets de région pour leur demander quelle est la lecture qu'ils en ont. Je sais bien qu'il y a les programmes antérieurs sur lesquels vous avez un certain nombre de soucis, mais le vrai problème sur lequel je souhaiterais attirer votre attention c'est que nous avons absolument besoin d'ici la fin de l'année de remettre à l'Europe un mémorandum sur les fonds structurels après 2006. Quelles politiques régionales voulons-nous voir mener par l'Union européenne ? Dans l'état actuel des choses, ce n'est pas gagné. Les Allemands, qui sont des contributeurs nets à l'Europe, sont en train de nous dire : pourquoi faire passer par l'Europe des fonds que nous pourrions directement affecter aux Länder de l'Est ? Un certain nombre de pays du Nord sont dans la même optique. Ainsi aujourd'hui, il n'est pas du tout certain que nous ne soyons pas minoritaires dans le débat sur l'avenir des fonds structurels européens. Il est donc important que nous remettions un mémorandum de grande qualité pour savoir ce que doit être une politique de cohésion territoriale à échelon européen, sachant que l'entrée des PECO dans l'Union européenne en 2004 va faire baisser brutalement de 16 voire 20 % le PIB moyen et donc va exclure de fait, sur les critères actuels, toute la région métropolitaine française des objectifs 2, ne gardant que l'objectif 1 sur les régions dites ultra-périphériques. Nous avons donc à réfléchir à de nouveaux outils sur la ruralité, la montagne, l'urbanisation.
Pour ne pas rallonger trop le propos je voudrais bien évidemment dire tout l'intérêt que je porte à la commission du littoral, dont je salue d'ailleurs l'ancien Président Jean-Pierre Dufau qui, après avoir présidé douze réunions de cette commission n'a pas été choisi par l'Assemblée nationale pour continuer à siéger au CNADT. Il appartiendra donc à la commission du littoral de bien vouloir se réunir pour désigner son nouveau Président. En ce qui me concerne j'ai reçu la candidature d'un parlementaire, Jean-Paul Alduy, puisque la tradition veut qu'un parlementaire préside cette commission. Il appartiendra à la commission de confirmer ou d'infirmer cette candidature. Cette commission est importante, car le littoral est un élément majeur du développement de nos territoires et nous avons par rapport à la démarche européenne un certain nombre de sujets lourds à mener avec cette commission du littoral. Si un certain nombre de membres du CNADT sont intéressés par cette problématique du littoral, il est important qu'ils s'inscrivent à cette commission, de façon à ce qu'elle puisse se réunir et arrêter elle-même son propre programme et son mode de fonctionnement sachant que nous aurons à débattre de ses propositions.
Avant de céder la parole à Nicolas Jacquet, puis au président Savy, je vous propose de terminer les procédures d'organisation. Pour compléter la composition de la commission permanente, j'ai reçu la candidature de deux nouveaux membres : pour le collège des syndicats M. Gérard Despierre pour la CFDT, et pour le collège des députés M. Jean-Claude Lemoine. Je vous propose, si vous en êtes d'accord, de bien vouloir ratifier ces deux candidatures. Il n'y a pas d'opposition, je vous remercie et je salue M. Lemoine et M. Despierre, en les remerciant de leur investissement futur dans la commission permanente.
Je souhaiterais maintenant, puisque c'est notre première rencontre ensemble, que vous puissiez entendre de notre nouveau délégué à l'aménagement du territoire les objectifs que la Datar s'est fixée, les travaux qui sont aujourd'hui engagés, et la façon dont nous pouvons mettre en place une collaboration dont je sais à l'avance qu'elle sera fructueuse.
(Source http://www.datar.gouv.fr, le 23 décembre 2002)