Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Ce XXXVIème Congrès de la mutualité intervient entre deux anniversaires importants pour l'histoire sociale de notre pays et qui vous concernent tous deux. Nous avons déjà fêté le centenaire de la loi du 1er avril 1898 qui promulguait la Charte de la mutualité. Vous commémorerez bientôt le centenaire de la création en 1902 de la Fédération nationale de la mutualité française.
Depuis un siècle, l'environnement dans lequel vos mutuelles exercent leur activité a profondément changé. Aujourd'hui nous devons faire face ensemble à de nouvelles transformations. Mais c'est toujours l'esprit mutualiste, celui qui guidait les rédacteurs de la loi de 1898 et qui a présidé à la création de votre Fédération, qui doit, dans ce nouveau contexte, continuer à éclairer notre action.
L'esprit mutualiste, c'est d'abord le souci de la solidarité et de la cohésion sociale. C'est aussi le sens de la responsabilité, de l'engagement personnel. C'est enfin une exigence de démocratie. Être fidèle à cet esprit, c'est donc rester attaché à des valeurs qui fondent le pacte républicain.
Ces valeurs, le Gouvernement les a défendues et continuera de les défendre.
Nous les avons défendues en renforçant la sécurité sociale. Notre protection sociale puise son inspiration dans le mouvement mutualiste lui-même. Elle garantit l'égal accès de chacun, quels que soient sa situation et ses moyens financiers, aux soins appropriés à son état de santé. Cette protection collective est un instrument de la justice sociale. Elle est le socle même de notre démocratie sociale.
Et nous avons réussi, ensemble, à garantir son avenir.
Nous l'avons fait en restaurant l'équilibre financier de la sécurité sociale. Il y a quatre ans, les déficits du régime général de sécurité sociale se succédaient à des niveaux exceptionnels. Certains ne pouvaient imaginer de les réduire sans des purges radicales, qui auraient mécaniquement conduit à l'apparition d'une protection sociale à deux vitesses. Des opérateurs privés anticipaient d'ailleurs une telle évolution et envisageaient déjà de se tailler la part du lion dans ce qui était pour eux un nouveau " marché ". Aujourd'hui, le régime général est à l'équilibre. Certains analystes considèrent qu'il est devenu excédentaire à moyen terme. Nous avons de solides raisons de le penser.
Cet équilibre retrouvé nous a permis de conquérir de nouveaux espaces de solidarité.
Avec la couverture maladie universelle, nous avons consolidé l'édifice de la sécurité sociale. Alors que notre Constitution garantit à tous la protection de la santé, et malgré les efforts des gouvernements successifs, notre société s'accommodait de fait de réelles inégalités en matière de santé. Trop de nos concitoyens restaient encore exclus de toute protection sociale. Un nombre beaucoup plus important d'entre eux était amené, en l'absence d'une couverture complémentaire, à renoncer à des soins pourtant nécessaires. Par la loi portant création de la couverture maladie universelle, le Gouvernement a souhaité répondre à ces situations profondément choquantes.
Cette loi constitue, à mon sens, l'une des principales avancées sociales de cette législature. Elle prévoit l'affiliation automatique au régime général des personnes exclues de tout régime de base d'assurance maladie. En apportant une couverture complémentaire aux personnes aux revenus les plus modestes, elle leur assure de fait la gratuité des soins, sans avance de frais.
Comme toutes les grandes réformes, sa mise en uvre n'est pas toujours facile, parce qu'elle concerne des millions de personnes, implique de nombreux acteurs et remet en cause des habitudes. Je voudrais saluer tous ceux qui, dans les mutuelles et dans les organismes de sécurité sociale, se mobilisent pour qu'elle entre rapidement dans les faits. Certaines mutuelles considèrent, je le sais, qu'une place trop modeste leur est faite dans ce dispositif. Je comprends leur impatience. La couverture maladie universelle n'atteindra son but que si les divers acteurs du système de santé travaillent ensemble, dans le respect des compétences de chacun. C'était l'inspiration du rapport de Jean-Claude BOULARD. C'est l'esprit même de la loi. Et je suis convaincu que, très vite, le mouvement mutualiste trouvera la place qui lui revient dans la mise en uvre de cette réforme.
La solidarité doit s'exercer aussi entre les générations.
Nous l'avons réaffirmée au profit des plus âgés de nos concitoyens. Comme vous le savez, le Gouvernement a marqué sa volonté de consolider les régimes de retraite par répartition. Des discussions auront lieu, régime par régime, pour trouver des solutions respectant à la fois l'équité et la diversité des régimes. Par ailleurs, un fonds de réserve a été mis en place pour préparer dès à présent le financement des retraites à l'horizon 2020-2040. Nous avons dans cet esprit décidé d'affecter à ce fonds l'essentiel des ressources qui proviendront de la cession des licences UMTS.
Le Gouvernement se prépare également à engager une profonde réforme de la prestation spécifique dépendance. Cette dernière est loin d'atteindre son but. Parmi les personnes concernées, un trop petit nombre en bénéficie. Des disparités inacceptables apparaissent entre les départements. Sur la base du rapport de Jean-Pierre SUEUR, la ministre de l'emploi et de la solidarité, Madame Martine AUBRY, présentera bientôt un projet de loi. Je souhaite que la mutualité, qui s'est déjà fortement engagée dans ce dossier, y prenne une part importante.
Car les valeurs mutualistes de solidarité, de responsabilité, de démocratie qui inspirent notre protection sociale, nous voulons les porter plus loin.
Pour plus de solidarité, il nous faut améliorer encore la couverture sociale. Les déséquilibres passés ont amené la sécurité sociale à se désengager peu à peu du remboursement de certaines catégories de soins. Je pense en particulier aux soins dentaires, domaine dans lequel vos mutuelles jouent aujourd'hui un rôle majeur. Il est indispensable de redéfinir les responsabilités de chacun afin d'améliorer les conditions de remboursement des actes de soins, couverture de base et couverture complémentaire confondues, et de renforcer l'accès à la prévention. C'est à la fois un enjeu de santé publique et de solidarité. Il nous faut travailler ensemble, -Gouvernement, assurance maladie, organismes de couverture complémentaire- pour remédier à ce qui apparaît comme une lacune de la sécurité sociale.
Une solidarité plus grande appelle plus de responsabilité.
La maîtrise des dépenses d'assurance maladie est la responsabilité de tous. Et notamment celle des citoyens eux-mêmes. Il nous faut faire plus et mieux dans le sens de la prévention et de l'éducation à la santé, par exemple pour ce qui concerne le bon usage du médicament.
Je pense également à la responsabilité des professionnels de santé. Est-il normal que la France continue de détenir le record du volume des médicaments prescrits ? Si nous voulons mettre la sécurité sociale en mesure de rembourser de façon satisfaisante des médicaments innovants, pour le plus grand bénéfice de la santé de tous, nous devons faire évoluer les comportements des prescripteurs.
Pour réduire le coût des médicaments, la responsabilité de l'industrie pharmaceutique est décisive. La politique conventionnelle engagée avec les entreprises de ce secteur commence de porter ses fruits. Un progrès important a été accompli avec le développement des médicaments génériques et la mise en place d'un droit de substitution. Dans ce domaine, où votre Fédération a joué un rôle pionnier, la France commence à rattraper son retard. Il nous faut désormais nous interroger sur le coût pour l'assurance maladie des médicaments dont l'efficacité thérapeutique faible ou nulle est avérée.
Je sais que vous prendrez part à cet effort. La maîtrise des dépenses de santé est depuis longtemps, Monsieur le Président, Cher Jean-Pierre DAVANT, l'une de vos principales préoccupations. Nous devons prolonger ensemble l'action engagée en y associant davantage les assurés.
Nous devons pour cela élargir la démarche démocratique qui est la vôtre. L'esprit mutualiste allie solidarité et responsabilité pour mieux impliquer les adhérents dans la définition de leur protection sociale. C'est dans cet esprit que nous avons organisé, avec votre participation, les Etats généraux de la santé. Nos concitoyens y ont exprimé fortement la demande d'un droit à l'information, au consentement, au respect et à la dignité, mais aussi d'une véritable association aux décisions de politique de santé. Le Gouvernement entend répondre à cette demande de démocratie. C'est l'objet du projet de loi sur les droits des malades et la modernisation du système de santé, qui sera présenté prochainement en Conseil des ministres.
Dans tous ces domaines, le Gouvernement a besoin de partenaires efficaces.
C'est pourquoi nous veillerons avec vous à l'adaptation de votre statut.
Vous avez abordé avec vigilance et avec volontarisme l'évolution du droit européen de l'assurance. Le Conseil supérieur de la mutualité a approuvé à l'unanimité il y a deux semaines le projet de loi de transposition des directives assurances aux mutuelles et de modernisation du code de la mutualité que lui avait transmis le Gouvernement. Je m'en réjouis d'autant plus que je mesure le chemin que nous avons parcouru ensemble ces trois dernières années.
Disons-le sans détour : les directives assurances ont été élaborées sans prendre en compte la situation des sociétés de personnes à but non lucratif. Et l'inspiration qui sous-tend ces directives était bien éloignée des valeurs que vous portez. Le mouvement mutualiste avait néanmoins souhaité, à l'initiative de René TEULADE, que leur champ d'application s'étende aux mutuelles. Ce choix était osé : il s'est pourtant révélé juste. Il supposait que des règles européennes, élaborées sans prendre en compte les valeurs mutualistes, trouvent en droit français une transposition respectant les grands principes qui vous guident.
Une telle transposition, bien peu la croyaient possible. Et lorsque ce Gouvernement s'est constitué, ce dossier n'avait pas réellement progressé. Malgré la volonté régulièrement affirmée par nos prédécesseurs de sauvegarder l'identité du mouvement mutualiste, la condamnation de la France par la Cour de justice des Communautés européennes pour manquement à son obligation de transposition devenait chaque jour plus probable.
Le Gouvernement a recherché une solution conforme à vos principes. Parce que le mouvement mutualiste doit pouvoir continuer de jouer pleinement son rôle dans notre protection sociale. Parce qu'il était exclu d'appliquer les mêmes règles à des sociétés d'assurance, dont l'objet est la recherche du profit, et à des sociétés de personnes animées par un esprit de solidarité et poursuivant un but non lucratif. Parce que c'est une Europe sociale et solidaire que nous voulons bâtir, une Europe qui vous permette d'affirmer et faire rayonner l'esprit mutualiste.
Cette solution nous l'avons définie ensemble. J'ai demandé à l'ancien Premier ministre Michel ROCARD -que je veux ici saluer- de mener une mission de concertation et de proposition afin de tracer les grands axes d'une transposition acceptable par les autorités communautaires et compatible avec l'identité de votre mouvement. Son intérêt pour l'économie sociale, son écoute du mouvement mutualiste, sa connaissance de l'Europe lui ont permis de formuler des propositions dont nous avons tous apprécié la pertinence.
Et, comme vous, le Gouvernement est resté très attaché à l'équilibre auquel Michel ROCARD est parvenu dans son rapport. Après plusieurs mois de travail approfondi et une étroite concertation, tant avec le mouvement mutualiste qu'avec la Commission européenne, un projet de loi a été élaboré par la ministre de l'emploi et de la solidarité. Il est désormais soumis à l'avis du Conseil d'Etat et sera présenté en Conseil des ministres avant la fin du mois de juillet.
Ce projet de loi réaffirme les valeurs fondamentales de votre mouvement. Il reconnaît pleinement la spécificité du " contrat mutualiste ", de l'acte d'adhésion qui permet à chaque membre de participer au fonctionnement de la mutuelle dans un cadre défini collectivement par l'assemblée générale des mutualistes.
Ce projet confère valeur législative aux " principes mutualistes " : le refus de toute sélection des risques, l'absence d'individualisation des cotisations en fonction de l'état de santé, le caractère viager de la garantie.
Conformément aux orientations développées par Michel ROCARD sur le principe de spécialité des mutuelles, ce projet permet à toute mutuelle ayant des activités d'assurance de créer, pour la gestion de ses oeuvres sociales, une " mutuelle sur ". En outre, les mutuelles auront la possibilité d'offrir, à titre accessoire, à leurs membres des prestations en nature.
Enfin ce texte met en place un véritable statut de l'élu mutualiste. Vous en aviez exprimé le souhait lors de votre dernier congrès à Lille, en juin 1997. Ce statut permettra de rendre plus professionnelle encore la gestion de vos mutuelles. En effet, comme vous le dites souvent " si la mutualité n'est pas une entreprise comme les autres, comme les autres, elle est une entreprise ". Le projet de loi fixe les règles essentielles d'une telle gestion. Le principe démocratique qui guide votre démarche suppose par ailleurs que vos dirigeants élus puissent consacrer le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions. Dès lors, il est légitime que ces fonctions puissent être indemnisées dans des conditions de parfaite transparence.
Au total, ce texte réforme en profondeur le code de la mutualité, et sera la quatrième grande loi du mutualisme, après celle du 1er avril 1898, l'ordonnance du 19 octobre 1945 et la loi du 25 juillet 1985.Votre mouvement disposera ainsi d'un cadre juridique modernisé qui lui permettra de jouer pleinement son rôle.
Nous devons réfléchir ensemble à d'autres adaptations de votre statut. Il nous faudra ainsi revoir la question de la fiscalité des mutuelles, et plus généralement peut-être de la complémentaire santé. Vous considérez que les principes mutualistes qui vous guident sont autant de contraintes au regard d'un fonctionnement strictement " assuranciel " et justifient de ce fait un traitement qui marque les différences qui existent entre l'assurance privée et l'esprit solidaire. Je souhaite que les discussions que vous avez engagées avec le ministère de l'économie et des finances et qui se poursuivent aujourd'hui avec Laurent FABIUS, puissent aboutir rapidement.
Sur ces bases vous saurez, j'en suis certain, vous adapter à un cadre juridique nouveau.
De manière générale, vous saurez d'ailleurs, j'en suis sûr, porter plus loin la modernité et l'innovation. Dès l'origine, la mutualité a démontré son aptitude à innover en matière sanitaire et sociale, grâce à cet atout irremplaçable qu'est son réseau de militants bénévoles à l'écoute des besoins des mutualistes. Hier, pionnière de l'économie sociale, elle a inventé des formes de solidarité qui ont débouché sur l'idée de sécurité sociale.
Aujourd'hui, partout où l'action de la sécurité sociale rencontre ses limites, notre société a besoin de votre capacité d'innovation. Je sais que Guy HASCOET aura à cur d'encourager les initiatives en ce domaine. De la lutte contre les exclusions à la réduction de la dépendance des personnes âgées, du développement des réseaux de soins à l'amélioration de la prévention, vos mutuelles ont un rôle irremplaçable à jouer. Le Gouvernement, qui entend bien assumer ses responsabilités, compte aussi sur elles, sur leurs capacités d'innovation et d'expérimentation pour faire progresser dans notre pays la solidarité.
Mesdames, Messieurs,
La solidarité demeure en ce début de siècle une idée neuve. Vous m'apprenez, Cher Jean-Pierre DAVANT, que je suis le premier chef de Gouvernement à participer à l'ouverture d'un congrès de votre Fédération. J'ai tenu à le faire, afin de témoigner qu'il ne s'agit pas aujourd'hui de défendre un pré carré, de consolider un acquis, mais d'accomplir de nouvelles conquêtes : faire bénéficier le plus grand nombre des progrès de la médecine, contribuer à réduire des inégalités que la croissance ne saura seule faire disparaître, bâtir une société plus fraternelle. Il s'agit de rénover un des fondements du pacte républicain. Car il n'est pas de véritable démocratie sociale sans un approfondissement de la solidarité. A la veille du centenaire de votre Fédération, telle doit être l'ambition de la mutualité. Riche de son histoire et de ses luttes, des femmes et des hommes qui les ont menées, s'appuyant sur celles et ceux qui les poursuivent aujourd'hui, le mouvement mutualiste sera, j'en suis convaincu, à la hauteur de cette nouvelle responsabilité
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 juin 2000)
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Ce XXXVIème Congrès de la mutualité intervient entre deux anniversaires importants pour l'histoire sociale de notre pays et qui vous concernent tous deux. Nous avons déjà fêté le centenaire de la loi du 1er avril 1898 qui promulguait la Charte de la mutualité. Vous commémorerez bientôt le centenaire de la création en 1902 de la Fédération nationale de la mutualité française.
Depuis un siècle, l'environnement dans lequel vos mutuelles exercent leur activité a profondément changé. Aujourd'hui nous devons faire face ensemble à de nouvelles transformations. Mais c'est toujours l'esprit mutualiste, celui qui guidait les rédacteurs de la loi de 1898 et qui a présidé à la création de votre Fédération, qui doit, dans ce nouveau contexte, continuer à éclairer notre action.
L'esprit mutualiste, c'est d'abord le souci de la solidarité et de la cohésion sociale. C'est aussi le sens de la responsabilité, de l'engagement personnel. C'est enfin une exigence de démocratie. Être fidèle à cet esprit, c'est donc rester attaché à des valeurs qui fondent le pacte républicain.
Ces valeurs, le Gouvernement les a défendues et continuera de les défendre.
Nous les avons défendues en renforçant la sécurité sociale. Notre protection sociale puise son inspiration dans le mouvement mutualiste lui-même. Elle garantit l'égal accès de chacun, quels que soient sa situation et ses moyens financiers, aux soins appropriés à son état de santé. Cette protection collective est un instrument de la justice sociale. Elle est le socle même de notre démocratie sociale.
Et nous avons réussi, ensemble, à garantir son avenir.
Nous l'avons fait en restaurant l'équilibre financier de la sécurité sociale. Il y a quatre ans, les déficits du régime général de sécurité sociale se succédaient à des niveaux exceptionnels. Certains ne pouvaient imaginer de les réduire sans des purges radicales, qui auraient mécaniquement conduit à l'apparition d'une protection sociale à deux vitesses. Des opérateurs privés anticipaient d'ailleurs une telle évolution et envisageaient déjà de se tailler la part du lion dans ce qui était pour eux un nouveau " marché ". Aujourd'hui, le régime général est à l'équilibre. Certains analystes considèrent qu'il est devenu excédentaire à moyen terme. Nous avons de solides raisons de le penser.
Cet équilibre retrouvé nous a permis de conquérir de nouveaux espaces de solidarité.
Avec la couverture maladie universelle, nous avons consolidé l'édifice de la sécurité sociale. Alors que notre Constitution garantit à tous la protection de la santé, et malgré les efforts des gouvernements successifs, notre société s'accommodait de fait de réelles inégalités en matière de santé. Trop de nos concitoyens restaient encore exclus de toute protection sociale. Un nombre beaucoup plus important d'entre eux était amené, en l'absence d'une couverture complémentaire, à renoncer à des soins pourtant nécessaires. Par la loi portant création de la couverture maladie universelle, le Gouvernement a souhaité répondre à ces situations profondément choquantes.
Cette loi constitue, à mon sens, l'une des principales avancées sociales de cette législature. Elle prévoit l'affiliation automatique au régime général des personnes exclues de tout régime de base d'assurance maladie. En apportant une couverture complémentaire aux personnes aux revenus les plus modestes, elle leur assure de fait la gratuité des soins, sans avance de frais.
Comme toutes les grandes réformes, sa mise en uvre n'est pas toujours facile, parce qu'elle concerne des millions de personnes, implique de nombreux acteurs et remet en cause des habitudes. Je voudrais saluer tous ceux qui, dans les mutuelles et dans les organismes de sécurité sociale, se mobilisent pour qu'elle entre rapidement dans les faits. Certaines mutuelles considèrent, je le sais, qu'une place trop modeste leur est faite dans ce dispositif. Je comprends leur impatience. La couverture maladie universelle n'atteindra son but que si les divers acteurs du système de santé travaillent ensemble, dans le respect des compétences de chacun. C'était l'inspiration du rapport de Jean-Claude BOULARD. C'est l'esprit même de la loi. Et je suis convaincu que, très vite, le mouvement mutualiste trouvera la place qui lui revient dans la mise en uvre de cette réforme.
La solidarité doit s'exercer aussi entre les générations.
Nous l'avons réaffirmée au profit des plus âgés de nos concitoyens. Comme vous le savez, le Gouvernement a marqué sa volonté de consolider les régimes de retraite par répartition. Des discussions auront lieu, régime par régime, pour trouver des solutions respectant à la fois l'équité et la diversité des régimes. Par ailleurs, un fonds de réserve a été mis en place pour préparer dès à présent le financement des retraites à l'horizon 2020-2040. Nous avons dans cet esprit décidé d'affecter à ce fonds l'essentiel des ressources qui proviendront de la cession des licences UMTS.
Le Gouvernement se prépare également à engager une profonde réforme de la prestation spécifique dépendance. Cette dernière est loin d'atteindre son but. Parmi les personnes concernées, un trop petit nombre en bénéficie. Des disparités inacceptables apparaissent entre les départements. Sur la base du rapport de Jean-Pierre SUEUR, la ministre de l'emploi et de la solidarité, Madame Martine AUBRY, présentera bientôt un projet de loi. Je souhaite que la mutualité, qui s'est déjà fortement engagée dans ce dossier, y prenne une part importante.
Car les valeurs mutualistes de solidarité, de responsabilité, de démocratie qui inspirent notre protection sociale, nous voulons les porter plus loin.
Pour plus de solidarité, il nous faut améliorer encore la couverture sociale. Les déséquilibres passés ont amené la sécurité sociale à se désengager peu à peu du remboursement de certaines catégories de soins. Je pense en particulier aux soins dentaires, domaine dans lequel vos mutuelles jouent aujourd'hui un rôle majeur. Il est indispensable de redéfinir les responsabilités de chacun afin d'améliorer les conditions de remboursement des actes de soins, couverture de base et couverture complémentaire confondues, et de renforcer l'accès à la prévention. C'est à la fois un enjeu de santé publique et de solidarité. Il nous faut travailler ensemble, -Gouvernement, assurance maladie, organismes de couverture complémentaire- pour remédier à ce qui apparaît comme une lacune de la sécurité sociale.
Une solidarité plus grande appelle plus de responsabilité.
La maîtrise des dépenses d'assurance maladie est la responsabilité de tous. Et notamment celle des citoyens eux-mêmes. Il nous faut faire plus et mieux dans le sens de la prévention et de l'éducation à la santé, par exemple pour ce qui concerne le bon usage du médicament.
Je pense également à la responsabilité des professionnels de santé. Est-il normal que la France continue de détenir le record du volume des médicaments prescrits ? Si nous voulons mettre la sécurité sociale en mesure de rembourser de façon satisfaisante des médicaments innovants, pour le plus grand bénéfice de la santé de tous, nous devons faire évoluer les comportements des prescripteurs.
Pour réduire le coût des médicaments, la responsabilité de l'industrie pharmaceutique est décisive. La politique conventionnelle engagée avec les entreprises de ce secteur commence de porter ses fruits. Un progrès important a été accompli avec le développement des médicaments génériques et la mise en place d'un droit de substitution. Dans ce domaine, où votre Fédération a joué un rôle pionnier, la France commence à rattraper son retard. Il nous faut désormais nous interroger sur le coût pour l'assurance maladie des médicaments dont l'efficacité thérapeutique faible ou nulle est avérée.
Je sais que vous prendrez part à cet effort. La maîtrise des dépenses de santé est depuis longtemps, Monsieur le Président, Cher Jean-Pierre DAVANT, l'une de vos principales préoccupations. Nous devons prolonger ensemble l'action engagée en y associant davantage les assurés.
Nous devons pour cela élargir la démarche démocratique qui est la vôtre. L'esprit mutualiste allie solidarité et responsabilité pour mieux impliquer les adhérents dans la définition de leur protection sociale. C'est dans cet esprit que nous avons organisé, avec votre participation, les Etats généraux de la santé. Nos concitoyens y ont exprimé fortement la demande d'un droit à l'information, au consentement, au respect et à la dignité, mais aussi d'une véritable association aux décisions de politique de santé. Le Gouvernement entend répondre à cette demande de démocratie. C'est l'objet du projet de loi sur les droits des malades et la modernisation du système de santé, qui sera présenté prochainement en Conseil des ministres.
Dans tous ces domaines, le Gouvernement a besoin de partenaires efficaces.
C'est pourquoi nous veillerons avec vous à l'adaptation de votre statut.
Vous avez abordé avec vigilance et avec volontarisme l'évolution du droit européen de l'assurance. Le Conseil supérieur de la mutualité a approuvé à l'unanimité il y a deux semaines le projet de loi de transposition des directives assurances aux mutuelles et de modernisation du code de la mutualité que lui avait transmis le Gouvernement. Je m'en réjouis d'autant plus que je mesure le chemin que nous avons parcouru ensemble ces trois dernières années.
Disons-le sans détour : les directives assurances ont été élaborées sans prendre en compte la situation des sociétés de personnes à but non lucratif. Et l'inspiration qui sous-tend ces directives était bien éloignée des valeurs que vous portez. Le mouvement mutualiste avait néanmoins souhaité, à l'initiative de René TEULADE, que leur champ d'application s'étende aux mutuelles. Ce choix était osé : il s'est pourtant révélé juste. Il supposait que des règles européennes, élaborées sans prendre en compte les valeurs mutualistes, trouvent en droit français une transposition respectant les grands principes qui vous guident.
Une telle transposition, bien peu la croyaient possible. Et lorsque ce Gouvernement s'est constitué, ce dossier n'avait pas réellement progressé. Malgré la volonté régulièrement affirmée par nos prédécesseurs de sauvegarder l'identité du mouvement mutualiste, la condamnation de la France par la Cour de justice des Communautés européennes pour manquement à son obligation de transposition devenait chaque jour plus probable.
Le Gouvernement a recherché une solution conforme à vos principes. Parce que le mouvement mutualiste doit pouvoir continuer de jouer pleinement son rôle dans notre protection sociale. Parce qu'il était exclu d'appliquer les mêmes règles à des sociétés d'assurance, dont l'objet est la recherche du profit, et à des sociétés de personnes animées par un esprit de solidarité et poursuivant un but non lucratif. Parce que c'est une Europe sociale et solidaire que nous voulons bâtir, une Europe qui vous permette d'affirmer et faire rayonner l'esprit mutualiste.
Cette solution nous l'avons définie ensemble. J'ai demandé à l'ancien Premier ministre Michel ROCARD -que je veux ici saluer- de mener une mission de concertation et de proposition afin de tracer les grands axes d'une transposition acceptable par les autorités communautaires et compatible avec l'identité de votre mouvement. Son intérêt pour l'économie sociale, son écoute du mouvement mutualiste, sa connaissance de l'Europe lui ont permis de formuler des propositions dont nous avons tous apprécié la pertinence.
Et, comme vous, le Gouvernement est resté très attaché à l'équilibre auquel Michel ROCARD est parvenu dans son rapport. Après plusieurs mois de travail approfondi et une étroite concertation, tant avec le mouvement mutualiste qu'avec la Commission européenne, un projet de loi a été élaboré par la ministre de l'emploi et de la solidarité. Il est désormais soumis à l'avis du Conseil d'Etat et sera présenté en Conseil des ministres avant la fin du mois de juillet.
Ce projet de loi réaffirme les valeurs fondamentales de votre mouvement. Il reconnaît pleinement la spécificité du " contrat mutualiste ", de l'acte d'adhésion qui permet à chaque membre de participer au fonctionnement de la mutuelle dans un cadre défini collectivement par l'assemblée générale des mutualistes.
Ce projet confère valeur législative aux " principes mutualistes " : le refus de toute sélection des risques, l'absence d'individualisation des cotisations en fonction de l'état de santé, le caractère viager de la garantie.
Conformément aux orientations développées par Michel ROCARD sur le principe de spécialité des mutuelles, ce projet permet à toute mutuelle ayant des activités d'assurance de créer, pour la gestion de ses oeuvres sociales, une " mutuelle sur ". En outre, les mutuelles auront la possibilité d'offrir, à titre accessoire, à leurs membres des prestations en nature.
Enfin ce texte met en place un véritable statut de l'élu mutualiste. Vous en aviez exprimé le souhait lors de votre dernier congrès à Lille, en juin 1997. Ce statut permettra de rendre plus professionnelle encore la gestion de vos mutuelles. En effet, comme vous le dites souvent " si la mutualité n'est pas une entreprise comme les autres, comme les autres, elle est une entreprise ". Le projet de loi fixe les règles essentielles d'une telle gestion. Le principe démocratique qui guide votre démarche suppose par ailleurs que vos dirigeants élus puissent consacrer le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions. Dès lors, il est légitime que ces fonctions puissent être indemnisées dans des conditions de parfaite transparence.
Au total, ce texte réforme en profondeur le code de la mutualité, et sera la quatrième grande loi du mutualisme, après celle du 1er avril 1898, l'ordonnance du 19 octobre 1945 et la loi du 25 juillet 1985.Votre mouvement disposera ainsi d'un cadre juridique modernisé qui lui permettra de jouer pleinement son rôle.
Nous devons réfléchir ensemble à d'autres adaptations de votre statut. Il nous faudra ainsi revoir la question de la fiscalité des mutuelles, et plus généralement peut-être de la complémentaire santé. Vous considérez que les principes mutualistes qui vous guident sont autant de contraintes au regard d'un fonctionnement strictement " assuranciel " et justifient de ce fait un traitement qui marque les différences qui existent entre l'assurance privée et l'esprit solidaire. Je souhaite que les discussions que vous avez engagées avec le ministère de l'économie et des finances et qui se poursuivent aujourd'hui avec Laurent FABIUS, puissent aboutir rapidement.
Sur ces bases vous saurez, j'en suis certain, vous adapter à un cadre juridique nouveau.
De manière générale, vous saurez d'ailleurs, j'en suis sûr, porter plus loin la modernité et l'innovation. Dès l'origine, la mutualité a démontré son aptitude à innover en matière sanitaire et sociale, grâce à cet atout irremplaçable qu'est son réseau de militants bénévoles à l'écoute des besoins des mutualistes. Hier, pionnière de l'économie sociale, elle a inventé des formes de solidarité qui ont débouché sur l'idée de sécurité sociale.
Aujourd'hui, partout où l'action de la sécurité sociale rencontre ses limites, notre société a besoin de votre capacité d'innovation. Je sais que Guy HASCOET aura à cur d'encourager les initiatives en ce domaine. De la lutte contre les exclusions à la réduction de la dépendance des personnes âgées, du développement des réseaux de soins à l'amélioration de la prévention, vos mutuelles ont un rôle irremplaçable à jouer. Le Gouvernement, qui entend bien assumer ses responsabilités, compte aussi sur elles, sur leurs capacités d'innovation et d'expérimentation pour faire progresser dans notre pays la solidarité.
Mesdames, Messieurs,
La solidarité demeure en ce début de siècle une idée neuve. Vous m'apprenez, Cher Jean-Pierre DAVANT, que je suis le premier chef de Gouvernement à participer à l'ouverture d'un congrès de votre Fédération. J'ai tenu à le faire, afin de témoigner qu'il ne s'agit pas aujourd'hui de défendre un pré carré, de consolider un acquis, mais d'accomplir de nouvelles conquêtes : faire bénéficier le plus grand nombre des progrès de la médecine, contribuer à réduire des inégalités que la croissance ne saura seule faire disparaître, bâtir une société plus fraternelle. Il s'agit de rénover un des fondements du pacte républicain. Car il n'est pas de véritable démocratie sociale sans un approfondissement de la solidarité. A la veille du centenaire de votre Fédération, telle doit être l'ambition de la mutualité. Riche de son histoire et de ses luttes, des femmes et des hommes qui les ont menées, s'appuyant sur celles et ceux qui les poursuivent aujourd'hui, le mouvement mutualiste sera, j'en suis convaincu, à la hauteur de cette nouvelle responsabilité
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 juin 2000)