Déclarations de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur la politique gouvernementale dans le secteur des télécommunications notamment en matière de concurrence, de recherche et d'aménagement du territoire, au Sénat le 9 avril 1998, à Cesson-Sévigné le 21 avril.

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Circonstance : Colloque consacré à la nouvelle ère des télécommunications, au Sénat le 9 avril 1998-vingtième anniversaire de l'ENST Bretagne (Ecole nationale supérieure de télécommunications) à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine) le 21 avril 1998

Texte intégral

Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que j'interviens ici, au Sénat, pour clore ce colloque consacré à la nouvelle ère des télécommunications. Nouvelle ère, car depuis un peu plus de trois mois, notre pays, à l'instar de beaucoup de pays de l'Union européenne, connaît une transformation radicale dans ce secteur.
Le dispositif juridique d'ouverture du marché des télécommunications a été mis en place dans les délais permettant d'ouvrir le marché à la concurrence le 1er janvier 1998 ainsi que l'imposaient les directives européennes. La commission européenne a exprimé à plusieurs reprises sa satisfaction à l'égard du processus mis en place en France.
Concrètement, ce dispositif s'est notamment traduit par :
- l'attribution depuis la fin de l'année dernière de huit licences nationales ou régionales de services téléphoniques au public (d'autres sont en cours d'instruction) ;
- la publication du catalogue d'interconnexion de France Télécom, approuvé dès avril 1997, en avance sur bien des pays européens ;
- la mise en place dès 1997 du dispositif de financement du service universel.
Permettez-moi, compte tenu de l'actualité, de faire passer le message fort suivant: le processus d'ouverture du marché des télécommunications se poursuivra dans la transparence et n'est pas remis en cause par la décision du Conseil d'Etat ordonnant le sursis à exécution pour l'attribution des deux derniers numéros " E ".
Dans le domaine des télécommunications, l'utilisation de deux ressources rares par nature, la numérotation et les fréquences, implique de la part du régulateur des choix. Dès lors qu'il y a des choix, il y a nécessairement des opérateurs satisfaits et d'autres qui le sont moins.
S'agissant de la numérotation, l'existence de deux formats pour les préfixes d'accès à un opérateur longue distance résulte du plan de numérotation mis en place en 1996. Cette option a été entérinée par le précédent gouvernement. Tous les opérateurs ont été consultés sur le projet de décision de l'ART, relatif aux modalités d'attribution des préfixes à un chiffre. La disponibilité de tels préfixes étant un facteur de stimulation de la concurrence, et d'une concurrence porteuse d'investissement, puisque le préfixe à un chiffre est destiné aux opérateurs qui favorisent le développement des infrastructures sur le territoire, j'ai estimé opportun de ne pas remettre en cause ce qui avait été préparé de longue date par les pouvoirs publics. Le Conseil d'Etat souhaite examiner la situation au fond. La décision conservatoire qu'il vient de prendre ne préjuge pas de sa décision finale.
Il faut souligner que, quelle que soit l'issue de ce dossier, l'ouverture du marché des télécommunications au bénéfice de tous les clients n'est aucunement remise en cause.
Il est évident que l'ensemble de l'édifice récemment construit en matière de régulation n'est en aucune façon à remettre en chantier, d'autant que chacun s'accorde à reconnaître que l'Autorité, en quinze mois, a fait un travail technique remarquable.
La régulation doit avoir une vision stratégique et elle doit être bien lisible au service de la dynamique économique et sociale du pays.
Je me référerai aux propos du Premier ministre tenus au cours du colloque sur les services publics du 26 mars. Les principes sont les suivants : au législateur et au Gouvernement de définir les finalités et de garantir les grands équilibres et à l'instance de régulation indépendante d'être "l'arbitre" des litiges entre opérateurs et de veiller pour ce qui concerne ses compétences aux intérêts des consommateurs.
La loi de réglementation des télécommunications, votée en juillet 1996, répond largement à ces principes.
Ces principes devront être rappelés, le moment venu, dans le cadre des réflexions engagés au niveau européen sur le dossier de la convergence entre l'audiovisuel et les télécommunications. La position française sur ces questions sera remise à la Commission ce mois-ci après un large débat avec l'ensemble des acteurs des télécommunications et de l'audiovisuel. Comme je l'ai indiqué au Conseil des Ministres européens à Bruxelles, je souhaite que notre pays soit tout à fait proactif, j'irai même jusqu'à dire audacieux à Bruxelles dans l'approche du dossier qu'ouvrira la Commission très bientôt sur la révision du cadre réglementaire applicable aux télécommunications.
Par ailleurs, à travers notamment son action à Bruxelles, la France doit faire valoir ses positions à l'égard de la régulation de ce secteur concurrentiel à l'échelon mondial. S'agissant des pays tiers, l'accord passé sous l'égide de l'Organisation Mondiale du Commerce, qui a levé l'essentiel des barrières à l'investissement étranger dans le secteur, a été ratifié par la France en novembre dernier et est entré en vigueur. S'il est indispensable que les opérateurs étrangers investissent dans notre pays, il est tout aussi indispensable que nos opérateurs investissent de la même manière - c'est à dire en toute facilité - à travers le monde.
Enfin, concurrence et service public sont intimement liés en fait : c'est parce que la concurrence est désormais totale qu'un service public fort n'en est que plus nécessaire, pour la cohésion territoriale et sociale de la Nation. Comme l'a indiqué le Premier ministre, "le service public est au coeur de notre modèle de société".
Le service universel doit être tout sauf un service public minimum mais bien au contraire un service dynamique, évolutif qui soit le plus riche possible compte tenu de la montée en puissance de la société de l'information. C'est à cette aune qu'il convient d'analyser la position gouvernementale sur l'accès des établissements scolaires à l'Internet.
Ce service universel, c'est aussi un excellent moyen de participer à la lutte contre l'exclusion, dont le Gouvernement a fait une de ses priorités, comme vous le savez. Concrètement, dans les prochains mois, le Gouvernement mettra en place, conformément aux principes de la loi, un dispositif à caractère social, qui permettra à plusieurs centaines de milliers de personnes de bénéficier non seulement de réductions téléphoniques sur leur facture mais aussi de la prise en charge de leurs éventuels impayés, après examen par une commission départementale. France Télécom sera tenue d'y participer et les autres opérateurs seront invités à participer à ce dispositif.
Je voudrais vous parler à présent de la concurrence dans ce secteur. Ma position exprime , à cet égard, la volonté d'équilibre et de maîtrise des évolutions qui est celle du Gouvernement : Service public et concurrence
Ses effets concrets et positifs sont d'ores et déjà de trois ordres :
- une baisse sensible des tarifs : de février 1997 à février 1998, la France est de tous les pays européens et du continent nord-américain, au premier rang en ce qui concerne les baisses des tarifs interurbains (- 47,2 %) et internationaux (- 29,8 %) ;
- une croissance du trafic (+ 6,6 % en volume au cours de l'année 1997) ;
- le succès de la téléphonie mobile avec près de 6,4 millions d'abonnés en février dernier, soit une augmentation de 61 % sur les six derniers mois, qui permet d'atteindre un taux de pénétration de 11 %.
La dynamique qui anime le secteur des télécommunications permettra à notre industrie et à nos opérateurs d'être parmi les tous premiers pour les technologies d'avenir ; je pense à quatre domaines :
- la prochaine génération de systèmes de télécommunications mobiles ou UMTS (Système Universel de Télécommunications Mobiles) qui permettra des services supplémentaires par rapport au GSM;
- les systèmes à satellites de seconde et de troisième générations qui vont permettre respectivement, n'importe où dans le monde d'abord, d'être joint par téléphonie mobile, puis d'accéder aux services "large bande" multimédias ;
- les réseaux et équipements de transport de données à hauts débits qui connaissent une croissance fulgurante grâce notamment à Internet. Sur ce plan, j'ai confié à M. Jean-François ABRAMATIC, directeur du développement et des relations industrielles à l'INRIA une mission sur l'infrastructure Internet en France et son évolution ;
- la boucle locale radio : l'ART prépare des expérimentations en 1998 pour valider la technologie et la demande. Ces expérimentations seront menés pour permettre ensuite la délivrance de licences sur la base d'un appel à candidatures.
Sur la boucle locale, les infrastructures alternatives sont aujourd'hui peu développées mais celles qui existent, c'est à dire les réseaux câblés, peuvent être parfaitement utilisées à l'initiative des opérateurs pour développer des offres de services téléphoniques. Cette possibilité est expérimentée à Annecy.
Sans avoir à attendre la mise en place de boucles locales alternatives, pour accéder à l'usager, l'ART a mis en place dès 1997 un catalogue d'interconnexion permettant aux nouveaux opérateurs d'offrir leurs services en utilisant le réseau local de France Télécom,. C'est également pour cette raison que la France a soutenu la présélection par abonnement de l'opérateur longue distance. En l'an 2000, les clients de France Télécom pourront s'abonner à un autre opérateur pour leurs appels longue distance et accéder directement à cet opérateur sans avoir à composer un préfixe spécifique. Cette facilité rendra largement caduc le débat actuel sur le préfixe de sélection de l'opérateur longue distance.
Je voudrais également évoquer la recherche. Notre pays, qui dispose d'une recherche de haut niveau dans les télécommunications, se doit de la conserver à un moment où la bataille économique mondiale se joue sur l'innovation et la créativité.
C'est la raison pour laquelle, le Réseau National de Recherche en Télécommunications, fédérant les pôles de compétences en la matière (CNET, INRIA, CEA, CNRS, Ecoles, Universités, Industriels et Opérateurs notamment), a été mis en oeuvre en début d'année pour coordonner les actions de ces différents acteurs. Un processus d'attribution d'un label aux projets est dorénavant en place, sous l'égide du Comité d'Orientation du RNRT. Le premier appel à propositions devrait être lancé ce mois-ci et un deuxième en septembre. En 1998, le RNRT disposera de 260 millions de Francs pour aider les projets les plus innovants. Dominique STRAUSS-KAHN et moi voulons encourager le capital-risque en France. Nous avons du retard, il faut le rattraper - je pense au fonds de capital-risque issu de l'ouverture du capital de France Télécom qui nous permettra de participer au financement en capitaux propres des PME innovantes. Par ailleurs, le RNRT pourra en outre jouer un rôle majeur d'incubateur d'entreprises nouvelles dans le domaine des télécommunications. Il faut faciliter la voie qui peut permettre aux chercheurs et aux développeurs de créer leur entreprise. C'est une nécessité pour dynamiser la croissance actuelle, encourageante, et la guider vers la création d'emplois qualifiés et de façon massive.
Enfin, un mot sur un domaine fortement lié au développement des télécommunications, du fait notamment de la dynamique à venir en matière de commerce électronique et de la nécessité pour l'ensemble des acteurs de protéger l'information échangée : la cryptologie. Les deux décrets prévus par la loi de réglementation des télécommunications sur cette question et visant à faciliter l'utilisation de la cryptologie tout en préservant les contraintes d'ordre public, ont été - comme je l'avais annoncé - publiés en début d'année et leurs textes d'application viennent de l'être. Ce support, tant attendu, est donc désormais opérationnel. En matière de commerce électronique, dans la continuité du rapport remis par M. LORENTZ, le Gouvernement annoncera des mesures importantes dans les prochaines semaines.
J'ai pour ma part une grande confiance dans les acteurs du secteur des télécommunications en France : une recherche de haut niveau, des industriels de premier ordre maîtrisant les technologies d'avant-garde, des opérateurs puissants, des compétences reconnues sur le plan mondial de femmes et d'hommes qualifiés. J'ai également la conviction que notre cadre législatif et réglementaire est efficace et lisible et qu'il donne aux opérateurs toutes leurs chances sur un marché ouvert, lui même régulé de manière transparente. Les difficultés d'aujourd'hui ne mettent aucunement en doute cette conviction qui, je le sais, est partagée par la grande majorité des acteurs responsables du marché.
Cet ensemble d'éléments favorables constitue un facteur-clé de succès pour que nous vivions de façon prospère dans cette nouvelle ère des télécommunications - pour reprendre la formule du titre de ce colloque - celle de la concurrence totale, dûment régulée, et d'un service public efficace et innovant.
Cette nouvelle ère doit notamment nous aider à nous projeter avec plus de force dans la société de l'information que nous tous, chacun dans ses responsabilités, devons bâtir rapidement pour donner à notre pays toutes ses chances dans l'économie mondiale.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2001)