Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi d'orientation et de prévention relatif à la lutte contre les exclusions, à l'Assemblée nationale le 5 mai 1998.

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Circonstance : Présentation en première lecture du projet de loi d'orientation et de prévention relatif à la lutte contre les exclusions à l'Assemblée nationale le 5 mai 1998

Texte intégral

Ce qui frappe le plus dans le monde où nous vivons, c'est d'abord et en général que la plupart des hommes sont privés d'avenir. Il n'y a pas de vie valable sans perspective sur l'avenir, sans promesse de mûrissement et de progrès. Vivre contre un mur, c'est la vie des chiens. .
Albert Camus écrivait ces lignes, il y a 50 ans, dans la revue Combat alors que la France sortait de la guerre.
Nous sommes aujourd'hui plus riches, plus compétitifs, économiquement mieux armés et pourtant...
Et pourtant nous vivons un paradoxe tragique. Une France prospère tandis qu'une autre, de plus en plus importante, s'enfonce dans l'échec.
L'exclusion serait en quelque sorte le tribut à payer, à la rentabilité de notre économie et à la compétitivité de la France sur le marché mondial. Ce n'est pas acceptable.
Si depuis 1970, le revenu national a doublé, la montée du chômage a multiplié les situations de détresse. Quel contraste entre cette société de plus en plus riche et le développement de la pauvreté et même de la misère!
Les faits sont là.
15% de nos concitoyens connaissent aujourd'hui la pauvreté.
Depuis 15 ans, alors que le revenu moyen des français a progressé de 33%, la proportion des ménages qui vivent en deçà du seuil de pauvreté est restée la même.
Et, s'il y a deux fois moins de pauvres parmi les personnes âgées qu'il y a dix ans, la pauvreté affecte maintenant beaucoup plus de chômeurs - 500.000 ménages- et même des personnes qui ont un emploi- 300.000 ménages.
2 millions de personnes ne vivent que grâce au RMI ; 6 millions dépendent des minima sociaux ; un million de nos concitoyens sont au chômage de longue durée.
Plus de 50 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualification.
Au moins 200 000 personnes sont sans abri et plus de 2 millions sont mal logées.
Enfin, un français sur quatre déclare avoir déjà renoncé à se soigner pour des raisons financières.
Plus de 600 000 sont surendettés.
Derrière ces statistiques, derrière ces chiffres, il y a une réalité douloureuse.
Il y a des hommes et des femmes qui souffrent et qui perdent pied. Il y a des hommes et des femmes qui ont été laissés de côté, qui sont tombés, qui sont brisés.
Les accidents de la vie sont la plupart du temps la cause de l'exclusion : la perte de son emploi, un accident ou une maladie, un problème familial lourd. C'est ensuite l'accumulation des difficultés financières, bien sûr, mais aussi psychologiques, familiales qui peut aller jusqu'à la rupture de sa vie personnelle ou à la perte de son logement.
Cette situation provoque l'isolement et le repli sur soi. On ne sait plus vers qui se tourner, ni à qui parler ; on ne sait plus vers qui tendre la main.
Cette situation engendre rapidement la perte de confiance en soi. On a l'impression de ne plus avoir sa place dans la société et même, lorsqu'une solution est proposée, en matière d'emploi par exemple, on n'est pas sûr de pouvoir l'accepter, tant on a peur de l'échec.
Et comment s'étonner alors que beaucoup de jeunes n'osent même plus penser à l'avenir et sont souvent incapables de se projeter dans l'avenir le plus proche, celui du jour même, celui du lendemain.
Mais plus grave encore, l'exclusion bouleverse aussi l'intégrité des hommes au point de provoquer chez l'exclu la perte de sa propre identité. Ces phénomènes, les associations présentes aux côtés des sans domicile fixe les observent tous les jours. L'absence d'hygiène, la dégradation rapide de la santé, les troubles psychologiques entraînent une perte de distance envers soi, et même avec son propre corps.
Voilà l'exclusion telle qu'elle se vit. A côté de la société, les exclus sont isolés et sont souvent confinés dans un mutisme, un silence qui leur tient lieu de ghetto.
On comprend que beaucoup, malgré leur volonté et leur fierté, cèdent au découragement.
Pourtant, aidés par des associations, certains prennent la parole et expriment leur détresse.
Entendons ces témoignages rapportés par ATD Quart Monde ou le Secours Populaire.
Cet homme interrogé sur le logement : "C'est toujours le même problème : faire une demande ? On va vous demander : qu'est ce que vous faites ? Rien. Vous touchez quoi ? Rien. Vous savez les demandes à la mairie , vous vous mettez sur la liste et il y en a trois cents qui attendent..."
Cette femme s'exprimant sur elle même: "Quand j'ai perdu mon emploi, j'étais encore debout, quand on m'a expulsé de mon logement, on m'a mise à genou, si vous ne m'aidez pas à m'en sortir, au prochain coup, si je plie, qu'est ce que j'aurai de plus qu'un animal?"
Et cette femme faisant part de ses peurs :"Avec mes trois enfants, je vivais avec 1600 francs par mois. On me disait : vas y, demande une aide. Mais, moi je n'avais pas confiance, je pensais qu'ils voulaient tout faire pour me retirer mes enfants, j'avais peur..."
L'exclusion détruit, et parfois même, elle tue.
Elle tue cette femme qui meurt asphyxiée dans son appartement.
Elle tue le vieillard seul, dont on découvre la mort dix jours plus tard.
Elle tue le sans abri l'hiver.
Elle tue le toxicomane.
Elle tue celui pour qui la mort est devenue la seule délivrance.
L'exclusion est notre défaite. Parce qu'elle n'est pas un phénomène d'ordre individuel mais bien un phénomène d'ordre social, l'exclusion est notre défaite collective.
Le reflet de celle-ci, se retrouve dans le regard que porte notre société à l'égard des exclus.
Ce regard sur l'exclusion, c'est d'abord l'ignorance. Dans des villes ou des quartiers où la ségrégation sociale devient la règle, les catégories sociales se mêlent de moins en moins. On ne côtoie souvent que ceux qui nous ressemblent. On ne s'intéresse qu'à ses semblables. On ne sait plus vivre ensemble.
Ce regard de notre société sur l'exclusion, c'est aussi l'indifférence. Les exclusions et leur cortège de souffrances sont banalisées. Elles sont traitées comme des faits divers, comme des "chroniques de la misère ordinaire".
Ce regard de notre société sur l'exclusion, c'est enfin la crainte. On a peur de l'autre et on a peur pour soi.
Les exclus sont hors de la norme, ils présentent le visage de la pauvreté qui effraie. Ils pèsent comme une menace sur l'équilibre de notre société. Ils sont souvent le reflet de nos échecs.
Ils sont le miroir de nos lâchetés. Alors, on détourne les yeux, on baisse la tête ou l'on rejette violemment ceux dont l'état d'abandon nous renvoie à l'impasse d'une société qui pour faire gagner quelques uns, accepte d'exclure de plus en plus.
On sait aussi que l'exclusion peut toucher chacun. Deux français sur trois pensent qu'ils pourraient être un jour exclus.
Ce regard mêlé d'ignorance, d'indifférence et de crainte, nous devons le faire changer.
Beaucoup se sont battus pour que notre société ouvre les yeux.
A cet égard, on ne saluera jamais assez le rôle des associations et des travailleurs sociaux. Depuis des années, souvent seuls, ils se battent pour maintenir les liens sociaux, pour que notre société soit un peu moins dure pour les plus fragiles. Grâce à leur travail sur le terrain, à leurs réflexions et leurs propositions, ils ont permis une prise de conscience. Ils ont permis que cette loi soit présentée aujourd'hui.
Depuis l'émergence de ce que l'on a appelé, dans le milieu des années 80, la "nouvelle pauvreté", les analyses, les enquêtes et les rapports ont été nombreux pour décrire l'exclusion.
Le terme de "nouvelle pauvreté" était certainement impropre. Il eût néanmoins le mérite immense de tirer la sonnette d'alarme sur l'emballement des phénomènes d'exclusion dans un pays où l'Etat providence n'arrivait plus à remplir son rôle.
A la fin des années 80, l'adoption du RMI marque un tournant décisif, quand les pouvoirs publics décident d'attribuer une allocation universelle à ceux qui sont en situation de pauvreté et souhaitent les aider à s'insérer. Mais les procédures d'insertion n'ont pas globalement permis d'enrayer le phénomène alors même que le nombre des bénéficiaires s'accroissait et que la durée des périodes concernées faisaient apparaître de nouvelles catégories d'exclus.
Aujourd'hui, une part croissante des Rmistes ne parviennent pas à sortir du dispositif, et beaucoup n'en sortent que pour bénéficier d'une autre allocation d'assistance.
D'un système d'allocation que l'on avait imaginé transitoire, nous avons peu à peu basculé dans un système permanent de perfusion qui ne permet à leurs bénéficiaires que de survivre et non de vivre.
Ces dernières années ont mis en évidence qu'il ne peut pas y avoir de réponse uniforme, tant l'exclusion et la pauvreté englobent des réalités hétérogènes.
Le rapport du professeur Pequignot en 1978, celui du Père Joseph Wrésinski en 1987 pour le Conseil Economique et social, ont convaincu de la nécessité d'une modification radicale des politiques engagées, dans leurs principes comme dans les moyens à mettre en oeuvre.
Le Père Joseph Wrésinski réclamait que nous tournions la page de l'assistance pour ouvrir celle des droits et des responsabilités. C'était là son message si tant est que l'on puisse, en quelques mots, résumer ce texte majeur sur "la grande pauvreté et la précarité économique et sociale".
Il soulignait que la composition des populations en situation d'exclusion se modifiait profondément, affectant beaucoup moins les personnes âgées et davantage les personnes isolées, les jeunes ou les familles monoparentales.
Il faisait apparaître au grand jour que l'exclusion ne devait plus seulement être considérée comme une réalité matérielle et financière, mais qu'elle résultait d'une situation où des privations matérielles et immatérielles de toutes sortes s'enchaînent, enlevant aux personnes leur liberté de choix et les chances de s'en sortir.
Autrement dit, il nous rappelait que l'exclusion n'est pas un phénomène accidentel ou simplement conjoncturel.
L'enquête du Credoc de 1995 sur laquelle s'est appuyée Madame Geneviève de Gaulle Anthonioz pour élaborer son avis au Conseil Economique et Social sur "l'évaluation des politique publiques de lutte contre la Grande pauvreté" identifie trois types de mécanismes d'entrée dans l'exclusion, que l'on retrouve bien dans la réalité d'aujourd'hui : l'empêchement, la reproduction et le basculement.
L'empêchement, c'est la situation des salariés licenciés de secteurs en difficultés et trop âgés pour se reconvertir, celle de femmes n'ayant jamais travaillé et n'arrivant pas à intégrer un emploi, celle des jeunes qui, ayant connu d'importantes difficultés scolaires, n'arrivent plus à entrer sur le marché du travail. Ajoutons un mot sur les jeunes. La fragilité de l'emploi et des revenus des jeunes se reflète dans la montée de la pauvreté chez les moins de 25 ans, aussi bien par la baisse du niveau de vie moyen des ménages de moins de 25 ans que par les taux de pauvreté des 20-29 ans passé selon le CERC de 11% à 18% depuis le début des années 90. A cet égard, la proportion de jeunes qui ont eu recours aux missions et au fond d'urgence sociale, en constitue un assez bon indice.
Le second phénomène est lié à la reproduction. Autrement dit, il apparaît que les situations d'exclusion se répètent d'une génération à l'autre : problèmes scolaires, difficultés à se loger, problème de santé, comme si installées dans l'exclusion et la pauvreté, des familles entières restaient à l'écart de la société, sans autre espérance que le RMI.
Le troisième mode d'entrée est le basculement. Il peut être brutal et profond pour certaines personnes jusqu'ici protégées mais victimes d'un accident de parcours professionnel, familial ou de santé. Pour elles, les filets de sécurité de l'Etat providence ne fonctionnent plus.
S'il ne convient plus aujourd'hui de parler d'une exclusion mais bien de plusieurs types d'exclusions, nous savons que la perte de l'emploi, ou pour les jeunes, les obstacles pour entrer sur le marché du travail constituent la première étape vers la désocialisation.
Le travail reste, en effet, le premier lien avec la société. C'est le travail qui permet d'obtenir les ressources nécessaires pour conquérir son autonomie ; c'est le travail qui cadence l'essentiel des rythmes de la vie sociale. Que veulent en priorité nos concitoyens si ce n'est d'abord un emploi, pour eux mêmes et pour leurs enfants ! Ils réclament à travers la fiche de paie qui tombe en fin de mois, non seulement un moyen de vivre mais aussi la marque d'une reconnaissance et d'une utilité sociale !
L'exclusion, les situations auxquelles elle renvoie comme les mécanismes sur lesquels elle s'appuie, décrivent une réalité complexe. La comprendre est essentiel pour s'attaquer efficacement à la prévention et à la lutte contre l'exclusion.
Mais, il nous faut aussi nous débarrasser de certaines idées reçues.
Il est absurde de penser qu'avec un peu de volonté individuelle, on peut toujours s'en sortir. Les sociologues qui se sont penchés sur cette question, Serge PAUGAM, Robert CASTEL ont montré que l'exclusion revêt un caractère social qui trouve son origine dans le fonctionnement de nos sociétés et notamment dans les lois du marché.
Il est aussi vain de croire que la croissance seule, permettra de dégager les marges de manoeuvres économiques suffisantes pour remettre chacun en selle.
Il est enfin simplificateur, et même dangereux, de limiter la lutte contre l'exclusion à l'assistance. Si elle est nécessaire pour assurer un minimum de ressources à nos concitoyens les plus en difficultés, elle ne leur permet pas de trouver l'autonomie et la dignité.
Je voudrais ici vous rappeler ces paroles du père Joseph Wresinski :
"les plus pauvres nous le disent souvent : ce n'est pas d'avoir faim, de ne pas savoir lire, ce n'est même pas d'être sans travail qui est le pire malheur de l'homme. Le pire des malheurs est de vous savoir compté pour nul, au point même que vos souffrances sont ignorées. Le pire est le mépris de vos concitoyens. Car c'est le mépris qui vous tient à l'écart de tout droit, qui fait que le monde dédaigne ce que vous vivez et qui vous empêche d'être reconnu digne et capable de responsabilités. Le plus grand malheur de la pauvreté extrême est d'être comme un mort-vivant tout au long de son existence".
C'est en pensant à toutes ces femmes et tous ces hommes qui veulent retrouver leur dignité que le Gouvernement a préparé ce projet de loi de prévention et de lutte contre les exclusions.
Celui-ci respecte des principes essentiels.
Si la solidarité nationale permet une politique d'assistance pour nos concitoyens qui traversent des périodes difficiles, l'objectif des politiques publiques est bien de les en sortir, chaque fois que c'est possible et dans les délais les plus brefs.
C'est dans cet esprit que l'objectif du projet de loi est d'abord de garantir l'accès aux droits fondamentaux. Il est inutile de songer à mener une véritable politique de cohésion sociale si l'accès à l'emploi, si l'obtention d'un logement ou encore la prévention et les soins, demeurent des principes théoriques et sans véritable efficacité.
Cet accès aux droits fondamentaux doit être le tremplin vers la réinsertion sociale. Dans cette logique, seule la mise en oeuvre de moyens, notamment financiers, est susceptible d'atteindre les objectifs fixés.
Mais au-delà, le Gouvernement entend prévenir les exclusions. Nous devons traiter les problèmes en amont, avant que l'urgence n'apparaisse. La prévention concerne aussi bien la politique du logement que le traitement du surendettement. Le projet de loi vise ainsi à améliorer la situation de ceux qui sont déjà blessés par l'exclusion sous toutes ses formes mais il s'adresse aussi à toutes les personnes qui se sentent menacées par ces risques.
Enfin, l'Etat doit être capable, lorsque c'est nécessaire et lorsque les autres réponses ont échoué, de prendre en compte avec efficacité les situations d'urgence.
En définitive, il est clair que l'objectif n'est pas d'afficher des droits nouveaux, mais de donner une réalité à ceux qui existent. De plus, le respect de la dignité des plus démunis impose, chaque fois que cela est possible, des solutions de droit commun, plutôt que des dispositifs d'exception toujours stigmatisants, et je sais combien le Conseil économique et social est sensible à cette préoccupation.
Il faut donc rendre à chacun les moyens de retrouver une place, sa place, dans notre société, et construire les dispositifs qui permette d'inverser les processus d'exclusions.
Nous sommes en théorie armés pour lutter contre l'exclusion.
Le Préambule de la Constitution de 1946 ne déclare-t-il pas que : " chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi...La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement "
En théorie seulement, quand en réalité les plus fragiles méconnaissent et n'accèdent plus à leurs droits les plus élémentaires.
Il nous faut maintenant sortir de la proclamation pour assurer la réalité des droits, en rendant toute leur place à nos concitoyens les plus fragiles. Pour cela, Il ne suffit plus de dire les droits, mais il faut que demain chacun puisse vivre ses droits.
Le gouvernement de Lionel Jospin , dès son arrivée, a eu comme priorité la politique de lutte contre les exclusions.
La réduction du temps de travail, le programme "nouveaux services, nouveaux emplois", les aides aux familles les plus démunies, l'aide à l'accès aux cantines ou la relance des zones d'éducation prioritaire s'inscrivent dans un mouvement d'ensemble qui vise à lutter contre les exclusions. De plus, les prélèvements sur les revenus du travail et du capital sont progressivement rééquilibrés. Ces réformes commencent à porter leurs premiers fruits : la consommation et l'investissement ont redémarré ; la croissance est là, il est vrai dans un contexte international plus favorable ; le chômage baisse plus fortement que chez nos principaux partenaires.
A l'évidence. Il faut aller plus loin.
Ce serait une erreur de croire que la croissance suffit. Nous savons tous que les gens qui sont tombés, ceux qui sont cassés, ne sont pas les mieux placés, ou tout simplement les plus aptes, à profiter de la croissance et à s'en sortir seuls.
Lionel Jospin avait fixé clairement le cap lors de sa déclaration de politique générale en soulignant : "il y a dans notre société quelque chose d'aussi absurde qu'injuste. Nous n'avons globalement jamais été aussi riches et pourtant des milliers de personnes dorment dans la rue, renoncent à se soigner faute d'argent, des enfants ne peuvent même plus fréquenter les cantines scolaires. La crainte de l'avenir se fait toujours plus forte.
C'est cette spirale qu'il faut briser. C'est ce changement là que les français attendent. C'est à cette aspiration que nous voulons répondre."
Dans cette perspective, le gouvernement a adopté, au Conseil des ministres du 4 mars, un programme d'actions dans lequel s'inscrit le projet de loi que nous allons discuter. Le programme s'appuie également sur le travail mené à l'échelon européen, dans le cadre des engagements pris à Luxembourg.
J'ajoute que ce projet de loi sera complété par d'autres textes dont vous serez saisis dans les prochains mois, avec notamment le projet de loi relatif à l'accès aux droits, le texte relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations; le projet sur l'accès à la prévention et aux soins qui réformera la protection sociale avec l'instauration d'une couverture maladie universelle et une protection complémentaire pour tous, ainsi que la loi sur l'habitat.
Notre programme est sans précédent. Il représente d'ores et déjà un engagement de 51,4 milliards de francs, dont 38,4 milliards de francs à la charge de l'Etat sur la période 1998-2000.
Cet ensemble de mesures a été élaboré à l'issue d'une concertation très large entre les différents ministères mais surtout avec les associations caritatives, les grands réseaux associatifs et les organisations syndicales qui ont été associés, étape par étape, à nos propositions.
Les travaux du Conseil Economique et Social ont également éclairé la préparation du programme d'action et du projet de loi qui ont recueilli un large assentiment lorsque je les ai présentés à la section sociale du Conseil le 19 mars dernier. Ce programme reprend aussi certaines des dispositions élaborées par le précédent gouvernement sous la responsabilité de Messieurs Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli.
Enfin, la méthode que le gouvernement a adopté depuis un an avec les élus et tout particulièrement avec vous, a porté ses fruits. Votre expérience de terrain, vos analyses et vos propositions, notamment celles de la mission d'information spéciale et de ses rapporteurs, Claude Bartolone puis Jean Le Garrec, ont utilement complété nos réflexions.
J'attends bien évidemment des débats parlementaires un enrichissement du texte, comme nous l'avons fait sur les projets de loi pour l'emploi des jeunes et, récemment encore, sur la réduction du temps de travail.
J'en arrive à présent aux orientations de notre programme et du projet de loi. Ses différents volets seront soutenus devant vous par les différents ministres compétents, qui sont aujourd'hui aux bancs de votre Assemblée.
Ces orientations sont reprises par les trois titres du projet :
- garantir l'accès aux droits fondamentaux ;
- prévenir les exclusions ;
- mieux agir ensemble contre les exclusions.
I - En premier lieu, nous voulons garantir l'accès aux droits fondamentaux.
Ces droits existent. Le droit à l'emploi, le droit au logement, le droit à la santé figurent dans nos textes fondateurs et, notamment, dans le préambule de la Constitution de 1946. Il s'agit maintenant de leur donner une réalité.
1- L'emploi
La montée du chômage est le premier facteur du développement de la précarité et des exclusions.
Plusieurs articles de notre projet de loi sont consacrés à l'accès à l'emploi. L'objectif principal est de donner une chance à chacun, d'acquérir une qualification ou un emploi par un parcours d'insertion dans la durée.
Chaque personne en difficulté -jeune ou adulte- doit être accueillie et doit bénéficier d'un accompagnement personnalisé tout au long de ce parcours d'insertion. Les moyens de l'ANPE et des missions locales seront pour cela accrus.
Il est proposé d'offrir à chaque jeune en grande difficulté, éloigné de l'emploi, un véritable parcours, afin qu'aucun ne commence sa vie active par une période d'inactivité.
Le programme TRACE a pour ambition de proposer à terme à 60 000 jeunes un parcours d'insertion pouvant aller jusqu'à 18 mois, articulant selon leur situation et les difficultés qu'ils rencontrent, des actions de bilan, de remobilisation si nécessaire, de mise en situation professionnelle et des situations de formation visant à l'acquisition des connaissances de base et d'une qualification professionnelle (formations préqualifiantes et qualifiantes).
Ce parcours pourra durer 18 mois et donnera droit aux rémunérations prévues par les différents dispositifs. Cette proposition représente 5,1 milliards de francs sur les trois ans (2,8 milliards en année pleine), dont 4 milliards au titre des contrats aidés et des stages et 1,1 milliard pour les moyens d'accompagnement (700 MF en 2000 dont 566 MF pour le renforcement des missions locales et des PAIO).
La décentralisation a confié aux régions la mise en oeuvre de la formation professionnelle des jeunes.
Le programme TRACE doit pouvoir mobiliser efficacement et rapidement les dispositifs d'emploi et de formation. Il se conçoit dans un fort partenariat entre l'Etat et les Régions.
C'est ainsi que nous entendons répondre aux demandes qui sont apparues en faveur de la création d'un RMI jeunes.
Nous résigner à offrir à notre jeunesse la perspective d'un RMI serait baisser les bras. On ne construit pas leur avenir et celui de notre société à reculons. Ce n'est pas en privilégiant une logique d'assistance que l'on répondra au désespoir des jeunes, mais au contraire en donnant à chacun la possibilité de prendre sa vie en main, de construire un projet professionnel et personnel, de devenir finalement acteur de son propre destin.
Nous devons réfléchir à l'indemnisation des jeunes, afin de mieux prendre en compte les nouveaux risques comme l'allongement des processus d'insertion sur le marché du travail et la précarisation de l'emploi. Nous en discuterons avec les partenaires sociaux dans les prochaines semaines.
Par ailleurs, les fonds d'aides aux jeunes pourront, pendant les périodes non couvertes par un contrat ou par une formation agréée, offrir aux jeunes, rencontrant des difficultés matérielles importantes, des aides financières afin de leur garantir la sécurité nécessaire à la réussite de leur parcours. L'Etat apportera 330 MF de crédits nouveaux sur la durée du programme.
Pour les adultes, le projet de loi met en oeuvre une logique donnant une réelle chance d'insertion sur la durée. En effet, le retour à l'emploi classique des personnes qui en sont le plus éloignées est souvent impossible, en raison d'un cumul de handicaps professionnels et sociaux. Une réponse adaptée à la situation de chacun doit être construite. Outre le renforcement des moyens d'accueil et d'accompagnement du service public de l'emploi, plusieurs mesures sont proposées qui complètent les dispositifs actuels (CIE, CES, insertion).
Le modèle du contrat de qualification ouvert aujourd'hui aux jeunes de moins de 26 ans mérite d'être étendu aux adultes demandeurs d'emploi faiblement qualifiés qui souhaitent se former mais auraient du mal à accéder à une formation théorique. C'est l'objet de l'article 13 du projet. Le contrat de travail sur lequel est fondé le contrat de qualification implique l'entreprise, la qualification reconnue sur lequel il débouche constitue une sécurité dans une vie professionnelle.
Mis en oeuvre par une expérimentation en concertation étroite avec les partenaires sociaux, il fera l'objet d'un suivi et d'une évaluation susceptible de nourrir une négociation interprofessionnelle en vue de sa généralisation.
Le Gouvernement est prêt à s'engager à hauteur de 25 000 personnes par an en troisième année (5 000 en 1998 et 10 000 en 1999), pour un coût cumulé de 2,2 milliards (exonération, primes et formations).
De même nous proposons une refonte des emplois de solidarité.
Aujourd'hui, entrent en CES beaucoup de demandeurs d'emplois qu'il aurait été préférable de mieux accompagner vers un autre dispositif. Cette situation et d'autant plus inacceptable qu'à l'opposé, nombreux sont de fait exclus du dispositif alors que ces contrats représentent pour eux la seule voie d'accès à l'emploi. Les CES ont donc été recentrés sur les personnes les plus en difficulté pour qui la mise en situation de travail dans le cadre d'un CES, ainsi que la remotivation et la resocialisation qu'elle entraîne, est bien souvent seule en mesure d'enclencher une dynamique d'insertion.
Mais il faut aussi rompre avec les enchaînements chaotiques et offrir aux plus fragiles -ceux notamment les plus âgés, qui ne trouveraient pas de solutions dans une entreprise classique- la stabilité indispensable pour se projeter dans l'avenir. C'est l'objet du CEC créé en 1992, dont la durée sur 5 ans offre la stabilité nécessaire et permet souvent, comme l'expérience le montre, d'en partir plus tôt parce que l'on a pu y définir un projet professionnel.
Une augmentation importante des volumes est programmée sur les trois ans à venir, notamment pour les publics les plus en difficulté qui pourront donner lieu à une prise en charge par l'Etat plus élevée. Pour tous ces contrats, auxquels il sera possible d'accéder directement, l'objectif est d'atteindre 70 000 entrées en 2000, contre 30 000 aujourd'hui.
A cette date, environ 200 000 personnes seront concernées (coût : 6,7 milliards sur 1998-2000, dont 4,3 milliards en 2000).
Le secteur de l'insertion par l'économique est dynamisé et le cadre d'action des structures d'IE est clarifié : elles bénéficieront d'un véritable statut au sein du code du travail (article L.322-4-16 et suivants), manifestation de la reconnaissance de l'importance de leur action pour les publics les plus difficiles. La mise en cohérence de l'ensemble des acteurs dans ce domaine sera assurée par les PLIE à qui il est donné une reconnaissance par la loi.
Enfin, d'autres dispositions visent à élargir l'accès aux SIFE (stages d'insertion et de formation à l'emploi) ou à donner une ampleur particulière à la lutte contre l'illéttrisme sur laquelle le Conseil économique et social a, souvent et à juste titre, attiré l'attention. Des accords avec les branches professionnelles, les partenaires syndicaux et les conseils régionaux seront signés afin de développer des actions de lutte contre l'illéttrisme.
Leur coût pourra, au delà des fonds consacrés à cet objectif par l'Etat et les collectivités territoriales, être pris en charge par les crédits issus de l'obligation de participation au financement de la formation professionnelle.
2- Le logement
Le second grand volet de notre projet concerne le droit au logement.
Sans toit, on n'existe pas !. Sans adresse, on ne peut trouver un travail, on rompt tout lien avec les autres, avec la société. Sans foyer, la structure familiale éclate et, dès lors, toutes les exclusions s'enchaînent.
Là encore, les chiffres sont accablants.
Le Haut Comité au Logement vient de nous rappeler que 200.000 personnes ne disposent d'aucun logement, que 2 millions sont mal logées, soit parce qu'elles sont logées en meublés ou en chambre d'hôtel (470 000), soit parce qu'elles sont dans des habitations mobiles (147.000), ou bien parce qu'elles occupent des logements hors normes (1.425.000).
Ce projet de loi n'a pas pour vocation à réformer l'ensemble de la politique du logement et de l'habitat. Celle-ci fera l'objet d'une loi spécifique sur l'habitat pour laquelle le Premier ministre vient de donner son accord pour un examen au Parlement. Louis BESSON, Secrétaire d'Etat au logement, vous présentera d'ailleurs lui même les grandes lignes de ce texte qui concerne la vie quotidienne de millions de familles, au-delà de celles frappées par l'exclusion.
Nos propositions sont bien sûr indissociables de la réflexion sur la politique de la ville que le Gouvernement a engagé et sur laquelle je travaille avec Claude Bartolone. A cet égard, la mixité sociale et le brassage des populations sont des enjeux fondamentaux.
La politique du logement doit contribuer fortement à assurer cette mixité sociale. En effet, ce qui a fait exister les villes, ce qui construit la cohésion sociale et, en définitive, ce qui permet la démocratie, c'est faire que l'on vive ensemble, que des gens différents se côtoient quelque soit leur origine, leur situation, leur niveau de vie, ou leur âge.
C'est pourquoi le projet de loi s'assigne une ambition nouvelle en s'appuyant sur la loi BESSON de 1990. Mais, huit ans après, il nous faut aller plus loin autour de deux principes : le droit à l'habitat, la nécessité d'une mixité sociale.
Le droit au logement s'est déjà traduit par une politique active sur l'offre : relance de la construction (80 000 logements financés en 1998), politique de réhabilitation dans le parc social (180 000) et privé
S'y ajoute aujourd'hui la proposition d'une taxe sur les logements vacants. Il est, en effet, anormal, alors que certaines régions, comme la région parisienne, connaissent un grave déséquilibre entre l'offre et la demande de logements, que des centaines de milliers d'appartements restent vides. Cette situation n'est pas acceptable. Il est de la responsabilité du législateur de fixer de nouvelles règles du jeu.
Ainsi, cette taxe encouragera la mise sur le marché locatif de ces logements dont nous avons besoin. D'autres mesures fiscales participent d'ailleurs de la même logique pour accroître sensiblement l'offre de logements.
Mais le projet de loi a une autre ambition : celle de passer du droit au logement au droit à l'habitat. C'est-à-dire non seulement d'assurer à chacun un toit, mais d'assurer également au confort minimum que constitue le droit de bénéficier de l'eau, de l'électricité, ou d'un téléphone en cas d'urgence.
Le projet s'attaque aussi directement au mécanisme de l'expulsion en inversant les logiques actuelles. Celles-ci faisaient de l'expulsion en cas d'impayé la réponse unique, quasi automatique ne portant aucune attention particulière sur le devenir des familles par rapport au logement.
Il est proposé de déclencher des mécanismes d'interventions sociales de solidarité avant que le juge ne se prononce, de faire de l'existence d'un plan d'apurement des impayés un élément d'appréciation au droit à se maintenir dans les lieux. Il faut également faire une obligation du droit à l'hébergement en cas d'expulsion.
La démarche respecte en outre le droit de propriété et le défend mieux que les procédures précédentes puisqu'elle accroît significativement les chances des propriétaires de recouvrir leurs créances.
La politique du logement n'aura cependant atteint ses objectifs que si elle assure réellement la mixité sociale.
Il est devenu nécessaire de réformer les dispositions existantes relatives à l'attribution des logements sociaux.
La réforme comporte deux volets .
Le premier vise à garantir une meilleure transparence des procédures d'attribution. Ainsi, chaque demande de logement fera l'objet d'un enregistrement départemental unique qui sera communiqué au demandeur.
Autour de cette disposition, qui ne constitue pas un ordre de priorité en soit, il sera désormais possible de développer des démarches d'information, d'examen des critères d'attribution prioritaire de logements dont l'absence laisse à nos concitoyens un goût d'injustice et parfois d'arbitraire.
En outre, aucune radiation de demande ne pourra intervenir sans que l'intéressé en soit informé. Enfin, l'obligation d'instituer une commission d'attribution dans chaque organisme est créée.
Le second volet consiste à définir les besoins d'habitat en accord avec toutes les parties intéressées. Est ainsi créée une conférence intercommunale du logement, présidée par le représentant des maires des communes concernées, qui devra élaborer une charte intercommunale.
Pour consolider cet axe majeur que constitue la lutte en faveur de la mixité sociale, des mesures d'incitation sont prévues telle que l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour faciliter l'acquisition par les organismes HLM de logements sociaux dans les centres villes pour loger les ménages à ressources modestes.
3 - La santé
Le troisième droit fondamental est celui de la santé. "La nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé", indique le Préambule de la Constitution de 1946. Qu'en est-il réellement ?
Le Haut Comité de la Santé Publique rappelait récemment un constat d'une inacceptable violence, dont on oublie parfois la signification concrète, jour après jour, pour des millions de personnes : "plus on est pauvre, plus on est malade et plus on meurt jeune ".
Quelques chiffres rappellent cette réalité. L'écart d'espérance de vie entre les manoeuvres et les cadres supérieurs reste trop important, de 8 ans à 35 ans, et de 4,5 ans à 60 ans, et cet écart ne régresse pas malgré l'amélioration globale de l'état de santé.
Il semble même, d'après des études épidémiologiques, que l'augmentation d'espérance de vie continue à être plus rapide pour les catégories aisées que pour les plus défavorisées. Et cet écart va probablement continuer à se creuser.
Dans le même ordre d'idée, on observe que les taux de décès ont régressé plus rapidement ces dix dernières années chez les plus aisées que chez les ouvriers
Pouvons-nous continuer à accepter cet éloignement progressif des circuits de soins d'un nombre toujours croissant de nos concitoyens ?
Pouvons-nous continuer à accepter cet accès tardif au dépistage, et donc au traitement, de maladies graves comme les cancers féminins par exemple, quand on sait combien il est important d'agir tôt ?
Pouvons-nous continuer à accepter cette souffrance psychique, toujours plus diffuse et massive, conséquence trop souvent ignorée de la précarité, et qui, en retour, l'alimente ?
Pouvons-nous continuer à accepter cette difficulté à suivre son traitement lorsque l'on est atteint d'une maladie chronique ?
Pouvons-nous continuer à accepter ces retards scolaires pour des enfants du seul fait qu'ils ne peuvent avoir droit aux lunettes dont ils auraient besoin.
Et que dire de la tuberculose ou du SIDA qui continuent à progresser dans les quartiers les plus défavorisés.
Nous pourrions poursuivre longtemps cette sombre litanie, résumée il y a quelques semaines par une étude du CREDES : un quart de nos concitoyens a déjà renoncé au moins une fois à se faire soigner pour des raisons financières.
En réalité, deux grands obstacles se dressent devant nous pour "garantir à tous la protection de la santé"" comme le proclame le préambule de la constitution de 1946?
Le premier est lié aux difficultés d'accès à la protection sociale de nombre de nos concitoyens.
Combien méconnaissent leurs droits ou renoncent à les faire valoir devant la complexité des démarches administratives.
Combien en sont juridiquement exclus -comme ces mineurs en rupture de familles - dont ils demeurent pourtant les ayants droits virtuels.
Combien disposent de revenus qui ne permettent ni de bénéficier de l'aide médicale, ni d'avoir une couverture complémentaire pour faire face aux coûts du ticket modérateur ou du forfait hospitalier. Des millions de Français, vous le savez, sont dans cette situation.
Le second obstacle, c'est l'inadaptation des structures de prévention et de soins aux besoins des personnes en situation précaire.
Une inadaptation renforcée par la terrible spirale de l'auto-exclusion, entretenue par la crainte face à un système perçu comme inquiétant, ou - pire encore - par le désintérêt pour sa propre santé, quand aucune perspective d'avenir ne vous incite à y accorder de l'importance.
Le programme que le gouvernement souhaite mettre en uvre veut répondre à ces deux défis.Vous serez saisi, dès l'automne, conjointement au projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, d'un texte instituant une couverture maladie universelle pour tous. Et ce, dès l'âge de 16 ans, comme l'ont souhaité, ardemment et avec raison, les acteurs associatifs, qui, jour après jour, sont auprès des jeunes exclus.
Le projet du précédent gouvernement n'avait qu'esquissé l'intention d'étendre le champ de l'assurance maladie de base.
Nous voulons un dispositif plus ambitieux et cohérent qui intègre la création d'une couverture universelle et ses deux corollaires indispensables : la mise en place d'un système d'avances de frais largement étendu, et surtout l'instauration d'une couverture complémentaire sous conditions de ressources, visant à la gratuité effective de la prévention et à la prise en charge totale du coût des soins. Ticket modérateur, forfait hospitalier, coût des lunettes et des appareillages de dentisterie à la charge du patient, ne devront plus être des obstacles à l'accès aux soins.
Mais dès aujourd'hui, nous vous proposons de faire progresser le droit à la santé dans ce pays.
Tout d'abord, la loi affirme la mission sociale de l'hôpital, à laquelle le programme de lutte contre les exclusions permettra de donner une réalité dans les faits.
Comme le soulignait, dans un rapport récent, le Docteur Jacques Lebas, la progression de la précarité se traduit par l'arrivée d'un nombre croissant de malades aux portes des hôpitaux, et le plus souvent auprès de services d'urgence inadaptés et surchargés, quand il faudrait au contraire du temps pour permettre à ces personnes de retisser les liens avec le système de santé.
En effet, c'est souvent vers l'hôpital que se dirigent ceux qui n'ont pas les moyens de payer pour leur santé, qu'ils soient exclus au sens du droit ou tout simplement qu'ils ne fassent pas valoir leurs droits.
L'hôpital doit aujourd'hui concilier dans le même temps sa fonction de pôle d'excellence et sa mission de lieu de recours. Redonner à l'hôpital son rôle historique d'accueil exige des adaptations structurelles, mais aussi des évolutions des mentalités et des pratiques professionnelles. Les hommes et les femmes qui font vivre chaque jour les hôpitaux sont prêts à s'engager sur ce chemin du mouvement. Ils l'ont d'ailleurs parfois anticipé.
Le gouvernement veut les y aider. Nous proposons avec Bernard Kouchner, que des dispositifs d'accueil médico-social à l'hôpital - les Permanences d'Accès aux Soins de Santé - soient généralisés. Soyons clairs, il n'est pas question d'instituer un hôpital à deux vitesses, de créer des filières spécifiques pour les plus démunis, mais au contraire de permettre les conditions de leur insertion - ou de leur réinsertion - dans les circuits de droit commun.
Ces dispositifs comprendront à la fois des consultations de médecine générales sans rendez-vous, des consultations sociales, des actions de dépistage et de prévention, et quand cela sera nécessaire la délivrance gratuite d'examens et de médicaments. Plus accueillant pour les exclus, l'hôpital sera aussi plus ouvert à la cité. Les institutions sociales, les associations humanitaires et sociales pourront y être plus présentes.
Et au-delà, c'est à l'insertion de l'hôpital dans de véritables réseaux, alliant l'ensemble des acteurs sanitaires et sociaux, que nous voulons travailler. Car si une place éminente lui revient dans ce combat pour l'égalité, l'hôpital n'en est qu'un des acteurs, à côté de tous ceux qui oeuvrent à une prise en charge de proximité, dont il faut renforcer les moyens.
C'est ce que permettra, la seconde mesure - également essentielle à mes yeux - du volet santé de ce projet de loi : l'institution sur l'ensemble du territoire de programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, qui ont pour objectif de soutenir la mobilisation des différents intervenants et de faciliter la coordination des actions.
Le Conseil Economique et Social s'est tout particulièrement félicité de cette avancée dans la contribution que vient de rendre sa section des affaires sociales sur le programme de prévention et de lutte contre les exclusions. Pourquoi des programmes régionaux ? Parce que c'est à ce niveau que doivent, de plus en plus, se dessiner les politiques de santé, comme nous le montre l'excellent travail réalisé par les conférences régionales.
Mais nous savons aussi que c'est au plus près des personnes qu'il faut évaluer les besoins. Aussi chaque département sera-t-il conduit à réaliser une analyse de la situation, à laquelle seront étroitement associés les acteurs de terrain. Ces programmes concerneront autant l'accès à la prévention que l'accès aux soins.
Car il nous paraît désormais clairement acquis que les véritables inégalités en matière de santé touchent autant - et peut-être même davantage - à la dimension préventive qu'à la dimension curative des politiques de santé. Ce constat, Médecins du monde et bien d'autres associations de terrain l'ont mis en évidence.
Ces programmes seront dotés de moyens nouveaux importants pour soutenir notamment l'émergence de réseaux "santé-social" au niveau local, afin d'assurer une véritable continuité de la prise en charge socio-sanitaire des personnes et des familles en difficulté.
Ils permettront également le soutien à des activités dans les domaines prioritaires de l'action en faveur de la santé des plus démunis: santé mentale, prévention et prise en charge des dépendances, maladies chroniques, saturnisme infantile...
Ils permettront ainsi de mobiliser l'ensemble des acteurs de la santé au profit des déshérités.Vous le voyez, c'est à un renforcement du droit effectif à la santé, dans sa conception la plus large, que le gouvernement souhaite uvrer, avec une détermination sans faille.
4 - Enfin, la lutte contre les exclusions passe aussi par l'affirmation du droit de chacun à participer à la vie de la cité.
L'exclusion est aussi, au delà du dénuement, un sentiment de ne pas compter et de ne pas avoir droit à la parole. Le droit de vote ou l'accès à la justice, grâce à l'aide juridictionnelle, en sont des illustrations symboliques : aujourd'hui, sans adresse, on ne vote pas.
Aussi, il vous est proposé d'assurer, en modifiant le code électoral, la participation de tous à la vie démocratique.
Cette mesure simple, qui permet à ceux qui n'ont plus d'adresse de se faire domicilier auprès d'associations avec lesquelles des liens auront été noués, répond à une attente forte de nos partenaires associatifs qui savent combien cette exclusion-là est particulièrement douloureuse. Cette mesure avait été inscrite dans la loi de cohésion sociale présentée par nos prédécesseurs.

II - Nous voulons ensuite prévenir les situations d'exclusion
Nous voici là au coeur du projet du gouvernement : la prévention.
Il y a là un changement de perspective particulièrement important qui doit être souligné. Jusqu'alors, l'action publique a toujours tenté de répondre à des situations statiques de pauvreté, de misère et parfois dans des conditions d'urgence. Ces réponses ont montré leurs limites.
Il s'agit aujourd'hui de prendre le problème en amont et de se mobiliser, certes pour sortir ceux qui sont dans la détresse, mais aussi pour éviter les spirales qui conduisent les plus vulnérables à toucher le fond.
Je l'ai dit : les phénomènes d'exclusion s'expliquent aujourd'hui par un enchaînement de plusieurs handicaps successifs. Ce processus peut être inversé en traitant les problèmes en amont.
1- Nous voulons d'abord garder à chacun une place dans la société.
La lutte contre les exclusions, c'est d'abord donner le sentiment à tous que nous formons une communauté solidaire qui doit se traduire dans la vie quotidienne de chacun. En un mot, il s'agit de lutter contre le sentiment de "désaffiliation".
Cette participation à la vie sociale implique l'affirmation du droit à l'égalité des chances par l'éducation et la culture. Trop longtemps, l'Etat est passé à côté de cet enjeu. Car, je l'ai dit, l'emploi n'est pas tout. Le droit à la culture est aussi le moyen de s'épanouir, de participer à la marche de la société et de la comprendre.
Ces préoccupations sont au coeur de l'action conduite par Claude Allègre, Catherine Trautmann et Ségolène Royal.
L'essentiel en la matière ne passe pas par la loi : tous les établissements, et notamment les établissements culturels ou d'enseignement, seront mobilisés pour prendre en compte cette dimension de leur mission.
Néanmoins, certaines dispositions législatives vous sont proposées, que ce soit pour modifier la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 ou pour faciliter très concrètement, par une politique tarifaire adaptée, l'accès aux pratiques culturelles partout en France.
2 - Nous voulons aussi prévenir les situations concrètes qui rendent difficile la vie des plus vulnérables et qui conduisent aux situations d'exclusion.
Les mécanismes d'exclusion ont malheureusement une logique difficile à contredire. A un ou plusieurs handicaps de départ (formation insuffisante, situation personnelle et familiale difficile, état de santé précaire) viennent s'ajouter généralement plusieurs facteurs qui déclenchent une spirale descendante : perte de l'emploi, surendettement mécanique et passif, saisie des biens, expulsion, drame familial. Les principes de solidarité et de cohésion sociale doivent conduire la collectivité à mettre en oeuvre des mesures de nature à prévenir réellement ces situations.
Pour le surendettement, la loi Neïertz de 1989, qui a produit des effets très positifs, doit être complétée car, aujourd'hui, des ménages sombrent encore dans les dettes, sans qu'aucune mesure ne les en fasse sortir.
Je voudrais rappeler ici, que lors des travaux préparatoires de cette loi, la population surendettée était estimée alors à 200 000 familles.
Depuis 1990, 630 000 demandes ont été présentées devant les commissions de surendettement, avec, notons-le, un fort accroissement du nombre des dossiers au cours des deux dernières années, près de 100 000 l'an dernier. Ces dernières années, les dossiers présentés sont ceux de personnes qui ne disposent plus de ressources durables pour faire face aux dépenses courantes et qui ont eu recours à des crédits de trésorerie pour desserrer un peu leurs contraintes budgétaires.
Aussi, la loi de 1990 doit être adaptée à ces nouveaux phénomènes qui conduisent à la pauvreté. Marylise Le Branchu, Secrétaire d'Etat aux PME , au Commerce et à l'Artisanat, a proposé cette réforme. Il s'agit en premier lieu d'améliorer le traitement du surendettement.
Ainsi, les dettes immédiatement exigibles pourront faire l'objet d'un étalement sur huit ans, au lieu de cinq ans actuellement. Cela permettra de mieux répartir dans le temps l'effort de remboursement des ménages surendettés
De nouvelles garanties sont offertes au débiteur. Il s'agit, en premier lieu, de permettre au débiteur d'avoir la possibilité d'être entendu par la commission pour exposer personnellement sa situation, au delà de l'examen d'un simple dossier administratif. Dans le même souci d'information, notre texte instaure une procédure d'établissement du passif permettant au débiteur qui conteste certaines créances d'obtenir la vérification de celles-ci par le juge. Afin de prévenir les situations de surendettement, il a été décidé qu'aucun plan ne pourra laisser au ménage des ressources inférieures à la quotité insaisissable des rémunérations. Cela permettra ainsi aux ménages de faire face aux dépenses incompressibles de la vie courante. Mais surtout, un moratoire d'une durée maximale de trois ans, avec suspension des poursuites, est prévu pour les familles les plus en difficulté.
Enfin, les procédures seront accélérées ; une vérification des créances sera instituée ; un minimum vital (le "reste à vivre") sera défini pour l'ensemble du territoire et l'éventail des solutions envisageables sera élargi.
Cette même logique d'adaptation aux besoins des plus vulnérables doit être appliquée en matière de politique du logement. Nous devons assurer un toit à chacun et, bien plus, un cadre de vie. On ne peut se contenter, en la matière, d'intentions ou de principes généraux.
Ainsi, l'action des pouvoir publics doit garantir la santé dans le logement, en luttant contre le saturnisme, cette odieuse maladie des logements insalubres et surpeuplés qui frappe d'abord les enfants.
Cela signifie aussi qu'une véritable politique de prévention des expulsions doit d'abord être menée. Les conditions d'intervention des huissiers et des forces de l'ordre, sous l'autorité des préfets, doivent être revues pour que toutes les solutions d'hébergement et, surtout, de relogement soient étudiées. Il faut imposer l'obligation de trouver des solutions adaptées pour ceux qui ne peuvent rester dans les lieux.
3 - Enfin, nous voulons assurer aux plus modestes des moyens de vie décents
Vous savez que le Premier ministre a engagé une réflexion et a demandé à Mme Join-Lambert de lui remettre un rapport sur ce sujet. Plusieurs des propositions que nous formulons reprennent les orientations de ce rapport qui a établi un diagnostic clair : il n'est pas possible de vivre dignement en France avec moins de 2000 F par mois.
Nous ne voulons pas, je l'ai dit, d'une société d'assistance qui déresponsabilise les uns et les autres. Pour autant, il faut que l'Etat, garant de la cohésion nationale, assure à chacun une aide minimale.
Il n'est pas acceptable que le pouvoir d'achat des bénéficiaires de minima sociaux, ce qui a été le cas ces dernières années.
C'est pourquoi nous avons rattrapé le retard cumulé par l'ASS et l'AI et que nous indexerons dorénavant les minima sociaux sur les prix
Il n'est pas acceptable non plus que la reprise d'un emploi se traduise par une baisse des ressources.
Il est absurde, par exemple dans le cas de l'allocation parent isolé que tout franc procuré par une activité salariée soit intégralement repris sous forme de réduction du montant de l'allocation , alors que l'on sait que la reprise d'un emploi entraîne des frais supplémentaires auxquels certains ont du mal à faire face dans les premiers mois.
Des mécanismes de cumul partiel des allocations et des revenus d'une activité professionnelle existent déjà.
S'agissant des bénéficiaires de l'ASS et du RMI qui retrouvent un emploi, le montant des allocations n'est réduit que de moitié du montant des revenus d'activité professionnelle pendant une durée de 6 mois. Un dispositif analogue existe pour le régime d'assurance chômage. Mais il faut aller plus loin
Certains parlent d'incitation à la reprise d'emploi. Il ne faudrait pas sous-entendre par ce terme que les chômeurs préféreraient vivre de leurs allocations plutôt que d'accepter des emplois qui leurs seraient offerts. C'est bien mal connaître la réalité du chômage, et les difficultés rencontrées par certains de nos concitoyens.
Dans mon esprit, il s'agit d'une compensation financière pour aider, accompagner durant quelques mois au retour vers l'emploi
Cette possibilité de cumul est insuffisante. Il faut l'approfondir, l'élargir et préparer le retour vers une situation normale de salarié
- l'approfondir, en permettant un cumul intégral pendant 3 mois du revenu d'activité salariée et de l'allocation dans la limite d'un demi SMIC
- l'élargir en étendant la durée totale du cumul à un an,
- préparer un retour à une rémunération salariée classique en prévoyant la dégressivité du cumul
Grâce à ce cumul, ils pourront faire face aux dépenses accompagnant généralement la reprise d'un emploi, parce qu'il faut s'habiller, se déplacer ou faire garder ses enfants. Il y avait là une lacune. Nous l'avons comblée
Enfin, certains bénéficiaires de minima sociaux peuvent craindre que la prise d'un emploi qui se révélerait être de très courte durée, n'entraîne des difficultés notamment pour faire rétablir le versement de leur allocation. Afin de sécuriser leur démarche de reprise d'emploi, nous veillerons à améliorer les procédures de gestion et la coordination entre les différentes caisses concernées, pour assurer dans tous les cas la continuité du versement d'un revenu minimum aux intéressés.
De même la solidarité nationale doit s'exprimer, dans certaines situations, par une aide matérielle de la collectivité.
Ceci vaut, comme je l'ai dit, pour l'accès à des biens et services fondamentaux tels que l'eau, l'électricité, le gaz et le téléphone, elle vaut aussi pour le droit à un compte bancaire. Nous mettons en place les dispositifs qui garantiront le maintien de l'accès à ces biens sans lesquels la vie normale n'existe pas et sans lesquels on passe vite d'une vie difficile à celle d'exclu
Dans cette loi, nous tirerons les enseignements du fonctionnement du Fonds d'urgence sociale décidé par le Premier ministre aux premiers jours de l'année. Ce fonds, doté d'un milliard de francs, a permis d'apporter des réponses immédiates à des personnes et à des familles en situation de détresse grave. Près de 750 000 personnes à ce jour ont déposé une demande. Grâce à une mobilisation à laquelle nous devons rendre hommage des services de l'Etat, et le plus souvent des partenaires locaux, il a été possible de répondre sans délai à des situations souvent très difficiles
Ces quelques mois de fonctionnement du F.U.S. ont confirmé la nécessité de remédier au cloisonnement et à la dispersion des dispositifs d'aide et de secours d'urgence existants. Ceux-ci sont nombreux et ne doivent plus fonctionner en ordre dispersé, au détriment de celui qui a besoin d'une aide
C'est pourquoi le gouvernement est favorable à un dispositif instaurant dans chaque département une commission de coordination des aides et secours. Ainsi quel que soit le guichet choisi par le demandeur, celui-ci procédera à un premier examen global de sa situation au regard de ses droits. Il répondra à la demande s'il est directement compétent.
Dans les autres cas, il saisira la commission de coordination des aides et secours, qui transmettra le dossier à l'instance compétente qui le traitera
Nous mettons ainsi fin à la redondance des procédures d'instruction en supprimant les risques de rupture de droits, imputables au cloisonnement entre les guichets d'aide et de secours
Nous éviterons ainsi, un parcours du combattant à nos concitoyens les plus fragiles, qui le contraint à se mettre à nu maintes et maintes fois pour exposer leur situation
III- Enfin, la troisième orientation du projet de loi doit permettre à tous les acteurs de mieux agir ensemble contre les exclusions
La prévention et la lutte contre les exclusions reposent par nature sur le déploiement de politiques sectorielles très diverses (emploi, logement, santé, éducation, culture...).
Si l'engagement de chacun des acteurs n'est pas contestable, chacun sait qu'une meilleure coordination des actions s'impose. Si cette diversité d'intervenants est une richesse, elle ne doit pas être un maquis où se perdent et s'enfouissent les meilleures idées et initiatives.
Le dispositif que vous propose le Gouvernement, par un amendement, répond à un double souci :
- pour coordonner ces différentes politiques sectorielles, un comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions sera créé.
Seront associés autour du Préfet, les représentants des différents intervenants afin d'établir un diagnostic commun des besoins, de déterminer les priorités d'action et d'assurer la mise en cohérence des nombreux programmes qui peuvent contribuer à la lutte contre l'exclusion.
Ce dispositif par sa souplesse permettra, en s'adaptant aux contextes locaux, de faire travailler en meilleure intelligence tous ceux qui ont un rôle à jouer dans ce domaine.
- au delà du département, il faut impliquer plus directement le niveau local et le niveau régional dans la lutte contre les exclusions.
Pour la région, nous proposons que le comité économique et social régional établisse annuellement un rapport sur le sujet et que le conseil régional en débatte. La région est un bon niveau pour observer ce qui se fait et elle a des compétences en matière de développement économique, d'aménagement de l'espace et de formation professionnelle qui ont leur rôle à jouer contre les exclusions.
Pour le niveau infradépartemental, nous souhaitons que les communes ou groupements de communes d'une certaine taille puissent élaborer des plans pluriannuels de prévention et de lutte contre les exclusions auxquelles contribueront les autres collectivités.
Il s'agit d'inscrire dans les territoires qui constituent le cadre de vie quotidien des populations les différentes politiques sectorielles conduites à d'autres niveaux et qui contribuent au niveau local à la lutte contre les exclusions.
Il faut aussi que les acteurs de terrain se sentent soutenus dans leurs missions quotidiennes. C'est pourquoi il vous est proposé de consolider le statut de plusieurs professions sociales, notamment pour ce qui concerne la formation des travailleurs sociaux.
De même, les CHRS qui jouent un rôle essentiel seront renforcés puisque 500 M.F. leur seront consacrés sur la période 1998-2000.
Une action efficace passe aussi par une analyse exacte de la réalité. L'exclusion, je l'ai dit, a changé. Il est temps que la France dispose d'un outil efficace pour prendre, en connaissance de cause, les décisions qui s'imposent. C'est l'objet de l'Observatoire des exclusions sociales dont nous proposons la création. Les constats auquel il parviendra seront naturellement un élément des débats que nous aurons ensemble au Parlement.
Ensuite, l'échec des politiques publiques en matière d'exclusion depuis vingt ans appelle une remise en cause des modes d'action et, en particulier, des structures administratives concernées. Il y a là un vaste débat que je souhaite engager avec vous car votre expérience est déterminante en la matière. Il me semble que ces questions peuvent être éclairées par trois séries de réflexions :
- en premier lieu, loin de toute approche centralisée de ces questions, il convient à mon sens de valoriser un traitement par l'initiative locale des difficultés de nos concitoyens. La commune, les structures de coopération intercommunales sont sans doute des échelons incontournables pour trouver des réponses adaptées et innovantes. Les PLIE que nous souhaitons généraliser, en sont une illustration parfaite.
- en deuxième lieu, il faut, ensemble, dépasser les frontières strictes des compétences des différents intervenants pour privilégier des partenariats efficaces sur le terrain. Cela se passe déjà ainsi un peu partout en France. C'est un chantier délicat de long terme.
- en dernier lieu, le rôle de l'Etat dans ce partenariat doit être affirmé pour que le principe républicain d'égalité soit garanti. Là où l'initiative locale faillit, l'Etat doit être le garant de la cohésion nationale. Ne nous le cachons pas : il y a là un équilibre difficile à trouver. C'est néanmoins dans cette direction que je souhaite travailler avec vous.
Enfin, lorsque toutes les mesures préventives ont échoué, lorsque les filets de sécurité dont nous disposons ont été impuissants, alors, nous devons faire face à des situations d'urgence. Le mouvement des chômeurs a permis de prendre conscience de l'inadaptation de certains dispositifs et nous avons répondu rapidement à ce défi. Le projet de loi que nous examinons est l'occasion d'en tirer les leçons.
L'idée est d'utiliser ces situations extrêmes pour bâtir ensemble une solution de redémarrage. Le dispositif de veille sociale qui est institué n'aura dons pas pour mission de servir de simple guichet.
Un réel travail de fond, entre les différents services de toutes les administrations devra être entamé, pour déboucher sur des solutions solides, au delà des réponses immédiates.
Mesdames et messieurs,
La marche en avant de notre société n'est qu'un mirage quand elle ne se mesure qu'à l'aulne de la croissance des richesses produites et qu'elle ignore l'exclusion des hommes. A chaque fois qu'un homme sombre, c'est une brèche supplémentaire qui s'ouvre dans la cohésion sociale
Le gouvernement a décidé de prendre toute la mesure des situations intolérables vécues par les plus démunis
Madame Geneviève De Gaulle Anthonioz définissait bien, dans une récente interview, le sens de notre défi . Je la cite
"Jusqu'à présent notre société -quatrième puissance mondiale- n'avait pas conscience de son devoir. Elle ne voyait pas qu'elle laissait des gens derrière elle. Désormais, les rapports entre les gens peuvent changer. (...)
Désormais, les exclus vont pouvoir se dire : "Il est possible que je trouve un emploi ou je peux me soigner". Ou encore "Je peux accéder à un logement". C'est cela le changement. (...) Notre société est prête au partage. L'essentiel, pour les plus pauvres, est qu'on reconnaisse leur valeur et leur dignité
C'est pourquoi, le texte de loi qui vous est aujourd'hui soumis propose à l'ensemble de nos concitoyens un pacte social pour l'avenir
Pour vivre, ce pacte a besoin de la mobilisation de tous.
Si l'on exige de chacun le travail et l'effort en faveur de l'essor économique de notre pays, acceptons d'être collectivement responsables des défaillances de notre société, donc responsables de l'exclusion et de la détresse des plus fragiles d'entre nous. La maturité de notre société se jugera à la mesure de cette exigence
Etat, élus, associations, entreprises, doivent se mobiliser. Arrêtons de nous renvoyer la balle, les uns et les autres. Il faut sortir de ce face à face stérile et privilégier le côte à côte, la mise en commun de nos forces en faveur d'une prise en charge réelle de la prévention et de la lutte contre l'exclusion
Notre objectif est clair. Au delà de la solidarité de la nation à l'égard de nos concitoyens en grande détresse, nous devons surtout leur garantir les moyens d'en sortir
La cohésion sociale repose sur l'adhésion collective à une communauté de valeur et de destin.
C'est la République qui nous unit en une même volonté de vivre ensemble. Elle demeure le fondement de l'égalité des chances et la base de l'intégration.
Mais les principes républicains ne parlent plus à une grande partie de nos concitoyens. Pourquoi ? Parce qu'ils n'en voient plus le sens dans leur vie quotidienne.
Quand pour certains, la république n'existe plus qu'au fronton de nos mairies, c'est l'équilibre sur lequel est fondé notre pacte démocratique et social qui est en danger
Droit à l'emploi, droit à la santé, droit au logement, droit à la solidarité, voilà les principes. Chômage, maladie, expulsion, précarité, voilà la réalité pour des millions de nos concitoyens.
Il faut restaurer l'égalité des droits, l'égalité d'accès aux droits. Vous l'aurez compris, ce texte que j'ai l'honneur de vous soumettre au nom du gouvernement, renoue avec un combat historique de cette Assemblée : la République pour tous
Pas un seul d'entre nous ne doit manquer dans cette bataille.

(Source http://wwwsig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 septembre 2001)