Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la dégradation de la qualité de l'eau due principalement à de mauvaises pratiques agricoles, sur le projet de loi de transposition de la directive-cadre sur la politique de l'eau, sur l'importance économique de l'agriculture et sur les plans d'actions visant à en limiter les pollutions, Rouen le 21 mars 2003.

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Circonstance : Colloque national de l'association Familles de France sur le thème " Les enjeux de l'eau pour les familles : prix, qualité, environnement, santé " à Rouen le 21 mars 2003

Texte intégral


Monsieur le Président, cher Henri JOYEUX,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Président de l'Académie de l'Eau, cher Marc GENTILINI,
Monsieur le Président de l'Institut européen d'Ecologie, cher Jean-Marie PELT,
Mesdames, Messieurs,

C'est avec beaucoup de plaisir, cher Président JOYEUX, que je réponds à votre invitation ce matin, à Rouen. Familles de France est une grande et belle fédération familiale. Familles de France est fortement implantée dans le monde rural et nous partageons - je crois - une vision commune de cette société que chacun de nous participe à construire.
En sollicitant ma présence à ce colloque consacré à l'eau, c'est autant - j'en ai bien conscience - au Ministre chargé des Affaires rurales qu'au Ministre de l'Agriculture que vous faites appel. La solidarité à l'égard de tous les concitoyens, la construction d'une France unie -
ce qui ne veut pas dire une France uniforme - est une ardente obligation que le Président de la République a placée au coeur de son ambition pour la France. Toutes les familles doivent aujourd'hui être placées en situation d'égalité s'agissant de leur accès à l'eau.
Ces dernières années, la qualité de l'eau s'est dégradée et l'agriculture a fait l'objet de sévères critiques de l'opinion publique. J'en suis conscient, même si la multiplication des attaques me paraît injuste.
" Jusqu'à ce que la douleur ne lui enseigne, l'homme ne sait pas quel trésor est l'eau ", écrivait déjà Lord BYRON. Malgré des efforts significatifs des collectivités territoriales, le service de l'eau en milieu rural demeure souvent d'un niveau inférieur à celui offert en milieu urbain. Paradoxalement, la sécurité des approvisionnements et de leur qualité, n'est pas assurée de façon égale et permanente. Dans de nombreuses communes, la question du renouvellement des réseaux se posera, à court terme, lorsque ne se pose pas déjà la question de leur entretien. Une récente étude montre qu'en France, près de 60 % des communes et des réseaux ont un taux de fuite supérieur à 20 %.
En 2001, j'ai commandé aux services du Conseil général de la Savoie, que je présidais alors, une étude sur le coût de l'eau. Si chaque commune tenait une comptabilité distincte incluant tous les coûts de fonctionnement, le renouvellement du patrimoine sur 60 ans et les investissements jugés de première priorité, le prix de l'eau s'élèverait en moyenne à 3,41 euros dans les communes de moins de 500 habitants et à 0,63 euros dans les communes urbaines. L'écart de prix au m3 se situe donc dans un rapport de 1 à 6.
Ainsi les motivations qui, en 1954, conduisirent à la création du Fond National pour le Développement des Adductions d'Eau (FNDAE), outil de redistribution et de péréquation, conservent-elles toutes leur pertinence. Alimenté par une contribution payé sur le m3 consommé, ce fond a permis de financer l'adduction d'eau potable dans toutes les zones rurales. 50 ans après sa création, l'objectif est pratiquement atteint. Toutefois, la nécessité de renouveler les réseaux et de mettre en place des systèmes d'assainissement justifie sa prolongation. Car les recettes du PMU contribuaient pour près de 50 %, aux recettes du FNDAE. Or, le législateur a dû renoncer à cette recette, afin de respecter les injonctions de Bruxelles.
Au moment où une étape nouvelle de la décentralisation se prépare, il m'a paru pertinent de renforcer les prérogatives des Conseils généraux sur ce dossier de l'eau. Le département me semble, en effet, un échelon pertinent pour l'action de proximité et la redistribution des ressources. C'est également le bon niveau pour inciter à une gestion plus solidaire de l'eau, sur les plans quantitatifs et qualitatifs. L'eau restera durablement - n'en doutez pas - un élément clé pour l'avenir de nos territoires.
Aussi nous faut-il trouver une recette nouvelle pouvant être accordée aux Conseils généraux, pour leur permettre de garantir un accès à l'eau égal et solidaire dans le monde rural.
Si un facteur divise désormais la France par rapport à l'eau, c'est, avant tout, la question de la qualité.
Les évolutions constatées depuis le début des années 90, s'agissant de la qualité des eaux souterraines et superficielles se confirment : nitrate, eutrophisation, micro-polluants sont autant de symptômes d'une dégradation sournoise, que vient accentuer le développement d'installations et d'activités qui ont insuffisamment pris en compte la préoccupation d'un développement durable du territoire.
Face à cette situation, de mieux en mieux appréhendée grâce au développement des réseaux de mesure, la nécessité de concilier usage de l'eau et protection des milieux aquatiques se trouve réaffirmée. C'est d'ailleurs, tout l'enjeu de l'application de la loi sur l'eau de 1992 et de la directive européenne d'octobre 2000. Toutes deux nous obligent à envisager le retour, à l'horizon 2015, à un bon état écologique des cours d'eau et masses d'eau souterraines.
La Ministre de l'Ecologie et du Développement durable, ma collègue, Roselyne BACHELOT-NARQUIN, vient de présenter au Conseil des ministres, un projet de loi procédant à la transcription de cette directive en droit français.
Ce nouveau cadre et le mouvement de décentralisation engagé requièrent sans doute une nouvelle loi. C'est dans cet esprit que le Ministère de l'Ecologie et du développement durable lance un grand débat national sur l'eau. Une première étape nationale est engagée depuis le début de l'année. Elle a permis de développer des contacts bilatéraux au niveau des principaux représentants institutionnels.
La seconde étape impliquera les instances de bassin, les régions, les départements, voire les commissions locales de l'eau.
Comme le montre le rapport de l'Institut Français de l'Environnement (IFEN), les non-conformités des eaux ont souvent plusieurs causes. Par ailleurs, ces causes de non-conformités sont d'importance inégale : les nitrates, les polluants organiques et minéraux semblent être des causes mineures par rapport aux bactéries et résidus de pesticides. En revanche, les dégradations de la qualité liées aux pesticides et plus encore, aux nitrates présentent, toujours selon l'IFEN, une distribution géographique très limitée mais sont à l'origine de non-conformités qui perdurent plus longtemps que celles liées aux facteurs bactériologiques.
Cela ne signifie pas que la situation présente, en principe, un danger immédiat pour la santé publique. Les valeurs-seuils de référence, très basses, intègrent, en effet, une importante marge de sécurité pour le consommateur.
Mais, cette situation est révélatrice d'une contamination progressive des eaux naturelles par des éléments indésirables dont l'impact sur l'espace et dans le temps est variable.
Cette situation appelle, évidemment, une prise de conscience collective et une prompte réaction des pouvoirs publics.
Depuis plusieurs années, les investissements individuels et collectifs se sont multipliés. Mais l'évolution des attentes de la société, les crises qui ont frappé nos filières et la confiance que les Français placent dans leur alimentation obligent désormais l'agriculture à renouveler ses références et ses pratiques.
En moins de cinquante ans, l'agriculture française a su relever le défi que la société française lui avait lancé au lendemain de la guerre. Grâce à l'appui de la recherche, et notamment de l'INRA, à l'implication des organisations professionnelles et au soutien de politiques publiques dynamiques, les agriculteurs ont fait de notre pays - on l'oublie trop souvent -, le deuxième exportateur mondial de produits agricoles et le premier exportateur de produits agroalimentaires transformés. Son secteur aval offre désormais des produits abondants, diversifiés et à moindre coût. Ainsi, le poste consacré à l'alimentation ne représente-t-il plus qu'environ 15 % des dépenses des ménages, contre encore plus de 30 % en 1960.
Tout en préservant sa compétitivité, l'agriculture européenne doit désormais répondre à des exigences accrues en termes de sécurité, de qualité et de protection de l'environnement. Elle doit également assurer la pérennité des exploitations et la progression du revenu des agriculteurs. Elle doit enfin offrir, dans toute la mesure du possible, la même qualité de vie à ceux qui l'ont choisie qu'au reste de la société. Améliorer la qualité de nos produits, garantir leur composition, préserver un environnement rural dynamique et " écologiquement responsable " doit nous permettre de conserver des parts de marché et d'en conquérir de nouvelles. J'observe, d'ailleurs, que celles et ceux qui ont intégré les premiers ces préoccupations de préservation de l'environnement et de sécurisation des processus ont toujours gagné les batailles qui les opposaient à leurs concurrents.
Cette meilleure prise en compte du développement durable passe par des objectifs précis et des actions pragmatiques.
La mise en oeuvre progressive des démarches d'agriculture raisonnée devrait donner un nouvel élan à cette politique. Elle ne constituera pas -
j'en conviens - une réponse unique, mais aura vocation à s'adresser au plus grand nombre.
" Rassurer le consommateur, moraliser les pratiques, sécuriser les opérateurs, reconnaître les pratiques des agriculteurs ", sont à la fois une ambition et un défi.
Le mode opératoire retenu pour l'agriculture raisonnée repose sur le volontariat des agriculteurs et sur une logique d'initiative, qui vient valoriser les efforts accomplis, dans le cadre des relations entre l'agriculture et ses clients.
Cet outil repose sur l'adhésion des agriculteurs et sur la reconnaissance par les consommateurs et la société des efforts qui ont été accomplis.
Le référentiel de l'agriculture raisonnée constitue un socle commun à toutes les productions :
D'une part, il représente pour les opérateurs une base solide sur laquelle ils peuvent fonder des démarches propres à chaque produit, qu'il s'agisse de ses caractéristiques ou de son mode de production.
Le référentiel offre, d'autre part, aux organismes de conseil et de développement une référence commune pour l'élaboration de leurs actions. Il leur permettra d'aider les exploitations à se situer par rapport au référentiel et à se mettre en conformité avec ses exigences.
Dans le monde de l'industrie, du commerce, de l'artisanat et des services, la certification ISO 14 000 a déjà conquis ses lettres de noblesse. Elle ne concerne pourtant qu'environ 5 % des entreprises. Celles qui ont franchi ce pas ont fait l'expérience d'un retour sur investissement rapide. Cette démarche leur a, en effet, permis d'améliorer leurs méthodes, de remettre en cause leurs pratiques et finalement de faire des économies plus substantielles que l'investissement requis pour parvenir à la certification.
Le référentiel agricole n'existant pas dans la démarche ISO 14 000, la démarche agriculture raisonnée vient pallier à cette carence.
Naturellement, là où la situation l'exige, des actions plus contraignantes devront être conduites. C'est le cas dans les zones d'excédents structurels en azote et dans les zones vulnérables. Les plans d'actions et le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) sont autant de réponses que peut apporter mon Ministère. Ainsi, au 31 décembre 2002, plus de 100 000 agriculteurs ont déposé dans les Directions Départementales de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF) une déclaration faisant part de leur intention de s'engager dans le PMPOA. C'est là un signe encourageant d'une prise en compte croissante par les agriculteurs de ces problématiques.
S'agissant des pesticides et autres toxiques, la connaissance progresse. Elle conduit à des évolutions dans les pratiques et à des remises en cause dans les Autorisations de Mise en Marché (AMM). D'ores et déjà, certains produits se sont vus retirer les Autorisations de Mise en Marché, d'autres connaîtront, sans doute, le même sort dans le futur.
Je souhaite enfin que les programmes de l'enseignement agricole, à tous les niveaux de formation, abordent plus complètement ces questions et concourent ainsi à une amélioration significative de la bonne application de ces produits.
Je ne terminerai pas ce propos sur l'eau sans évoquer les problèmes quantitatifs. Ceux-ci sont récurrents dans certaines régions françaises. Je pense, par exemple, au bassin Adour-Garonne ou Rhône-Méditerrannée-Corse. Mais l'évolution des techniques et des cultures met l'agriculture au banc des accusés dans bien d'autres régions. La mise en place des comptages produit les effets psychologiques attendus et se traduit par une baisse significative des quantités prélevées.
Les réflexions actuellement conduites par mes services sur l'évolution de la Politique Agricole Commune (PAC) associent naturellement les services du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable. Le retour à de bonnes pratiques agronomiques, telles que la rotation d'assolement, le choix de variétés ou d'espèces moins exigeantes en termes de consommation d'eau, l'évolution de la recherche scientifique doivent nous permettrent de limiter la consommation d'eau par l'agriculture.
J'entends ici et là parler de taxation nouvelle. Je souhaite que chacun réfléchisse bien au rôle de nos paysans dans la société française, à leur place et donc au revenu que nous voulons leur assurer. Fragilisée sur le plan économique, déstabilisée sur le plan moral par de trop fréquents changements de politique agricole, l'agriculture n'assure plus aujourd'hui un renouvellement satisfaisant des générations. Ici et là, le patrimoine des Français se dévalue, parce que la déprise gagne.
A travers votre organisation, je peux interpeller le consommateur et le citoyen. A travers le débat sur l'eau et l'agriculture, ce sont à la fois les questions de l'agriculture française, de son devenir, de ses modèles et de ses apports à la société qui doivent être posées.
Car, le débat sur les pratiques des agriculteurs nous renvoie directement à des choix politiques plus fondamentaux. L'agriculture s'est adaptée au cadre que la société lui a fixé. Evitons donc de rechercher des boucs émissaires et assurons ensemble les choix qu'il nous faut faire pour garantir son avenir !
Mesdames, Messieurs,
Avec Roselyne BACHELOT-NARQUIN, nous ne cessons de répéter que notre combat est commun. Parce que l'environnement a besoin de l'entretien de notre agriculture, des paysages et des sols et parce que l'agriculture a besoin d'un environnement de qualité, nous n'avons d'autre choix que de réconcilier ces préoccupations. Nous n'avons, ni l'un, ni l'autre la volonté de masquer ou de nier la réalité. L'état de la planète nous préoccupe, mais nous ne devons pas oublier que la planète commence sous nos pieds. " L'eau n'est pas nécessaire à la vie " comme l'écrit SAINT-EXUPERY dans Terre des hommes, " l'eau, c'est la vie ". Nous avons, l'un et l'autre, la volonté de construire un équilibre plus harmonieux pour la société, pour les territoires, pour l'homme car il n'y a, en vérité, que ce combat qui vaille, celui de l'homme et de sa destinée.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 25 mars 2003)