Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur les enjeux de l'outre-mer dans le domaine énergétique notamment le défi du développement durable et l'utilisation des énergies nouvelles dans les DOM-TOM, Paris le 15 mai 2003.

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Circonstance : Colloque organisé à l'UNESCO le 15 mai 2003 sur le thème "Energies renouvelables et choix énergétiques"

Texte intégral

Mesdames et messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames, messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je me joins à vous aujourd'hui, pour aborder un sujet qui revêt une grande importance pour l'outre-mer. Je remercie tout particulièrement André Antolini, qui connaît bien nos collectivités d'outre-mer et qui a pour elles un grand attachement.
Je crois qu'il n'est pas fréquent qu'un ministre de l'outre-mer participe aux travaux de votre congrès. Je me réjouis donc de l'occasion qui m'est donnée d'apporter un éclairage particulier sur les projets et les innovations menés outre-mer dans le domaine des énergies renouvelables. Car l'outre-mer offre des potentialités extraordinaires, et dans ce domaine comme dans d'autres, nos collectivités ultramarines apportent à la France une chance supplémentaire et un enrichissement certain.
Mon intervention se situe également au moment où le projet de loi-programme pour l'outre-mer va être examiné par le Parlement. Or, ce projet comporte plusieurs dispositions intéressant le développement des énergies renouvelables, que je serai donc heureuse de vous présenter.
Je souhaiterais tout d'abord rappeler les enjeux de l'outre-mer dans le domaine de l'énergie.
- L'outre-mer français est composé de 10 collectivités, représentant 20 % du territoire français et 96 % de sa zone économique exclusive. Les besoins en énergie y sont très divers : de Saint-Pierre et Miquelon ou des Terres australes et antarctiques à Mayotte, en passant par le climat tempéré de la Nouvelle-Calédonie, l'outre-mer représente géographiquement des climats, des activités et donc des besoins en énergie variés. Sa population de 2 millions 200 000 habitants connaît une croissance de 2 à 10 fois supérieure à celle de la métropole : les besoins en énergie croissent rapidement, entre 4 et 12 % par an, alors qu'aucun réseau électrique n'est interconnecté.
Le développement des énergies renouvelables permet à l'outre-mer de répondre à deux défis majeurs : celui de la sécurité énergétique et celui du développement durable.
En l'absence d'interconnexion des réseaux électriques, la question de la sécurité de l'approvisionnement énergétique et de l'indépendance énergétique est posée avec une acuité particulière. Or, les énergies renouvelables disponibles sont très nombreuses outre-mer : le soleil bien sûr, l'eau, je pense en particulier à la Guyane, la géothermie avec l'activité volcanique, l'éolien avec les alizés, et la biomasse, principalement constituée à ce jour de la bagasse, issue de la canne à sucre. La valorisation des déchets incinérés permet aussi de produire une quantité intéressante d'énergie.
Cette diversification permet à nos collectivités d'outre-mer de relever plus facilement le défi de l'indépendance énergétique en valorisant leurs propres ressources naturelles. Elles font preuve d'une plus forte implication qu'en métropole. Plusieurs d'entre elles, comme la Guadeloupe, la Réunion ou les collectivités du Pacifique, ont mis en place des partenariats et des outils de promotion de ces technologies.
D'une façon générale, nos régions d'outre-mer sont chargées de l'élaboration d'un plan régional des énergies renouvelables et d'utilisation rationnelle de l'énergie qui les placent au cur des décisions stratégiques.
Le deuxième défi est celui du développement durable.
Les conséquences du réchauffement climatique par les gaz à effet de serre sont particulièrement préoccupantes outre-mer. Certains équilibres peuvent en être affectés, une modification de la pluviométrie pouvant accroître les effets des sécheresses, ou plus grave encore, augmenter la fréquence et la puissance des cyclones. L'élévation du niveau de la mer pourrait aussi conduire à rayer de la carte certaines îles et à aggraver les risques littoraux alors que la présence humaine s'est de tous temps concentrée sur le littoral de ces territoires.
L'outre-mer se doit donc d'apporter une contribution significative à la politique de développement durable de la France.
- Et je dois souligner que toutes les collectivités d'outre-mer ont pleinement pris conscience de ces enjeux :
Je voudrais ainsi vous donner quelques exemples, parmi les plus marquants, d'utilisation de ces nouvelles énergies en outre-mer.
Je citerai en premier lieu, la Guadeloupe, que vous venez d'honorer en remettant à Lucette MICHAUX-CHEVRY le trophée des énergies renouvelables. La croissance de la demande en électricité dans ce département a été supérieure à 30 % sur les cinq dernières années.
La Guadeloupe est sans doute la collectivité de France la plus avancée dans la mise en uvre des énergies renouvelables, car elle dispose d'une gamme complète de ces nouvelles sources, des niveaux élevés en particulier pour la biomasse, la géothermie, l'hydraulique, voire même l'éolien.
C'est la première collectivité, à ma connaissance, a avoir signé, en juin 1999, l'Agenda 21 régional de France, qui l'engage dans un développement durable et significatif des énergies renouvelables.
A l'initiative de la collectivité et de l'ADEME, un plan régional pour la maîtrise de l'énergie a été mis en place avec des résultats reconnus sur le plan national, mais aussi en Europe et dans la Caraïbe.
Le schéma de service collectif de l'énergie de la région Guadeloupe prévoit qu'en 2006, 25 % de l'énergie seront produits à partir d'énergies renouvelables.
Concrètement, la plupart des sources d'énergies renouvelables ont d'ores et déjà commencé à être valorisées avec l'appui d'EDF et de l'ADEME.
430 000 tonnes de bagasse sont utilisés à la place du charbon par la centrale thermique du Moule pendant la saison de la canne à sucre, de février à mai. En 2000, la production d'électricité par cette centrale, à partir de la bagasse, s'est élevée à 75 GWh (gigawattheure).
La Guadeloupe possède également des marges de croissance dans le domaine de la géothermie. La progression de l'utilisation de cette énergie et les innovations technologiques réalisées grâce à un partenariat actif avec EDF a favorisé l'extension de la centrale géothermique de Bouillante, dont la puissance est passée de 4,4 MW (mégawatt) à 20 MW.
Compte tenu de ce savoir-faire, la Guadeloupe peut devenir un centre d'expertise et d'exportation dans la zone Caraïbes, le Pacifique et l'océan Indien qui bénéficient des mêmes conditions climatiques. D'ores et déjà, le Gouvernement de Sainte-Lucie a décidé de faire appel aux compétences de la société géothermique de Bouillante pour l'étude détaillée d'un projet d'équipement.
Les fermes éoliennes en Guadeloupe représentent enfin une puissance installée de 16,5 MW, avec là aussi de nombreux projets en préparation.
A la Martinique, l'utilisation de l'énergie issue du solaire thermique a permis à 13 000 foyers d'être équipés de chauffe-eau solaire. Ces installations sont appelées à se développer.
La bagasse, comme en Guadeloupe, est utilisée depuis longtemps comme combustible dans les chaudières des sucreries et distilleries. A moyen terme, la méthanisation des vinasses des distilleries pourrait être une source d'énergie exploitable.
L'incinération des déchets permet de produits 42 GWh (gigawattheure) par an.
En Guyane, c'est bien sûr l'énergie hydroélectrique qui est la plus valorisée, puisque le barrage de Petit-Saut, avec 116 MW de puissance installée, fournit près de 70 % de l'électricité consommée. Il faut signaler également l'importance du photovaltaïque, solution particulièrement adaptée aux sites isolés.
Quant à la Réunion, l'énergie hydraulique et l'importance de la production sucrière qui est à l'origine de la valorisation très ancienne de la bagasse, permet à l'île d'atteindre un niveau de près de 40 % d'électricité " renouvelable ". Alors que des recherches en matière de géothermie sont en cours, l'énergie solaire est exploitée, tant pour la production d'eau chaude (15 000 foyers équipés) que pour l'énergie électrique dans les sites isolés. L'éolien devrait aussi connaître des développements prometteurs en étant associé à la bagasse de l'usine de Bois-Rouge.
Tous ces efforts sont essentiels à mes yeux pour l'avenir des collectivités d'outre-mer. Il faut donc les poursuivre et les amplifier.
Ils ont permis de donner naissance à plusieurs entreprises qui exportent une part croissante de leur activité dans leur environnement régional et sans doute rapidement au-delà. Je profite de cette occasion pour féliciter et encourager tous ceux qui y contribuent, et je sais qu'ils sont nombreux aujourd'hui dans cette salle.
Les pouvoirs publics, et l'État en particulier, doivent apporter leur concours au développement de ce secteur d'activité essentiel. Car, lorsque l'État intervient dans la promotion du développement durable, il faut savoir, qu'outre-mer, il contribue aussi à créer des emplois dans des collectivités où le taux de chômage dépasse les 20 %.
- C'est pourquoi le projet de loi-programme pour l'outre-mer, que j'ai l'honneur de présenter au nom du Premier ministre, améliore et renforce le dispositif existant, notamment le niveau des aides financières actuellement en place.
Ce projet de loi, qui a été adopté en Conseil des ministres le 12 mars dernier, et que le Parlement va examiner ces jours-ci, prévoit de nouvelles mesures sociales et fiscales pour favoriser la relance de l'investissement dans ce domaine.
Tout d'abord, il assure aux acteurs économiques un cadre stabilisé sur 15 ans en matière de défiscalisation dont le dispositif est profondément rénové, pour mieux prendre en compte les contraintes auxquelles sont confrontés les investissements outre-mer, mais aussi en matière d'allègement du coût du travail.
S'agissant des exonérations de charges sociales, l'effort engagé par l'État est poursuivi et amplifié. C'est ainsi que pour les entreprises du secteur des énergies renouvelables, l'exonération à 100 % du paiement des cotisations à la charge des employeurs, au titre de la législation de sécurité sociale, dans la limite d'un montant de rémunération égal au salaire minimum de croissance est majoré de 40 % et ce, quel que soit l'effectif de l'entreprise.
En ce qui concerne la défiscalisation, l'éligibilité à l'aide fiscale devient la règle générale. Non seulement le secteur des énergies renouvelables est et reste éligible, mais pour tout investissement dans ce domaine, les taux de base de réduction d'impôt de 50 et 60 % seront majorés de 10 points, ce qui représente une réduction de 20 % du coût de l'investissement.
Dans le secteur du logement, une majoration de 4 points sera accordée lorsque les logements sont alimentés à partir de l'énergie solaire : cette aide permet de couvrir la totalité du surcoût lié à l'installation de chauffe-eau solaire. Je souhaite au travers d'une telle mesure que l'équipement en chauffe-eau solaire devienne la règle générale pour tous les logements neufs.
Je précise enfin que le bénéfice de l'abattement d'un tiers des résultats provenant d'exploitations situées dans les départements d'outre-mer est étendu à toutes les entreprises éligibles à l'aide fiscale à l'investissement et qu'une simplification est introduite dans l'instruction des demandes qui constituait jusqu'à présent un frein important à la défiscalisation.
Ces mesures sont un effort important en faveur de l'investissement privé.
Je voudrais en conclusion souligner l'intérêt du développement des énergies renouvelables outre-mer pour le rayonnement de la France.
Les technologies élaborées dans les installations exploitées outre-mer, que ce soit au niveau de l'exploitation de la bagasse, des éoliennes conçues pour être démontables en cas d'alerte cyclonique, des unités de production de panneaux solaires, des technologies développées pour la géothermie ou la valorisation énergétique des déchets, toutes ces réalisations peuvent trouver leur application dans des pays voisins aux caractéristiques géographiques et climatiques similaires. Au-delà, l'expérience acquise par les entreprises sur le marché ultramarin, leur permettra d'affronter leurs concurrents dans de meilleures conditions, de poursuivre leur développement à l'international et aussi de participer à la mise en uvre de projets de coopération régionale dans la Caraïbe, l'océan Indien et le Pacifique.
Il est clair que la promotion des énergies renouvelables suscite la créativité et la recherche de solutions originales et l'outre-mer français, dans ce domaine, est à la pointe de la modernité. Il constitue un véritable laboratoire pour notre communauté nationale.
Qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités, il faut reconnaître que tous les acteurs s'impliquent fortement dans la promotion de ces énergies renouvelables outre-mer. La demande est croissante et le marché de l'outre-mer a incontestablement un caractère porteur.
Il ne me reste donc plus qu'à vous inciter à venir y investir et à y développer vos activités dans ces secteurs, qui sont tout à fait prometteurs.
Je vous remercie de votre attention..
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 16 mai 2003)