Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur la reconnaissance pleine et entière des DOM et des régions ultra-périphériques dans l'Union européenne et dans le respect de leur spécificité et sur les principaux points du projet de loi de programmation, à Bruxelles le 19 mai 2003..

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Circonstance : Journée EURODOM à Bruxelles (Belgique) lee 19 et 20 mai 2003

Texte intégral

Monsieur le Commissaire,
Messieurs les secrétaires d'État chargés des Affaires européennes d'Espagne et du Portugal, chers collègues,
Messieurs les présidents des régions ,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Directeur Général ,
Monsieur le délégué général d'Eurodom ,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je me trouve à vos côtés aujourd'hui à Bruxelles pour ouvrir ces deux journées d'intenses réflexions sur l'état et les perspectives des relations entre l'Union européenne et nos départements d'outre-mer.
Il n'échappe à aucun d'entre nous que nous sommes en train de vivre un moment capital de la construction européenne. D'ici un an, dix nouveaux Etats membres auront rejoint l'Union qui se sera dotée entre temps d'une véritable Constitution. Et pour nos départements d'outre-mer, régions ultrapériphériques (RUP) de l'Europe, il en découle l'ardente obligation de rappeler leur spécificité. Non seulement pour faire valoir leurs handicaps de nature permanente mais également pour prouver à l'Europe continentale combien ils peuvent être sources de richesses.
La reprise de l'actuel article 299 paragraphe 2 du Traité dans la future Constitution européenne est ainsi un enjeu primordial pour nos départements d'outre-mer mais aussi pour les Canaries, les Açores et Madère qui constituent les régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne. Nous souhaitons que la reconnaissance des RUP et du principe d'adaptation de l'ensemble des politiques communautaires à leur réalité soient ainsi définitivement intégrés dans le droit primaire européen et soient considérés comme l'un des socles de la construction européenne. Parce que cela n'est pas seulement important pour les RUP, ça l'est aussi pour l'ensemble du projet européen. Comme j'ai eu l'occasion de l'écrire dans une tribune de presse à l'occasion de la Journée de l'Europe du 9 mai : " des règles uniformes et bureaucratiques censées régir une population indifférenciée dans un environnement banalisé ne conviennent pas plus à l'outre-mer qu'à l'Europe que souhaitent construire les Européens ".
Il est permis aujourd'hui d'être optimiste quant aux chances de voir le contenu de l'actuel article 299-2 repris dans la partie la plus stable, la plus difficile à réviser, du futur Traité. Je tiens à remercier ici le Commissaire BARNIER pour son engagement personnel dans ce combat pour l'outre-mer. Et je sais aussi pouvoir compter sur son appui pour que demain Mayotte devienne une RUP. L'évolution institutionnelle de cette collectivité départementale l'y destine. Le Président de la République a écrit dans ce sens au président de la Commission, Romano PRODI.
Mais il ne suffit pas de permettre à l'article 299-2 de survivre dans le futur Traité. Il faut aussi approfondir sa mise en uvre. Le Conseil européen de Séville de juin 2002 a donné mandat à la Commission d'y réfléchir et d'en faire rapport au Conseil européen de la fin de cette année. C'est dans cette perspective qu'avec l'Espagne, le Portugal et les 7 RUP concernées, nous préparons un mémorandum commun que nous remettrons tous ensemble au Commissaire Barnier à la Martinique où nous nous retrouverons dans deux semaines à l'invitation de M. Alfred MARIE-JEANNE, président de la région Martinique et actuel président de la Conférence des RUP.
C'est dans la même logique de reconnaissance des spécificités et des handicaps propres aux RUP, dans le respect des principes communautaires, que j'ai proposé le 14 avril dernier à la Commission, lors d'une démarche effectuée conjointement avec les présidents des régions d'Outre-Mer, de maintenir après la date du 1er janvier 2004 le régime fiscal de l'octroi de mer. J'ai expliqué au Commissaire BOLKESTEIN combien nous étions attachés à l'idée de faire évoluer le système pour qu'il puisse être réellement adapté à la réalité du tissu économique de nos DOM et y permettre le développement des activités productives. J'ai l'impression d'avoir été entendue et notre souhait est de disposer au début de l'année prochaine d'un régime de l'octroi de mer à la fois souple dans sa mise en uvre -respectant en particulier le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales- et durable. J'ai demandé en effet que le nouveau régime soit décidé pour 15 ans. Cette durée de 15 ans correspond à celle de la loi programme que j'aurai, après-demain, le grand honneur de présenter devant le Parlement.
Je rappellerai ici que cette loi de programme pour l'outre-mer traduit les engagements du Président de la République en faveur d'un développement durable de l'outre-mer, à la fois conçu en terme de rattrapage avec la métropole et fondé sur une logique d'activité et de responsabilité et non pas d'assistanat. Après l'égalité sociale, la loi de programme doit contribuer à construire outre-mer un modèle de développement cohérent, valorisant ses atouts pour réaliser l'objectif d'égalité économique, étape ultime de l'accès à la pleine citoyenneté de chacun notamment par l'accès à l'emploi.
Cette loi procède de trois idées fondatrices :
la création d'emplois durables doit être mieux encouragée, afin que les économies ultramarines soient en mesure d'offrir, notamment aux jeunes, de vrais emplois dans le secteur marchand,
la relance de l'investissement privé doit être renforcée, grâce à un dispositif de soutien fiscal qui suscite véritablement l'initiative,
la demande de continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole doit être mieux prise en compte.
C'est sur ce troisième point que j'insisterai ici.
Cette question est de plus en plus sensible et la demande de nos compatriotes d'outre-mer pour une meilleure efficacité des liaisons entre ces régions et l'Europe doit être prise en compte. Comment en effet l'Europe peut elle développer des outils d'aide à la structuration d'un réseau européen de transport sans que soit appréhendé le rôle de la commission vis à vis des liaisons vers les régions ultrapériphériques. Les niveaux de tarifs actuels dissuadent nombre de nos compatriotes de développer des échanges culturels, économiques ou familiaux. A l'instar de ce qui a déjà été mis en place par Le Portugal, l'Espagne et bientôt la France, il me semble indispensable que l'Europe s'engage dans une politique de rapprochement de ses citoyens avec ceux qui sont les plus éloignés de ses centres d'activité.
Des outils existent, au travers des fonds structurels, d'autres sont peut-être à créer pour que cette volonté des États européens s'exprime de façon plus lisible. Je souhaiterais que la commission puisse nous faire part de ses orientations dans ce domaine et les pistes que nous pourrions approfondir.
Enfin, il me paraît difficile de parler de l'outre-mer sans évoquer sa contribution considérable à la présence de l'Europe dans le monde et en particulier en Guyane pour assurer son développement dans le domaine du spatial. Quel secteur d'activité est plus emblématique que celui du spatial pour fédérer les peuples. Les ministres européens chargés de l'espace aborderont d'ailleurs ce point le 27 mai prochain. Le projet de base spatiale internationale, l'importance stratégique que représente une autonomie pour l'Europe dans ce domaine ont amené le président Jacques CHIRAC à évoquer avec ses homologues européens et le président russe la création d'une base pour le lanceur SOYOUZ à KOUROU. Il s'agit d' un nouveau moteur pour la coopération avec la Russie et il me paraît important que la commission européenne ne soit pas absente de ce projet.
Le renforcement des services et de l'usage des technologies de l'information et de la communication (TIC) outre-mer peut être également considéré comme un élément de la politique de continuité territoriale qui contribuera au développement de l'outre-mer français. Ainsi, un certain nombre de dispositions relatives à la défiscalisation et aux exonérations de charges contenues dans le projet de loi programme pour l'outre-mer viendront aider utilement les entreprises de ce secteur en plein essor. Par ailleurs, je compte adresser au Premier ministre un certain nombre de propositions spécifiques aux RUP dans le cadre du prochain " comité interministériel de la société de l'information " qui devrait se tenir en juillet prochain.
Les TIC sont aussi un bon vecteur de diffusion du savoir-faire de ces collectivités d'outre mer dans leur environnement régional dans des domaines d'excellence comme la formation, l'éducation, la santé, etc
D'une façon plus générale, l'outre-mer fournit un atout significatif à la recherche européenne dans la compétition mondiale. Il apporte le potentiel de ses immenses territoires océaniques, sa biodiversité spécifique, sa situation tropicale, son insertion dans des mondes très différents caribéen ou indianocéanique. Il nous appartient -et je sais combien ce thème est cher à Michel BARNIER- de valoriser avec l'appui des fonds européens, ce potentiel, et de l'offrir à nos partenaires européens moins bien dotés, en même temps qu'un maillage relativement dense de laboratoires dont les travaux sont reconnus par la communauté scientifique internationale.
Je ne peux terminer mon propos sans aborder les secteurs agricole et halieutique, d'une importance capitale pour l'économie et la société ultramarines, mais d'une fragilité particulière tant à cause de facteurs internes organisationnels et structurels, que de facteurs externes tels que leur plus grande vulnérabilité à la concurrence internationale. Si l'appartenance de nos départements d'outre-mer à l'Union européenne leur permet de bénéficier de soutiens spécifiques en terme d'appui à la production et à l'organisation des marchés, cette appartenance sous-entend aussi le respect des réglementations et des contraintes communautaires plus lourdes que celles qui pèsent sur leurs voisins immédiats.
Aussi, lorsqu'en juillet 2002, puis en janvier 2003, la Commission a rendu public ses propositions relatives à la révision à mi-parcours de la réforme de la politique agricole commune, l'inquiétude a été vive dans le milieu agricole français métropolitain et ultramarin. Le Gouvernement français, par la voie de son ministre de l'agriculture, Hervé GAYMARD, s'est immédiatement opposé à la mise en oeuvre d'une telle réforme. Ce qui est vrai pour la métropole, l'est encore plus pour l'outre-mer. C'est la raison pour laquelle par anticipation, et sans pour autant préjuger de la tenue ou non d'une réforme de la PAC cette année, nous avons jugé utile de rédiger, avec l'Espagne et le Portugal, un texte commun à ce sujet. Les inquiétudes, les interrogations suscitées par le document de la Commission pour la métropole et l'outre-mer, sont, je crois, révélatrices d'un certain décalage, en particulier, entre la perception depuis Bruxelles et la réalité du terrain ultramarin. Sans revenir en détail sur le contenu des propositions de la Commission, on peut citer parmi les principaux sujets qui posent problème :
le principe du découplage total et systématique des aides.
la dégressivité et la modulation.
le principe de conditionnalité.
et surtout, le versement d'avances de certaines aides communautaires qu'il est particulièrement important de préserver.
Il me paraît indispensable de vérifier préalablement si ces mesures ne sont pas en contradiction avec l'esprit des aides actuellement octroyées, en particulier pour compenser des handicaps structurels. Nous avons déjà eu l'occasion, à différentes reprises, d'indiquer à la Commission que nous souhaitons que des études préalables à toutes propositions de réformes ou de mise en uvre de grandes politiques communes, soient disponibles afin que chacun puisse évaluer, en connaissance de cause, d'une part, les propositions faites par la Commission, et d'autre part, les adaptations suggérées et demandées par les Etats membres. C'est à ce prix, je pense, que les orientations adoptées au niveau communautaire seront mieux perçues et mieux comprises par les premiers bénéficiaires que sont nos concitoyens
Permettez-moi, à présent de m'arrêter quelques instants sur quelques grandes filières agricoles de l'outre-mer français.
Je voudrais réaffirmer, ici, toute l'importance que revêt aux yeux du Gouvernement français, la filière " ananas " dans nos DOM et plus particulièrement à la Martinique. Les autorités françaises ont apprécié que la Commission accepte, l'an passé, de soumettre aux autres Etats membres, la validation de la première année du programme de soutien à la production et la transformation d'ananas martiniquais, dans le cadre du POSEIDOM. Grâce aux orientations suggérées par les services de la Commission, en particulier concernant le marché du frais et l'enveloppe budgétaire, les professionnels ont travaillé avec l'administration française pour présenter un nouveau programme pluriannuel à compter de 2003. Je souhaite que ce programme qui sera transmis très prochainement à la Commission, puisse être adopté afin de permettre à l'ensemble des acteurs de cette filière de retrouver des perspectives et une meilleure stabilité.
Concernant la banane, il me semble important d'insister sur la nécessité de mettre en commun nos réflexions pour adapter l'Organisation commune des marchés de la banane, afin de tenir compte, en particulier, des prochaines échéances communautaires et internationales. A cet égard, la Commission doit présenter un rapport au Parlement et au Conseil, avant fin 2004, et nous souhaitons que le débat avec les Etats membres soit le plus ouvert possible. Au niveau français, Hervé GAYMARD et moi-même avons organisé, le 5 février dernier, une journée de concertation avec l'ensemble des acteurs de la filière, de la production à la distribution. Quatre groupes de travail ont ainsi été constitués ; ils vont travailler en 2003 sur différents thèmes concernant le volet interne et le volet externe de l'OCM Banane. Vers la fin de l'année, la France devrait être ainsi en mesure de faire des propositions constructives en vue d'améliorer le fonctionnement de cet OCM. Je dois souligner que depuis que j'ai la charge du ministère de l'outre-mer, les relations avec la Commission et les autres Etats membres concernés par ce dossier " banane ", sont excellentes. Hervé GAYMARD et moi-même avons trouvé, une écoute qui nous permet de travailler tous ensemble aux mesures propres à soutenir cette production, dans le respect des règles communautaires, et en tenant compte de l'évolution d'un marché extrêmement fluctuant. J'en veux pour preuve, l'adaptation du niveau de l'avance sur l'aide compensatoire au dernier trimestre 2002, ou, plus récemment la demande d'un complément d'aide. Au delà de nos intérêts communs mais aussi parfois concurrents, nous avons su travailler en étroite collaboration pour la défense de la banane communautaire, qui ne représente, ne l'oublions pas, qu'un tiers des bananes consommées par l'Union ; ce qui mérite bien que l'on s'attache à la défense de nos producteurs.
La filière " canne - sucre - rhum " est un des autres secteurs essentiels de l'agriculture de l'outre-mer. Les positions adoptées récemment par certains pays producteurs et exportateurs de sucre au sein de l'Organisation mondiale du commerce, ont ravivé les inquiétudes de nos professionnels, dont l'horizon était déjà obscurci par le spectre de la révision de l'OCM " sucre ", et l'initiative " Tout sauf les armes " prévoyant l'ouverture à taux nul, du marché communautaire en 2006, au sucre de canne des pays les moins avancés. Je tiens à souligner que les autorités françaises seront particulièrement attentives à l'évolution de ce marché, aux conditions de production et à la défense des intérêts des producteurs ultramarins.
Concernant cette même filière, je voudrais saluer les efforts constructifs de la Commission qui ont permis la reconduction, en 2002 et jusqu'en 2009, du régime fiscal spécifique au rhum des DOM. Cette mesure est très positive et , comme nous en sommes convenus, il faudra en faire régulièrement le bilan afin d'apporter, si besoin était, quelques adaptations pour poursuivre l'élan et le dynamisme retrouvé.
Je voudrais terminer par la filière " pêche ", à laquelle nous attachons une importance particulière, car elle représente un potentiel de développement qui nous fait défaut au niveau continental. De la même façon que j'évoquais la PAC précédemment, la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) a été engagée sans que la situation des régions ultrapériphériques n'ait été réellement prise en compte. Il me semble que l'on ne doit pas se contenter de la seule déclaration adoptée lors du Conseil " Pêche " de décembre dernier, qui, tout en validant les grandes orientations de la PCP, indiquait qu'il était nécessaire de tenir compte de la spécificité des RUP. Comme cela a été dit par Hervé GAYMARD, nous considérons qu'il est nécessaire de tenir compte des spécificités ultramarines, en particulier concernant la gestion durable des stocks halieutiques qui ne peut se concevoir, selon nous, qu'au plan régional, avec l'adaptation des capacités de pêche dans ces zones et la priorité d'accès à la ZEE qui doit être accordée aux pêcheurs locaux. L'organisation prochaine à la Réunion, des premières assises de la pêche de l'outre-mer français, montre le dynamisme des professionnels de cette filière, extrêmement mobilisés et attentifs aux négociations communautaires.
Je me félicite de cette occasion qui m'a été donnée aujourd'hui, devant une assistance si prestigieuse, de vous faire part de ce que j'ai déjà appelé " l'ambition européenne de l'outre-mer ".
Cette ambition se fonde sur une conviction : celle que le retard de développement, la dépendance et l'assistanat ne sont pas une fatalité. Notre action est résolument volontariste, destinée à rattraper économiquement et socialement les niveaux atteints en métropole, à développer une logique d'activité et de responsabilité, à restaurer la dignité de chacun par le travail.
Cette ambition est exigeante envers l'Europe.
Nos DOM n'en attendent pas seulement des financements même si ceux-ci appuient significativement leur développement. Ils espèrent surtout une reconnaissance de leur place pleine et entière dans l'Union et dans le respect de leur spécificité. Ils veulent que les Européens prennent conscience de ce qu'ils apportent à une Europe qui, sans ses RUP, se retrouverait cantonnée dans d'étroites frontières, se priverait d'une dimension océanique capitale, s'amputerait de cette part d'universalité indispensable à l'appréhension d'un monde en constante évolution
J'ai ce matin devant moi sans doute les meilleurs spécialistes des affaires européennes qui concernent l'outre-mer. Et sans doute aussi ses meilleurs avocats. Vous connaissez parfaitement les mécanismes de la prise de décision communautaire, ce maquis de règlements et de directives si touffu pour le non-initié. Mais souvent, la complexité technique des dossiers fait perdre de vue les objectifs. Cette grande uvre qu'est la construction européenne ne doit pourtant pas se dissoudre dans l'étendue de la tâche à accomplir. Nous devons tous être vigilants pour conserver à la construction européenne sa dimension humaine. Et la prise en compte des problèmes et de la spécificité de l'outre-mer nous incite justement à ce surcroît d'humanité !

(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 20 mai 2003)