Discours de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, sur le BTP, "cette première entreprise de France" et l'évolution de ce secteur avec le devenir de la TVA à taux réduit dans l'entretien du logement, la réforme du code des marchés publics, le recrutement et la formation dans le secteur, Paris le 10 avril 2003.

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Circonstance : Assemblée générale de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du Bâtiment (CAPEB) à Paris le 10 avril 2003

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les délégués,
Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre accueil, vous-même et les 600 délégués que vous réunissez pour votre assemblée générale. Je vous remercie pour les propos que vous venez de tenir montrant, certes sans cacher les préoccupations, voire les inquiétudes, l'importance et la qualité du dialogue entre les pouvoirs publics et votre confédération.
Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour dire combien en tant que ministre de tutelle du BTP, j'y suis sensible, combien je souhaite être à l'écoute de ceux que vous présentez fort justement comme " la première entreprise de France ".
Avec 93 milliards d'euros de chiffres d'affaires, plus des deux tiers étant réalisés par les artisans, le secteur du bâtiment représente un acteur majeur de l'économie nationale.
L'emploi salarié total du bâtiment progresse en 2002, grâce aux entreprises artisanales. Vous avez contribué pour plus des trois-quarts à la croissance du nombre des salariés du secteur de 1998 à 2001 inclus, soit 80 000 personnes sur les 105 000 supplémentaires du secteur.
L'activité de l'artisanat du bâtiment est restée à un niveau élevé en 2002 et devrait le rester en 2003, les carnets de commande représentent à l'heure actuelle près de 6 mois de travail pour le gros uvre et 5 mois pour le second oeuvre.
Nous le savons tous, l'un des points-clés pour l'évolution de la conjoncture dans ce secteur sera le devenir de la TVA à taux réduit dans l'entretien du logement, au terme de l'expérimentation engagée fin 1999 et prolongée d'un an pour 2003.
Comme toutes les questions fiscales, c'est un sujet difficile pour l'Union européenne, car il nécessite l'accord unanime de tous les États-membres. La position du gouvernement français est claire, ferme et déterminée. Il a demandé la pérennisation de cette mesure qui en France a fait ses preuves (46.000 emplois créés durablement), et a présenté une argumentation vigoureuse et argumentée à cet effet.
Le gouvernement, je puis vous le dire avec un peu de solennité, ne ménagera pas ses efforts pour obtenir cette prolongation. C'est en effet une excellente mesure.
D'abord pour nos concitoyens qui ont pu améliorer leurs logements qu'ils l'occupent ou qu'ils le louent, grâce à ce dispositif incitatif avantageux, mais surtout simple sur le plan administratif.
C'est une excellente mesure pour l'activité, et donc pour la croissance économique, laquelle n'aurait pas besoin dans le contexte actuel de signaux négatifs. C'est une bonne mesure pour l'emploi, et elle a aussi, j'en suis convaincu, un effet positif dans la réduction du travail dissimulé.
Je suis -par fonctions- raisonnablement optimiste sur les chances de succès. Vous pouvez d'ailleurs nous aider par votre rôle de persuasion auprès des fédérations professionnelles étrangères. Et si, pour, je ne sais quelle raison européenne supérieure, nous n'y parvenions pas, le gouvernement aurait la même détermination pour examiner d'autres dispositifs euro-compatibles aboutissant au même résultat.
Vous avez rappelé votre souhait de voir la politique du logement équilibrée entre la production d'une offre nouvelle et la rénovation du parc existant. Vous avez totalement raison.
Il faut produire de nouveaux logements, au moins 320.000 par an disent les experts de l'INSEE pour assurer le renouvellement du parc, accompagner l'évolution démographique de notre pays. Nous souffrons aujourd'hui du retard qui a été pris ces dernières années en ne produisant que 300.000 logements par ans.
Mais nous devons aussi être attentifs aux 30 millions de logements existants, une formidable richesse économique et culturelle de notre pays. Ossature de nos villes, ils en font le charme. Enfin, et c'est l'essentiel, ils logent nos concitoyens.
Le gouvernement a pris ou va prendre un certain nombre de mesures pour favoriser l'entretien ou la rénovation.
Vous avez évoqué le diagnostic technique du logement. Dans le cadre du projet de loi sur l'Habitat que je présenterai au parlement cet automne, je prévois de simplifier et généraliser l'ensemble des obligations de diagnostic qui s'imposent au vendeur. Il faut un diagnostic unique et global qui informe parfaitement l'acheteur.
Acheter son logement, c'est l'investissement de toute une vie. Il est indispensable que l'acquéreur connaisse exactement la qualité du bien et qu'il puisse planifier les futurs travaux qu'il aura à réaliser. Je suis convaincu que ce "simple" accès à l'information préalablement à la vente aura un impact fort sur la qualité de nos logements.
Vous avez, par ailleurs, évoqué les crédits de l'Agence Nationale pour l'Amélioration de l'Habitat. Je me suis battu avec votre aide pour que son budget soit maintenu en 2003 au niveau de 2002. Et nous y sommes parvenus : le budget voté par le Conseil d'Administration était effectivement identique à celui de 2002.
Depuis, le gouvernement, dans un contexte économique et international défavorable, a été obligé de geler, voire d'annuler des crédits. Il ne s'agit là que d'une mesure conjoncturelle pour répondre à une situation qui est exceptionnelle.
Lors des entretiens de l'ANAH que j'ai récemment clôturés, le Président de l'ANAH m'a indiqué qu'il mettait à l'étude les mesures qu'il convenait de prendre pour que l'Agence traverse cette passe difficile. Je lui fais totalement confiance pour nous proposer les mesures les plus efficaces possibles pour conserver à l'ANAH toute son efficacité.
J'ai présenté la semaine dernière un nouveau dispositif d'amortissement fiscal pour développer l'offre locative. Il s'applique aux constructions neuves, mais j'étudie avec Francis Mer et Alain Lambert les conditions de l'extension de ce dispositif au parc ancien. Il est aujourd'hui trop tôt pour vous présenter le détail des mesures qui sont encore en cours d'élaboration. Mais je puis vous dire que l'objectif de cette ouverture à l'ancien est de remettre sur le marché des logements qui ne sont plus loués et surtout plus louables.
Notre cible est clairement les logements vacants depuis de nombreuses années et les logements dégradés qui nécessitent un important volume de travaux pour pouvoir de nouveau être loués. Il s'agit là d'une véritable "révolution fiscale".
Je terminerai, sur le logement, par la décentralisation. Le Premier ministre a indiqué que les crédits d'aide à la pierre seraient délégués par les préfets de région aux départements ou aux agglomérations qui en font la demande et qui se sont dotées d'un Programme Local de l'Habitat.
Notre objectif est clair, il est de rapprocher les décideurs du terrain pour que, dans le cadre d'orientations nationales, les décisions correspondent aux attentes et aux besoins des habitants.
Je suis convaincu que cette délégation de compétence permettra sur le plan local de mettre en oeuvre une politique équilibrée entre la construction neuve et la rénovation du parc existant, car l'élu local saura mieux reconnaître la qualité du patrimoine existant que le niveau national..
J'en viens maintenant, Monsieur le Président, au projet de réforme du Code des marchés publics qui est, pour vous, source d'inquiétude.
Il s'agit à ce stade d'un projet de décret, certes rendu public, mais dont l'examen interministériel vient à peine de s'engager. Il répond à un objectif important de simplification, la réforme précédente s'étant révélée inapplicable pour de nombreux maîtres d'ouvrage, notamment à travers les questions très subtiles de nomenclature pour déterminer les seuils. Il me paraît d'intérêt général de corriger ces difficultés.
Le cabinet du Premier ministre a demandé à mon département ministériel de recueillir l'avis des professionnels du BTP et de la construction sur ce projet de décret. C'est le sens d'un courrier que la DAEI vient d'adresser aux principales fédérations professionnelles. Nous examinerons avec attention les observations qui nous serons faites, et ferons si nécessaire les propositions qui s'imposent.
D'ores et déjà, je constate comme vous que le relèvement des seuils déclenchant les procédures d'appel d'offre inquiète les entreprises, dans la mesure où, sous le seuil, elle ne semble plus leur donner les garanties de transparence, de publicité, de mise en concurrence qui permettent d'éviter en principe l'arbitraire et l'opacité.
De ce point de vue, vous posez une vraie question que j'essaierai de faire prendre en compte dans la suite des travaux interministériels.
Vous exprimez également des inquiétudes à propos de formules nouvelles qu'il est convenu d'appeler les partenariats publics-privés dont vous redoutez que vos entreprises se trouvent exclues.
Ces formules se sont répandues en Europe et nous n'avons pas de raison spéciale pour rester, en France, à l'écart de ce mouvement. Ces formules présentent en particulier l'intérêt d'apporter des réponses financières d'origine privée à certains types de commandes publiques et conduisent à la concrétisation rapide de projets qui, à défaut de ces financements, ne pourraient pas aisément voir le jour.
Le gouvernement a déjà pris de telles dispositions pour pouvoir répondre rapidement aux besoins immobiliers de la Justice, des forces de sécurité et des armées. Mais d'autres besoins de même nature peuvent surgir dans d'autres secteurs ; vous en avez vous-mêmes cité quelques-uns.
C'est bien essentiellement pour répondre à ces cas de figure que sont recherchées les adaptations des textes devant permettre les partenariats publics-privés.
On peut également songer à des cas où l'investissement doit s'accompagner d'une gestion ou d'une maintenance de longue durée des ouvrages justifiant que les exigences de la gestion ultérieure soient prises en compte dès la conception.
En tout cas, c'est bien sur ces orientations à la fois très spécifiques et très circonscrites que travaille le gouvernement et non pas sur la formule banalisée que vous paraissez redouter et qui aurait en quelque sorte vocation à se substituer aux formes éprouvées du marché public ou de la délégation de service public.
Il s'agit de permettre la réalisation de projets qui ne se seraient pas faits sans ce type de montage innovants, ou du moins concernent des maîtres d'ouvrage qui auraient de toute manière travaillé avec une entreprise générale. A mon sens, ces procédures ne risquent donc guère de déplacer l'équilibre qui existe en France, et qui - je le rappelle - a donné une place majeure à l'artisanat dans la construction.
S'agissant des difficultés rencontrées par des entreprises sous-traitantes dans le secteur de la maison individuelle, vous m'aviez effectivement signalé le problème lors de notre entrevue en février dernier.
Lors du passage au Sénat du projet de loi DDUHC, le 27 février, j'ai indiqué que l'amendement présenté par plusieurs sénateurs risquait, faute d'une rédaction assez précise, de conduire à d'autres difficultés, et que je m'engageais à trouver une solution dans le cadre d'une concertation plus large pendant le temps des navettes parlementaires.
Alors même qu'une réunion de concertation était programmée, le Sénat a voté un amendement quasi identique le 27 mars dernier dans un autre texte, contre l'avis du Gouvernement, vous l'avez rappelé.
Une première réunion a déjà eu lieu avant-hier, 8 avril, à la DGUHC. Elle a permis de recueillir les points de vue de tous les partenaires de la construction, mais aussi de dégager des pistes de solution aux problèmes rencontrés par les sous-traitants, qui vont maintenant pouvoir être approfondies et mises en oeuvre le plus rapidement possible.
Je salue la volonté de votre organisation de collaborer aux chantiers de normalisation, marquage CE des produits et nouvelles normes de calcul des structures dites " eurocodes ".
Les changements les plus importants se produiront dans les 2 à 3 ans à venir. Il faut que les entreprises artisanales s'y préparent dès maintenant car ce sont elles qui les appliqueront, dans un premier temps en parallèle avec les règles nationales actuelles, puis de manière définitive. Il conviendra de mettre à disposition des artisans des solutions types et des règles nouvelles pour la conception et la réalisation des ouvrages qu'ils réalisent couramment. Les moyens en formation et en information sont très importants à mobiliser dans les délais impartis.
La question de la refonte des DTU (" Documents Techniques Unifiés ") pour les adapter à l'avancement du marquage CE est aussi un chantier considérable sur lequel nous avons commencé à travailler. J'espère dans les semaines ou mois qui viennent pouvoir mettre en place un dispositif à la mesure de cet enjeu européen.
Je voudrais revenir sur la question de la qualification d'entreprise et celle du devenir de Qualibat qui vous préoccupe tout particulièrement.
En dépit des progrès accomplis ces dernières années, j'ai bien compris qu'il y a encore des sujets de débat sur le fonctionnement de Qualibat. Je partage l'idée qu'il est nécessaire d'affermir les bases sur lesquelles repose Qualibat et de poursuivre l'action pour améliorer son efficacité et, bien sûr, son indépendance.
Les travaux de normalisation, démarrés en 2002 sous l'égide de l'Afnor, devraient permettre une nouvelle avancée dans ce sens.
A ce stade, et sans préjuger de l'issue de ces travaux de normalisation, les discussions me paraissent aller dans le bon sens. Tous les acteurs concernés semblent avoir la volonté d'aboutir et un consensus s'est déjà fait autour de l'idée essentielle de fixer des exigences élevées pour garantir l'indépendance des organismes de qualification, cette indépendance étant un des moyens pour garantir l'impartialité des décisions et le traitement non discriminatoire des postulants à la qualification.
D'autres questions ne relèvent pas forcément de la normalisation. Elles devraient au premier chef être réglées d'abord par les intéressés eux-mêmes, c'est-à-dire les administrateurs de Qualibat. Cela pourrait par exemple concerner la régionalisation accrue de l'organisme à laquelle je ne suis pas, pour ma part, défavorable sous réserve toutefois de bien en mesurer les incidences financières et sociales et de commencer par un test dans quelques régions.
Mon représentant au Conseil d'administration, avec le statut de commissaire du gouvernement, que vous avez évoquée, continuera -sans se substituer aux organisations professionnelles- à peser pour une évolution si possible consensuelle, bien sûr maîtrisée, mais dont l'orientation est claire, car la qualification d'entreprises doit contribuer au management de la qualité et constitue donc un enjeu suffisamment important pour que toutes les parties en assurent le succès.
Je voudrais évoquer, enfin, le thème du recrutement et de la formation dans votre secteur. Je sais que vous avez rencontré, depuis 2000, d'importantes difficultés de recrutement de main d'oeuvre qualifiée. Ces difficultés se réduisent depuis octobre dernier, mais il nous faut rester très vigilant. En effet, le défi que votre profession aura à relever d'ici 2010, avec les nombreux départs à la retraite, est considérable.
Le recrutement de nouveaux salariés n'est pas évident et mérite une attention particulière. Il s'agit de mobiliser aujourd'hui, tous ceux -jeunes et moins jeunes- qui sont susceptibles d'intégrer vos entreprises.
Il faut pour cela communiquer et faire savoir que les métiers du bâtiment sont des métiers d'avenir.
Soyons conscients que l'attractivité des métiers du bâtiment ne relève pas que de campagnes d'image mais aussi et surtout, d'éléments objectifs tels que les conditions du travail, la prévention des risques, les salaires et avantages sociaux, les perspectives de retraites...
L'opération " 15.000 défis emploi-formation " qui a permis d'embaucher et former sur deux ans près de 3.000 personnes montre qu'il n'y a pas de fatalité. Il nous faut travailler ensemble sur cet enjeu majeur.
Des premiers pas ont déjà été faits par le Gouvernement pour vous aider :
l'adoption en août 2002 de la loi sur le " Contrat Jeunes en entreprise ", qui ouvre des perspectives d'avenir à des jeunes de 16 à 22 ans, peu ou pas qualifiés. Je me félicite d'ailleurs de l'accord que vous avez signé, le 12 février 2003, avec les partenaires sociaux pour faciliter la mise en oeuvre de cette mesure dans les entreprises artisanales du bâtiment ;
l'assouplissement des conditions de mise en oeuvre de la loi sur les 35 heures et le nouveau dispositif d'allégement des charges sociales ;
le projet de loi sur l'initiative économique en cours de discussion au Parlement qui devrait faciliter outre la création, la transmission des entreprises à laquelle vous êtes particulièrement attaché pour préserver votre tissu artisanal.
Soyez assuré, Monsieur le Président, de mon plein appui et de l'implication de mes services dans toutes ces initiatives qui s'inscrivent dans la durée. Car, ce sont ces initiatives qui bâtiront l'artisanat de demain.
La longueur de mon propos vous l'indique, nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Nous avons "du pain sur la planche".
A vous qui êtes la France qui se lève tôt, je vous le dis très directement, j'ai besoin de vous pour mettre en oeuvre au quotidien, au cur de nos villes et de nos campagnes, la politique que nous élaborons. Sans, vous, elle ne sera bien souvent que des mots.
Je sais pouvoir compter sur votre soutien, comme j'espère vous avoir convaincu que vous pouvez compter sur votre ministre.
Je vous remercie.
(Source http://www.logement.equipement.gouv.fr, le 11 avril 2003)