Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Alors que je commence mon cinquième déplacement en Corse en onze mois au Ministère de l'Intérieur, je ne veux pas vous dissimuler mon émotion. Après avoir beaucoup écouté, rencontré, discuté, échangé, réfléchi, hésité le moment est venu pour le Gouvernement d'assumer ses responsabilités en proposant à la Corse une stratégie pour l'action, pour le développement, et, pour la paix.
Je suis venu aujourd'hui au devant des élus et des forces vives de la Corse. Ce matin, à Ajaccio, cet après midi à Bastia. Je viens vous parler de l'avenir de votre île dans notre République. Chacun d'entre vous est donc concerné et devra prendre ses responsabilités. Parce qu'il s'agit de la "question corse" qui n'a trouvé aucune réponse satisfaisante depuis 28 ans, et, qui donne à beaucoup en Corse comme sur le continent le sentiment que cela va de mal en pis, le Premier Ministre viendra tout à l'heure ici même pour dialoguer et pour s'adresser à tous les corses. La présence à mes côtés de Maurice Ulrich, conseiller personnel du Président de la République, témoigne de l'implication déterminée des plus hautes autorités de l'Etat. La Corse doit sortir d'un immobilisme qui n'a pu enrayer le sous développement, la montée incessante de la violence, et, la persistance de divisions qui font ici plus encore qu'ailleurs des ravages.
Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont tenté de régler les problèmes de la Corse en essayant de traiter les problèmes au fur et à mesure qu'ils surgissaient. Convenons simplement, sans accuser personne, car la question est très difficile, qu'aucune approche n'a été concluante. Tous les gouvernements ont été accusés - par les corses comme par les non corses - tour à tour d'indifférence voire de mépris, de méconnaissance, d'autoritarisme, ou au contraire de collusion. Preuve que la question corse est extraordinairement complexe et qu'il nous faut tous faire preuve de modestie. Mais la difficulté ne doit pas une fois encore condamner la Corse à l'inaction.
Le Gouvernement ne peut accepter d'abandonner les Corses si nombreux à espérer et à se reconnaître dans la République. Renoncer serait un formidable gâchis pour cette région qui a tous les atouts pour réussir. Il faut faire preuve de détermination, d'imagination et même d'audaces. La Corse le mérite.
Convenons aussi que tout gouvernement qui se penche sur la question est immédiatement suspecté, d'emblée, d'arrières pensées non avouées.
La bataille commence sur la sémantique : y-a-t-il un dossier corse ? une question corse ? un,ou des problèmes corses ? Dès les premiers mots prononcés, la polémique commence et prend le pas sur toute démarche positive. Mais pendant que l'on palabre à l'infini, le temps passe et la Corse continue à accumuler des retards qui lui coûtent cher jusqu'au jour où chacun aura définitivement perdu espoir, sur l'île et sur le continent. Ce jour-là il sera trop tard pour tout le monde. Il n'y aura que des regrets, le Gouvernement préfère mobiliser les Corses autour d'espoirs ! C'est pourquoi il a choisi d'agir.
Le gouvernement ne se résoud pas, ne se résigne pas, n'accepte pas la situation actuelle.
Il ne s'agit pas de noircir le tableau, mais d'être lucide. Il ne s'agit pas d'entonner la liturgie du drame, du désespoir, de la déchirure, pour pleurer aux côtés de la Corse sur ses difficultés. Il s'agit, avec calme, de regarder les choses en face : un chômage persistant, des villages dépeuplés, des entreprises fragiles, une violence quotidienne, une opinion divisée, une jeunesse inquiète car sans perspective. Ceci c'est la réalité. Elle est réelle, tangible, quotidienne ! Et comme si cela ne suffisait pas, il y a de surcroît le manque de confiance de ceux qui ont été déçus par tout et par tous. Une défiance qui alimente sans fin la nostalgie du passé, puisque l'avenir est si incertain. A quoi bon croire puisque nous avons été si souvent déçus ? Cela aussi je l'ai entendu, et, je le porte en moi davantage comme un appel au sursaut que comme l'expression d'un ressentiment.
Nous ne sommes pas venus décréter la confiance, qui ne se décrète pas. Nous sommes venus vous proposer de la reconstruire en demandant aux Corses de bâtir l'avenir de l'île sur des bases nouvelles.
Quelle a été notre démarche ? Tout d'abord parler de la Corse en Corse, et d'en parler au présent.
Il est facile de parler de la Corse à partir de ce que l'on entend, de ce que l'on a lu, de ce que vous disent ceux qui vous en parlent. Tant de choses ont été dites et écrites que l'on pourrait croire inutile de refaire le voyage, et décider tranquillement, à l'abri de bureaux parisiens, de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Notre choix n'a pas été celui là : il a été celui de revenir à la rencontre de la Corse aussi souvent que nécessaire, pour sentir les choses autant que pour les comprendre. Je l'ai dit et je persiste : c'est ici, au milieu de vous tous, que l'on apprend la Corse et que l'on peut le mieux en parler. Depuis près d'un an, je suis venu cinq fois en Corse, c'est la deuxième fois que le Premier ministre y sera. Bien sûr, des réunions se tiennent à Paris, en toute transparence, avec les élus, mais elles préparent celles qui se tiennent ici et qui sont irremplaçables. Je me suis tenu à la méthode que j'avais annoncée. Les choses ont pu se passer en toute transparence. Elles sont assez compliquées pour que l'on n'y ajoute pas l'opacité. Vous connaissez tous mes convictions, je connais les vôtres, cela m'a permis de tenir le même discours à chacun de mes interlocuteurs. C'est une forme de respect auquel je tiens. Donner sa part de vérité avec le courage qu'impose les circonstances, sans faux semblants, et, sans les habiletés d'usage qui ont beaucoup exacerbé la défiance. Voici ce que j'ai souhaité faire.
Le deuxième choix et il n'était ni habituel ni aisé, est celui de partir du présent. C'est à dire de considérer que le processus de Matignon avait existé. Mais également qu'il n'avait pas tout résolu, loin de là. Convenons qu'il aurait sans doute été plus confortable de faire mine de repartir à zéro, et de vouloir tout réinventer, ou bien tout défaire pour pouvoir prétendre tout reconstruire. Cela aurait certainement occupé plusieurs mois et encore du temps perdu. Cela n'a pas été notre choix. Le processus de Matignon a été une étape importante pour la Corse même s'il n'a pas abouti, et cela parce que beaucoup de problèmes tabou ont été soulevés à cette occasion : la langue corse et sa pérennité, le pouvoir législatif, les arrêtés Miot. On a osé en parler, et on a bien fait. Je crois qu'aucun sujet ne doit être tabou, que la Corse a beaucoup souffert pendant des décennies de ne pas pouvoir exprimer ce qui lui tenait à cur.
Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la Corse de 1999, mais dans celle de 2003. La loi du 22 janvier 2002 doit être comptée comme une étape importante, nous l'avons appliquée et mise en uvre dans ses volets économique, budgétaire, fiscal, et financier. Et c'est en nous situant dans ce présent que nous avons fait le choix de l'avenir.
Nous proposons à la Corse de rompre avec la répétition indéfinie du même scénario. Espoirs suscités par la réunion de quelques uns, puis déceptions pour tous. Quelques mois de progrès suivis immanquablement d'années de recul. D'abord le silence puis l'explosion à tous les sens du terme. Et au résultat un peu plus de douleur à partager pour chaque Corse, et, d'avantage de fatalité à assumer pour la mémoire collective.
Je crois profondément que cette fatalité n'existe pas. Avec quelle fermeté les hommes et les femmes d'ici ont triomphé au quotidien d'une vie qui n'a jamais été facile ! Avec quelle constance la Corse a résisté aux envahisseurs de tous bords, pour rester elle même ! Alors, qu'on ne me fasse pas croire à une Corse paralysée par le destin ! Finalement, je préfère pendre le risque de vous voir refuser un grand projet novateur plutôt que de vous voir condamner à un immobilisme qui ne vous ouvre aucune perspective.
J'ai le sentiment que tous, quelles que soient vos convictions, vous considérez aujourd'hui ces années de déchirements comme stériles, comme inutiles. En effet, que de drames auraient pu être évités ! Mais il ne suffit pas de se lamenter sur le passé, il faut en tirer les conséquences. Car la fascination pour la destruction existe encore, dans tous les rangs, nous le savons tous .Et beaucoup d'épreuves pourraient être évitées, à condition de faire un pas vers l'autre.
Le gouvernement part d'un constat simple : la Corse dispose non seulement des atouts, mais aussi des forces nécessaires pour tourner la page de la division et du malheur.
Tous mes contacts, toutes mes visites depuis des mois, m'ont confirmé dans cette conviction : l'amour de la Corse est une passion parfois dévastatrice, mais c'est aussi un véritable amour filial. Et cet amour là est indéfectible. Comme dans toute famille, on peut s'y retrancher, pour tout justifier et mieux se déchirer avec ses frères. Mais on peut aussi, en son nom, croire à la vie et donc à l'avenir. C'est ce que je vous propose. L'immense majorité d'entre vous m'ont dit qu'ils le souhaitaient pour la Corse.
Aujourd'hui nous sommes à la croisée des chemins où beaucoup d'entre vous hésitent, observent, attendent. Ma conviction est que rester immobile, ne rien tenter, serait un renoncement grave. D'ailleurs chacun le sait, le statu quo n'est satisfaisant pour personne car personne ne s'imagine que les choses s'arrangeront naturellement. En quelque sorte en attendant que cela passe
Se tourner vers l'avenir, c'est affronter trois défis à la fois, sans vouloir privilégier l'un pour mieux oublier les autres. Car tout va de pair, et la réponse à chaque question est aussi une réponse aux deux autres. Le retour à la paix qui reste prioritaire. Le développement économique, dont on parle beaucoup, et qui a peu progressé. L'évolution institutionnelle enfin, qui a donné lieu à deux années de discussions sans être tranché.
Je sais à quel point toute la Corse aspire à un retour à la sécurité. Le gouvernement a choisi, dans ce domaine, l'action plutôt que l'incantation. Car en effet, il serait là aussi, assez confortable de condamner depuis Paris, chaque semaine, les attentats commis en annonçant qu'ils ne seront plus tolérés. Ce sujet qui est grave, nécessite à mes yeux beaucoup moins de postures et davantage d'action pour ne pas dire de résultats.
En effet, aucun attentat commis n'est acceptable, quelle que soit son ampleur, sa victime ou encore ses motivations. Pour vous tous qui vivez en Corse, cette violence est insupportable je le sais. La lutte contre la violence, contre toutes ses formes, est une priorité. Vous me jugerez aux résultats : je ferai en sorte que nul ne soit déçu ! Des arrestations d'auteurs d'attentats ont eu lieu, encore la semaine passée. Il y en aura d'autres. L'Etat agit fermement, de manière continue, sans renfort de publicité. Nous ne négocierons pas l'arrêt de comportements mafieux ou la fin d'attentats aussi lâches que stupides pour ne pas dire odieux lorsqu'il s'agit d'assassinats comme celui qui a frappé le Préfet Erignac.
Les poseurs de bombes recherchent la publicité permanente faite à leur action. Mais c'est la Corse qui est prise en otage dans ce rituel médiatique. Car l'image donnée de la Corse, c'est alors celle de la malédiction. C'est ce que veulent les auteurs d'attentats. C'est ce que je ne veux pas. Les débats à n'en plus finir sur les motivations de telle ou telle explosion, sur le mobile d'un assassinat ou d'un règlement de comptes, peuvent hélas occuper indéfiniment les images et les esprits. Pour moi, la Corse vaut beaucoup mieux que cela. J'ai donc choisi d'agir et selon le calendrier des Républicains, pas selon celui des poseurs de bombes. Le Gouvernement a choisi de ne pas attendre que la violence ait cessé pour agir sur d'autres fronts, car alors une fois de plus les auteurs d'attentats mettraient toute la Corse en échec.
S'agissant du développement économique, la Corse ne parvient pas à faire peser la balance du côté de ses atouts. Ce sont pourtant ceux de la montagne dans la Méditerranée. Des sommets à 2700m et un littoral de 1000 km .C'est le potentiel d'un cadre naturel unique, qu'il ne s'agit pas de saccager. Bien au contraire : il faut le valoriser tout en le préservant. C'est un tourisme maîtrisé à imaginer. C'est la possibilité de mettre en place des filières agricoles de qualité. C'est la nécessité d'attirer des entreprises, de profiter des nouvelles technologies : je pense à la télévision numérique, aux réseaux internet à haut débit, qui auraient tout particulièrement leur place ici. C'est le défi d'inventer une qualité de vie bien spécifique, qui respecte les traditions, mais qui permette enfin, le développement. Le développement de la Corse, ce n'est pas un mirage, ce n'est pas un leurre, ni un luxe inutile, c'est un impératif. Je l'ai dit à Bruxelles, entouré de certains d'entre vous, il y a tout juste trois mois, au président de la Commission européenne : la Corse n'est pas une région pauvre au vu des calculs européens. Mais 30 % de ses richesses viennent du secteur public. Plus de 10 % de ses habitants sont au chômage. Et beaucoup de difficultés viennent de cette situation.
Pour assurer le rattrapage économique de la Corse, le gouvernement a mis en place le programme exceptionnel d'investissement, qui est une enveloppe de près de 2 milliards d'euros sur 15 ans. Croyez moi, dans le contexte budgétaire actuel, ce programme ne va pas de soi. Le Premier Ministre, à ma demande, a accepté qu'il soit financé par une ligne budgétaire unique, ce qui est sans précédent. Nous dégageons les crédits nécessaires pour que dès cette année démarrent les premières opérations : formation professionnelle, agriculture, sports, chemin de fer, rénovation urbaine, nouvelles technologies.
Ces opérations sont celles que propose la Corse à l'Etat afin d'assurer son rattrapage, et notamment la revitalisation de l'intérieur. C'est donc un projet à responsabilités partagées. Dans cette entreprise sans précédent, l'Etat veut que toutes les collectivités de Corse aient leurs chances. Les petites communes de l'intérieur comme les villes du littoral. Pour cela, et ainsi que beaucoup d'entre vous me l'avaient demandé, je viens d'obtenir l'accord du ministre du budget pour que le taux des avances consenties aux collectivités de Corse sur les subventions du programme exceptionnel d'investissement soit porté de 5 à 20% , afin d'exécuter ce programme. Ce type de dérogation est tout à fait exceptionnel, et nécessite l'intervention d'un texte spécifique, mais cette décision est à nos yeux largement justifiée par l'importance de l'enjeu économique. Aux Corses maintenant de réussir les opérations qui leur tiennent à cur.
Afin de surmonter les "handicaps de l'insularité", j'ai voulu également mener un dialogue actif avec Bruxelles. Le président Romano Prodi m'a reçu au mois de janvier avec plusieurs d'entre vous. Nous avons présenté des demandes précises, et obtenu satisfaction, notamment sur la prorogation sur la zone franche ,qui menaçait d'être supprimée, ainsi que sur son cumul avec le crédit d'impôt pour investissement, et aussi sur le doublement du taux de ce crédit. Ces débats duraient depuis une année. Certains ont déclaré que ces résultats étaient insuffisants. On peut considérer aujourd'hui que ces décisions allaient de soi, mais je peux vous dire qu'il n'en était rien et qu'elles ont toutes demandé des négociations difficiles.
Il en est de même pour la prorogation de la fiscalité sur le tabac, en suspens depuis deux ans, qui nous était demandée avec insistance pour sauver des centaines d'emplois en Corse, et que j'ai pu obtenir. Je considère toutes ces décisions comme des nouvelles importantes pour la Corse. Je sais qu'il n'est pas de tradition ici de se réjouir bruyamment des bonnes nouvelles, mais je sais aussi ce qui se serait produit si nous n'avions pas pu obtenir ces décisions !
J'ajoute que ces négociations continuent : les aides à l'investissement aux petites entreprises étant plafonnées à 30 % de l'investissement, nous avons, comme cela avait été annoncé, après un travail avec le conseil exécutif de l'Assemblée de Corse, adressé une proposition à la Commission européenne pour une comptabilisation plus favorable des aides. Vous le voyez, les sujets sont parfois très concrets, mais ils nécessitent tous une négociation soutenue. Pour toutes ces questions, cruciales pour l'économie locale, le gouvernement est et restera à vos côtés. Mais leur prise en main nécessite un changement de cadre.
J'en veux pour preuve la question de la prise en compte de l'insularité par les traités européens. Un sujet sur lequel nous sommes tous conscients que des progrès sont à faire. Le président Jean Baggioni m'a adressé une proposition d'amendement à prendre en compte dans le cadre des travaux de la convention sur la révision des traités. Mon intention est d'en faire une base de concertation au sein de l'Assemblée territoriale, afin de mettre au point une proposition dans les semaines à venir, qui pourra être soumise à la Convention de révision des traités. La présidence grecque devrait nous aider à faire entrer enfin la notion d'insularité dans les textes, puis dans les faits.
Cet exemple européen montre que le développement économique dépend aussi de votre capacité à prendre des décisions collectives. L'initiative individuelle ne peut pas tout faire. Ce qui m'amène à réaffirmer que le troisième chantier qui est devant nous et qu'il faut trancher une bonne fois pour toute, est celui de l'évolution institutionnelle.
Le débat était resté ouvert lors de l'arrivée du gouvernement de Jean Pierre Raffarin. Ce n'est ni une question mineure , ni une question simplement politicienne, ni même une question artificielle. Depuis 20 ans on en parle pour vous, vous en parlez entre vous. Il faut sur ce terrain là aussi avancer. Il s'agit des institutions, il s'agit donc du cadre de la vie collective en Corse. Qui peut croire que ce sujet est accessoire? Il s'agit à la fois de savoir comment les Corses sont représentés, comment les décisions sont prises pour l'île, qui sont les responsables d'une stratégie cohérente de développement pour la Corse. D'ailleurs nous n'êtes pas les seuls à qui cette question est posée, puisque toutes les îles de la Méditerranée sans exception sont dotées d'un statut spécifique. Il n'y a donc ni à s'étonner ni à s'indigner qu'il en soit ainsi pour la Corse.
Le cadre institutionnel est fondamental pour préparer l'avenir. Je voudrais à cet égard rappeler que ce sont les institutions de la Vème République qui ont, largement, permis le décollage économique des années 60. La réforme constitutionnelle instituant une république décentralisée, approuvée le 17 mars dernier par le Congrès, est largement destinée à libérer les énergies locales, à permettre un bond en avant dans le développement économique au plus près du terrain. Pour la Corse, la question est posée de savoir quel est le cadre le plus adapté à un décollage économique ? Quelle est l'organisation des pouvoirs qui donnera à la Corse ses meilleures chances de réussite ?
Le sujet institutionnel avait été posé avant l'arrivée du gouvernement de Jean Pierre Raffarin . Il avait même mobilisé les esprits pendant deux années, sans pouvoir aboutir. J'insiste sur ce point : la loi du 22 janvier 2002 n'a pas pu trancher ce débat, elle s'en est tenue à des transferts de compétences, d'ailleurs importants, au profit de la collectivité territoriale de Corse. La loi du 22 janvier 2002 est une loi de décentralisation, mais pas un statut particulier.
Devant cet état de fait, j'ai annoncé, lors des assises des libertés locales qui se sont tenues à Ajaccio en octobre dernier, que serait mis en place en Corse un groupe de travail qui réfléchirait sur les institutions. Cette démarche s'est conclue par deux séminaires consacrés aux institutions, l'un à Bastia en décembre 2002, l'autre à Ajaccio en janvier 2003, auxquels j'ai participé personnellement.
Je l'avais affirmé : si un consensus se dégageait entre les élus, le gouvernement en prendrait acte. Depuis, les conseils généraux, les assemblées de maires, l'Assemblée territoriale, ont délibéré. Les forces politiques se sont exprimées. Acte est pris de l'absence de consensus. Je crois que personne ne le contestera. Pour résumer les choses, le débat met en présence les tenants d'une collectivité unique, sous diverses formes d'organisation, et ceux du maintien des départements aux côtés de la collectivité territoriale. Je ne fais reproche à personne de cette situation. Je la constate, et, j'en tire les conséquences. C'est au gouvernement que revient la responsabilité de proposer une évolution institutionnelle à la Corse.
Tout d'abord je précise que pour le gouvernement, il n'y a pas un camp des modernes, celui qui voudrait bouger, et un camp des archaïques, qui voudrait ne rien changer. Tous les points de vue sont respectables. J'ai beaucoup réfléchi moi-même. Dans chaque camp, il y a des arguments qui pèsent et qui méritaient d'être étudiés : mais une fois pris le temps de la réflexion, il faut maintenant proposer une stratégie d'action.
Nous partons du constat, qui je le crois est difficilement contestable, que l'ensemble constitué par une collectivité territoriale juxtaposée à deux départements n'a pas permis de résoudre les grands défis qui se posent à la Corse. Si la situation actuelle était satisfaisante, on se demande pourquoi tant de Corses auraient à s'en plaindre.
Je veux rappeler qu'aucune vision d'ensemble n'a présidé à cette organisation née de textes successifs, en 1975, 1982, 1991 et 2002.
Deux inconvénients majeurs naissent de cette construction. Tout d'abord, d'inévitables chevauchements de compétences : je pense par exemple à l'aide aux communes, compétence du département comme de la collectivité. Cet empiétement est préjudiciable aux bénéficiaires, qui disent ne pas savoir où s'adresser.
Autre inconvénient, d'ailleurs symétrique : le fractionnement des compétences .Un exemple simple :on ne peut pas concevoir depuis la Corse du Sud, ou bien de la Haute Corse, un projet routier qui irait plus loin que le col de Vizzavona. .Où est la cohérence territoriale si nécessaire à la Corse ?
Troisième inconvénient : une disparité dans les politiques menées au sein de la Corse . Est-il logique que tous les Corses ne soient pas traités de la même façon, selon qu'ils sont "au delà " ou en deçà " des monts?
Autre inconvénient majeur, celui des doubles emplois considérables induits par la coexistence de trois collectivités : alors que l'on va avoir besoin d'hommes et de ressources pour assurer des compétences nouvelles . Oserai-je observer également que le poids des charges de fonctionnement par habitant va d'une fois et demi à deux fois la moyenne nationale, selon les collectivités ?
Dernier inconvénient pour chaque Corse : l'incapacité d'identifier les responsables de la stratégie de développement de l'Ile ou plus exactement de son absence quelles que soient la qualité et la volonté des élus. Personne n'exerce de responsabilités d'ensemble. Donc personne n'en est responsable. Pas de stratégie commune. Pas de pouvoirs d'ensemble mais un ensemble de pouvoirs éclatés. Pas de décideurs mais un maillage de multiple décideurs suffisamment forts pour empêcher, mais trop faibles pour harmoniser. Qui peut se satisfaire de cette situation ?
En face de ces inconvénients apparaît une nécessité .Il est clair que les compétences nouvelles de la collectivité territoriale ne pourront être assumées pleinement que si une cohérence de décisions se met en place. Ce qui implique de créer un endroit où les priorités, les stratégies se décident pour toute la Corse. Actuellement les clivages politiques se superposent aux clivages territoriaux, et ces priorités n'apparaissent pas, alors que le progrès en dépend. La nécessité absolue de faire des choix pour la Corse nécessite l'institution d'une collectivité représentant l'île dans son ensemble.
Le cur de ce projet, c'est en effet la cohérence, celle qui a tant fait défaut à la Corse. Elle a tant besoin d'un engagement collectif ! C'est vrai dans tous les domaines : économie, social, culture, environnement dans toutes ces nouvelles compétences de la collectivité territoriale , il faut absolument qu'il existe une assemblée qui représente toute l'île, ses sensibilités, et qui entraîne la Corse dans des choix d'avenir. Je prends l'exemple des deux milliards d'euros du programme exceptionnel d'investissement, pour les 15 années qui viennent. Routes, chemins de fer, ports, écoles, équipements sportifs. L'enjeu est suffisamment important pour que ce soit la Corse dans son ensemble qui en décide ! Et qui en décide de façon cohérente, transparente, et, claire ! Pour que les priorités stratégiques soient affirmées ! Pour que de vrais choix s'expriment !
Je pourrais prendre les exemples de la langue corse, de l'environnement, qui sont au coeur de votre identité, sur lesquels vous devez décider, proposer, d'une seule voix il faut un centre de décisions, avec des services forts, qui instruise des dossiers aussi importants. La collectivité unique le permettra. On me dit : attention, la centralisation des pouvoirs fera courir des risques en matière de démocratie. Je n'en crois rien. La future collectivité unique permettra l'équilibre des pouvoirs, la représentation des Corses et des territoires de la Corse. Elle sera aussi un gage d'efficacité. Et une démocratie se doit d'être efficace.
La loi du 22 janvier 2002 donne un pouvoir d'adaptation réglementaire à la collectivité territoriale. La réforme constitutionnelle permettra un pouvoir d'adaptation législative. Je sais à quel point ce sujet a été l'objet de discussions passionnées. Mais la réforme constitutionnelle va permettre, tranquillement, ce qui paraissait il y a encore dix huit mois comme une véritable révolution. L'article 72 de la Constitution prévoit en effet, une possibilité d'adaptation législative à partir de l'initiative des collectivités territoriales, dans les conditions prévues par une loi organique, en commençant par l'expérimentation. Cela est exactement ce que la loi du 22 janvier 2002 voulait faire, mais n'a pu réaliser faute de cadre constitutionnel. Il faut là aussi que ces pouvoirs d'adaptation législative soient adossés à une Assemblée forte, exprimant le point de vue de la Corse. La collectivité unique le permettra.
A Bruxelles, pour exprimer votre point de vue, qui doit être uni, vous l'avez bien vu il y a trois mois encore, une seule enceinte doit décider des priorités et les défendre. Seule l'union fait la force pour négocier et convaincre. Là encore, la collectivité unique le permettra.
On me dit parfois que d'admettre une telle spécificité, c'est s'éloigner de la République. Je ne vois pas en quoi. La République, c'est donner les mêmes chances à tous, en partant de leurs différences. C'est vrai pour les hommes. Ce doit être vrai aussi pour les régions, les territoires. La réforme constitutionnelle approuvée le 17 mars, c'est la possibilité donnée à la France de faire leur place à ces différences, si elles sont souhaitées. Pourquoi la Corse resterait-elle écartée de cette possibilité ? J'ajoute que la bi-départementalisation en Corse remonte à 1975. Je n'ai pas le sentiment qu'avant celle-ci la Corse se sentait moins républicaine et surtout moins française.
On me dit aussi que la Corse ne veut pas être un laboratoire d'expérimentation institutionnelle. C'est vrai mais reconnaissons que la bonne formule n'a pas été trouvée. A preuve, la contestation permanente. Ce n'est pas une invention des continentaux. C'est une réalité insulaire. Je crois profondément que lorsqu'un équilibre institutionnel sera trouvé, le sujet sera clos. Dans cette attente, le fait de proposer à la Corse des solutions adaptées à ses particularités me paraît être une simple démarche de bon sens.
Et pour qu'il n'y ait aucune contestation possible sur ce que veulent les Corses, et, que personne ne puisse parler en leur nom, confisquer le choix. Nous organiserons, dès cet été, une consultation pour recueillir l'avis de chaque Corse. Pour la première fois, car - la réforme constitutionnelle le permet - la population va pouvoir s'exprimer sur les orientations qui lui sont offertes pour l'organisation de la Corse. C'est aux Corses, enfin, que va être donnée la parole, pour peser sur un débat qui les concerne au premier chef mais qui a toujours été décidé sans eux. Matignon, c'étaient 50 personnes, certes représentatives. Demain, ce seront 260 000 Corses qui prendront leurs responsabilités.
Grâce à cette démarche, le débat institutionnel pourra être tranché, de la façon la plus démocratique qui soit. Il sera également refermé, dans un sens ou dans un autre, mais selon la volonté de la population, et donc, cette fois ci, pour très longtemps. Avant cette consultation, à la demande des élus, un audit approfondi des départements et de la collectivité territoriale sera réalisé, et rendu public, afin d'éclairer la décision de chacun.
Notre démarche est donc simple : le gouvernement va proposer au Parlement un projet de loi, qui sera dès aujourd'hui soumis pour avis à votre Assemblée territoriale, autorisant à consulter la population sur une question clairement identifiée. Si le Parlement l'accepte, une consultation sera organisée, au début de l'été! Le 6 juillet si la réponse à la consultation est oui, un nouveau statut sera élaboré et soumis en ce sens au Parlement, dès l'automne prochain. Si la réponse à la consultation est non, cette modification statutaire ne sera pas engagée par le gouvernement. Et le statu quo demeurera.
Quelle sera cette question ? On ne peut pas se contenter de consulter la Corse sur le maintien, ou non, des départements. Il faut lui proposer un projet qui ait un sens et une cohérence. Le choix proposé sera donc celui de la collectivité unique - ce point ne souffre d'aucune ambiguïté - mais d'une collectivité unique déconcentrée.
Une collectivité unique , cela veut dire que les départements dans leur forme actuelle seront supprimés. Bien sûr demeureront les communes, ainsi que leurs groupements, qui devront d'ailleurs se développer. Ajaccio et Bastia pourront se voir attribuer de nouvelles compétences et de nouveaux terrains. Je pense notamment à la question du logement social.
Une collectivité déconcentrée, cela veut dire que seraient créés deux conseils territoriaux, qui seraient des subdivisions de la collectivité territoriale, et qui en constitueraient ainsi des échelons de proximité, facilement accessibles à la population, aux maires en particulier, et en même temps proches des préoccupations des corses et de la diversité de leurs problèmes.
La collectivité unique aurait seule la personnalité morale. Elle lèverait donc seule l'impôt. Elle sera l'employeur de tous les fonctionnaires, territoriaux ou départementaux. Elle votera seule un budget. Et ses compétences seront générales.
Les deux conseils territoriaux de l'Assemblée, à Ajaccio, à Bastia, se verront dotés de crédits délégués par la collectivité, ainsi que du personnel mis à leur disposition par elle. Certaines de leurs compétences seraient définies par la loi, ce qui garantirait leur assise. Par exemple, la loi attribuerait la compétence "RMI" aux conseils territoriaux, ou encore l'entretien des routes. La collectivité unique déléguerait deux budgets, l'un au Nord, l'autre au Sud, elle fixerait les critères d'attribution. La collectivité unique pourra aussi décider de déléguer des compétences supplémentaires aux conseils. Dans tous les cas, la collectivité unique déciderait les modalités d'exercice des compétences des conseils territoriaux. Et les deux conseils seraient responsables de l'instruction et des décisions sur les dossiers !
Dans cette nouvelle organisation, les pouvoirs seront clairement répartis. A la collectivité, les choix d'ensemble, la définition des politiques. Aux conseils territoriaux, la gestion de ces politiques pour la part qui doit, pour un meilleur service à la population, être exercée plus près du terrain.
On me dit à la fois : si l'on conserve des élus de terrain, pourquoi supprimez-vous les départements ? Et de l'autre côté : si vous instituez une collectivité unique, pourquoi conservez-vous des élus de proximité ? La réponse n'est pas dans un compromis intellectuel qui aurait voulu concilier l'inconciliable. Encore que le compromis ne soit pas un mal en soi, surtout en Corse où nombreux sont ceux qui pensent détenir la vérité.
La réponse est simple. Dans cette organisation nouvelle, les élus de l'Assemblée territoriale siégeraient en même temps dans les conseils territoriaux. Ce seraient les mêmes hommes qui décideraient des choix à faire, des crédits à voter, et qui appliqueraient ces décisions au plus près du terrain, selon leur lieu d'élection. Il me semble que nous donnons, avec cette formule, à la Corse les avantages de la cohérence qu'autorise la collectivité unique sans perdre l'attrait de la proximité à laquelle sont attachés les maires et la population Corses.
Ce qui est essentiel en Corse où chaque vallée est un pays. Je dirai même que la proposition qui va être faite aux Corses, c'est de mettre la proximité au service de la cohérence.
Plusieurs questions resteront à trancher au delà de ce choix essentiel, et ils feront l'objet d'une nouvelle concertation, si la consultation de la population se révèle positive. Car il faudra alors rédiger un nouveau statut.
Je sais que le mode d'élection des conseillers territoriaux sera déterminant pour la représentation des forces politiques insulaires et pour le fonctionnement des futures assemblées. Sur ce sujet comme sur tous ceux qui vous paraîtront majeurs, des groupes de travail seront mis en place, ouverts à tous ceux qui veulent construire, et qui feront des propositions. Toutes ces questions devront être étudiées avec beaucoup de sérénité car les solutions dégagées devront l'être cette fois-ci pour durer. J'indique d'emblée cependant que le mode de scrutin retenu sera le scrutin proportionnel. Il faudra déterminer l'importance de la prime majoritaire afin que la collectivité soit gouvernable. Il faudra réfléchir également à la représentation des territoires. La parité sera également proposée pour associer davantage les femmes au développement de la Corse et au rétablissement de la paix dans l'île.
Voici, Mesdames et Messieurs, le message que je voulais vous adresser aujourd'hui, message qui est aussi celui du premier ministre, qui va bientôt nous rejoindre.
Le gouvernement s'engage, car il propose un projet à la Corse, et pour la première fois, aux Corses. Pas un projet de plus, mais un projet nouveau, qui rebâtit les fondations institutionnelles de l'île. Au cours de ces vingt dernières années, vous avez vu se succéder des constructions différentes, qui se sont surajoutées avec plus ou moins de bonheur. Cette fois-ci , c'est une conception nouvelle qui va être proposée à la population corse. Une proposition qui repose sur la confiance en l'avenir.
Chacun, je le sais s'engagera dans la campagne qui précédera la consultation.
Je vous demande avant de vous y engager vous même, de réfléchir en conscience à l'intérêt de la Corse, à la nécessité de lui donner les outils du progrès avec des institutions adaptées à sa réalité autant qu'aux défis qui sont devant elles. Je vous demande de peser les avantages d'une nouvelle organisation, en faisant l'effort, toujours difficile, d'imaginer un avenir différent du passé. Je vous remercie tous, d'avance, du rôle pédagogique qui sera le vôtre auprès de l'opinion, qui nous observe avec attention, et que nous n'avons pas le droit de décevoir. Pour ma part, je suis sincèrement heureux de pouvoir proposer à la Corse les bases de nouvelles institutions. Non pas pour le plaisir d'élaborer un nouveau statut. Mais pour l'honneur, beaucoup plus grand, d'être aux côtés des Corses dans la recherche d'un avenir meilleur.
(source http://www.corse.pref.gouv.fr, le 8 avril 2003)
Alors que je commence mon cinquième déplacement en Corse en onze mois au Ministère de l'Intérieur, je ne veux pas vous dissimuler mon émotion. Après avoir beaucoup écouté, rencontré, discuté, échangé, réfléchi, hésité le moment est venu pour le Gouvernement d'assumer ses responsabilités en proposant à la Corse une stratégie pour l'action, pour le développement, et, pour la paix.
Je suis venu aujourd'hui au devant des élus et des forces vives de la Corse. Ce matin, à Ajaccio, cet après midi à Bastia. Je viens vous parler de l'avenir de votre île dans notre République. Chacun d'entre vous est donc concerné et devra prendre ses responsabilités. Parce qu'il s'agit de la "question corse" qui n'a trouvé aucune réponse satisfaisante depuis 28 ans, et, qui donne à beaucoup en Corse comme sur le continent le sentiment que cela va de mal en pis, le Premier Ministre viendra tout à l'heure ici même pour dialoguer et pour s'adresser à tous les corses. La présence à mes côtés de Maurice Ulrich, conseiller personnel du Président de la République, témoigne de l'implication déterminée des plus hautes autorités de l'Etat. La Corse doit sortir d'un immobilisme qui n'a pu enrayer le sous développement, la montée incessante de la violence, et, la persistance de divisions qui font ici plus encore qu'ailleurs des ravages.
Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont tenté de régler les problèmes de la Corse en essayant de traiter les problèmes au fur et à mesure qu'ils surgissaient. Convenons simplement, sans accuser personne, car la question est très difficile, qu'aucune approche n'a été concluante. Tous les gouvernements ont été accusés - par les corses comme par les non corses - tour à tour d'indifférence voire de mépris, de méconnaissance, d'autoritarisme, ou au contraire de collusion. Preuve que la question corse est extraordinairement complexe et qu'il nous faut tous faire preuve de modestie. Mais la difficulté ne doit pas une fois encore condamner la Corse à l'inaction.
Le Gouvernement ne peut accepter d'abandonner les Corses si nombreux à espérer et à se reconnaître dans la République. Renoncer serait un formidable gâchis pour cette région qui a tous les atouts pour réussir. Il faut faire preuve de détermination, d'imagination et même d'audaces. La Corse le mérite.
Convenons aussi que tout gouvernement qui se penche sur la question est immédiatement suspecté, d'emblée, d'arrières pensées non avouées.
La bataille commence sur la sémantique : y-a-t-il un dossier corse ? une question corse ? un,ou des problèmes corses ? Dès les premiers mots prononcés, la polémique commence et prend le pas sur toute démarche positive. Mais pendant que l'on palabre à l'infini, le temps passe et la Corse continue à accumuler des retards qui lui coûtent cher jusqu'au jour où chacun aura définitivement perdu espoir, sur l'île et sur le continent. Ce jour-là il sera trop tard pour tout le monde. Il n'y aura que des regrets, le Gouvernement préfère mobiliser les Corses autour d'espoirs ! C'est pourquoi il a choisi d'agir.
Le gouvernement ne se résoud pas, ne se résigne pas, n'accepte pas la situation actuelle.
Il ne s'agit pas de noircir le tableau, mais d'être lucide. Il ne s'agit pas d'entonner la liturgie du drame, du désespoir, de la déchirure, pour pleurer aux côtés de la Corse sur ses difficultés. Il s'agit, avec calme, de regarder les choses en face : un chômage persistant, des villages dépeuplés, des entreprises fragiles, une violence quotidienne, une opinion divisée, une jeunesse inquiète car sans perspective. Ceci c'est la réalité. Elle est réelle, tangible, quotidienne ! Et comme si cela ne suffisait pas, il y a de surcroît le manque de confiance de ceux qui ont été déçus par tout et par tous. Une défiance qui alimente sans fin la nostalgie du passé, puisque l'avenir est si incertain. A quoi bon croire puisque nous avons été si souvent déçus ? Cela aussi je l'ai entendu, et, je le porte en moi davantage comme un appel au sursaut que comme l'expression d'un ressentiment.
Nous ne sommes pas venus décréter la confiance, qui ne se décrète pas. Nous sommes venus vous proposer de la reconstruire en demandant aux Corses de bâtir l'avenir de l'île sur des bases nouvelles.
Quelle a été notre démarche ? Tout d'abord parler de la Corse en Corse, et d'en parler au présent.
Il est facile de parler de la Corse à partir de ce que l'on entend, de ce que l'on a lu, de ce que vous disent ceux qui vous en parlent. Tant de choses ont été dites et écrites que l'on pourrait croire inutile de refaire le voyage, et décider tranquillement, à l'abri de bureaux parisiens, de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Notre choix n'a pas été celui là : il a été celui de revenir à la rencontre de la Corse aussi souvent que nécessaire, pour sentir les choses autant que pour les comprendre. Je l'ai dit et je persiste : c'est ici, au milieu de vous tous, que l'on apprend la Corse et que l'on peut le mieux en parler. Depuis près d'un an, je suis venu cinq fois en Corse, c'est la deuxième fois que le Premier ministre y sera. Bien sûr, des réunions se tiennent à Paris, en toute transparence, avec les élus, mais elles préparent celles qui se tiennent ici et qui sont irremplaçables. Je me suis tenu à la méthode que j'avais annoncée. Les choses ont pu se passer en toute transparence. Elles sont assez compliquées pour que l'on n'y ajoute pas l'opacité. Vous connaissez tous mes convictions, je connais les vôtres, cela m'a permis de tenir le même discours à chacun de mes interlocuteurs. C'est une forme de respect auquel je tiens. Donner sa part de vérité avec le courage qu'impose les circonstances, sans faux semblants, et, sans les habiletés d'usage qui ont beaucoup exacerbé la défiance. Voici ce que j'ai souhaité faire.
Le deuxième choix et il n'était ni habituel ni aisé, est celui de partir du présent. C'est à dire de considérer que le processus de Matignon avait existé. Mais également qu'il n'avait pas tout résolu, loin de là. Convenons qu'il aurait sans doute été plus confortable de faire mine de repartir à zéro, et de vouloir tout réinventer, ou bien tout défaire pour pouvoir prétendre tout reconstruire. Cela aurait certainement occupé plusieurs mois et encore du temps perdu. Cela n'a pas été notre choix. Le processus de Matignon a été une étape importante pour la Corse même s'il n'a pas abouti, et cela parce que beaucoup de problèmes tabou ont été soulevés à cette occasion : la langue corse et sa pérennité, le pouvoir législatif, les arrêtés Miot. On a osé en parler, et on a bien fait. Je crois qu'aucun sujet ne doit être tabou, que la Corse a beaucoup souffert pendant des décennies de ne pas pouvoir exprimer ce qui lui tenait à cur.
Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la Corse de 1999, mais dans celle de 2003. La loi du 22 janvier 2002 doit être comptée comme une étape importante, nous l'avons appliquée et mise en uvre dans ses volets économique, budgétaire, fiscal, et financier. Et c'est en nous situant dans ce présent que nous avons fait le choix de l'avenir.
Nous proposons à la Corse de rompre avec la répétition indéfinie du même scénario. Espoirs suscités par la réunion de quelques uns, puis déceptions pour tous. Quelques mois de progrès suivis immanquablement d'années de recul. D'abord le silence puis l'explosion à tous les sens du terme. Et au résultat un peu plus de douleur à partager pour chaque Corse, et, d'avantage de fatalité à assumer pour la mémoire collective.
Je crois profondément que cette fatalité n'existe pas. Avec quelle fermeté les hommes et les femmes d'ici ont triomphé au quotidien d'une vie qui n'a jamais été facile ! Avec quelle constance la Corse a résisté aux envahisseurs de tous bords, pour rester elle même ! Alors, qu'on ne me fasse pas croire à une Corse paralysée par le destin ! Finalement, je préfère pendre le risque de vous voir refuser un grand projet novateur plutôt que de vous voir condamner à un immobilisme qui ne vous ouvre aucune perspective.
J'ai le sentiment que tous, quelles que soient vos convictions, vous considérez aujourd'hui ces années de déchirements comme stériles, comme inutiles. En effet, que de drames auraient pu être évités ! Mais il ne suffit pas de se lamenter sur le passé, il faut en tirer les conséquences. Car la fascination pour la destruction existe encore, dans tous les rangs, nous le savons tous .Et beaucoup d'épreuves pourraient être évitées, à condition de faire un pas vers l'autre.
Le gouvernement part d'un constat simple : la Corse dispose non seulement des atouts, mais aussi des forces nécessaires pour tourner la page de la division et du malheur.
Tous mes contacts, toutes mes visites depuis des mois, m'ont confirmé dans cette conviction : l'amour de la Corse est une passion parfois dévastatrice, mais c'est aussi un véritable amour filial. Et cet amour là est indéfectible. Comme dans toute famille, on peut s'y retrancher, pour tout justifier et mieux se déchirer avec ses frères. Mais on peut aussi, en son nom, croire à la vie et donc à l'avenir. C'est ce que je vous propose. L'immense majorité d'entre vous m'ont dit qu'ils le souhaitaient pour la Corse.
Aujourd'hui nous sommes à la croisée des chemins où beaucoup d'entre vous hésitent, observent, attendent. Ma conviction est que rester immobile, ne rien tenter, serait un renoncement grave. D'ailleurs chacun le sait, le statu quo n'est satisfaisant pour personne car personne ne s'imagine que les choses s'arrangeront naturellement. En quelque sorte en attendant que cela passe
Se tourner vers l'avenir, c'est affronter trois défis à la fois, sans vouloir privilégier l'un pour mieux oublier les autres. Car tout va de pair, et la réponse à chaque question est aussi une réponse aux deux autres. Le retour à la paix qui reste prioritaire. Le développement économique, dont on parle beaucoup, et qui a peu progressé. L'évolution institutionnelle enfin, qui a donné lieu à deux années de discussions sans être tranché.
Je sais à quel point toute la Corse aspire à un retour à la sécurité. Le gouvernement a choisi, dans ce domaine, l'action plutôt que l'incantation. Car en effet, il serait là aussi, assez confortable de condamner depuis Paris, chaque semaine, les attentats commis en annonçant qu'ils ne seront plus tolérés. Ce sujet qui est grave, nécessite à mes yeux beaucoup moins de postures et davantage d'action pour ne pas dire de résultats.
En effet, aucun attentat commis n'est acceptable, quelle que soit son ampleur, sa victime ou encore ses motivations. Pour vous tous qui vivez en Corse, cette violence est insupportable je le sais. La lutte contre la violence, contre toutes ses formes, est une priorité. Vous me jugerez aux résultats : je ferai en sorte que nul ne soit déçu ! Des arrestations d'auteurs d'attentats ont eu lieu, encore la semaine passée. Il y en aura d'autres. L'Etat agit fermement, de manière continue, sans renfort de publicité. Nous ne négocierons pas l'arrêt de comportements mafieux ou la fin d'attentats aussi lâches que stupides pour ne pas dire odieux lorsqu'il s'agit d'assassinats comme celui qui a frappé le Préfet Erignac.
Les poseurs de bombes recherchent la publicité permanente faite à leur action. Mais c'est la Corse qui est prise en otage dans ce rituel médiatique. Car l'image donnée de la Corse, c'est alors celle de la malédiction. C'est ce que veulent les auteurs d'attentats. C'est ce que je ne veux pas. Les débats à n'en plus finir sur les motivations de telle ou telle explosion, sur le mobile d'un assassinat ou d'un règlement de comptes, peuvent hélas occuper indéfiniment les images et les esprits. Pour moi, la Corse vaut beaucoup mieux que cela. J'ai donc choisi d'agir et selon le calendrier des Républicains, pas selon celui des poseurs de bombes. Le Gouvernement a choisi de ne pas attendre que la violence ait cessé pour agir sur d'autres fronts, car alors une fois de plus les auteurs d'attentats mettraient toute la Corse en échec.
S'agissant du développement économique, la Corse ne parvient pas à faire peser la balance du côté de ses atouts. Ce sont pourtant ceux de la montagne dans la Méditerranée. Des sommets à 2700m et un littoral de 1000 km .C'est le potentiel d'un cadre naturel unique, qu'il ne s'agit pas de saccager. Bien au contraire : il faut le valoriser tout en le préservant. C'est un tourisme maîtrisé à imaginer. C'est la possibilité de mettre en place des filières agricoles de qualité. C'est la nécessité d'attirer des entreprises, de profiter des nouvelles technologies : je pense à la télévision numérique, aux réseaux internet à haut débit, qui auraient tout particulièrement leur place ici. C'est le défi d'inventer une qualité de vie bien spécifique, qui respecte les traditions, mais qui permette enfin, le développement. Le développement de la Corse, ce n'est pas un mirage, ce n'est pas un leurre, ni un luxe inutile, c'est un impératif. Je l'ai dit à Bruxelles, entouré de certains d'entre vous, il y a tout juste trois mois, au président de la Commission européenne : la Corse n'est pas une région pauvre au vu des calculs européens. Mais 30 % de ses richesses viennent du secteur public. Plus de 10 % de ses habitants sont au chômage. Et beaucoup de difficultés viennent de cette situation.
Pour assurer le rattrapage économique de la Corse, le gouvernement a mis en place le programme exceptionnel d'investissement, qui est une enveloppe de près de 2 milliards d'euros sur 15 ans. Croyez moi, dans le contexte budgétaire actuel, ce programme ne va pas de soi. Le Premier Ministre, à ma demande, a accepté qu'il soit financé par une ligne budgétaire unique, ce qui est sans précédent. Nous dégageons les crédits nécessaires pour que dès cette année démarrent les premières opérations : formation professionnelle, agriculture, sports, chemin de fer, rénovation urbaine, nouvelles technologies.
Ces opérations sont celles que propose la Corse à l'Etat afin d'assurer son rattrapage, et notamment la revitalisation de l'intérieur. C'est donc un projet à responsabilités partagées. Dans cette entreprise sans précédent, l'Etat veut que toutes les collectivités de Corse aient leurs chances. Les petites communes de l'intérieur comme les villes du littoral. Pour cela, et ainsi que beaucoup d'entre vous me l'avaient demandé, je viens d'obtenir l'accord du ministre du budget pour que le taux des avances consenties aux collectivités de Corse sur les subventions du programme exceptionnel d'investissement soit porté de 5 à 20% , afin d'exécuter ce programme. Ce type de dérogation est tout à fait exceptionnel, et nécessite l'intervention d'un texte spécifique, mais cette décision est à nos yeux largement justifiée par l'importance de l'enjeu économique. Aux Corses maintenant de réussir les opérations qui leur tiennent à cur.
Afin de surmonter les "handicaps de l'insularité", j'ai voulu également mener un dialogue actif avec Bruxelles. Le président Romano Prodi m'a reçu au mois de janvier avec plusieurs d'entre vous. Nous avons présenté des demandes précises, et obtenu satisfaction, notamment sur la prorogation sur la zone franche ,qui menaçait d'être supprimée, ainsi que sur son cumul avec le crédit d'impôt pour investissement, et aussi sur le doublement du taux de ce crédit. Ces débats duraient depuis une année. Certains ont déclaré que ces résultats étaient insuffisants. On peut considérer aujourd'hui que ces décisions allaient de soi, mais je peux vous dire qu'il n'en était rien et qu'elles ont toutes demandé des négociations difficiles.
Il en est de même pour la prorogation de la fiscalité sur le tabac, en suspens depuis deux ans, qui nous était demandée avec insistance pour sauver des centaines d'emplois en Corse, et que j'ai pu obtenir. Je considère toutes ces décisions comme des nouvelles importantes pour la Corse. Je sais qu'il n'est pas de tradition ici de se réjouir bruyamment des bonnes nouvelles, mais je sais aussi ce qui se serait produit si nous n'avions pas pu obtenir ces décisions !
J'ajoute que ces négociations continuent : les aides à l'investissement aux petites entreprises étant plafonnées à 30 % de l'investissement, nous avons, comme cela avait été annoncé, après un travail avec le conseil exécutif de l'Assemblée de Corse, adressé une proposition à la Commission européenne pour une comptabilisation plus favorable des aides. Vous le voyez, les sujets sont parfois très concrets, mais ils nécessitent tous une négociation soutenue. Pour toutes ces questions, cruciales pour l'économie locale, le gouvernement est et restera à vos côtés. Mais leur prise en main nécessite un changement de cadre.
J'en veux pour preuve la question de la prise en compte de l'insularité par les traités européens. Un sujet sur lequel nous sommes tous conscients que des progrès sont à faire. Le président Jean Baggioni m'a adressé une proposition d'amendement à prendre en compte dans le cadre des travaux de la convention sur la révision des traités. Mon intention est d'en faire une base de concertation au sein de l'Assemblée territoriale, afin de mettre au point une proposition dans les semaines à venir, qui pourra être soumise à la Convention de révision des traités. La présidence grecque devrait nous aider à faire entrer enfin la notion d'insularité dans les textes, puis dans les faits.
Cet exemple européen montre que le développement économique dépend aussi de votre capacité à prendre des décisions collectives. L'initiative individuelle ne peut pas tout faire. Ce qui m'amène à réaffirmer que le troisième chantier qui est devant nous et qu'il faut trancher une bonne fois pour toute, est celui de l'évolution institutionnelle.
Le débat était resté ouvert lors de l'arrivée du gouvernement de Jean Pierre Raffarin. Ce n'est ni une question mineure , ni une question simplement politicienne, ni même une question artificielle. Depuis 20 ans on en parle pour vous, vous en parlez entre vous. Il faut sur ce terrain là aussi avancer. Il s'agit des institutions, il s'agit donc du cadre de la vie collective en Corse. Qui peut croire que ce sujet est accessoire? Il s'agit à la fois de savoir comment les Corses sont représentés, comment les décisions sont prises pour l'île, qui sont les responsables d'une stratégie cohérente de développement pour la Corse. D'ailleurs nous n'êtes pas les seuls à qui cette question est posée, puisque toutes les îles de la Méditerranée sans exception sont dotées d'un statut spécifique. Il n'y a donc ni à s'étonner ni à s'indigner qu'il en soit ainsi pour la Corse.
Le cadre institutionnel est fondamental pour préparer l'avenir. Je voudrais à cet égard rappeler que ce sont les institutions de la Vème République qui ont, largement, permis le décollage économique des années 60. La réforme constitutionnelle instituant une république décentralisée, approuvée le 17 mars dernier par le Congrès, est largement destinée à libérer les énergies locales, à permettre un bond en avant dans le développement économique au plus près du terrain. Pour la Corse, la question est posée de savoir quel est le cadre le plus adapté à un décollage économique ? Quelle est l'organisation des pouvoirs qui donnera à la Corse ses meilleures chances de réussite ?
Le sujet institutionnel avait été posé avant l'arrivée du gouvernement de Jean Pierre Raffarin . Il avait même mobilisé les esprits pendant deux années, sans pouvoir aboutir. J'insiste sur ce point : la loi du 22 janvier 2002 n'a pas pu trancher ce débat, elle s'en est tenue à des transferts de compétences, d'ailleurs importants, au profit de la collectivité territoriale de Corse. La loi du 22 janvier 2002 est une loi de décentralisation, mais pas un statut particulier.
Devant cet état de fait, j'ai annoncé, lors des assises des libertés locales qui se sont tenues à Ajaccio en octobre dernier, que serait mis en place en Corse un groupe de travail qui réfléchirait sur les institutions. Cette démarche s'est conclue par deux séminaires consacrés aux institutions, l'un à Bastia en décembre 2002, l'autre à Ajaccio en janvier 2003, auxquels j'ai participé personnellement.
Je l'avais affirmé : si un consensus se dégageait entre les élus, le gouvernement en prendrait acte. Depuis, les conseils généraux, les assemblées de maires, l'Assemblée territoriale, ont délibéré. Les forces politiques se sont exprimées. Acte est pris de l'absence de consensus. Je crois que personne ne le contestera. Pour résumer les choses, le débat met en présence les tenants d'une collectivité unique, sous diverses formes d'organisation, et ceux du maintien des départements aux côtés de la collectivité territoriale. Je ne fais reproche à personne de cette situation. Je la constate, et, j'en tire les conséquences. C'est au gouvernement que revient la responsabilité de proposer une évolution institutionnelle à la Corse.
Tout d'abord je précise que pour le gouvernement, il n'y a pas un camp des modernes, celui qui voudrait bouger, et un camp des archaïques, qui voudrait ne rien changer. Tous les points de vue sont respectables. J'ai beaucoup réfléchi moi-même. Dans chaque camp, il y a des arguments qui pèsent et qui méritaient d'être étudiés : mais une fois pris le temps de la réflexion, il faut maintenant proposer une stratégie d'action.
Nous partons du constat, qui je le crois est difficilement contestable, que l'ensemble constitué par une collectivité territoriale juxtaposée à deux départements n'a pas permis de résoudre les grands défis qui se posent à la Corse. Si la situation actuelle était satisfaisante, on se demande pourquoi tant de Corses auraient à s'en plaindre.
Je veux rappeler qu'aucune vision d'ensemble n'a présidé à cette organisation née de textes successifs, en 1975, 1982, 1991 et 2002.
Deux inconvénients majeurs naissent de cette construction. Tout d'abord, d'inévitables chevauchements de compétences : je pense par exemple à l'aide aux communes, compétence du département comme de la collectivité. Cet empiétement est préjudiciable aux bénéficiaires, qui disent ne pas savoir où s'adresser.
Autre inconvénient, d'ailleurs symétrique : le fractionnement des compétences .Un exemple simple :on ne peut pas concevoir depuis la Corse du Sud, ou bien de la Haute Corse, un projet routier qui irait plus loin que le col de Vizzavona. .Où est la cohérence territoriale si nécessaire à la Corse ?
Troisième inconvénient : une disparité dans les politiques menées au sein de la Corse . Est-il logique que tous les Corses ne soient pas traités de la même façon, selon qu'ils sont "au delà " ou en deçà " des monts?
Autre inconvénient majeur, celui des doubles emplois considérables induits par la coexistence de trois collectivités : alors que l'on va avoir besoin d'hommes et de ressources pour assurer des compétences nouvelles . Oserai-je observer également que le poids des charges de fonctionnement par habitant va d'une fois et demi à deux fois la moyenne nationale, selon les collectivités ?
Dernier inconvénient pour chaque Corse : l'incapacité d'identifier les responsables de la stratégie de développement de l'Ile ou plus exactement de son absence quelles que soient la qualité et la volonté des élus. Personne n'exerce de responsabilités d'ensemble. Donc personne n'en est responsable. Pas de stratégie commune. Pas de pouvoirs d'ensemble mais un ensemble de pouvoirs éclatés. Pas de décideurs mais un maillage de multiple décideurs suffisamment forts pour empêcher, mais trop faibles pour harmoniser. Qui peut se satisfaire de cette situation ?
En face de ces inconvénients apparaît une nécessité .Il est clair que les compétences nouvelles de la collectivité territoriale ne pourront être assumées pleinement que si une cohérence de décisions se met en place. Ce qui implique de créer un endroit où les priorités, les stratégies se décident pour toute la Corse. Actuellement les clivages politiques se superposent aux clivages territoriaux, et ces priorités n'apparaissent pas, alors que le progrès en dépend. La nécessité absolue de faire des choix pour la Corse nécessite l'institution d'une collectivité représentant l'île dans son ensemble.
Le cur de ce projet, c'est en effet la cohérence, celle qui a tant fait défaut à la Corse. Elle a tant besoin d'un engagement collectif ! C'est vrai dans tous les domaines : économie, social, culture, environnement dans toutes ces nouvelles compétences de la collectivité territoriale , il faut absolument qu'il existe une assemblée qui représente toute l'île, ses sensibilités, et qui entraîne la Corse dans des choix d'avenir. Je prends l'exemple des deux milliards d'euros du programme exceptionnel d'investissement, pour les 15 années qui viennent. Routes, chemins de fer, ports, écoles, équipements sportifs. L'enjeu est suffisamment important pour que ce soit la Corse dans son ensemble qui en décide ! Et qui en décide de façon cohérente, transparente, et, claire ! Pour que les priorités stratégiques soient affirmées ! Pour que de vrais choix s'expriment !
Je pourrais prendre les exemples de la langue corse, de l'environnement, qui sont au coeur de votre identité, sur lesquels vous devez décider, proposer, d'une seule voix il faut un centre de décisions, avec des services forts, qui instruise des dossiers aussi importants. La collectivité unique le permettra. On me dit : attention, la centralisation des pouvoirs fera courir des risques en matière de démocratie. Je n'en crois rien. La future collectivité unique permettra l'équilibre des pouvoirs, la représentation des Corses et des territoires de la Corse. Elle sera aussi un gage d'efficacité. Et une démocratie se doit d'être efficace.
La loi du 22 janvier 2002 donne un pouvoir d'adaptation réglementaire à la collectivité territoriale. La réforme constitutionnelle permettra un pouvoir d'adaptation législative. Je sais à quel point ce sujet a été l'objet de discussions passionnées. Mais la réforme constitutionnelle va permettre, tranquillement, ce qui paraissait il y a encore dix huit mois comme une véritable révolution. L'article 72 de la Constitution prévoit en effet, une possibilité d'adaptation législative à partir de l'initiative des collectivités territoriales, dans les conditions prévues par une loi organique, en commençant par l'expérimentation. Cela est exactement ce que la loi du 22 janvier 2002 voulait faire, mais n'a pu réaliser faute de cadre constitutionnel. Il faut là aussi que ces pouvoirs d'adaptation législative soient adossés à une Assemblée forte, exprimant le point de vue de la Corse. La collectivité unique le permettra.
A Bruxelles, pour exprimer votre point de vue, qui doit être uni, vous l'avez bien vu il y a trois mois encore, une seule enceinte doit décider des priorités et les défendre. Seule l'union fait la force pour négocier et convaincre. Là encore, la collectivité unique le permettra.
On me dit parfois que d'admettre une telle spécificité, c'est s'éloigner de la République. Je ne vois pas en quoi. La République, c'est donner les mêmes chances à tous, en partant de leurs différences. C'est vrai pour les hommes. Ce doit être vrai aussi pour les régions, les territoires. La réforme constitutionnelle approuvée le 17 mars, c'est la possibilité donnée à la France de faire leur place à ces différences, si elles sont souhaitées. Pourquoi la Corse resterait-elle écartée de cette possibilité ? J'ajoute que la bi-départementalisation en Corse remonte à 1975. Je n'ai pas le sentiment qu'avant celle-ci la Corse se sentait moins républicaine et surtout moins française.
On me dit aussi que la Corse ne veut pas être un laboratoire d'expérimentation institutionnelle. C'est vrai mais reconnaissons que la bonne formule n'a pas été trouvée. A preuve, la contestation permanente. Ce n'est pas une invention des continentaux. C'est une réalité insulaire. Je crois profondément que lorsqu'un équilibre institutionnel sera trouvé, le sujet sera clos. Dans cette attente, le fait de proposer à la Corse des solutions adaptées à ses particularités me paraît être une simple démarche de bon sens.
Et pour qu'il n'y ait aucune contestation possible sur ce que veulent les Corses, et, que personne ne puisse parler en leur nom, confisquer le choix. Nous organiserons, dès cet été, une consultation pour recueillir l'avis de chaque Corse. Pour la première fois, car - la réforme constitutionnelle le permet - la population va pouvoir s'exprimer sur les orientations qui lui sont offertes pour l'organisation de la Corse. C'est aux Corses, enfin, que va être donnée la parole, pour peser sur un débat qui les concerne au premier chef mais qui a toujours été décidé sans eux. Matignon, c'étaient 50 personnes, certes représentatives. Demain, ce seront 260 000 Corses qui prendront leurs responsabilités.
Grâce à cette démarche, le débat institutionnel pourra être tranché, de la façon la plus démocratique qui soit. Il sera également refermé, dans un sens ou dans un autre, mais selon la volonté de la population, et donc, cette fois ci, pour très longtemps. Avant cette consultation, à la demande des élus, un audit approfondi des départements et de la collectivité territoriale sera réalisé, et rendu public, afin d'éclairer la décision de chacun.
Notre démarche est donc simple : le gouvernement va proposer au Parlement un projet de loi, qui sera dès aujourd'hui soumis pour avis à votre Assemblée territoriale, autorisant à consulter la population sur une question clairement identifiée. Si le Parlement l'accepte, une consultation sera organisée, au début de l'été! Le 6 juillet si la réponse à la consultation est oui, un nouveau statut sera élaboré et soumis en ce sens au Parlement, dès l'automne prochain. Si la réponse à la consultation est non, cette modification statutaire ne sera pas engagée par le gouvernement. Et le statu quo demeurera.
Quelle sera cette question ? On ne peut pas se contenter de consulter la Corse sur le maintien, ou non, des départements. Il faut lui proposer un projet qui ait un sens et une cohérence. Le choix proposé sera donc celui de la collectivité unique - ce point ne souffre d'aucune ambiguïté - mais d'une collectivité unique déconcentrée.
Une collectivité unique , cela veut dire que les départements dans leur forme actuelle seront supprimés. Bien sûr demeureront les communes, ainsi que leurs groupements, qui devront d'ailleurs se développer. Ajaccio et Bastia pourront se voir attribuer de nouvelles compétences et de nouveaux terrains. Je pense notamment à la question du logement social.
Une collectivité déconcentrée, cela veut dire que seraient créés deux conseils territoriaux, qui seraient des subdivisions de la collectivité territoriale, et qui en constitueraient ainsi des échelons de proximité, facilement accessibles à la population, aux maires en particulier, et en même temps proches des préoccupations des corses et de la diversité de leurs problèmes.
La collectivité unique aurait seule la personnalité morale. Elle lèverait donc seule l'impôt. Elle sera l'employeur de tous les fonctionnaires, territoriaux ou départementaux. Elle votera seule un budget. Et ses compétences seront générales.
Les deux conseils territoriaux de l'Assemblée, à Ajaccio, à Bastia, se verront dotés de crédits délégués par la collectivité, ainsi que du personnel mis à leur disposition par elle. Certaines de leurs compétences seraient définies par la loi, ce qui garantirait leur assise. Par exemple, la loi attribuerait la compétence "RMI" aux conseils territoriaux, ou encore l'entretien des routes. La collectivité unique déléguerait deux budgets, l'un au Nord, l'autre au Sud, elle fixerait les critères d'attribution. La collectivité unique pourra aussi décider de déléguer des compétences supplémentaires aux conseils. Dans tous les cas, la collectivité unique déciderait les modalités d'exercice des compétences des conseils territoriaux. Et les deux conseils seraient responsables de l'instruction et des décisions sur les dossiers !
Dans cette nouvelle organisation, les pouvoirs seront clairement répartis. A la collectivité, les choix d'ensemble, la définition des politiques. Aux conseils territoriaux, la gestion de ces politiques pour la part qui doit, pour un meilleur service à la population, être exercée plus près du terrain.
On me dit à la fois : si l'on conserve des élus de terrain, pourquoi supprimez-vous les départements ? Et de l'autre côté : si vous instituez une collectivité unique, pourquoi conservez-vous des élus de proximité ? La réponse n'est pas dans un compromis intellectuel qui aurait voulu concilier l'inconciliable. Encore que le compromis ne soit pas un mal en soi, surtout en Corse où nombreux sont ceux qui pensent détenir la vérité.
La réponse est simple. Dans cette organisation nouvelle, les élus de l'Assemblée territoriale siégeraient en même temps dans les conseils territoriaux. Ce seraient les mêmes hommes qui décideraient des choix à faire, des crédits à voter, et qui appliqueraient ces décisions au plus près du terrain, selon leur lieu d'élection. Il me semble que nous donnons, avec cette formule, à la Corse les avantages de la cohérence qu'autorise la collectivité unique sans perdre l'attrait de la proximité à laquelle sont attachés les maires et la population Corses.
Ce qui est essentiel en Corse où chaque vallée est un pays. Je dirai même que la proposition qui va être faite aux Corses, c'est de mettre la proximité au service de la cohérence.
Plusieurs questions resteront à trancher au delà de ce choix essentiel, et ils feront l'objet d'une nouvelle concertation, si la consultation de la population se révèle positive. Car il faudra alors rédiger un nouveau statut.
Je sais que le mode d'élection des conseillers territoriaux sera déterminant pour la représentation des forces politiques insulaires et pour le fonctionnement des futures assemblées. Sur ce sujet comme sur tous ceux qui vous paraîtront majeurs, des groupes de travail seront mis en place, ouverts à tous ceux qui veulent construire, et qui feront des propositions. Toutes ces questions devront être étudiées avec beaucoup de sérénité car les solutions dégagées devront l'être cette fois-ci pour durer. J'indique d'emblée cependant que le mode de scrutin retenu sera le scrutin proportionnel. Il faudra déterminer l'importance de la prime majoritaire afin que la collectivité soit gouvernable. Il faudra réfléchir également à la représentation des territoires. La parité sera également proposée pour associer davantage les femmes au développement de la Corse et au rétablissement de la paix dans l'île.
Voici, Mesdames et Messieurs, le message que je voulais vous adresser aujourd'hui, message qui est aussi celui du premier ministre, qui va bientôt nous rejoindre.
Le gouvernement s'engage, car il propose un projet à la Corse, et pour la première fois, aux Corses. Pas un projet de plus, mais un projet nouveau, qui rebâtit les fondations institutionnelles de l'île. Au cours de ces vingt dernières années, vous avez vu se succéder des constructions différentes, qui se sont surajoutées avec plus ou moins de bonheur. Cette fois-ci , c'est une conception nouvelle qui va être proposée à la population corse. Une proposition qui repose sur la confiance en l'avenir.
Chacun, je le sais s'engagera dans la campagne qui précédera la consultation.
Je vous demande avant de vous y engager vous même, de réfléchir en conscience à l'intérêt de la Corse, à la nécessité de lui donner les outils du progrès avec des institutions adaptées à sa réalité autant qu'aux défis qui sont devant elles. Je vous demande de peser les avantages d'une nouvelle organisation, en faisant l'effort, toujours difficile, d'imaginer un avenir différent du passé. Je vous remercie tous, d'avance, du rôle pédagogique qui sera le vôtre auprès de l'opinion, qui nous observe avec attention, et que nous n'avons pas le droit de décevoir. Pour ma part, je suis sincèrement heureux de pouvoir proposer à la Corse les bases de nouvelles institutions. Non pas pour le plaisir d'élaborer un nouveau statut. Mais pour l'honneur, beaucoup plus grand, d'être aux côtés des Corses dans la recherche d'un avenir meilleur.
(source http://www.corse.pref.gouv.fr, le 8 avril 2003)