Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur les grandes orientations de la politique en matière de gestion des déchets ménagers et assimilés, Paris le 4 juin 2003.

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Circonstance : Colloque intitulé "Valeurs vertes", à Paris le 4 juin 2003

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
En pleine semaine du développement durable, alors même que l'accent est résolument mis sur les gestes à travers lesquels chacun d'entre nous peut contribuer à préserver notre planète, le thème de la gestion des déchets revêt une importance toute particulière. Confronté quotidiennement à l'élimination des déchets, à son domicile, mais aussi dans son activité professionnelle, à l'école ou dans la rue, chaque Français peut mesurer son propre impact sur l'environnement, mais aussi les possibilités concrètes qui s'offrent à lui pour le réduire à travers des gestes simples.
Cette question est d'autant plus importante qu'elle touche au principal sujet par lequel l'écologie et le développement durable entrent dans le quotidien des Français : une enquête réalisée en 2002 montrait que 50% d'entre eux estimaient pouvoir protéger individuellement leur environnement à travers la gestion de leurs déchets, alors que dans bien d'autres domaines ils préférent s'en remettre à l'action de l'Etat. Le sondage qui a été dévoilé lors de votre colloque confirme tout l'intérêt de nos concitoyens pour cette question.
Je souhaite mettre ce sujet, ainsi que tout ceux qui, à l'instar de l'eau ou du bruit, touchent à la vie quotidienne des Français, au centre de mon action ministérielle des prochains mois. C'est pour cette raison que j'ai présenté ce matin, en conseil des ministres, une communication sur la gestion des déchets ménagers et assimilés. Sa teneur exacte n'est traditionnellement pas publique, mais son contenu, qui a pour ambition de dessiner les axes de la politique des déchets pour les prochaines années, peut et doit être partagé.
Je ne reviendrai pas sur le bilan des dix dernières années en matière de politique déchets, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter en clôture des assises d'Agen en 2002, ainsi que devant le conseil national des déchets le 17 décembre dernier. Nous savons que la gestion des déchets a profondément évolué, souvent dans le sens du progrès, mais je ne peux m'empêcher de vous faire part de ma préoccupation face à l'augmentation de la production de déchets d'une part, et face au risque de pénurie d'installations de traitement. J'aurai l'occasion d'y revenir.
Il y a quasiment un an maintenant, à quelques jours de l'échéance du 1er juillet 2002 qu'avait fixée la loi du 13 juillet 1992, j'avais annoncé que je tenais à ce qu'une différence soit faite entre les acteurs qui avaient fait des efforts pour être prêts, et ceux qui avaient adopté une posture attentiste. En fin d'année 2002, pour concrétiser cela, la taxe sur la mise en décharge a été modulée selon le caractère plus ou moins respectueux de l'environnement des centres d'enfouissement technique, afin, notamment, de récompenser ceux qui en avaient fait plus. Quant au doublement de la taxe pour les installations non autorisées, lui aussi introduit dans le collectif budgétaire pour 2003, il devrait contribuer à accélérer leur fermeture, ainsi que je l'évoquerai plus loin.
Par ailleurs, et comme je l'avais annoncé dès l'été dernier, les 36 incinérateurs qui demeuraient en infraction lors de mon arrivée au gouvernement étaient, fin 2002, soit mis aux normes, soit arrêtés. Alors que les émissions de dioxines des incinérateurs d'ordures ménagères étaient déjà passées de 1,1 kg en 1995 à 220 grammes en 2002, dès 2003 les premiers résultats de ces fermetures devraient se faire sentir avec des émissions inférieures au total à 150 g, soit 25% de baisse alors que les usines en infraction traitaient moins de 5% des déchets incinérés.
Cet exemple des incinérateurs hors normes est emblématique, car je suis intimement persuadée que la priorité absolue pour une " gestion responsable des déchets ", pour reprendre le titre de vos travaux, est de minimiser les impacts des installations de traitement sur l'environnement et la santé. C'est la première priorité que j'ai présentée ce matin. Il en va de la protection de nos concitoyens. Il en va aussi de la crédibilité de toute la filière d'élimination des déchets.
Cela se traduira en particulier par une grande attention à ce que, fin 2005, tous les incinérateurs respectent les nouveaux textes réglementaires européens sur l'incinération. Dans quelques jours, les exploitants devront remettre, à cette fin, une étude de mise en conformité. J'ai demandé à mes services d'être vigilants sur le respect des délais, y compris dès cette première échéance. Il résultera de l'application de ces nouvelles normes une division d'un facteur 10 des rejets de dioxines par rapport au niveau déjà réduit de 2002.
L'exemple de l'incinérateur de Vaux-le-Pénil en Seine et Marne montre les interrogations que peut susciter, même après son arrêt, le fonctionnement non conforme d'un incinérateur. Le sondage dont les résultats vous ont été présentés a mis en évidence une grande sensibilité de l'opinion sur cette question. Je le répète, il faut que tous, exploitants et collectivités propriétaires des installations, se mobilisent pour tenir cette nouvelle échéance de 2005.
La priorité accordée à la maîtrise des impacts passe aussi par la disparition des décharges non autorisées qui continuent d'enlaidir les paysages. J'ai demandé à mes services de définir un plan d'action pour renforcer, au cours des trois prochaines années, les actions visant à faire cesser l'apport de déchets dans ces installations. Les quantités concernées sont faibles mais l'impact visuel important, et le caractère symbolique de ce dossier l'est tout autant.
La prévention de l'émission de gaz à effets de serre constitue un autre axe d'action, toujours dans une optique de préservation de l'environnement et de la santé. Une amélioration de la gestion des décharges permettra d'encore mieux capter le biogaz. Je sais aussi que certains exploitants cherchent à optimiser la production d'énergie à partir des centres de stockage de déchets. De telles démarches sont évidemment prometteuses.
Nos efforts doivent aussi porter, et c'est là une deuxième grande priorité, sur la prévention de production de déchets, qui est évidemment la meilleure façon de régler la question des déchets. J'ai été particulièrement intéressée de constater dans le sondage qui vous a été présenté la sensibilité des Français à ce sujet, même si ce genre d'enquête doit être pris avec toutes les réserves d'usage. Or, sans nier les résultats de certaines actions réalisées au cours des 10 ans passées, il me semble que la prévention n'a pas obtenu la place qu'elle méritait, et que sa promotion a souvent relevé plus de l'incantation que de l'ambition concrète de parvenir à des résultats. C'est la raison pour laquelle le ministère de l'écologie et du développement durable lancera en automne un plan d'actions national, avec l'ensemble des acteurs concernés, producteurs de déchets, consommateurs, distribution, collectivités. L'ADEME jouera un rôle important dans la mise en place de ces actions.
Pour les administrations en particulier, car rien ne vaut l'exemple, ce plan se traduira par la mise en place d'un objectif de réduction de déchets de 5% par an pendant 5 ans. Au total, je fixe un objectif qui me semble ambitieux, si je le compare aux résultats des autres pays européens, mais malgré tout atteignable : stabiliser, pour l'année 2008, la production de déchets.
La décennie passée a été marquée par la sensibilisation réussie de nos concitoyens au tri des déchets. Cet effort doit se poursuivre en vue d'améliorer la récupération matière : il nous faut réduire les quantités mises en décharge ou incinérées. Cela constitue le troisième axe de la politique à mettre en place.
Un effort reste nécessaire dans le domaine des emballages, et le renouvellement prochain des agréments d'Eco-emballages et d'Adelphe y veillera, en confortant le partenariat avec les collectivités locales et en optimisant les coûts.
Mais les marges de progrès les plus prometteuses semblent résider dans l'optimisation de filières spécifiques de récupération de certains déchets : pneumatiques, déchets d'équipement électriques, ou véhicules hors d'usage pour lesquels le décret de mise en place du dispositif français est en cours de signature. Dans chaque cas, il s'agira de mettre en avant la responsabilité des producteurs, engagés avec les professionnels concernés de la gestion des déchets et du recyclage pour parvenir, au travers de filières dédiées, à des taux de valorisation élevés.
Le traitement biologique doit lui aussi être soutenu, notamment en confortant les pratiques actuelles pour certaines matières organiques d'origines agricoles, ou les résidus d'épuration des eaux, ce qui suppose la mise en place de référentiels de qualité.
Enfin, ces divers développements, notamment dans le sens de la valorisation, ne doivent pas entraîner une hausse démesurée des coûts comme cela a pu parfois être le cas au cours des années qui viennent de s'écouler. J'ai été frappée de constater que les coûts ont doublé en dix ans. Dans de nombreux cas, les progrès faits dans le sens de l'écologie et du développement durable le justifiaient. Mais il ne fait pas de doute que cette tendance ne pourra pas être prolongée.
La quatrième priorité concerne un point que j'ai déjà évoqué en propos liminaire : la pénurie de capacités de traitement prévisible d'ici quelques années. L'instance d'évaluation du service public des déchets mise en place par le Commissariat au Plan estime qu'à moyen terme, c'est à dire 5 à 8 ans, 75 départements pourraient connaître une telle pénurie. Cette perspective doit être résolument combattue en raison des effets très négatifs qu'elle entraînerait. Nous constatons d'ores et déjà que les déchets voyagent sur des distances croissantes, et cette tendance ne pourra que s'accentuer, entraînant avec elle son lot de pollutions et d'émissions de gaz à effet de serre. Et si la situation devenait plus critique encore, elle conduirait sans nul doute à maintenir ouvertes ou à rouvrir des installations peu vertueuses sur le plan de l'environnement.
Plusieurs moyens peuvent être mis en oeuvre pour combattre cette pénurie annoncée. Garantir une stricte application de la réglementation afin de redonner confiance en est un. L'implication et la responsabilisation des collectivités en est un autre. C'est pour cette raison que j'ai proposé au Premier Ministre d'inclure dans le projet de loi sur la décentralisation, le transfert, aux conseils généraux, de l'élaboration du plan départemental d'élimination des déchets ménagers et assimilés.
Le gouvernement étudie par ailleurs la possibilité de confier aux départements la possibilité de lever une taxe départementale sur la mise en décharge et l'incinération, afin de permettre aux départements de peser réellement sur les choix et de mettre en application le plan qu'ils auront conçu.
Pour paraphraser le titre d'une de vos tables rondes, j'en appelle enfin à l'esprit citoyen de tous, afin de garantir l'intérêt public. Malgré tous les efforts réalisés pour augmenter la récupération matière, une quantité importante de déchets devra toujours être traitée par mise en décharge ou incinération et des installations doivent être prévues pour cela. Ces unités doivent être irréprochables sur le plan de l'environnement, et la nécessité de les créer doit être comprise par la population.
Ma cinquième et dernière priorité est de mettre en place une vraie politique d'information sur les déchets. Beaucoup d'efforts ont été demandés à nos concitoyens au cours des années passées. Il me semble légitime qu'ils sachent l'utilité de leurs efforts, quelles quantités de déchets sont réellement recyclées, comment mieux consommer pour produire moins de déchets, pourquoi une hausse des coûts de traitement est constatée, quels sont les rejets de telle usine d'incinération, l'impact réel de telle décharge, ou pourquoi il est nécessaire de mettre en place un réseau d'installations de traitement uniformément réparti sur le territoire.
J'ai demandé à l'ADEME de structurer le réseau des observatoires régionaux des déchets, qui constitueront le premier jalon d'une telle politique d'information.
Voilà esquissées en quelques mots les orientations pour les prochaines années en matière de gestion des déchets. Si les premières actions concrètes seront très prochainement lancées, la concertation doit se poursuivre sur certains points, je compte beaucoup sur le conseil national des déchets pour cela et je profite de cette occasion pour remercier son président, Monsieur Jacques Pelissard, pour la qualité de l'action déjà réalisée, dans le prolongement de celle qu'il a animée pendant 8 ans à la présidence de la commission nationale sur les emballages. Je salue également tous ceux, élus, représentants du monde professionnel, du monde associatif, qui se sont fortement investis au cours des années passées pour nous aider à progresser.
Réduire la quantité de déchets produits ; valoriser tout ce qui est possible ; éliminer ce qui ne peut être valorisé en respectant l'environnement, que ce soit dans des incinérateurs ou dans des décharges ; rester vigilant sur l'évolution des coûts ; informer le citoyen : voilà tracées les grandes lignes de la politique des déchets pour les prochaines années.
Mais si la communication d'aujourd'hui marque aussi le coup d'envoi de premières actions concrètes, l'armature qui a été dessinée doit être étoffée sur plusieurs sujets, et concertée, tout notamment avec les élus locaux et nationaux, les associations de protection de l'environnement et les entreprises concernées. La très prochaine publication du rapport de l'instance d'évaluation du Plan apportera un premier complément de réflexion. Ce sera ensuite le rôle du Conseil National des Déchets que de terminer la formalisation de ses propositions pour septembre. L'automne verra le lancement officiel du plan d'actions pour la réduction à la source des déchets. Une circulaire donnera de premières directives d'évolution aux services de l'Etat dès l'automne 2003. Enfin, un projet de loi sera présenté au Parlement en 2004.
D'ici là, l'ADEME aura défini un nouveau régime d'aides, dont je sais qu'il est attendu par beaucoup d'entre vous. Ce régime devra être parfaitement en ligne avec les priorités définies. Je peux vous indiquer que, dans un contexte budgétaire pourtant extrêmement tendu, les crédits de l'ADEME en matière de déchets devraient être préservés, preuve de l'importance apportée par le Gouvernement à ce sujet.
Notre plan de marche, qui comprend aussi de nombreuses actions réglementaires non reprises ici, est donc particulièrement chargé. Il est à la mesure des enjeux de ce qui constitue un vraie question de société, et deviendra un vrai problème écologique si nous ne nous en saisissons pas immédiatement.
Je vous remercie.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 10 juin 2003)