Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la gestion et la modernisation du ministère et sur l'action diplomatique de la France, Paris le 27 août 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée annuelle des ambassadeurs à Paris du 26 au 29 août 1998

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Nous voilà réunis à l'occasion de cette sixième Conférence des ambassadeurs, rendez-vous clef de la diplomatie française. Vous avez entendu hier le président de la République brosser une vaste fresque de l'année écoulée et des orientations internationales de la France.
Au déjeuner, le Premier ministre répondra à vos questions. Demain au déjeuner vous rencontrerez de nombreux ministres et dans les autres séances et les multiples tables rondes de nombreux invités extérieurs.
Aujourd'hui, nous allons travailler sur deux grands sujets : je vais récapituler devant vous l'action de modernisation menée depuis 15 mois et vous indiquer les axes de travail pour les prochains mois.
J'en ferai autant pour notre action diplomatique. en analysant les difficultés rencontrées et la façon dont nous agissons pour les surmonter. Pierre Moscovici et Charles Josselin parleront des problèmes dont ils ont la responsabilité. Puis nous répondrons à vos questions.
I - Je vais d'abord vous parler de la gestion et de la modernisation du ministère
En vous réunissant l'an dernier, j'avais évoqué d'emblée devant vous l'organisation et le fonctionnement du Département. Depuis quatorze mois, en de multiples occasions, je me suis exprimé à ce sujet.
Sur le constat, vous connaissez mon analyse ; je ne la rappellerai que brièvement :
- Le ministère des Affaires étrangères est une "tour de contrôle" irremplaçable dans l'action extérieure de notre pays. Il est le seul à disposer d'une capacité aussi globale d'information, de synthèse, d'analyse et de coordination. Or cette fonction, sans être ouvertement contestée, s'érode, conséquence bien connue du développement des activités internationales des autres administrations publiques et de l'émergence croissante de nouveaux acteurs nationaux, ONG, collectivités territoriales, entreprises.
- Deuxième élément de constat, alors que mondialisation et globalisation exigent plus de mobilité dans nos comportements, davantage d'anticipation et d'adaptabilité de nos moyens et de nos structures, cette administration ne doit pas céder à la tentation de se replier sur elle-même, sur ses corps et ses statuts, sur ses missions "régaliennes". La réponse est claire : il nous faut plus de rayonnement, plus de mobilité, plus d'ouverture.
- Troisième point, la gestion de nos moyens, de nos crédits, de nos procédures doit être fondamentalement modernisée. Depuis longtemps un important travail a été entrepris. Là aussi, il nous faut aujourd'hui aller plus vite et beaucoup plus loin, compte tenu notamment des contraintes budgétaires durables qu'il nous faut affronter.
Sur la base de ce constat, je voudrais récapituler le travail effectué depuis un an en étroite association avec le ministre délégué aux Affaires européennes et le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie.
A) Le bilan
1 - En premier lieu, la très importante et indispensable réforme de la Coopération voulue par le Premier ministre. Je ne reviendrai pas sur les détails de cette réforme dont vous avez été informés ; je voudrais simplement insister sur quelques aspects essentiels sur lesquels le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie interviendra plus précisément tout à l'heure :
* Alors que plusieurs schémas d'organisation plus ou moins ambitieux et complets pouvaient être envisagés, j'ai, avec Charles Josselin, arbitré pour une intégration aussi poussée que possible entre les fonctions de coopération internationale aujourd'hui assurée par la DGRCST et celles d'aide au développement portée par les services de la rue Monsieur. La nouvelle DGCID, direction générale de la Coopération internationale et du Développement, produit de cette intégration, sera en place le 1er janvier prochain. Son organisation sera très sensiblement différente des structures existantes.
* Deuxième aspect essentiel de cette réforme, qui aura des implications directes pour vous, nos modes d'intervention sont appelés à évoluer. Comme vous le savez, nous sommes en train de définir ce qu'on appelle la "zone de solidarité prioritaire". Ce sera là la tâche principale d'un prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement que le Premier ministre réunira à l'automne prochain. Parallèlement seront reformulées les relations entre le Département et les opérateurs de la Coopération, au premier rang desquels l'Agence française de développement.
Dans le même temps, la réforme de la Coopération se traduira dans les postes par une évolution du réseau culturel et de Coopération au développement. Ainsi, les actuelles missions d'aide et de Coopération sont en cours de transformation et deviendront, à l'image de nos services culturels, des services de Coopération et de développement pleinement intégrés à la chancellerie diplomatique.
Cette réforme d'envergure se met en place, même si elle est particulièrement complexe dans sa mise en oeuvre. Elle se traduira, à Paris mais aussi dans vos postes, par une plus grande clarification de nos objectifs, des responsabilités, et des modes d'action.
2 - J'en viens à l'organigramme de notre administration centrale. Je vous avais fait part l'an dernier de mon souhait d'engager, sans idées préconçues, les adaptations de nos structures si elle se révélaient nécessaires. Au-delà des modifications d'organigramme qu'implique la réforme de la Coopération, j'ai décidé à l'usage de procéder à quelques ajustements de l'organisation de notre administration centrale telle qu'elle avait été mise en place par la réforme de 1993. Ce nouvel organigramme sera en vigueur à partir du 1er octobre prochain. Je vous en présente les principales dispositions :
-> l'extension des attributions de la direction de la Coopération européenne à l'ensemble des pays concernés par le processus d'élargissement de l'Union européenne, ce qui traduit une réalité et permettra d'assurer une meilleure coordination entre le suivi des négociations d'adhésion et nos relations bilatérales avec chacun des pays concernés. L'actuelle direction de l'Europe continentale sera en conséquence recentrée sur nos relations avec les Etats de l'est de l'Europe et les Etats de l'Europe balkanique ;
-> le renforcement des compétences de la direction des affaires économiques et financières dans le domaine des contacts avec le monde de l'entreprise (création d'une "mission entreprises") et de l'accompagnement de leurs stratégies industrielles ;
-> la direction générale des Affaires politiques et de sécurité sera réorganisée : création d'une nouvelle direction de la Coopération militaire et de Défense fusionnant la mission militaire de Coopération de la rue Monsieur et la sous-direction de l'aide militaire du Quai d'Orsay, identification plus claire des responsabilités en matière de désarmement et de prolifération. Par ailleurs, le service des Affaires francophones et le service de l'Action humanitaire, qui sera regroupé avec la cellule d'urgence, sortiront de l'orbite de la DGP pour être placés directement sous l'autorité du Secrétaire général ;
-> Une profonde réorganisation de la DGA est en cours. Il s'agit bien sûr de fusionner les services de gestion du Quai d'Orsay et de la rue Monsieur mais plus fondamentalement de moderniser en profondeur toutes les fonctions qui relèvent de cette direction. J'ai ainsi décidé de séparer le service du chiffre et des communications et celui de l'équipement, qui sera profondément restructuré, de créer une mission du patrimoine qui englobera les activités de l'ancienne cellule décoration dont les méthodes devaient être corrigées. J'ai également confié la reprise en main de la gestion des réceptions à une professionnelle de l'hôtellerie.
3 - Troisième chantier en cours depuis un an sur lequel je voudrais insister même s'il ne relève pas à proprement parler de problèmes d'organisation et de modernisation, c'est la rénovation de notre politique des visas. Je vous ai adressé à cet égard mes instructions personnelles en mai dernier ; je les réitère aujourd'hui.
La politique des visas doit être un instrument au service de notre influence et de notre rayonnement. Ce ne doit pas être des procédures anonymes gérées sans distinction. Ce que je vous demande, c'est dorénavant, dans vos pays de résidence soumis à obligation de visa, de faciliter chaque fois que possible une circulation plus aisée vers la France des personnalités et des milieux locaux qui contribuent au développement de nos relations bilatérales. C'est donc une politique ciblée qu'il convient de mettre en oeuvre, faite d'allégement de procédures, de simplification des démarches, d'accueil personnalisé au profit de ces élites étrangères. Des pratiques indiscriminées ont trop longtemps pu détourner de notre pays des milieux d'influence, des relais locaux qui nous sont proches. Ce sont ces publics, hommes d'affaires, scientifiques, étudiants, universitaires, personnalités culturelles, qu'il nous faut en quelque sorte reconquérir. Et, en règle générale, humanisation des conditions d'attente et de demande.
Un important travail a été entrepris au cours de ces derniers mois par la DFAE pour donner corps à ces orientations qui correspondent à une volonté du gouvernement. Cette politique, je la mets en oeuvre en pleine harmonie avec le ministre de l'Intérieur. Je vous demande de lui apporter toute l'attention nécessaire et d'en superviser personnellement l'application par vos collaborateurs en charge des affaires consulaires.
B) Les orientations
L'action que j'entends mener au cours de l'année à venir en ces matières prolongera ces premières décisions.
A cette fin, et c'est le sens principal du mouvement diplomatique approuvé par le Conseil des ministres en juin, j'ai souhaité m'entourer d'une nouvelle équipe dans les fonctions-clés du Département, désignée pour conduire les changements que j'estime indispensables pour l'avenir de cette maison.
Pour mener à bien ces adaptations, pour piloter les différentes réformes jusqu'à leur terme j'ai créé un "comité de management" que je réunirai chaque mois avec le Secrétaire général et les directeurs ou chef de services concernés. J'ai arrêté, il y a quelques semaines, un programme de travail de ce comité, avec lequel je compte progresser dans trois directions :
1 - La politique du personnel et de la formation doit être notre première priorité, car c'est la condition de la mise en oeuvre de mes autres objectifs. Le métier diplomatique a énormément évolué au fil des années - le président de la République le rappelait hier - tandis que dans le même temps pour de mauvaises comme de bonnes raisons, nous n'avons pas encore fait suffisamment bouger les statuts, les corps, la formation, les règles de gestion et d'affectation des personnels. L'administration du personnel doit désormais mieux traduire la diversité et la complexité des fonctions que les agents de cette maison doivent assumer.
Au cours du prochain semestre, avec le Secrétaire général, avec le directeur général de l'Administration, une réflexion approfondie va être conduite sur l'ensemble de cette problématique ; j'arrêterai ensuite un plan d'action sur la base des propositions qui me seront transmises. Celles-ci devront répondre aux exigences suivantes :
-> favoriser la mobilité interne et externe des agents. A la diversité des fonctions que les diplomates peuvent avoir à assumer doit correspondre aujourd'hui une plus grande diversité des parcours professionnels. Alors que le Quai d'Orsay est supposé animer la concertation interministérielle sur les fonctions internationales, je suis frappé de constater la très faible mobilité externe des agents des Affaires étrangères, si ce n'est la mobilité géographique, ce qui n'est pas la même chose. Trop peu d'agents d'encadrement du Département effectuent une mobilité statutaire dans d'autres ministères et j'estime qu'il s'agit là d'une entrave certaine au développement du rayonnement du Quai d'Orsay au sein de l'appareil d'Etat. J'attends des propositions précises pour rendre effective une telle mobilité statutaire. En tout état de cause, la nomination aux emplois de responsabilité, en particulier à compter du grade de sous-directeur, devront mieux tenir compte des expériences passées en dehors du Département.
-> Rénover les statuts et les corps du Département. Vous savez qu'une réflexion est actuellement en cours dans le cadre de l'intégration au sein des Affaires étrangères des personnels de la Coopération. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à maintes reprises sur les conditions d'une fusion éventuelle du corps des attachés d'administration centrale et de celui des secrétaires adjoints. D'une façon générale, je souhaite engager une réforme statutaire, dans le sens du décloisonnement des corps aujourd'hui trop repliés sur leur spécificité. De ce point de vue, j'estime que tout ce qui entrave la fluidité des carrières entre Paris et l'étranger constitue une rigidité inutile.
-> Revoir les règles d'affectation des agents. Je sais qu'il s'agit là d'un "serpent de mer" ayant déjà donné lieu à de multiples rapports et que toute annonce dans ce domaine rencontre d'abord le scepticisme. Mais je suis convaincu que des progrès doivent être et peuvent être réalisés dans ce domaine : introduire plus de prévisibilité, avec l'objectif de connaître avec un préavis suffisant sa future affectation, déterminer des critères objectifs et transparents dans les mutations, éviter les distorsions, fruits d'ententes personnelles entre chefs de poste et agents ou de pratiques corporatistes qui font fi de toute politique cohérente d'affectation, telles sont les pistes sur lesquelles des avancées doivent être enregistrées à brève échéance.
->Améliorer la formation des agents, à laquelle nous consacrons des moyens budgétaires non négligeables, de telle sorte qu'elle soit mieux articulée avec la politique des affectations. Il faut dans ce domaine promouvoir des formations plus individualisées, ouvrir l'Institut de formation de Nantes à des actions de formation interministérielles, mettre l'accent sur les nouvelles technologies de l'information, renforcer les compétences linguistiques, mieux préparer le départ en poste des agents et également, j'y tiens beaucoup, de leurs conjoints que je viens de rencontrer ce matin.
2 - Deuxième orientation, poursuivre et intensifier nos réformes de gestion. Il nous faut véritablement "changer de braquet", c'est à dire approfondir, accélérer, innover, de sorte que les Affaires étrangères ne soient pas simplement perçues comme dépositaire d'une ancienne et prestigieuse fonction régalienne de l'Etat, mais également comme une grande administration capable d'être à la pointe de la réforme de l'Etat et de l'efficacité moderne. Il faudra obtenir qu'un souci quotidien de gestion rigoureuse de nos moyens, qu'une culture de management engagent chacun d'entre nous. Vous devez vous sentir personnellement comptables du bon usage des moyens financiers, immobiliers, matériels, donc de l'argent public que l'Etat met à votre disposition dans vos pays de résidence. Je pense même qu'il devrait s'agir d'un des critères principaux selon lesquels doit être appréciée, par l'Inspection notamment, l'efficacité de votre mission.
Dans ce domaine aussi, j'ai demandé que des propositions précises me soient formulées :
-> J'entends en premier lieu pousser aussi loin que possible le processus de déconcentration des moyens et des responsabilités. J'estime que vous devez avoir une maîtrise aussi complète que possible de l'ensemble des moyens de fonctionnement de vos postes. A cette fin, et à titre d'exemple, je souhaite que soient progressivement transférés aux ambassadeurs la compétence et les crédits en matière de personnels de recrutement local, ainsi que les crédits correspondant aux frais de voyages entre les postes et la France. Je sais que cela répondra à l'attente de beaucoup d'entre vous, en particulier pour la gestion des recrutés locaux compte tenu de la place qu'occupent dorénavant ces personnels dans nos postes diplomatiques, consulaires et culturels. Par ailleurs, je vous avais annoncé l'an dernier le principe d'une réforme de vos frais de représentation. Au terme d'une expérimentation très concluante conduite depuis le début de cette année, j'ai décidé que cette réforme sera généralisée à compter du 1er janvier. Vos frais de représentation ne seront donc plus versés en accompagnement de votre traitement mais prendront la forme d'un crédit mis en place auprès de la régie de votre poste. Les modalités précises de cette réforme vous seront prochainement notifiées par la direction des Affaires financières.
-> J'ai demandé en second lieu que me soient proposés à brève échéance les nouveaux éléments d'une politique immobilière. Gestion plus rigoureuse de nos moyens budgétaires nécessairement limités, transparence dans l'organisation des concours et dans la sélection des maîtres d'oeuvre et des entreprises, suivi très attentif de nos grands chantiers d'ambassades et de résidences à Berlin, à Pékin, à Pretoria ou ailleurs, réalisations moins coûteuses de nos programmes immobiliers tout en veillant à leur qualité architecturale, souci porté à la préservation du patrimoine exceptionnel dont nous avons la responsabilité, remise en ordre des procédures en matière de décoration, définition plus rigoureuse des travaux nécessaires, c'est l'ensemble de cette politique, à laquelle j'attache beaucoup d'importance, qui doit être repensée. Un comité de politique immobilière, rénové dans sa composition et dans son rôle, et que je réunirai régulièrement, sera l'instrument de cette remise en ordre.
3 - Troisième orientation, revoir en profondeur les méthodes de travail en vigueur au sein du Département. J'en donnerai trois illustrations :
-> Il faut en premier lieu lutter contre les cloisonnements internes. Le processus de préparation des dossiers de visite ou d'entretien est un des domaines où des améliorations significatives s'imposent : moins de formalisme, moins de duplication des tâches entre les synthèses préparées par les postes et celles effectuées par l'administration centrale, je viens d'en parler, moins de "ritualisme" dans les éléments de langage, moins de double emploi. Je demande au Secrétaire général de promouvoir les changements nécessaires dans l'organisation de nos procédures collectives, dans le mode de circulation de l'information, et également, et j'insiste sur ce point car cela demeure le principal outil de travail, dans l'amélioration de la correspondance télégraphique. Je m'excuse auprès de ceux à qui ces demandes ne s'appliquent pas : je souhaiterai un style plus concis, des notes plus courtes, de la sobriété, de la précision.
-> Il faut en second lieu que le ministère prenne sans plus tarder, et pas à moitié, le tournant des nouvelles technologies de l'information. C'est pourquoi j'ai souhaité que la séance plénière de tout à l'heure y soit consacrée. La messagerie interne, formidable outil de décloisonnement et de transmission de l'information, doit être généralisée à l'ensemble des postes selon un échéancier d'équipement que je souhaite aussi rapproché que possible. De louables efforts ont été entrepris depuis peu en matière d'accès et de diffusion sur Internet ; je félicite en particulier la DFAE pour le dynamisme dont elle a fait preuve en constituant un réseau Internet d'informations consulaires. Je trouve que le schéma directeur informatique du Département qui m'a été récemment présenté doit tirer davantage parti de la formidable expansion de l'information disponible sur les réseaux mondiaux Internet.
-> J'ai en troisième lieu engagé avec le Secrétaire général et avec la DPIC une réflexion de fond sur la politique de communication du ministère dans toutes ses dimensions.
Il nous faut enfin définir un plan global d'adaptation de notre réseau.
Les réductions d'effectifs consenties depuis quelques années, je le sais, représentent pour beaucoup d'entre vous, pour vos collaborateurs, une contrainte forte. Je crois donc le moment venu de réfléchir aux dimensions et surtout aux modalités de notre présence dans le monde en recherchant des formules souples, innovantes qui nous permettent de réagir et d'agir sur notre présence dans les délais les plus courts sinon de façon anticipée. Il y aura nécessairement des décisions délicates à prendre, dont je vous informerai le moment venu, mais elles procèdent d'une réflexion d'ensemble organisée et cohérente dont j'ai confié le soin au Secrétaire général et qui se traduira par un plan global d'adaptation de notre réseau qui me sera présenté cet automne.
Comme vous pouvez le constater, ce sont d'immenses chantiers qui, pris isolément les uns des les autres, représentent une somme d'efforts, d'énergie, d'investissement de chacun tout à fait considérable. Mais ces adaptations sont vitales si nous voulons que le Département développe sa capacité d'être présent en permanence sur tous les plans et partout dans le monde et jouer pleinement son rôle d'analyse, d'alerte, de proposition et de coordination.
II - J'en viens maintenant à notre action diplomatique
Je commencerai par l'Union européenne. Notre objectif est de faire en sorte que l'Europe et l'influence française ressortent plus fortes des négociations cruciales des prochains mois.
Au cours de l'année écoulée, nous avons accepté et signé le Traité d'Amsterdam issu de la précédente CIG, élargi et complété le pacte de stabilité vers la croissance et l'emploi, obtenu la création d'un Conseil de l'euro et confirmé celui-ci, fait de l'emploi une priorité de l'Union. Le passage à l'euro au 1er janvier 1999 sera un événement majeur.
Le processus d'élargissement est relancé. Il concerne pour le moment six nouveaux pays ce qui nous mènerait à 21 membres, six autres attendent (= 27). Pour 7 autres au moins le problème se posera un jour. La question des limites institutionnelles et géographiques de l'Union est donc posée, elle doit être débattue. Les douze à dix-huit mois à venir vont être cruciaux. Il nous reste à ratifier Amsterdam, texte qui comporte quelques avancées utiles mais nettement insuffisantes. Nous ne sommes encore que trois avec l'Italie et la Belgique à faire des réformes institutionnelles un préalable au prochain élargissement. Plusieurs pays reconnaissent que l'élargissement continu de l'Union alourdit et ralentit le fonctionnement de ses institutions. Aucun n'a sur ce point la position claire de la France, parce qu'aucun ne partage tout à fait notre projet de l'Europe puissance. D'où le risque de dilution.
Quelle que soit la force de l'impératif démocratique, historique et affectif, il ne faut pas qu'il inhibe toute gestion rationnelle du processus d'élargissement et paralyse toute réflexion sur le fonctionnement ultérieur de l'Union. Raison de plus pour maintenir la pression et exiger un suivi régulier par le Conseil de ces négociations. Ce qui est la moindre des choses.
A ce propos, l'insuffisance de la coordination au sein de l'Union est de plus en plus frappante. C'est très visible au sein du Conseil Affaires générales (ordres du jour surchargés, éparpillement, engluement des sujets mineurs de la PESC) ou face à la surenchère et la fuite en avant de certains Commissaires, par exemple dans l'annonce précipitée de zones de libre échange. Pierre Moscovici et moi avons fait des propositions reprises par la présidence autrichienne. Au total, il s'agit de reprendre le contrôle du processus communautaire et européen de décision.
D'autant que nous aurons en 1998-1999 à résoudre l'équation à première vue impossible de l'Agenda 2000 ; à prévoir l'impact des premiers élargissements, à trouver et à imposer une vraie solution institutionnelle ; à suivre de près chaque négociation d'élargissement ; à recentrer l'élaboration de la PESC sur de vraies priorités en luttant contre l'éparpillement et le verbiage ; à désigner le prochain président de la Commission et un titulaire au poste de Monsieur PESC ; Pierre Moscovici vous parlera du travail intense qui nous attend.
Nos relations avec les pays d'Europe, tous les pays d'Europe sans exception sont essentielles pour préparer bilatéralement avec tous nos partenaires les conditions d'un progrès de l'Union.
Au cours de ces quinze mois très chargés, le Président, le Premier ministre, Pierre Moscovici ou moi avons eu des contacts incessants chez eux ou à Paris avec à peu près tous nos partenaires. Relations très étroites avec les pays clés. Mais on ne peut faire l'impasse sur aucun.
Avec l'Allemagne, les relations personnelles sont bonnes, mais la situation, et donc la relation, ne sont plus tout à fait les mêmes qu'auparavant. Sans que personne l'ait voulu, les intérêts français et allemands ont souvent été différents dans cette période. L'Allemagne réunifiée défend ses positions sans complexe. Je ne dis pas que l'Allemagne soit devenue moins européenne, mais elle l'est comme l'est la France : elle n'en rajoute plus. Cela n'a pas empêché ni la concertation amicale, ni plusieurs initiatives communes du type de mes voyages avec Klaus Kinkel dans l'ex-Yougoslavie, de la lettre Kohl-Chirac sur la subsidiarité ou des décisions du Premier ministre sur les problèmes industriels. A l'évidence, la relation franco-allemande appelle une relance sur la forme, les méthodes et surtout les objectifs quelle que soit l'issue des élections.
Je ne vois pas en effet au sein de l'Union ce qui pourrait remplacer un accord franco-allemand sur l'avenir de l'Europe. Mais nous savons aussi que dans l'Europe à Quinze, a fortiori dans une Europe à 21 ou 27, cette entente franco-allemande ne suffira pas à entraîner le convoi si elle n'est pas complétée par un véritable accord avec un ou plusieurs autres partenaires tels que la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne, un jour la Pologne, toujours la présidence en exercice, tel ou tel autre pays qui a un moment donné peut jouer un rôle clef. Mais rebâtir cet accord franco-allemand pour l'avenir reste une priorité ; ce mot, trop galvaudé, prend ici tout son sens.
A propos des autres pays, le nouvel engagement européen du Royaume-Uni, partenaire déjà essentiel pour l'élaboration de la politique extérieure et la sécurité, multipliera les occasions de coopération à mesure qu'il s'affirmera. Il faudra également chercher à transformer les convergences que nous avons avec nos voisins, avec l'Italie notamment, en plus d'actions communes. Le dialogue doit être aussi nourri avec ceux que l'on appelle les "petits pays", sans exception, qui se sentent souvent négligés, et dont l'adhésion à nos initiatives est une condition de leur succès. D'ailleurs un pays qui participe à la décision de l'Union n'est pas "petit".
Notre dialogue avec l'Autriche se développe. Nous avons travaillé ensemble pour leur présidence. Notre problème principal pendant cette présidence sera de savoir quelle est leur vraie position sur l'élargissement.
Nos relations ont été aisées et sans problème avec la Suède, la Finlande, le Danemark. Nous avons l'intention de nous intéresser de plus près aux relations qui se développent rapidement entre tous les riverains de la Baltique.
En revanche, la question de nos rapports avec la Grèce et la Turquie reste un casse-tête. En fait, avec la Grèce elles seraient excellentes s'il n'y avait la question turque, et Chypre.
Notre position sur la Turquie est géopolitiquement logique mais, d'une part il n'y a pas de consensus en Europe, loin de là, pour honorer les promesses faites à la Turquie à qui l'on affirme depuis 1963 qu'elle a une "vocation européenne" ; du fait du veto grec, il n'y a même pas d'accord pour simplement tenir les engagements financiers pris en 1995 ; il n'y a pas de moyen dans l'état des institutions européennes de contourner ce veto grec. Et il s'en faut de beaucoup que la politique de la Turquie nous y aide, notamment en matière de Droits de l'Homme et sur Chypre.
Cette paralysie européenne laisserait le champ libre aux Etats-Unis mais il est patent que ceux-ci ne peuvent pas non plus débloquer l'affaire de Chypre.
Deux approches sont concevables. Une approche très ambitieuse : débloquer les relations gréco-turques et trouver dans la foulée une solution à Chypre. Cela suppose un investissement énorme et une coordination complète des efforts européens et américains. Ou alors se concentrer sur les rapports franco-grecs d'une part, franco-turcs de l'autre, en évitant que la négociation entre l'Europe et Chypre qui pose un problème sérieux, menée à son rythme, et en fonction de la situation dans l'île, ne perturbe cet objectif.
Dans tout le reste de l'Europe, notre politique vise à utiliser au mieux les périodes d'attente et de transition et à préparer l'avenir européen de ces pays.
De la Pologne à l'Ukraine, nous avons été également très actifs au cours de ces 15 mois avec presque tous les autres pays d'Europe.
L'enjeu est de réussir à nourrir un dialogue bilatéral substantiel avec chacun d'entre eux, sur toutes les questions touchant à l'Europe et à son avenir ; à faire en sorte que nos positions sur l'élargissement et sur l'avenir de l'Union soient les mieux comprises possible et l'idée de Conférence mise à profit.
A cet égard, je crois que l'on peut dire que Pierre Moscovici et moi-même avons commencé à expliquer à nos partenaires la logique du préalable institutionnel et l'intérêt pour eux d'entrer dans une Europe qui marche. Nous travaillons dans l'intérêt des membres actuels et futurs.
Certes, ils ne sont pas enthousiasmés parce que leur impatience européenne est grande et que les promesses inconsidérées ont été nombreuses mais notre analyse n'est plus rejetée en bloc ; elle est comprise petit à petit, par sa logique et parce qu'elle est une donnée de la situation.
Il nous faut poursuivre ce travail d'explication à chaque étape, notamment quand nous aurons précisé nos bases de négociation sur le préalable institutionnel.
S'il y a une formule qui résume nos ambitions pour le sud-est de l'Europe, c'est "Européaniser les Balkans".
En ex-Yougoslavie, la ligne suivie est celle de la mise en oeuvre et de la consolidation, bon gré mal gré, des Accords de Dayton.
Jusqu'ici, la lourde tutelle mise en place par la Communauté internationale a assuré la paix. En revanche, la construction d'une Bosnie pluri-ethnique, souhaitée par les accords, marque le pas. Espérons que les élections de septembre permettront de lever certains verrous. Il n'y a pas de stratégie de remplacement, sauf à accepter le désir de tous les Croates, et de tous les Serbes de vivre chacun dans leur Etat, ce qui reposerait inévitablement la question musulmane.
En ce qui concerne la France, il faut noter heureusement l'épuisement de la polémique, sur l'affaire du TPI et sur l'arrestation des criminels de guerre : notre action et nos initiatives en ont fait justice.
En ce qui concerne le Kossovo, il n'y a heureusement pas l'équivalent des désaccords qui existaient en 1991 entre l'Allemagne et les autres sur la Croatie et la Bosnie.
Les six pays du Groupe de contact et les autres pays d'Europe sont d'accord pour récuser le statu quo, ne pas soutenir l'indépendance et imposer une autonomie substantielle dont ils ont étudié plusieurs versions sans vouloir les imposer car elles seraient rejetées.
S'il n'y a pas de désaccord sur les objectifs, nous butons sur les difficultés suivantes :
- la résistance obstinée de Belgrade malgré les sanctions et les menaces, parce que M. Milosevic se sait soutenu sur ce point par les Serbes et qu'il pense qu'il n'a rien à gagner en bougeant ;
- le maximalisme et les divisions chez les Albanais du Kossovo, ce qui laisse l'initiative à l'UCK, sauf pendant les épisodes de répression serbe, pour affaiblir M. Rugova. ;
- les réticences des Etats-Unis envers le Groupe de contact ;
- le problème de la prise de décision : pour nous il n'y a pas d'emploi de la force de l'OTAN sans résolution du Conseil de sécurité. Pour le moment, les Etats-Unis et la Russie, pour des raisons opposées, raisonnent autrement. Nous négocions.
La relation est excellente entre les dirigeants français et russes.
Il n'y a, à mon sens, pas de véritable alternative à la poursuite de la politique judicieusement menée par les pays occidentaux depuis une dizaine d'années en accompagnant Mikhail Gorbatchev puis Boris Eltsine :la mutation durera longtemps. Il ne faut pas abandonner cette politique de longue haleine sous le coup de l'émotion. Néanmoins de leur côté, même s'ils le font à leur façon, les Russes ne vont plus pouvoir éluder certaines réformes.
Avec les Etats-Unis, les données de base restent les mêmes : nous sommes amis, alliés, pas alignés. Nous recherchons une relation de partenariat et récusons l'unilatéralisme.
Nos rapports avec les Etats-Unis ont été marqués comme toujours par des accords et des désaccords. Je crois que l'on peut dire que les désaccords ont été gérés avec sang froid, et jamais exploités. L'approche pragmatique, dans un domaine trop souvent passionnel est de mieux en mieux comprise. Le voyage du Premier ministre à Washington a illustré cette méthode et cet état d'esprit.
L'amitié franco-américaine est une réalité profonde, mais il y a un désaccord que l'on retrouve souvent autour de l'unilatéralisme. Les Etats-Unis ont du mal à se prêter à une vraie négociation, surtout avec leurs alliés. Les positions de l'actuel Congrès aggravent à l'extrême cette tendance. C'est évident pour les relations économiques et commerciales entre les Etats-Unis et l'Union européenne, sur la réforme et l'élargissement de l'OTAN, sur l'évaluation par le Conseil de sécurité du travail concernant l'Iraq, sur le Proche-Orient (faut-il encore parler de processus de paix ?), un peu moins vrai sur le Kossovo.
En revanche, les échanges ont été plus faciles sur la Russie parce qu'il n'y a pas de désaccord fondamental, sur la Chine, sur la Grèce et la Turquie, sur l'Afrique (nous avons réagi sereinement au voyage du président Clinton en Afrique et nous avons eu raison ; une concertation se développe pour la formation au maintien de la paix).
Dans plusieurs domaines, il est clair que la diplomatie américaine aimerait disposer de la liberté de manoeuvre de la diplomatie française.
Sur l'Inde et le Pakistan, les Américains étaient contraints par une loi. Ils sont revenus, dès qu'ils l'ont pu, à une ligne assez semblable à la nôtre.
L'Administration voudrait bien se dégager du carcan des sanctions, notamment sur la Chine et l'Iran, peut être même sur Cuba. Sur la politique de M. Netanyahou, Mme Albright est moins éloignée des analyses françaises qu'elle ne l'était il y a un an, même si cela n'a pas encore de conséquence concrète.
Les déconvenues américaines avec leurs protégés de l'Est africain, trop hâtivement donnés en exemple, rendraient les Etats-Unis plus ouverts à une concertation sur ces sujets les intéressaient vraiment.
Mon estime pour Mme Albright a été confortée par l'expérience. C'est une femme intelligente et courageuse, chez qui la conscience du rôle impérial des Etats-Unis n'a pas étouffé la finesse d'analyse des relations internationales ni le goût de l'histoire, ni la curiosité pour les autres.
Il n'empêche que nous avons à traiter chaque jour, sauf dans une part des négociations intra-communautaires, avec un partenaire hyper puissant à la tête duquel plusieurs politiques s'affrontent et se contredisent ; qui a une vive propension à s'occuper de tout mais peut rarement imposer ses solutions.
La principale décision de l'année reste la redéfinition de la politique américaine en Asie autour de la Chine. Nous avions raisonné ainsi.
Notre politique africaine est en mutation. Les mots clés en sont fidélité, ouverture, modernisation. Il s'agit d'adapter notre présence, notre influence et notre action aux nouvelles réalités du Continent : globalisation rapide, échange entre les diverses zones, tensions politiques de transition, modernisation et stagnation, réveil ethnique.
Les anciennes zones d'influence coloniales ou linguistiques sont moins hermétiques ; la relève des générations est réelle mais ne doit pas conduire à la croyance naïve que les nouveaux dirigeants sont des modèles.
Une nouvelle politique américaine en Afrique s'est développée ces dernières années, à partir du "containment" du Soudan. Un rôle grandissant est assumé par des acteurs régionaux : Nigeria, Afrique du Sud, Ouganda, Rwanda, Ethiopie, Angola, Zimbabwe, Zambie, Egypte et les regroupements régionaux : SADC, CEDEAO.
La politique africaine de la France de ces quinze mois a été marquée d'abord par la réforme de la Coopération envisagée depuis 20 ans et que le Premier ministre a décidé de faire ; par la poursuite du regroupement militaire dont le principe avait été décidé sous le précédent gouvernement ; par la poursuite du dialogue intime avec l'Afrique francophone mais aussi le développement du dialogue avec les autres (mon voyage en Afrique du Sud et en Ethiopie, le voyage du président en Afrique australe, le voyage de Charles Josselin au Soudan) et évidemment par la non ingérence. Je le dis d'une part, parce que c'est vrai, ensuite parce que l'expérience a montré tous les inconvénients que les ingérences comportaient.
C'est sur ces bases qu'ont été gérés la crise des Comores, celle du Congo-Brazzaville et de la République centrafricaine, le conflit Erythrée-Ethiopie, la crise de la Guinée-Bissao et le nouveau conflit dans l'Afrique des Grands Lacs.
Par ailleurs, si une coopération étroite sur le terrain avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Portugal ne peut s'improviser du jour au lendemain, du moins un dialogue s'est-il intensifié avec ces pays sur l'Afrique notamment pour le maintien de la paix.
Nos rapports avec les différents pays arabes sont particulièrement constants et amicaux. Dans le cas de la Libye, et plus encore avec l'Iraq, nous avons une politique qui consiste à développer tout ce qui n'est pas interdit par les résolutions du Conseil de sécurité car il ne peut s'agir ni dans un cas ni dans l'autre, d'oublier les résolutions ou de les contourner.
Les relations avec les autres pays arabes sont donc marquées par une exceptionnelle densité : visites sur place, visites à Paris, échanges de lettres, émissaires. C'est vrai de tous les pays de la péninsule arabique, à commencer par l'Arabie saoudite. C'est vrai de tous les protagonistes du conflit israélo-arabe, qu'il s'agisse de son volet palestinien ou de son volet syro-libanais. Notre politique avec la Syrie vise, entre autre, à faire évoluer favorablement la situation au Liban.
Sur le processus de paix, nous restons très présents à travers nos contacts constants avec tous les protagonistes. Une concertation particulièrement étroite a lieu avec l'Egypte et nous précisons et approfondissons notre proposition de conférence commune "des Sauveurs de la Paix" en cas d'échec américain avéré dans la relance du processus de paix.
Au Maghreb, nos rapports sont harmonieux avec la Tunisie. Meilleurs encore qu'avant, si c'est possible, depuis la formation d'un gouvernement d'alternance, avec le Maroc. Quant à l'Algérie, si nous n'avons pas, pas plus que d'autres, malheureusement, de solution miracle pour hâter la fin de la tragédie ni de moyens pour l'imposer, nous pouvons quand même oeuvrer au maintien des relations étroites pour l'avenir de la France et de l'Algérie. D'autre part, la France n'est plus l'objet de polémique particulière de la part d'un camp ou d'un autre. Nous allons consacrer plus de temps et d'énergie au Maghreb.
En ce qui concerne l'Iran, j'ai pu évaluer sur place jusqu'où peut aller la modernisation et l'ouverture annoncées par le nouveau président et le nouveau gouvernement iranien et quelles difficultés elles contenaient. Ce voyage m'a convaincu que notre intérêt était bien d'être présents dans cette évolution, d'avancer pas à pas tout en restant prudents. Les forces d'ouverture sont très puissantes. Les forces de résistance au changement aussi.
Avec l'Amérique latine, notre politique s'appuie sur un développement systématique de nos rapports bilatéraux et à encourager les aspirations à l'intégration régionale. Notre présence et nos contacts doivent être intensifiés (visite de Charles Josselin dans les Caraïbes, projet de visite du président en Amérique centrale, mon projet de voyage au Brésil). Le premier Sommet euro-latinoaméricain en juin 1999 à Rio, ferait de l'initiative de la France et de l'Espagne, un événement majeur. Si nous avons dû marquer notre désaccord avec les initiatives prématurées de la Commission (zone de libre échange avec le Mercosur) la France, au sein de l'Europe, continuera de militer pour un développement massif des relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes.
Concernant l'Asie, notre politique envers la Chine se développe à partir de la ligne fixée par le Président de la République en mai 1997 pendant son voyage. Le Premier ministre, qui se rendra en Chine à la fin du mois de septembre, marquera l'importance que la France attache à un dialogue politique très soutenu avec ce pays. La crise financière ne change rien à cette situation. Une synergie plus grande doit être recherchée au Conseil de sécurité.
Avec le Japon, nous développerons notre relation bilatérale et élargirons le dialogue politique, quelles que soient les difficultés rencontrées par ce pays, qui reste le pivot autour duquel s'organisera la reprise de la croissance en Asie.
Nos relations avec l'Inde doivent être approfondies et enrichies.
Nous suivons de près les affaires des pays asiatiques les plus touchés par la crise dans nos relations bilatérales comme dans les enceintes multilatérales. Nous sommes actifs au Cambodge et au Vietnam. Nous pensons que la question des relations entre l'Inde, le Pakistan et la Chine doit être traitée par un dialogue politique et une vraie vision stratégique d'avenir plutôt que par des méthodes sommaires.
Nous continuerons d'oeuvrer, par un dialogue stratégique nourri, à l'apaisement des tensions.
Au terme de ce survol, les facteurs de déstabilisation sont nombreux : trop d'Etats, trop de mini ou de pseudo-Etats (40 ont moins de 1 million d'habitants), trop d'Etats qui implosent, trop de mouvements qui échappent aux Etats : flux financiers, migrations, crime organisé, prolifération, amplifient ces phénomènes.
Le contraste entre la puissance bouleversante de la mondialisation ou les faiblesses, ou les limites, ou l'inadéquation des organes de régulation est frappante.
Nous tirons le meilleur parti de notre place au Conseil de sécurité et nos relations sont excellentes avec Kofi Annan surtout depuis l'affaire iraquienne. Mais l'ONU est une enceinte, pas un pouvoir ; le conseil est lourd à mobiliser ; il est contesté ; sa réforme n'aboutit pas.
Point positif : notre position a été spectaculairement améliorée en matière pénale internationale. D'une part parce que nous avons rétabli des rapports de travail normaux avec les deux tribunaux pénaux internationaux sur le Rwanda et la Bosnie et que les procès d'intention ont cessé contre nous.
D'autre part, parce qu'à Rome, sur la base des positions fixées par le Premier ministre, nous avons obtenu pour la future Cour criminelle internationale un statut suffisamment satisfaisant pour que nous puissions le signer dès la fin de la Conférence.
Si l'on se tourne vers le Fonds monétaire international au coeur de la crise, le FMI et son directeur général jouent un rôle irremplaçable, mais les ressources du FMI sont maintenant insuffisantes par rapport à l'ampleur de la crise financière, et il faut un meilleur accompagnement politique de son action pour en garantir la légitimité et en renforcer l'impact.
A l'OMC et à l'OCDE, la libéralisation des échanges, des investissements et des mouvements de capitaux est contestée, y compris par l'opinion (AMI) lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'une régulation suffisante ; elle peut amplifier certaines crises, ou négliger d'autres objectifs (identité culturelle ; normes sociales ; protection de l'environnement). D'où la nécessité de renforcer la règle de droit international et les mécanismes équitables de règlement des différends.
Quant au G7, élargi en G8, pour des raisons logiques, il a du mal à peser sauf à grands traits, sur les phénomènes globaux.
La naïveté de l'après guerre froide (fin de l'histoire, nouvel ordre mondial, progrès indéfini du libre échange, désarmement, miracle asiatique) ne sont plus de mise. Il nous faut reprendre le travail de structuration, de régulation et d'amélioration de la vie internationale, notamment autour de l'Europe. C'est une belle tâche pour la France.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)