Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à RMC le 25 novembre 2003, sur les contraintes budgétaires face au pacte de stabilité, la diminution prévue en 2004 des postes budgétaires de fonctionnaires, la défense européenne et l'OTAN, le moratoire concernant les OGM, l'élargissement de l'Union européenne et les relations entre l'Europe et la Turquie.

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Q - Quelle actualité autour de l'Europe ce matin ? Déjà dans la nuit, cet accord trouvé à Bruxelles sur les déficits français et allemand. La France et l'Allemagne se sont donc engagés à réduire leurs déficits publics. La Commission européenne a tenu compte de cet engagement. La France et l'Allemagne sont sous surveillance. Le gouvernement français devra soumettre deux fois par an à ses partenaires européens une notification sur les conditions d'exécution de ses engagements, explique Francis Mer. C'est une bonne chose cet accord ?
R - C'est un accord équilibré. Il est très difficile aujourd'hui dans la situation économique actuelle, de hâter le pas. Aller trop vite risquerait de casser le rythme du retour de la croissance. C'est la position que nous avons expliquée avec l'Allemagne, tout en réaffirmant très fermement, que le pacte de stabilité est une bonne chose. Nous menons des réformes, à la fois, pour redresser une situation française qui n'est pas bonne, mais aussi parce que nous pensons que la stabilité monétaire et donc, la force de l'euro en tant que monnaie internationale, est un atout formidable pour l'Europe et donc pour la France.
Q - Quatre pays ont voté contre cette décision à Bruxelles : l'Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et l'Espagne. Cet accord des douze de la zone euro ne respecte ni les règles, ni l'esprit du pacte a déclaré Pedro Solbes, le Commissaire européen aux affaires économiques.
R - L'esprit du pacte est respecté, sans cela nous n'aurions pas obtenu une majorité au sein de l'Eurogroupe. Nous tenons compte du fait que dans l'intitulé du pacte, il y a "stabilité" et "croissance". Ce sont les deux objectifs. Aujourd'hui, ce serait vraiment déraisonnable de restreindre davantage les dépenses publiques.
Q - Le gouvernement français s'est-il engagé à réduire le nombre de ses fonctionnaires l'année prochaine ? Trente mille emplois seraient supprimés dans la fonction publique en 2004 au lieu des cinq mille annoncés.
R - Il n'y a pas de suppression d'emplois en tant que tels. Nous sommes en train de moderniser l'Etat, de décentraliser. C'est une question d'efficacité du service public. Il n'y aura pas de diminution brute d'emplois. Il y aura une certaine rationalisation.
Q - Confirmez-vous le chiffre des trente mille. Le Premier ministre laissait sous-entendre dimanche qu'il y avait un effort de la France dans cette direction pour satisfaire Bruxelles.
R - Il y a un effort dans tous les domaines et surtout dans les dépenses de fonctionnement hors personnel. Il y a des millions de fonctionnaires en France. Tous les fonctionnaires ont la garantie de l'emploi jusqu'à l'âge de leur retraite.
Q - Le gouvernement a dû faire des concessions à Bruxelles. Lesquelles ?
R - Nous avons fait des concessions en terme de dépenses de fonctionnement des ministères.
Au ministère des Affaires étrangères, nous le ressentons, y compris dans nos postes à l'étranger. Nous avons, par ailleurs, diminué les ambitions que nous avions en matière d'investissement. Nous avons réduit les subventions que nous accordions à un certain nombre d'organismes extérieurs. Dans tous les ministères, il y a des rationalisations budgétaires. Mais il n'est pas question de fragiliser le statut de la fonction publique. Les fonctionnaires ont la garantie de l'emploi.
Q - Trente trois mille cinq cent agents de moins en 2004 titre ce matin le Parisien/ Aujourd'hui. "L'Etat supprimera l'an prochain un total de trente trois mille cinq cent emplois et ne se contentera pas des quelques quatre mille cinq cent postes déjà annoncés". Vous ne confirmez pas ?
R - Je confirme qu'il y aura des diminutions de postes budgétaires mais ce ne sont pas des emplois. L'emploi est la place occupée par un fonctionnaire qui exerce sa fonction. C'est autre chose de restreindre le nombre de postes budgétaires que nous voulions ouvrir et qui seront reportés à plus tard ou non ouverts.
Q - Avant de parler du Parlement français qui doit ratifier l'élargissement de l'Union européenne, il y avait hier le sommet entre Jacques Chirac et Tony Blair. La Grande-Bretagne va-t-elle mettre son veto à la future Constitution de l'Union européenne ?
R - Le climat était excellent, chaleureux. Le Président de la République a réitéré ses condoléances et l'expression de sa sympathie pour l'attentat d'Istanbul. Tous les pays européens sont confrontés à une menace terroriste planétaire. C'est la raison pour laquelle nous voulons conforter la politique européenne de la défense, notamment pour lutter contre ce terrorisme et contre ces sous-produits que sont les crises locales ici ou là dans le monde. Par ailleurs, avec les pays fondateurs et la Grande-Bretagne, nous voulons maintenir l'équilibre de la Convention. Il ne s'agit pas de contribuer à un échec.
Q - Peut-on imaginer un état-major européen indépendant de l'OTAN ?
R - C'est un sujet très compliqué. Les Anglais et les Français ont été les initiateurs de la politique européenne de la défense dans sa phase opérationnelle. En 1998, la déclaration commune franco-britannique de Saint-Malo prévoyait pour la politique européenne de la défense deux modalités. Une modalité d'intervention avec les moyens de l'OTAN qui est devenue opérationnelle en 2003 en vertu des accords de Berlin plus. C'est ainsi que nous sommes intervenus en Macédoine, dans les Balkans pour stabiliser la paix. Il y a également dans cette déclaration de Saint-Malo une fenêtre ouverte pour des opérations totalement autonomes, comme celles mises en place récemment en Afrique. Dans ce cadre, nous souhaitons voir comment nous pouvons organiser le commandement de ces opérations autonomes et c'est à ce sujet qu'il y a des discussions.
Q - Souhaitez-vous un état-major européen indépendant ?
R - Nous souhaitons que le système de commandement européen soit suffisamment efficace pour nous permettre d'intervenir en urgence si besoin est. Il y a actuellement des discussions. Il ne s'agit pas de construire l'Europe de la défense contre l'OTAN. Il faut ménager l'entière compatibilité entre les deux systèmes. La crainte de nos amis britanniques est que l'OTAN soit marginalisée par la défense européenne. C'est la raison pour laquelle les discussions sont ouvertes sur ce point.
Q - La TVA sur la restauration à 5,5% se fera-t-elle en janvier ?
R - Il n'était pas question que cela puisse se faire en janvier 2004 mais fin 2004 car les discussions au niveau européen sont encore en cours. En matière fiscale, il faut l'unanimité qui n'est malheureusement pas acquise. C'est la raison pour laquelle des discussions vont s'ouvrir avec la profession. Si ce n'est pas acquis, nous allons trouver un système qui puisse suppléer l'absence de réduction. Pour l'instant, nous maintenons le cap. Nous nous battons. C'est acquis de la part de la Commission qui a bien voulu faire cette proposition mais pas de nos partenaires, notamment nos partenaires allemands qui sont confrontés aux mêmes difficultés budgétaires et financières que nous. Et ils ne veulent pas donner un signal de réduction d'une recette fiscale extrêmement importante qui entamerait davantage leur budget.
Q - Si vous n'obtenez pas gain de cause avant la fin 2004, vous proposerez d'autres mesures aux professionnels ?
R - Nous allons discuter et à l'horizon plus lointain, nous maintiendrons cette proposition. Pour l'instant, tout n'est pas perdu. En revanche, les difficultés sont celles évoquées tout à l'heure.
Q - Quand sera levé le moratoire sur les OGM ?
R - En principe dans quelques mois puisque le débat a été remis en décembre. Ce moratoire est levé de façon extrêmement limité : pour une espèce de maïs résistant à une certaine maladie et qui pourra faire partie de l'alimentation humaine mais avec un étiquetage. L'Europe se dote en effet des moyens d'information des consommateurs qu'aucun autre pays ou continent au monde n'a instauré. Ce qui est important c'est la traçabilité et le libre choix. Pour ma part, je ne suis pas opposée par principe aux OGM. Il faut essayer d'explorer cette piste avec beaucoup de précaution. C'est l'avenir du médicament. Est-ce l'avenir de l'alimentation ? En tout cas, c'est une technique qu'il faut explorer encore plus avant pour savoir si c'est intéressant pour nous, pour la santé et pour la sécurité alimentaire.
Q - Au niveau européen peut-il y avoir uniformisation, une loi qui règle les problèmes du voile et l'euthanasie ?
R - Pour ce qui est de l'euthanasie, je ne le crois pas parce que ce n'est pas dans les compétences de l'Europe. Il n'y a pas de base qui permette une législation européenne. Il y a une législation nationale uniquement aux Pays-Bas. Il faut peut-être avoir une réflexion nouvelle sur les conditions dans lesquelles les médecins sont appelés à faire cesser une survie purement artificielle ou extraordinairement coûteuse en termes de souffrances, mais je ne suis pas favorable à une législation sur cette question.
Pour ce qui est du voile, la question est ouverte dans tous les pays, y compris aux Etats-Unis. Nos sociétés multiculturelles n'échappent pas à cette problématique. Nous assistons partout à une montée des intégrismes. Pour moi, le voile est une violence faite aux femmes, même si elles sont consentantes. Nous sommes parfois victimes de l'oppression que nous subissons en participant aux valeurs de cette oppression. Le risque d'une loi est de "victimiser" les jeunes femmes et de transformer en un militantisme presque courageux et résistant le port du voile. Le risque de l'absence de loi est de poursuivre ce débat sans fin. L'éducation des filles est nécessaire. Nous assistons dans tous les pays, y compris en France, à un risque de recul formidable de la condition des femmes et notamment des femmes de troisième génération issues de l'immigration et je trouve cela désespérant.
Q - Aujourd'hui c'est la journée internationale contre les violences faites aux femmes. Pensez-vous que nous vivons dans une société plus violente à l'égard des femmes ?
R - Oui, très nettement. Il est difficile pour les femmes de faire leur place. Toutes les femmes ne sont pas convaincues de la nécessité pour leurs congénères d'accéder à des postes élevés de responsabilité. Je ne divise pas la société en deux. Je n'oppose pas les femmes aux hommes ; je ne suis pas du tout pour la guerre des sexes. En revanche, je crois qu'être une femme dans un monde violent où les idées fondamentalistes renaissent est plus difficile. C'est aussi plus difficile en politique. Plus exaltant aussi car il y a des places à conquérir et les femmes ont beaucoup de combats à mener. Mais c'est sans doute plus difficile que pour les hommes.
Q - L'Assemblée nationale va ratifier dans la journée l'entrée de dix nouveaux pays dans l'Union européenne, nous serons 25 au 1er mai 2004. C'est le cinquième élargissement depuis le Traité de Rome de 1957, et la population européenne va passer de 377 à 453 millions. C'est inéluctable. Il n'y a que Philippe de Villiers, quelques députés souverainistes de droite et de gauche qui vont voter contre ?
R - Oui, le vote, enfin du moins je l'espère, paraît acquis. C'est un grand moment, il ne faut pas bouder notre plaisir. C'est un moment auquel on ne s'attendait pas. Personne n'imaginait la chute du mur de Berlin à la fin de l'année 1989. Or, cet élargissement est la conséquence directe de la fin de la division du monde, et donc de l'Europe, en deux blocs. C'est un grand espoir qui se lève dans un monde plus menaçant, plus incertain. C'est la seule grande lueur du début du XXIème siècle.
Q - Comment le gouvernement peut-il prôner d'un côté l'adhésion de dix nouveaux pays à l'union européenne et, de l'autre, ne pas respecter le pacte de stabilité, les règles européennes ?
R - Nous respectons l'esprit du pacte de stabilité, mais c'est une question de temps. Normalement, il est vrai, au bout de la troisième année de déficit, il faut respecter les règles. Nous entendons respecter le pacte. Vous venez d'évoquer les problèmes de réductions budgétaires. Nous avons engagé des réformes en profondeur. Il y a eu un héritage très lourd, à savoir que lorsque la croissance était au rendez-vous, à 4% pendant trois années consécutives, nous n'avons pas fait d'économies. Donc maintenant nous recollons les morceaux. Nous le faisons à un rythme qui nous paraît compatible avec le besoin de ce pays de pouvoir saisir le retour de la croissance qui s'annonce.
Q - A propos de l'élargissement, comment va-t-on garantir la sécurité aux nouvelles frontières ?
R - Il va y avoir des crédits assez importants pour aider nos nouveaux partenaires à protéger leurs frontières, et, par ailleurs, la décision a été prise de créer une nouvelle agence européenne pour le contrôle des frontières. La France souhaite, qu'à terme soit créée une véritable police européenne des frontières. On n'y est pas encore mais on y arrivera.
Q - Quelle est la position de la France vis-à-vis de la Turquie dans l'Union européenne ?
R - La position de la France est la même que celle des autres Etats. Nous avons regardé attentivement l'évaluation de la Commission européenne début novembre, qui a indiqué que la Turquie n'y était pas encore car les critères politiques ne sont pas remplis. Mais la Commission a aussi constaté que la Turquie se tourne vers l'Europe et fait le maximum d'efforts pour se mettre aux normes par rapport notamment à la nécessité de respecter tous les critères de la démocratie.
Q - Qu'est-ce qui manque à la Turquie pour entrer dans l'Union européenne ?
R - Du point de vue du respect du droit des minorités, - les Kurdes -, du respect des Droits de l'Homme, il y a encore des progrès à faire. La Turquie est un grand pays. Un rendez-vous a été fixé à la Turquie fin 2004.
Q - Jean-Pierre Raffarin a traité Bruxelles de "bureau" de manière un peu méprisante. Il est vrai qu'en France, on a tendance à dire que tout ce qui est bien est dû à Paris et tout ce qui est mal à Bruxelles. Cela est vrai ?
R - Il y a des bureaux aussi à Paris. Le Premier ministre a voulu indiquer que les règles chiffrées, celles du pacte de stabilité ne doivent pas être des règles sans âme que l'on applique de façon automatique. Vous le constaterez quand il présentera cet après-midi le projet de loi sur le Traité de l'élargissement, le gouvernement est tout à fait en phase avec la construction européenne. Nous sommes enthousiastes à l'idée d'accueillir tous ces nouveaux pays. Nous sommes fondamentalement européens car l'Europe est une immense chance pour nous d'assurer à nos concitoyens la paix et la stabilité mais aussi la prospérité et un modèle social qui est parmi les plus convenables au monde
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2003)