Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 16 septembre 2004, sur sa candidature à la présidence de l'UMP, son parcours personnel, quelques orientations du budget 2005 et notamment les mesures sur les successions.

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Média : Europe 1

Texte intégral

C'est bien d'être ici en direct avec nous ce matin, je vous en remercie, N. Sarkozy bonjour.
Merci de m'avoir invité.
Q- Alors, depuis minuit vous êtes officiellement candidat à la présidence de l'UMP, il fallait 3400 parrainages, vous les avez apparemment dépassés haut la main, combien ?
R- Je crois 31 665.
Q- C'est-à-dire presque 10 fois plus. Vous voici donc candidat principal, avec C. Boutin, N. Dupont-Aignan. Vous êtes en route vers le plébiscite.
R- Non, pas du tout. D'abord, il faut respecter les autres candidats. L'élection aura lieu le 21 novembre, moi je ferai campagne bien sûr. Vous savez, c'est une tâche extrêmement difficile. Qu'est-ce que je veux faire ? Je veux participer à la rénovation de la vie politique. Or on ne peut pas rénover la vie politique, la changer en profondeur, sans également changer en profondeur le fonctionnement des partis politiques, c'est cela dont il s'agit.
Q- Oui, mais votre action de ministre, elle concerne tout le monde. Là, vous allez rassembler les vôtres, rassembler la droite d'abord et surtout. Est-ce que ce n'est pas réducteur quand on connaît votre style et votre goût de l'action ?
R- On peut poser la question, et puis on peut même le penser. J'essaierai de montrer aux Français qu'en dirigeant un parti politique on peut agir pour tous les Français. D'abord ce n'est pas les miens. Ce possessif ne ressemble en rien à ce que je veux faire. C'est rassembler tous les Français d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient, pour essayer de donner des partis politiques une autre image. Je veux changer les équipes, je veux changer les idées, et je veux changer les méthodes.
Q- Mais pourquoi vous croyez qu'il faut diriger un parti pour conduire un pays et un jour arriver au sommet ?
R- C'est assez simple, on ne peut pas changer seul la vie politique. Les partis politiques sont essentiels pour le fonctionnement de la démocratie. Les problèmes de la France ont changé, il faut maintenant de nouvelles idées, par-dessus tout il faut faire émerger de nouveaux talents, de nouvelles équipes, et il faut mettre fin à cette tradition détestable à droite qui veut qu'on se divise et qu'on se perde dans des querelles qui n'ont aucun sens.
Q- N. Sarkozy, en novembre, décembre maintenant, vous allez devoir quitter le Gouvernement et Bercy, justement pour la tête de l'UMP. Est-ce qu'à partir de 2005, parce que beaucoup de gens l'ont en tête, vous ne mettez pas en second l'intérêt général ?
R- Au contraire. Vous savez que ce n'est pas un choix de facilité que j'ai fait. Cela a d'ailleurs été une décision difficile à prendre, pour moi,d'être candidat à la présidence de l'UMP. C'est une décision qui m'engage profondément et durablement. Je veux renouveler le débat d'idées, parce que je trouve que les idées politiques sont beaucoup trop sclérosées. Il faut faire de nouvelles propositions, et vous savez, un Français sur deux qui ne vote pas, et tant de Français qui disent, " mais à quoi ça sert la politique, ils n'ont plus de marges de manoeuvre ". Je veux mettre fin au fatalisme, je veux redonner des couleurs au volontarisme politique, je veux dire aux gens, adhérer à un parti politique ça peut servir à quelque chose pour que votre voix soit mieux entendue. C'est passionnant et c'est de l'action.
Q- Evidemment, mais votre rôle sera-t-il de soutenir les réformes, de soutenir le Gouvernement ou de l'asticoter ?
R- Non, ni l'un ni l'autre. La question du soutien au Gouvernement est toujours vue de façon défensive, mais on soutient le Gouvernement en proposant, en ayant des idées, en réalisant. Vous savez, on ne construit pas sur les décombres. L'échec du Gouvernement serait l'échec de tout le monde.
Q- Alors vos rencontres avec le président Chirac, apparemment elles sont de plus en plus fréquentes. Par exemple avant-hier, pour parler de tout, sans tabous. D'abord, quel est le secret pour qu'il n'y ait pas d'agressions réciproques et est-ce que vous avez vraiment envie, vous N.Sarkozy, que l'accord avec monsieur Chirac soit
durable ?
R- Oui, ce n'est pas un accord au sens un peu vulgaire du terme, parce que vous savez je connais...
Q- On peut un autre mot, mais c'est celui que j'ai trouvé.
R- Pardon, je n'ai pas dit que c'était... j'ai dit c'est un nouveau climat. Pourquoi un nouveau climat ? Parce que d'abord l'opposition, la division, l'affrontement, ne servait à rien, et les gens n'attendent pas de moi que je consacre mon énergie à avoir des querelles internes. J'ajoute qu'un climat de confiance et d'apaisement permet à chacun d'exercer sa liberté, c'est-à-dire de dire qu'il peut être en désaccord ou en accord sur tel ou tel sujet sans que ça provoque de drame. De quoi souffre notre pays ? Il n'y a pas assez de débats. Il n'y a pas assez de dialogue. Moi je veux dire aux Français, je ne changerai pas. Je resterai un homme libre à la tête de l'UMP si on me fait confiance.
Q- Mais avec un style peut-être un peu plus calme, apaisé, tout en ayant envie d'agir.
R- Franchement, vous savez, j'ai 49 ans, je ne me sens pas agité du tout. Je crois que c'est un des problèmes qui se pose. Le petit milieu politique dit parfois, " est-ce que tu en fais pas trop ? ". Je n'ai jamais rencontré un Français qui dise de tel homme politique qu'il en fait trop. J'en ai vu tellement des Français qui pensent qu'on en fait pas assez.
Q- Donc ce matin, J. Chirac, n'a pas un opposant ou un rebelle de plus
sur sa route ?
R- Non, je vais vous faire une confidence, je l'ai vu pratiquement tous les jours ou eu au téléphone cette semaine. On parle des choses, on en discute, j'aiderai le président de la République à faire de ce quinquennat un succès pour la France, et j'ai été sensible au fait qu'il va m'aider à la tête de l'UMP, pour faire triompher nos idées.
Q- Vous avez déjà prévenu qu'en 2007, et vous dites c'est un sujet non tabou, je vous cite : "nous soutiendrons celui qui incarne le mieux nos idées et qui sera le plus à même de rassembler". Si c'est lui ?
R- Bien sûr, oui. Mais oui, sans réserves. Mais pourquoi... d'abord vous savez...
Q- Mais c'est mieux de le dire, parce que c'est clair.
R- Mais monsieur ELKABBACH, cette pensée unique qui fait que sur l'Europe, sur les élections présidentielles, sur les partis, sur tel ou tel sujet, on ne dit pas ce qu'on pense. Moi j'ai de plus en plus envie de dire ce que je pense, de le dire sans prudence excessive, parce que les Français sont beaucoup plus lucides qu'on ne le dit. Ils comprennent tout vous savez, ce n'est pas la peine de jouer au petit jeu du cache-cache.
Q- C'est très bien de le dire encore, c'est plus net. Et puis c'est fidèle à ce que vous êtes. Vous avez présenté aussi votre équipe, J.C. Gaudin, P. Méhaignerie, donc Sarkozy...
Et F. Fillon.
Q- F. Fillon à quel poste ?
R- Eh bien écoutez, je dois présenter deux personnes pour être vice président et secrétaire général. Mais j'ai souhaité choisir cette petite équipe pour diriger l'UMP, pour que toutes les sensibilités de l'UMP soient représentées. J.-C. Gaudin qui est le maire de Marseille, la tradition libérale, P. Méhaignerie, qui est le président de la Commission des finances à l'Assemblée, qui est centriste, F. Fillon qui a une tradition de gaullisme social, ensemble on n'a pas toujours pensé la même chose, mais on fait le même diagnostic, et on a envie que ça change dans notre formation politique, que ça devienne un lieu de débats, de générosité, d'audace, de solidarité.
Q- De débats, beaucoup de débats, mais pas de courants.
R- Non, parce que les courants ça veut dire je suis d'accord avec mon chef, alors on multiplie les chapelles...
Q- Et en plus il faut donner de l'argent, c'est de l'argent dispersé. Non, ce n'est pas la question vous savez.
R- Oh si !
Q- Si c'était une question d'argent pour réussir dans la vie politique, ça se saurait depuis bien longtemps. Il vaut mieux...
R- Aux Etats-Unis, mais c'est autre chose.
Q- Eh bien on n'y est pas, on n'y est pas en tout cas. Moi ce que je veux c'est que les gens qui adhérent à l'UMP se disent : ça sert à quelque chose, on nous demande notre avis, et puis il faut sortir de nouvelles idées, quelle nouvelle politique sociale...
R- On y arrive, on va prendre des exemples.
Q- ... Quelles sont les contraintes de la politique économique.
R- On va prendre des exemples, parce que je n'oublie pas que vous êtes un ministre important de l'Etat français. La France se lance aujourd'hui dans un grand débat sur l'avenir de l'Europe, N. Sarkozy. L. Fabius a choisi le "non", il a exprimé une inquiétude qui est assez partagée, on le voit à travers un sondage du Point. Votre premier commentaire après le "non" de Fabius, ça a été de dire : c'est une erreur historique. En quoi est-ce une erreur historique ?
Q- En deux points, et moi vous savez j'essaye de respecter toutes les personnes, mais je crois que L. Fabius se trompe. Il se trompe pour deux raisons. La première et la plus importante, c'est qu'on ne fait pas évoluer les systèmes de l'extérieur. Regardez ce qui s'est passé avec le Pacte de stabilité. On voulait tous que le pacte de stabilité en Europe évolue pour plus de croissance et d'emplois. Si j'avais commencé par dire : la France ne respectera pas le pacte, mais on veut qu'il change, je n'aurais rien obtenu de nos partenaires. J'ai commencé par dire : on sera au rendez-vous de la réduction du déficit, et parce que nous étions à l'intérieur du système, on a pu le faire évoluer. L. Fabius dit : "je veux dire non, je veux quitter la table, je veux sortir de la pièce". Mais comment on va convaincre les 24 autres ? on n'ait pas seul en Europe. C'est en étant à l'intérieur de l'Europe qu'on peut faire bouger les choses. C'est une première remarque, je crois qu'il se trompe. Il y a une deuxième remarque, c'est que je pense que l'Europe c'est tellement important, qu'on ne peut pas en faire un enjeu de politique intérieure. Chacun voit bien que dans la position qui est exprimée, je n'en fais pas le reproche à L. Fabius, il y a des arrière-pensées sur la conduite du Parti socialiste. Eh bien l'Europe c'est trop important pour la France, et la France c'est capital pour l'Europe, on n'a pas le droit de jouer avec cela.
R- Pour le référendum 2005, s'il y a lieu.
Q- Oui, mais ça ne veut pas dire que ceux qui ont des inquiétudes ont tort.
Q- Oui oui, on comprend... il faut expliquer, il faut le débat.
R- Ma réaction vaut pour la position de L. Fabius.
Q- Il faut le débat.
R- Bien sûr qu'il faut expliquer.
Q- Le référendum 2005, s'il a lieu, le président Sarkozy de l'UMP, est-ce qu'il fera une vigoureuse campagne pour le "oui" ?
R- Mais écoutez, si je pense que l'Europe c'est important, qu'il faut ratifier cette Constitution, pourquoi je resterai à la maison ? Bien sûr que je ferai campagne, bien sûr que j'expliquerai les choses, et le plus important, me semble-t-il, à comprendre, si on veut que l'Europe change, que l'Europe bouge, il faut y être de plain-pied. Si vous sortez de l'Europe, si vous refusez l'Europe, alors elle se fera sans vous d'abord, et contre vous ensuite.
Q- Vous avez proposé de réduire les aides régionales aux 10 nouveaux entrés dans l'Europe s'ils profitent d'une fiscalité, d'un coût du travail faible, pour attirer en plus les industries des autres. Le diagnostic est juste. Mais comment vous allez le réaliser puisqu'il faut que pour les impôts, il y ait l'unanimité des 25 ? Est-ce que ce n'est pas fichu d'avance ?
Je vais écrire demain à tous les collègues ministres des Finances en Europe, notamment les ministres des Finances des nouveaux pays, et je ferai une tournée en Europe, pour expliquer une chose simple, et je le dis très calmement et très posément : on ne peut pas à la fois se dire assez riche pour réduire ses impôts, voire les ramener à zéro, et dans le même temps se dire assez pauvre pour demander aux pays de l'Europe de l'Ouest de payer des fonds structurels que les mêmes pays de l'Europe de l'Ouest ne peuvent plus utiliser pour leurs propres régions.
Q- Comment vous allez les convaincre ? en leur parlant, en leur
donnant des arguments.
R- Non, je vais leur dire tout simplement, vous savez nous aussi on a une opinion publique, et ce n'est pas l'intérêt des plus pauvres en Europe, qui ont besoin de notre solidarité, ce n'est pas leur intérêt de provoquer une révolte de nos opinions publiques. Vous savez, il y a une dizaine de pays qui vont passer par le référendum, ce n'est l'intérêt de personne que le "non" l'emporte en Europe, et pour que le "non" ne l'emporte pas, il faut que chacun soit raisonnable. En vérité, moi je crois à la concurrence, mais la concurrence loyale, pas la concurrence déloyale. Et j'estime que mettre à 0% le taux de l'impôt sur les bénéfices alors que dans le même temps on demande aux autres de payer pour ses routes, pour ses hôpitaux, pour ses écoles, pour ses infrastructures, ça c'est déloyal.
Q- Cet après-midi vous allez à Moscou, mais d'abord vous allez passer par Rennes, je ne sais pas comment vous faites, Paris-Rennes, retour à Paris, Moscou.
R- ... Je vous quitte pour aller à Rennes voir les agriculteurs, qui ont des problèmes par ailleurs...
Q- J.-M. Lemétayer de la FNSEA. Ensuite à Moscou avec dix grands chefs d'entreprises. Peut-être vous allez y croiser d'ailleurs B. Delanoë qui doit y être. Est-ce que vous demandez aux entreprises françaises d'aller davantage à la conquête des marchés mondiaux ?
R- D'abord elles le font, mais c'est vrai que la Russie c'est un marché fantastique. Au mois d'août le train de croissance de la Russie c'est environ 7%, et nos relations économiques ne sont pas à la hauteur de nos relations politiques. Il faut que nous soyons plus présents à l'export, et surtout il faut que nous élargissions le nombre de pays où nous exportons, parce que j'ai observé dans les derniers temps que nous étions présents à l'export dans des pays qui ne connaissaient pas de grands taux de croissance. Il faut que nous changions cela. Il y a des traditions à modifier encore.
Q- Quand on investit en Russie ou ailleurs, comme vous dites, on investit, mais pas en France.
R- Non, pas du tout, on peut investir dans les deux cas. Vous savez, nous sommes dans un monde ouvert et il faut comprendre que c'est notre intérêt à cela. Vous savez, dans l'affaire Nestlé, qu'est-ce qui est détestable dans tout cela, outre le problème des salariés qui par le jusqu'au-boutisme d'une organisation syndicale se trouvent aujourd'hui dans l'angoisse ? C'est que ça donne une image de notre pays qui décourage un certain nombre d'investisseurs.
Q- Qu'est-ce que vous pouvez faire, vous ?
R- Je prendrai contact, pas plus tard que cet après-midi, avec les dirigeants de Nestlé. Regardez comme notre pays a besoin de dialogue. Quand on pousse les choses jusqu'au bout, quand on refuse de discuter... Il y avait sur la table un plan social avec pas un licenciement, des préretraites pour des salariés qui les souhaitaient pour quelques-uns, et 80% du salaire, moyennant quoi cette attitude de blocage et de fermeture, qui ne correspond pas à une société moderne, conduit aujourd'hui des salariés à se demander qui demain va être leur propriétaire.
Q- Ça peut se rattraper ?
R-On va voir.
Q- Dans six jours vous allez présenter le projet de loi de finance pour 2005, il y a beaucoup beaucoup d'attentes, Bercy envisagerait de remplacer le prêt à taux 0 par un crédit d'impôt, pour doper l'accession à la propriété, pour remplacer le crédit d'impôt ou améliorer et développer ce prêt à taux 0, le dynamiser ?
R- Je ferais une ou deux remarques. D'abord jusqu'à présent, la politique du logement a été plus une politique d'aides aux promoteurs et aux constructeurs, ce qui est très bien, qu'aux personnes, parce que l'aide était en général pour les logements neufs. Nous, nous voulons une aide pour le neuf et pour l'ancien. La deuxième remarque c'est, qu'est-ce qui empêche d'être propriétaire ? C'est le problème de l'achat du premier logement, parce qu'une fois qu'on en a un, on le vend pour en acheter un, un peu plus grand. Donc ce que nous voulons faire, c'est un crédit d'impôt. Pour ceux qui achèteraient la première fois dans le neuf, ou dans l'ancien, on les autoriserait à déduire les intérêts de leur emprunt, de leurs revenus.
Q- Qu'est-ce qu'on gagne ? Quel est l'objectif de ça ?
R- L'objectif c'est d'alléger le poids de l'emprunt pour que cela qui n'a pas beaucoup de mise de fonds, puisse le faire.
Q- En juin dernier vous avez pris une mesure sur les donations, ça a apparemment bien fonctionné.
R- Pas apparemment, puisqu'on a doublé le nombre des donations et on a rajouté un milliard d'euros dans l'économie française rien qu'en juin, et en juillet, simplement en permettant aux parents de donner à leurs enfants, parce que la vie n'est pas toujours bien faite. Quand on a de l'argent, on a moins de besoins, quand on est jeune on n'a pas d'argent et on a beaucoup de besoins.
Q- On dit que vous voulez encourager les familles, les classes moyennes, et on trouve, pour l'illustrer, encore un exemple : à partir de 2005, la plupart des successions seront exonérées d'impôts, elles bénéficieront d'un abattement fiscal de 50 000 euros qui s'ajoutent à ceux dont certains bénéficiaient déjà. Est-ce que vous entendez dire : cette réforme est très inégalitaire, elle récompense surtout les plus fortunés ? Alors est-ce que votre politique c'est de favoriser les héritiers ?
R- Oui, ça c'est un argument que je connais bien et qui justifie tous les immobilistes. Avec ça, on ne fait jamais rien. D'abord, qu'est-ce que c'est ? Moi je veux que toutes les successions jusqu'à 100 000 euros, on ne paye pas d'impôts dessus. Vous savez J.-P. Elkabbach, quand on a travaillé toute sa vie et qu'on laisse à ses enfants 100000 euros, je défie quiconque de dire que c'est un cadeau aux plus fortunés. Mais on ne va quand pas s'excuser d'avoir travaillé toute sa vie, d'avoir construit un petit patrimoine de 100000 euros, sur lequel, par parenthèses, celui qui l'a construit ce patrimoine, a payé l'impôt. Et moi je souhaite qu'on puisse le transmettre à ses enfants en franchise d'impôts sur les successions. Non pas pour des raisons fiscales, même pas pour l'attractivité fiscale du territoire français, mais pour une raison de politique familiale. Je crois à la famille, et qu'est-ce qui donne du sens à la vie ? eh bien c'est de construire quelque chose pour que ses enfants aient une vie un peu moins difficile que la vôtre.
Q- Quand on vous cite, l'INSEE qui dit, les 10% des ménages les plus riches se partagent plus de 40% du patrimoine total, alors qu'au bas de l'échelle la moitié des ménages ne possèdent que 10%...
R- Mais quel est le rapport ? Est-ce que vous considérez que quelqu'un qui a travaillé toute sa vie et qui à la fin de sa vie a 100000 euros de patrimoine, vous considérez que c'est quelqu'un de riche ? Eh bien faisons le débat devant les Français. En tout cas moi je ne me laisserais pas impressionner par cette pensée unique. Vous savez, quand j'étais ministre de l'Intérieur, on m'a fait le même coup. Quand j'ai dit : ce sont les gens les plus pauvres qui vivent dans les quartiers les plus déshérités et qui ont le plus d'insécurité, on m'a dit que je faisais la guerre aux pauvres. Ça n'a impressionné personne, c'est toujours les mêmes qui conduisent cela. Eh bien faisons le débat devant les Français, est-ce que 100 000 euros au bout d'une vie de travail, est-ce qu'on est un riche et un possédant ? Ce n'est pas ma conception des choses. Quand on a travaillé, on a un petit patrimoine et l'Etat n'a pas à vous le prendre. Voilà ma conception de la société. Si quelqu'un a une idée différente, je le comprendrais très bien, mais je ne renoncerai pas.
Q- Vous dites ce que vous entendez, mais sans vous fâcher. On vous entendait aussi dire qu'avant de quitter Bercy, vous êtes tenté d'offrir quelques cadeaux.
R- Qu'est-ce qu'on peut me reprocher ? De travailler jusqu'à la dernière minute ? Je suis comme ça, J.-P. Elkabbach, je suis passionné par mes responsabilités...
Q- Et vous pouvez faire les deux, bien ?
R- Ecoutez, ça ce n'est pas à moi de le dire, en tous cas je le ferai, je serai ministre des Finances jusqu'à la dernière minute, comme j'ai été ministre de l'Intérieur jusqu'à la dernière minute, et puis si je suis président de l'UMP, j'essaierai de le faire avec passion. Vous savez, peut-être que l'un des problèmes de la politique c'est ça, qu'on a oublié de le faire avec passion, en s'engageant totalement. Lorsqu'on a la chance de s'occuper des affaires de la France, il ne faut pas le faire de façon chiche, il faut s'engager, il faut peser sur les événements, et il faut donner le sentiment à ceux qui nous écoutent, qu'on croit dans ce qu'on fait, c'est le cas.
Q- Vous n'êtes économe ni de votre passion, ni de votre action, on le sait. Alors je continue, je m'adresse au ministre des Finances. La croissance 2004, est-ce que c'est toujours 2,5% ?
R- Je pense que ça sera 2,5% au moins.
Q- Et en 2005 les mauvais augures prévoient, mais il y en a toujours, une moindre croissance, moins de 2,5. Est-ce que vous avez ce signe vous aussi ?
R- Je ne le pense pas, et je peux vous dire quelque chose, c'est que je prévoie une croissance égale en 2005, en 2004. En tous cas c'est l'hypothèse que je retiens dans le budget que je suis en train de préparer.
Q- Qu'est-ce que vous allez faire finalement des surplus des recettes fiscales ? 5, 6 milliards.
R- Ecoutez, c'est tout simple. Nous sommes un pays qui a 1000 milliards d'euros de dettes. Cela fait 23 ans que la France présente un budget en déficit...
Q- Alors quand on a 5 milliards de plus ou de moins, qu'est-ce que ça change, disent certains.
R- Pas du tout, il y a 5 milliards d'euros de recettes dues à la croissance, eh bien il faut les consacrer à la réduction du déficit, parce qu'on ne peut pas continuer avec un déficit pareil. On dit qu'est-ce que ça change ? Eh bien à ce compte là, on accumule des dettes pour les générations futures. Eh bien ce n'est pas la politique que je souhaite mener. La France a pris des engagements, par la voix du président de la République, et du Premier ministre, ces engagements nous les tiendrons, et dans les comptes que je présenterai le 22 septembre à la conférence de presse de présentation du budget, vous le verrez, le déficit de la France aura été réduit de façon forte, on le doit au travail des Français. Un ministre des Finances c'est quelqu'un qui est gardien du fruit du travail des Français. Et croyez-moi, la France n'a pas besoin de dépenses en plus, elle a besoin d'une bonne gestion.
Q- Vous dites, N. Sarkozy, qu'il y a des promesses et des engagements qui ont été faits, vous allez les tenir, mais ils ont été faits sur la recherche, l'enseignement supérieur, 3 milliards en trois ans, plus
le plan de cohésion sociale qu'il faut financer. Quel budget avezvous obtenu qu'il soit coupé ?
R- Vous le verrez le 22 septembre, je présenterai cela. Je me suis engagé...
Q- Mais il y a des gens inquiets. A l'Education, à l'Equipement, à la
Culture, à la Défense...
R- C'est plutôt sympathique qu'ils soient inquiets. Je me suis engagé devant nos partenaires européens à présenter des comptes en bon état. Je dois gérer le budget de la France de façon sérieuse, et je le ferai. Pour le reste il y a des priorités, ces priorités ont été fixées avec le président de la République, ces priorités elles auront les moyens, mais il faut faire des choix. Ces choix ont été faits, vous le verrez, je rendrai des comptes. Mais vous savez, quand même, nous sommes un pays qui dépense 23% de plus que nous avons de recettes, il était venu un petit peu le temps de faire quelques économies.
Q- En particulier pour la santé, vous avez vu que les dépenses maladies, enfin ce n'est pas à vous qu'on l'apprend, elles atteignent un déficit record en 2003 et en 2004 ça va continuer et s'aggraver.
R- C'est justement pour ça qu'il y a une réforme de l'Assurance maladie, il faut que chacun comprenne. L'accumulation des dépenses oblige à augmenter les impôts, et l'augmentation des charges fait que le nombre d'emplois diminue. Voilà la spirale qu'il a fallu arrêter. Il n'y a pas d'autre solution pour notre pays que de maîtriser les dépenses.
Q- Est-ce que ça va être arrêté ? Ce plan a l'air plutôt doux, et apparemment inefficace pour arrêter l'augmentation des dépenses.
R- Ceux qui disent ça, je ne dis pas vous monsieur Elkabbach, sont en général ceux qui ont protesté quand on l'a présenté. Alors ce qu'il faut, c'est remettre un petit peu d'ordre dans les comptes, c'est comme cela. Parce qu'en définitive, c'est l'argent des Français, des Français qui travaillent, et je voudrais qu'on comprenne une chose, c'est qu'il y a aussi de la souffrance chez les gens qui travaillent, il n'y a pas simplement de la souffrance chez les gens qui n'ont pas de travail. Les gens exclus, c'est le devoir de l'Etat de s'en occuper, mais il faut savoir quand on se lève tôt le matin, qu'on a un travail difficile, qu'on n'arrive pas toujours à s'en sortir avec un petit salaire, il y a aussi des demandes sociales de cette France là, et il ne faut pas la désespérer. Et c'est pour ça que j'essaye de tenir les comptes du mieux que je peux.
Q- Vous avez demandé un rapport à M. Camdessus, il va vous le remettre dans quelques temps, pour relever et évidemment lutter contre ce qui freine la croissance en France. Et il dit déjà : la France doit travailler plus pour croître plus. Est-ce que vous êtes d'accord ?
R- Mais tout à fait. L'un des problèmes de la France, J.-P. Elkabbach, c'est que les salaires sont trop bas parce que les charges sont trop hautes. Pour augmenter le pouvoir d'achat des Français,c'est-à-dire pour augmenter les salaires, moi je ne connais qu'une seule façon de le
faire : c'est laisser les gens travailler davantage.
Q- Il y a une remarque de votre futur secrétaire général de l'UMP, P. Méhaignerie, qui est aussi président de la Commission des Finances de l'Assemblée, et puis il fait une suggestion. Il dit : si nous faisons l'harmonisation fiscale en Europe, il n'y aurait plus d'impôt sur la solidarité et sur la fortune en France, et il souhaite des corrections à cet impôt qui est un élément de délocalisation. Comment on peut l'amender, l'aménager, est-ce que par exemple vous allez accepter d'actualiser les tranches de l'ISF qui n'ont pas été revalorisées depuis sept ans malgré l'inflation ?
R- Sur cette question là je ne ferai pas de propositions dans ma conférence de presse, et j'attendrai le débat parlementaire pour voir ce que nous ferons. Mais je me permets de dire que ce qu'il faut, c'est de voir le problème dans son ensemble, celui de l'attractivité de la France, et non pas petits bouts par petits bouts, parce qu'à ce moment là, on fait le focus sur telle ou telle mesure et chacun a des réactions idéologiques. Moi je ne suis pas un idéologue, j'essaye d'être un pragmatique, pour que les richesses se créent dans notre pays, que les gens puissent davantage travailler, et qu'au bout du compte il y ait plus d'emplois. parce que finalement pourquoi on travaille comme cela ? c'est pour qu'il y ait moins de chômeurs.
Q- Est-ce que je peux m'adresser à celui qui a été ministre de l'Intérieur et qui a crée, encouragé la formation du Conseil Français du Culte musulman.
R- Je l'ai voulu, je l'ai accompagné, et je l'ai soutenu.
Q- Et il a bien fonctionné ces derniers temps, seulement il risque d'entrer dans une crise grave. Le Marocain Bechari est en voyage au Proche Orient. I vient de rencontrer au Qatar, Abassi Madani qui est le fondateur intégriste du FIS à l'origine de tant de crimes terroristes et vous le savez en Algérie. Quel est votre jugement ?
R- D'abord je ne suis pas sûr qu'il faille dire le Marocain Bechari. Il peut être d'origine marocaine, c'est une autre chose. Deuxièmement, moi je ne suis plus en charge de ces questions, je veux simplement dire une chose, c'est que l'organisation du Conseil français du culte musulman, ça date de deux ans, il faut leur donner le temps de s'installer. Il faut les suivre pas à pas, il ne faut pas être aussi exigeant avec eux qu'on peut l'être avec des organisations qui ont plusieurs siècles derrière elles. Et donc il faut suivre cela. Les Musulmans de France ont besoin d'être représentés..
Q- Mais là c'est pas une erreur ou une faute ?
R- Si on commence à dire cela comme cela on était bien content quand Bechari a été en Irak pour aider à la solution du problème de nos deux malheureux compatriotes odieusement retenus par des preneurs d'otages, donc il faut apaiser tout cela, il ne faut pas montrer du doigt. Vous savez je crois qu'une identité humiliée c'est une identité radicalisée. J'ai tout fait pour apaiser les choses, parce que la France est multiple et qu'elle ne le sait pas toujours. Et l'attitude de nos compatriotes musulmans lors de la prise d'otages a été une attitude qui a fait honneur à cette France multiple. Je veux le dire parce qu'on les critique souvent, souvent, plus que les autres, parfois avec un peu d'injustice. Et il faut leur rendre hommage quand ils ont été courageux.
Q- Ils ont été particulièrement utiles à la société française et à la République.
R- Et puis vous savez je trouve que la rencontre qui a eu lieu entre l'UOIF et le CRIF, ça a été un grand moment, et moi j'ai été très ému de cette question là, parce que pour faire reculer l'antisémitisme, il y a l'action de la police et de la gendarmerie qui est de ce point de vue tout à fait remarquable, mais il y a aussi l'apprentissage du dialogue. Quand les chefs dialoguent, à la base on peut se comprendre, quand les chefs ne dialoguent pas, à la base alors on s'oppose. Voilà ce qu'il fallait faire, et grâce au CFCM on a pu le faire.
Q- N. Sarkozy vous savez que c'est à la place que vous avez là qu'il y a eu l'origine de ce dialogue entre le CRIF et l'UIOF. Il y avait Alaoui et Cukierman, face à face, et qui ont pris rendez vous, qui se sont vus le 9 septembre.
R- Vous auriez pu faire un remarquable ministre des Cultures.
Q- Ministre de l'Intérieur je ne crois pas.
R- Ah ça, non ! Il ne faut pas exagérer.
Q- Où puisez-vous votre incommensurable énergie, et je le fais pas de la flatterie, parce que tout le monde le reconnaît.
R- plaindre quand on exerce comme moi des responsabilités aussi importantes, aussi passionnantes, qui peuvent conditionner l'amélioration de la vie quotidienne de nos compatriotes ? Ce qui est terrible dans la vie c'est de s'ennuyer. Ce qui est terrible, c'est de se sentir utiles. Vous en connaissez beaucoup qui font un métier qu'ils aiment et qui sont fatigués ? La meilleure thérapie à la fatigue, c'est la passion, c'est la curiosité, c'est la volonté de faire ...
Q-- On est quelques-uns à le savoir.
R- Je crois.
Q- La leçon de votre histoire qui se développe ça veut dire qu'avec le
travail et une volonté passionnée on obtient ce qu'on veut ?
R- Non, ce n'est pas ça, je crois ...
Q- C'est pas péjoratif... c'est une manière de s'engager.
R- Non, non, vous savez j'ai été un impopulaire longtemps, j'ai été sifflé, j'ai été seul, j'ai connu la traversée du désert, je sais donc que tout cela et extrêmement fragile. Mais il y a une chose qui est importante, c'est que nos compatriotes comprennent qu'on peut faire bouger les choses. Que la politique cela sert à quelque chose. Or ça fait des années qu'on leur dit qu'on ne peut rien sur rien, rien contre la violence, rien contre le chômage, rien pour la croissance...
Q- Il n'y a pas de fatalité.
R- Eh bien moi, je pense qu'il n'y a pas de fatalité, et si je souhaite être président de l'UMP, c'est pour montrer que la politique ça sert à quelque chose, qu'on peut être passionné par la politique. Moi je ne veux pas être sectaire. Je ne passerais pas mon temps à critiquer la gauche. Que la gauche propose, que la droite propose, et à l'arrivée que les Français choisissent. Il faut que nous soyons des bâtisseurs, et pas des destructeurs. Il faut que nous soyons des volontaires et pas des
fatalistes.
Q- Je me risque à une question personnelle mais qui est aussi politique, C. Sarkozy va vous accompagner à Moscou, comme elle était à Washington, à Alger, ou à la Baule, elle écoute probablement. C'est une tête politique et une conseillère. Vous
l'écoutez ?
R- Mais bien sûr, j'ai une grande chance parce qu'elle veut bien partager ma vie personnelle bien sûr, mais aussi ma vie professionnelle, donc elle sera avec moi. Oui bien sûr, non seulement je l'écoute mais elle a une importance très grande à mes côtés, je ne l'ai jamais cachée.
Merci d'être venu sur Europe 1.
Merci de m'avoir invité.
Et merci à M. Field d'avoir compris qu'on prenait quelques libertés avec le temps, mais il était d'accord. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 septembre 2004)