Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie à "LCI" le 15 juin 2004, sur les enjeux du changement de statut de l'entreprise EDF, et sur l'éventuelle candidature de Nicolas Sarkozy à la présidence de l'UMP.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. On va, bien sûr, parler de la mobilisation contre la modification du statut d'EDF. Les syndicats appellent à manifester et le projet de loi pour modifier le statut de l'entreprise est soumis à l'Assemblée à partir de cet après-midi. Il va être examiné, il n'est plus question de report, c'est sûr ?
R- "Il va être examiné dès cet après-midi, oui, ça va durer peut-être un certain temps. Mais c'est lancé."
Q- Donc, tous les appels contre ce que certains appellent "la privatisation d'EDF"...
R- "Mais ce n'est pas "la privatisation", c'est la modernisation d'EDF ! Il s'agit de lancer EDF à la conquête des marchés européens parce qu'EDF va perdre des parts de marché sur le marché français, depuis que le gouvernement de M. Jospin a ouvert le marché français à la concurrence dans le domaine de l'électricité. Si on veut garder une grande entreprise, et c'est une grande entreprise qu'EDF, il faut qu'elle puisse conquérir des parts de marché en Europe."
Q- C'est le discours, mais...
R- "Ce n'est pas le discours, c'est la vérité. Sinon, cette entreprise va péricliter."
Q- Elle va péricliter en devenant une entreprise à part entière sans ouvrir
son capital ?
R- "Attendez.. si elle reste sur le terrain national, elle va péricliter parce que sur le terrain national, elle avait un monopole, dorénavant, elle aura des concurrents, donc elle va réduire ses possibilités. Il faut donc qu'elle aille chercher des marchés ailleurs, en Europe. Pour cela, il faut qu'elle soit une entreprise comme les autres. Et donc, elle va ouvrir son capital et notamment, elle va pouvoir procéder à des échanges de participations avec d'autres sociétés européennes, elle va nouer des alliances comme le font toutes les entreprises."
Q- Cette ouverture de capital - puisque apparemment c'est ce qui pose le plus problème dans cette affaire - pourrait être reportée d'un an. Cela a été présenté comme un signe d'apaisement, mais, en même temps, il semblerait que ce soit le délai normal qu'il faille observer entre le changement de statut et l'ouverture de capital.
R- "Oui, c'est un délai technique normal. Il faut du temps pour changer de statut, il faut du temps pour ouvrir le capital, il faut que les circonstances soient favorables, il faut trouver des partenaires. Nous voudrions aussi que le personnel d'EDF puisse acquérir une partie du capital pour que ce soit davantage leur entreprise."
Q- Cela, manifestement, n'a pas suffit pour calmer les appréhensions du personnel.
R- "Enfin du personnel... de la CGT !"
Q- Vous pensez que c'est seulement la CGT qui multiplie les actions ?
R- "C'est le syndicat majoritaire, on le voit. En tout les cas, ce sont eux qu'on entend, ce qui est bien leur droit après tout. On est dans une démocratie, ils ont le droit de s'exprimer. Mais je ne suis pas sûr que ce sentiment soit partagé par tout le monde, et en tous les cas, le sondage du Parisien, qui était rappelé à l'instant, montre que c'est mal ressenti par la population."
Q- Vous voulez dire qu'ils se mettent la population et l'opinion publique à dos ?
R- "Il me semble qu'EDF n'appartient pas à la CGT mais à la Nation, et que c'est à la Nation, par sa représentation nationale, le Parlement, de décider de son destin."
Q-Oui, mais vous dites "la Nation", justement, c'est ce qui inquiète ceux qui parlent de "privatisation" ?
R- "Mais il n'y a pas de privatisation. D'abord, nous avons garanti que l'Etat garderait au moins 70 %. Il y a le besoin pour EDF d'être une entreprise comme les autres. Regardez ce qui est arrivé en Italie. En Italie, sous le gouvernement précédent, EDF a acquis une partie de la grande société italienne d'électricité. Eh bien le gouvernement italien a refusé d'accorder les droits de vote conséquents à cette prise de capital, parce qu'EDF était une entreprise d'Etat. Et autant l'Italie dit : bon, moi je suis d'accord pour respecter les règles du marché, mais je veux la réciprocité et une entreprise d'Etat ça n'est pas la réciprocité."
Q- Mais quand vous dites "il faut ouvrir le capital d'EDF", en fait, ne veut-on pas tout simplement financer la modernisation du parc parce que l'Etat n'en a pas
les moyens ?
R- "Mais c'est sûr qu'il ne faut pas faire comme on l'a fait pour France Télécom, par exemple, parce qu'on a refusé d'ouvrir le capital sous le gouvernement précédent, eh bien France Télécom s'est endettée... c'était l'entreprise la plus endettée au monde."
Q- Là, c'était autre chose...
R- " C'était l'entreprise la plus endettée au monde, parce qu'elle ne pouvait pas ouvrir son capital pour financer son développement. Il ne faut pas faire la même chose pour EDF, parce que cela a failli tuer France Télécom, et il ne faut pas tuer EDF, au contraire. Parce que c'est une des premières entreprises du monde dans ce domaine. Et c'est un grand acquis de la France EDF, vous savez, c'est une très grande entreprise qui représente une avancée technologique, une capacité de travail, un savoir-faire qui est unique."
Q- C'est pour cela qu'on veut la protéger justement.
R- "Oui, nous voulons la protéger, et la protéger, c'est dans le développement, pas dans la frilosité, pas dans le repli national. Nous voulons la lancer à la conquête de l'Europe."
Q- Un des griefs qui est fait à ce projet de loi aussi, c'est de dire : finalement, EDF, c'est un service public, pas seulement parce que ses agents arrivent vite quand il y a une catastrophe, mais aussi pour les personnes très endettées...
R- "Oui."
Q- EDF efface la dette pour les gens qui ne peuvent pas payer. Une fois privatisée, est-ce que cela ne sera-t-il plus possible ?
R- "Pas du tout. Nous avons voté une loi sur le tarif social, il y a 1 million de personnes - et les décrets d'application ont été pris - qui bénéficient de cette garantie aujourd'hui. Et par le fait de la loi, l'on peut, par un système paternaliste, comme autrefois."
Q- Le Gouvernement est-il prêt à l'épreuve de force ?
R- "Je crois que le Gouvernement est prêt à la démocratie surtout. Dans une démocratie, qui décide ? La rue ou le Parlement ? Le Parlement est saisi, c'est lui qui représente la Nation. EDF appartient à la Nation, le Parlement décidera."
Q- Il n'est pas question de reculer ?
R- "Vous voyez bien puisqu'on en parle cet après-midi."
Q- On verra. Je voudrais également que l'on parle de l'UMP. Vous étiez le premier à lancer un appel, sur cette antenne d'ailleurs, à N. Sarkozy pour qu'il brigue la présidence de l'UMP. Pensez-vous que vous avez été entendu ?
R- "Je crois surtout que, s'agissant de l'UMP, il es urgent d'y rétablir un large fonctionnement démocratique. Et que la première chose à faire, d'abord, c'est que tout le monde ait le droit de se présenter. Parce que, pour le moment, j'ai le sentiment qu'on veut colmater des brèches, verrouiller le système, et à force de perdre la culture démocratique dans son organisation, ceci transparaît dans le corps électoral et on est incapable de mobiliser le corps électoral, et c'est ce qui nous est arrivé aux dernières élections. C'est par insuffisante de culture démocratique à l'intérieur de l'UMP, que nous avons été incapables au plan de l'UMP, de mobiliser le corps électoral."
Q- Autrement dit, si je vous écoute bien, on veut empêcher N. Sarkozy de se présenter à la présidence de l'UMP ?
R- "Je ne sais pas. Certains peuvent peut-être en rêver. Je ne sais pas s'il faut que N. Sarkozy soit candidat. Mais s'il l'était, en tous les cas, ce serait une chance pour l'UMP. C'est sûr, son talent politique servirait la force des idées qui doivent être à l'UMP. Mais la première chose, la chose la plus importante, au-delà même de la personne de N. Sarkozy, c'est que la compétition électorale puisse être libre à l'intérieur de l'UMP et que l'on cesse de vouloir verrouiller en permanence par des combinaisons qui font que, finalement, les électeurs, les adhérents de l'UMP ne sont pas appelés réellement à faire des choix."
Q- Mais il n'y a pas seulement les adhérents de l'UMP qui ont voté dimanche, il y a aussi les électeurs...
R- "Non, je parle à l'intérieur de l'UMP. Je dis que quand il n'y a pas de démocratie à l'intérieur de l'UMP, eh bien, évidemment, on perd sa crédibilité pour mobiliser le corps électoral."
Q- Autrement dit, l'UMP n'est pas crédible ?
R- "Elle a beaucoup perdu. C'était une chance formidable, et elle a beaucoup perdu par un excès de verrouillage, par un centralisme extraordinaire, et par une insuffisance de vie démocratique. Et c'est cela qu'il faut rétablir."
Q- C'est l'UMP qui a été sanctionnée ou le Gouvernement ?
R- "Le Gouvernement en subit les conséquences naturellement. Mais la campagne électorale, c'est le fait des partis politiques, c'est l'objet des partis politiques. Et c'est parce que l'UMP a été défaillante dans cette compétition que le Gouvernement en subit les conséquences. Le rôle d'un parti politique, c'est d'être à l'avant-garde du Gouvernement, c'est d'organiser un vrai débat, et sans frilosité, sans avoir peur des controverses. Notre système ne fonctionne pas."
(Source : premier-ministre, service d'information du gouvernement, le 16 juin 2004)