Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, sur le rôle de la contractualisation dans le renforcement de la décentralisation et sur l'avenir des contrats de plan Etat-régions, à Paris le 22 juin 2004.

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Circonstance : Discours au Conseil économique et social à Paris le 22juin 2004

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les conseillers, comme vous l'avez fort justement remarqué et constaté, la contractualisation est au coeur de toutes les politiques, que ce soit en France ou dans la plupart des pays européens. La contractualisation est en effet une forme moderne de relation entre des partenaires publics locaux et nationaux.
En France, la forme actuelle de contractualisation - les contrats de plan Etat-régions - est née avec les premières lois de décentralisation et a maintenant plus de vingt ans. Il était donc largement temps de procéder à une évaluation de cette procédure, non pas pour faire le procès de ceux qui l'ont conçue et mise en oeuvre depuis vingt ans, mais, comme vous le préconisez, pour éclairer nos choix futurs et nous aider, le cas échéant, à élaborer de nouvelles formes de contrats avec les collectivités locales.
C'est dans cette logique que le Premier ministre a souhaité demander leur avis à chacune des trois assemblées de notre pays et en particulier au Conseil économique et social, l'assemblée des forces vives de la nation. Au regard de ces trois avis et d'un rapport élaboré par l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des finances, le gouvernement arrêtera sa position et ses propositions en fin d'année lors d'un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire. Je ne pourrai donc pas aujourd'hui vous présenter des orientations définitives sur le sujet : elles sont encore à bâtir.
Je souhaite par contre très simplement réagir devant vous sur plusieurs éléments qui m'ont particulièrement intéressé dans votre avis, M. le rapporteur. D'abord, le gouvernement a vraiment eu raison de vous interroger sur ce sujet. Bravo pour ce texte concis et précis qui a bien cerné l'essentiel. Pour le pouvoir exécutif qui est souvent dans l'urgence, de telles analyses sont indispensables. Pour la qualité de ce travail, et au nom de l'ensemble du gouvernement, je souhaite vous remercier.
Permettez-moi maintenant de réagir sur plusieurs points mis en lumière dans votre avis, et d'abord la nécessité d'une démarche prospective partagée. Il ne peut y avoir de contrats sincères que si les objectifs sont partagés et si l'ensemble des partenaires sont d'accord sur la situation actuelle et sur les grandes évolutions tendancielles. C'est pour cela que disposer d'une vraie observation territoriale et d'une démarche prospective de qualité est indispensable. Cela nécessite donc de connaître chaque territoire pour bien mesurer ses forces, mais aussi ses faiblesses. Nous ne nous sommes probablement pas assez donné les moyens de l'observation et de la prospective, alors que les services de l'Etat, des collectivités locales et des services publics disposent de l'essentiel des informations nécessaires. Mais on n'est jamais parvenu à centraliser ces informations et surtout à les exploiter de façon scientifique et démocratique.
Pour être crédible, la fonction d'observation doit être indépendante des oppositions politiques et des positions partisanes, elle doit être pérenne dans le temps et globale. Nous devons relancer une vraie démarche prospective locale au sein des services de l'Etat, et je donnerai aux directeurs régionaux de l'équipement les moyens, tant en personnels que financiers, pour qu'ils puissent faire émerger de réelles compétences dans ce domaine et donner aux territoires les moyens d'une vraie démarche prospective locale, indispensable à l'élaboration de contrats partagés.
Deuxième point : la contractualisation, outil du renforcement de la décentralisation. Nés avec les premières lois de décentralisation, les contrats de plan Etat-régions correspondent encore, dans leur forme actuelle, à un Etat centralisé et jacobin. A bien des égards, ils sont devenus obsolètes dans une république de plus en plus décentralisée, composée de plusieurs niveaux de collectivités locales qui partagent de multiples compétences, qui les assument pleinement et qui, au-delà des débats politiques, sont toutes soucieuses d'accroître leur responsabilité. J'entends complètement votre souhait que les contrats s'adaptent aux situations locales et non l'inverse : c'est le fond qui doit primer sur la forme.
Inversement, et vous l'avez bien noté, il est important que pour chaque projet il y ait un responsable clairement identifié et connu de l'opinion. C'est nécessaire pour un bon fonctionnement de la démocratie locale. Dans cette logique, je prends note de votre souhait de mettre un terme à la logique de financement croisé, qui est pour vous une source de complexité administrative et de perte de sens politique.
En pointant cette double obligation de lisibilité politique et de nécessaire adaptation aux situations locales, vous avez, je pense, mis le doigt sur le coeur du problème que pose une réforme de la politique contractuelle de l'Etat.
Je note avec un véritable intérêt votre proposition de plusieurs niveaux de contrats, entre l'Etat et la Région d'une part, et entre la région et les territoires de projet d'autre part. Ce dispositif serait complété par des contrats inter-régionaux pour les projets d'ampleur supra-régionale et des contrats transfrontaliers, parce que la France est partie de l'Europe et ne peut concevoir son aménagement et son développement qu'à l'échelle de l'Europe. C'est une vraie proposition, parfaitement cohérente, et nous devront l'expertiser en détail avant d'arrêter notre position et nos propositions.
Troisième point : la nécessité de prévoir, dès l'amont, une véritable évaluation. C'est effectivement indispensable. Il n'est pas de politique moderne sans une évaluation indépendante. Je suis pleinement d'accord avec vous, M. le rapporteur. Notre pays, a ici un réel retard par rapport à la plupart des pays européens et nous devrons progresser sur le sujet. C'est une exigence de démocratie, car nous devons savoir expliquer aux gens, aux entreprises, à quoi ont servi les impôts que nous leur avons demandés, comment et pourquoi sont utilisés les produits de leurs efforts.
Je termine par l'exécution des actuels contrats de plan que vous évoquez à la fin de votre avis. Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, il y a quinze jours, à la fin de l'année 2003, soit 4 ans après la signature, le niveau d'engagement de l'Etat dans les contrats de plan 2000-2006 atteignait 46 %, à comparer avec un avancement théorique de 57 %.
A la fin de l'année 2002, le niveau d'engagement s'élevait à 35 % pour un avancement théorique de 42 %, soit déjà la moitié du retard. La question de l'avancement des contrats de plan n'est donc pas une question politique, ni partisane. Je tenais à le dire dans votre enceinte.
En 2002 et 2003, notre pays a connu une crise économique très forte, qui a eu pour le budget de la nation deux conséquences particulièrement lourdes. D'abord, cette crise a conduit à une monté du chômage et par la même à une augmentation des dépenses sociales, mais comprenons-nous bien : cette augmentation est normale, car c'est le rôle même de la solidarité nationale que d'aider nos concitoyens qui traversent une épreuve comme la perte de leur emploi. En parallèle, du fait de la très faible croissance, les recettes de l'Etat n'ont pas cru aussi vite que certaines de ses dépenses.
Ce double phénomène a conduit à une situation des finances publiques très tendue, qui a amené le gouvernement à demander à l'ensemble des ministères de faire des efforts. En effet, à l'exception des dépenses d'investissement militaire, l'essentiel des crédits d'investissement de l'Etat est contractualisé. Quand survient une période de difficulté budgétaire, le gouvernement n'a que le choix cornélien de ne pas respecter ses engagements vis à vis de Bruxelles ou de ne pas respecter calendairement les contrats de plan. Je regrette un peu ce choix qui a été fait en 2000 par souci d'affichage de contractualiser l'intégralité des budgets d'investissement civils et qui n'a pas su prendre les marges de manoeuvre pour assumer des périodes de tension budgétaires comme celles que nous connaissons aujourd'hui.
Mais, les contrats de plan sont aujourd'hui signés et ils engagent le gouvernement, même si ce n'est pas ce gouvernement qui les a signés. Ils constituent par ailleurs la politique d'investissement de l'Etat et à ce titre ils préparent l'avenir. C'est pourquoi le gouvernement mettra tout en oeuvre pour les mener à bien. Sa capacité à rattraper l'énorme retard accumulé par les deux gouvernements dépendra de la conjoncture économique et de la reprise de la croissance, en laquelle je crois. En tout état de cause, au prix probablement d'un délai, les investissements contractualisés seront réalisés.
Je tenais à le redire devant votre assemblée avant de vous féliciter et de vous remercier très sincèrement pour la qualité de votre travail. Votre contribution est éminente. Elle était nécessaire et avec mon collègue Frédéric de Saint-Sernin, nous en ferons le meilleur usage. Je me réjouis en outre de pouvoir écouter les premiers orateurs des groupes et je prendrai connaissance par la voie écrite des autres interventions. Je vous remercie.
(source http://www.ces.fr, le 28 juin 2004)