Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur les mesures proposées par le PS suite à la tempête de fin 1999 et à la marée noire provoquée par le naufrage de l'"Erika", sur les prochaines échéances de la vie du PS, notamment la préparation des élections municipales, et sur l'action gouvernementale suivie par le PS : réforme fiscale, épargne salariale, avenir des retraites, réforme de la justice et dialogue social, Paris le 10 janvier 2000.

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Circonstance : Voeux à la presse le 10 janvier 2000

Texte intégral

10 Janvier 2000
Les conséquences de la tempête et de la marée noire
Des dégâts considérables ont été constatés aussi bien pour les biens des particuliers que pour ceux des collectivités locales et notre patrimoine forestier a été par endroits totalement détruit. Les conséquences sont à la fois économiques et écologiques. Avant d'en arriver aux mesures que le Parti socialiste propose par rapport aux conséquences de la tempête et de la marée noire, nous avons pû tirer une leçon collective de ces intempéries.
Chacun a pu saluer dans cette épreuve l'élan de solidarité, le rôle majeur des services publics, le dévouement des fonctionnaires, la place de l'État et même redécouvrir l'importance de l'intérêt général. Ces valeurs n'appartiennent d'ailleurs pas seulement à la Gauche, même si elle peut considérer de bon droit qu'elle a eu sa part dans la construction de cet édifice : ces valeurs appartiennent à la République, mais elles avaient paru si délaissées par ceux qui, même au plus haut niveau, n'avaient pas eu de mots assez rudes pour stigmatiser l'intervention de l'État, la place exorbitante du secteur public ou même le nombre des agents publics, que cet acte de contrition soudain, que cette redécouverte nous est apparue réconfortante. Paroles des uns en effet et notamment du chef de l'État, silence des autres et notamment des libéraux, tout cela nous confirme que dans cette période, les valeurs qui nous avaient inspirées à Gauche et au Parti socialiste sont plus que jamais actuelles.
Je ne sais pas si le Parti socialiste a rompu ou non avec le marxisme comme s'en inquiète la Présidente du RPR, c'est une question que nous n'avons pas encore abordé et approfondi, mais en revanche ce dont je suis sûr, c'est que ces derniers jours -et cela ne durera peut-être que quelques jours- la Droite a rompu avec le libéralisme et c'est tant mieux.
Les mesures proposées
Trois catégories de mesures peuvent être préconisées :
1°- L'indemnisation :
C'est le rôle des assureurs, c'est leur fonction économique et c'est en somme leur mission. Ces indemnisations ne sont que la contrepartie des cotisations et des primes que nous versons. Une catastrophe par définition ne se produit qu'exceptionnellement, alors que nos cotisations sont versées annuellement. La rapidité avec laquelle le responsable de la Fédération des assurances a envisagé l'augmentation des primes a pu légitimement surprendre. Parce qu'au regard des provisions importantes qui ont été constituées par les compagnies d'assurances, et les profits non négligeables qui ont été dégagés, nous pouvions penser -non pas par solidarité mais simplement par logique économique- que les compagnies d'assurances ne se déroberaient pas, nous le pensons d'ailleurs encore. Il était au demeurant cocasse d'entendre le responsable des sociétés d'assurances envisager une augmentation des primes alors que ce même dirigeant par ailleurs vice-Président du Medef- n'a pas eu de mots assez cruels ces dernières années pour dénoncer les augmentations des cotisations de Sécurité sociale face à des risques sociaux dont nul ne peut nier l'importance. Une fois encore, le principe de cohérence n'est pas totalement respecté.
Il faudra sans doute aussi en matière d'indemnisation l'intervention de l'État au titre de la solidarité nationale. Cela vaut aussi bien pour les particuliers comme pour les entreprises.
2°- La reconstruction et la réparation :
Cela touche des domaines aussi différents que la forêt, la pêche, l'habitat ou le tourisme. Il faut à la fois des moyens nouveaux, mais aussi des politiques structurelles. Les moyens nouveaux, c'est la création d'un fonds d'aide spécifique pour les collectivités ou pour les secteurs économiques qui sont les plus atteints.
Il faut également des mesures structurelles et nous pensons bien évidemment à une politique de formation des personnels, aussi bien pour travailler dans les forêts, que pour répondre aux besoins de réparation dans les logements, que pour tenir compte de ce qu'il faudra faire dans les sites touchés par la marée noire. A l'évidence, il y a des besoins de main d'uvre mais il n'est pas toujours simple pour les entreprises ou les collectivités de trouver les personnels compétents, ce qui exigera au-delà même de la loi sur la Formation professionnelle qui doit être discutée cette année au Parlement, de mettre en place sans tarder des dispositifs de formation pour que les hommes et les femmes qui peuvent se consacrer à ces métiers puissent être formés en conséquence.
3°- La prévention :
Pour la tempête, nos normes de construction publique et pour l'habitat privé, il n'y a pas toujours d'anticipation par rapport à des événements de cette nature. Il faudra des changements réglementaires.
Concernant la marée noire, nous ne pouvons pas en rester là. Il y a déjà eu des catastrophes ces dernières années qui n'ont pas produit les changements souhaités par les élus et par la population. Nous proposons donc qu'il y ait un contrôle plus effectif du transport maritime au plan national comme au plan européen, la fin des tolérances en matière de pavillons de complaisance -ce qui supposera de changer un certain nombre de règles dans l'organisation mondiale de la navigation et enfin d'être plus draconiens dans l'accès aux ports des navires qui sont ainsi affrétés pour le transport de matériaux dangereux ou de produits extrêmement nocifs pour l'Environnement. A partir d'un événement comme celui-là, il faut agir dans l'urgence mais aussi changer la nature et le sens des politiques publiques.
Le rôle du Parti socialiste, Les prochains rendez-vous
Les années sans élections sont paradoxalement les plus compliquées pour les formations politiques. Les partis savent préparer les élections et même parfois les gagner. Nous voulons faire de l'année 2000, une année utile pendant laquelle nous investirons sur les sujets majeurs qui intéressent nos concitoyens et une année qui préparera l'avenir pas seulement 2002 mais aussi toute la décennie à venir. Le rôle du Parti socialiste est d'être une force de proposition, de réflexion, d'anticipation et d'innovation. Cela vaut pour le reste de la législature (il nous reste 2 ans pour agir et réformer), mais ça vaut aussi pour les années à venir. Nous en aurons d'ailleurs plusieurs occasions.
Réunion des secrétaires de section
Le 6ème rassemblement des secrétaires de section sera essentiellement consacré à la solidarité. Solidarité par rapport à ceux qui sont touchés par l'exclusion et solidarité territoriale.
Convention nationale sur les territoires
La Convention sur les territoires a pris un relief particulier suite à la tempête, car ces événements confirment bien qu'il faut avoir un modèle territorial, le souci de lutter contre les inégalités territoriales et peut-être une organisation territoriale qui soit conforme à ce qu'attendent nos concitoyens. Sujet majeur de la place de cette convention, c'est la place de l'État, le rôle des différentes structures, la lutte contre les disparités entre collectivités, c'est la place des services publics, la localisation des activités économiques et c'est la décentralisation. 6 colloques seront organisés pour appréhender ce thème et le premier d'entre eux se tiendra le 5 février en Bretagne à Rennes sur le thème du développement local.
Le prochain Congrès
Au-delà du bilan que nous aurons à dresser de notre propre action, au-delà de la préparation des échéances, élections municipales et législatives, et peut-être même élection présidentielle, nous voulons donner à ce Congrès un contenu qui soit celui du renouvellement programmatique. Nous aurons au bout de la législature et je crois que c'est notre fierté, réussi à appliquer l'ensemble de nos engagements.
Ce qui maintenant doit être fait par le Parti socialiste porte sur nos nouveaux engagements, les nouveaux thèmes, les nouvelles réformes pour les années qui viennent. De la même manière nous voulons affirmer par ce congrès notre identité, par rapport à la mondialisation aux nouvelles formes du capitalisme, au libéralisme, mais aussi affirmer notre identité par rapport aux autres expériences progressistes dans le monde. Qu'il soit clairement dit que pour ce début de siècle, novembre 2000, les Socialistes sont en ordre de marche par rapport aux échéances qui viennent, mais surtout en terme de pensée, sûrs de leurs convictions et prêts à renouveler constamment non pas leurs pensées mais leurs propositions par rapport aux nouvelles exigences. C'est pour cette raison que nous devons être aussi un parti de la modernité.
Les dossiers gouvernementaux
Trois dossiers feront, notamment, l'objet de l'attention du Parti socialiste :
1°- La réforme fiscale :
Nous demandons que toutes les marges de manuvre soient affectées à la taxe d'habitation. Pour l'année 2001, nous souhaitons une baisse des impôts directs. Rien n'est pire en matière fiscale que le saupoudrage et l'illisibilité. Nous proposons donc une baisse de tous les impôts directs, c'est-à-dire ceux qui sont payés par tous les contribuables. Il faudra donc considérer comme un bloc IRPP et CSG. Le Parti socialiste fera donc des propositions plus précises à ce sujet le moment venu.
2° - L'épargne salariale :
Nous considérons l'épargne salariale nécessaire et souhaitable dès lors qu'elle est un élément de pouvoir des salariés dans l'entreprise. Ce n'est pas seulement une technique financière, ce doit être le levier d'un changement de rapport de force dans l'entreprise et un nouveau moyen donné aux salariés de peser sur les décisions qui les concernent.
Pour que l'épargne salariale ait un sens, il faut qu'elle permette de distribuer à terme un pouvoir d'achat supplémentaire pour les salariés, ce qui exige que l'épargne salariale concerne toutes les entreprises et ne soit pas seulement l'apanage de quelques salariés dirigeants qui se distribuent secrètement des stocks-options.
Il nous faut aussi utiliser les formules de l'actionnariat salarié ou de l'épargne salariale pour protéger un grand nombre d'entreprises par rapport aux OPA hostiles.
Voilà ce qui inspire les Socialistes par rapport à ce thème de l'épargne salariale. Nous nous intéressons avant tout au pouvoir des salariés dans l'entreprise.
3° - L'avenir des retraites :
Marisol Touraine remettra son rapport fin janvier, début février ce qui permettra au Parti socialiste de s'exprimer sur ce thème essentiel avant que les décisions gouvernementales ne soient prises. Nous sommes conscients au Parti socialiste de la nécessité de réformer le système des retraites et en même temps nous considérons qu'un des moyens pour parvenir à préparer convenablement la retraite dans ce pays, est d'avoir le plus fort taux de croissance et le moins de chômage possible. Plus il y a d'actifs et de cotisants dans une société, moins la question des retraites devient lancinante. Poser ce principe n'exclut pas de proposer des mesures pour consolider les régimes de répartition.
La préparation du scrutin municipal et
du scrutin cantonal de mars prochain
Nous devons avoir des discussions avec nos partenaires et avoir le respect de nos procédures.
Par rapport à nos partenaires, nous souhaitons ardemment la constitution de listes de gauche plurielle partout dans toutes les villes de France et notamment les plus grandes d'entre elles. Nous pensons être en mesure d'aboutir fin février. Avec nos partenaires communistes, radicaux de gauche, mouvement des citoyens, nous sommes en bonne voie d'aboutir. Avec les Verts, nous aurons une réunion mi-janvier et d'autres encore d'ici à la fin février. La responsabilité des Socialistes est de faire des propositions réalistes et sérieuses à tous nos partenaires. Avec ceux qui ont déjà une existence politique avec des fonctions de maires, nous avons fixé le principe de maintenir les directions politiques sortantes. Mais avec les Verts, récemment venus dans le paysage politique de façon structurée, il est normal que nous ayons une autre méthode. C'est pourquoi, nous proposerons à nos amis Verts un certain nombre de villes où ils auraient la responsabilité de conduire la liste. Ces propositions seront suffisamment attractives pour justifier un accord, mais elles seront fondées sur le respect d'un principe de cohérence. Si des listes d'union sont faites avec les Verts, si des directions de listes sont accordées alors dans les départements concernés alors à l'évidence partout ce principe de gauche plurielle doit se retrouver.
Pour la désignation interne de nos propres candidats, le rôle de la direction du Parti socialiste est de faire respecter les règles qu'il a posées. D'abord le calendrier, les candidatures seront déposés entre le 14 février et le 11 mars, vote le 27 mars et le 2 avril; et Convention nationale de ratification fin mai. Son rôle est aussi de faire respecter non seulement un calendrier, mais surtout un des principes fondateurs : ce sont les militants et personne d'autre qui sont souverains pour la désignation des candidats. Si bien que la direction du Parti socialiste n'a ni à encourager, ni à décourager quelque candidature que ce soit et où que ce soit. Elle doit simplement organiser les procédures, faciliter les rassemblements et assurer le respect par tous de ses règles et, enfin, soutenir celui ou celle qui sera désigné. Il y a une responsabilité nationale dans la préparation des élections municipales. Ce sera un grand scrutin avant d'autres échéances dans de grandes villes et il faut gagner. Mais pour obtenir un tel résultat, il faut avoir non seulement une stratégie, mais avant tout garantir le respect des règles. Les deux vont de pair.
La réforme de la Justice
Le Congrès prévu pour le 24 janvier prochain, concerne un projet de loi sur la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui en change la composition et qui permet son intervention dans la nomination des procureurs, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Le projet a été présenté le 15 avril 1998 par Élisabeth Guigou. Il a été adopté en deuxième lecture le 6 octobre 1998 à l'Assemblée nationale et au Sénat le 18 novembre. Ce qui veut dire que cela fait plus d'un an que le congrès aurait déjà pu ou déjà dû intervenir. S'il n'a pas été convoqué, juste après le vote des assemblées, c'est parce que le Président de la République qui en avait le droit, a demandé de faire discuter au préalable 2 textes devant les assemblées. Il s'agit du texte relatif à la présomption d'innocence et de celui sur l'action publique en matière pénale. Ces deux textes ont été votés en première lecture l'un le 30 mars 1999 et le second le 29 juin 1999. Ce qui signifie que plus rien ne pouvait s'opposer à la convocation du Congrès. La meilleure preuve est que le Président de la République -conscient que les deux conditions qu'il avait posées avaient été respectées- a lui-même convoqué le congrès à la date que vous connaissez.
Une fois de plus, nous nous trouvons face à un principe de cohérence par rapport à un vote qui a généré quatre lectures dans les deux assemblées . 697 parlementaires ont voté oui contre 64 non. Pourquoi ce qui était légitime en avril 1998 ne l'est plus aujourd'hui ? Pourquoi ceux qui ont voté pour ce texte, hésiteraient-ils à le faire demain ?
Deuxième principe de cohérence, par rapport à la réforme de l'indépendance de la Justice ou plus exactement de la coupure des liens entre la chancellerie et le parquet qui était souhaité par le Président de la République avant même que nous ne revenions aux responsabilités, souhaité par le Premier ministre et par toutes les forces politiques . Pourquoi, alors que nous sommes tous prêts à aller dans ce sens, y aurait-il une hésitation, une prudence ou un regret ? S'agit-il de voter un texte , ou s'agit-il d'utiliser un prétexte pour créer un contexte qui serait celui de la refondation de l'opposition ? C'est vrai que nous sommes tous passés par l'opposition ; la Droite peut être tentée de s'opposer à un Gouvernement et c'est même son devoir, mais à s'opposer systématiquement, on risque s'opposer durablement.
Il ne s'agit pas de savoir qui va perdre, mais de faire gagner la justice dans notre pays. Il faut une clarification, apporter les modifications nécessaires, mais en même temps demander un report, un délai, c'est au fond ne pas vouloir la réforme. Ce report est demandé au Président de la République qui a confirmé de son côté la date du congrès. La question n'est plus de savoir quand voter cette réforme, mais s'il faut ou non la voter. Nous pensons qu'elle est indispensable. A l'opposition de prendre ses responsabilités.
Le dialogue social
Là encore, chacun s'accorde à souhaiter une relance, une rénovation du dialogue social. Comment -dans ce contexte- admettre que le départ du Medef des organismes de Sécurité sociale y contribuerait ? L'introduction de nouvelles règles, l'ouverture de nouveaux champs pour la négociation sociale, n'exige pas la destruction de ce qui marche dans notre pays. De la même manière que l'État doit garder une place. Qui pourrait comprendre que l'État soit absent des sujets essentiels que sont la retraite ou la santé, ou alors que l'on ne demande pas à l'État d'en changer les règles. Le dialogue social suppose des acteurs déterminés pour l'engager et d'avoir aussi selon une expression connue, du " grain à moudre ". Il n'exige pas de réforme de la Constitution. La meilleure façon de préserver le dialogue social est précisément de ne pas en faire un enjeu politique.
En conclusion, nous pouvons affirmer que ce n'est pas parce que la France va plutôt bien que le Parti socialiste doit s'en tenir à un bilan. . Nous avons en effet, une exigence de solidarité -la lutte contre la précarité et l'application de la Couverture Maladie Universelle- mais aussi une exigence de réforme, qu'il s'agisse de la régulation de l'économie ou de la réforme fiscale.
Face à une droite qui ne trouve pas sa place et son identité, même par rapport au Président de la République, le Parti socialiste doit apparaître comme une force de cohérence et de mouvement.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 10 janvier 2000).