Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur le bilan des réformes, le mandat de la majorité et le projet de budget 2005, sur la Constitution européenne et la demande de l'UDF d'un débat avec vote au Parlement sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, Blois le 10 octobre 2004.

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Circonstance : Journées parlementaires de l'UDF à Blois (Loir-et-Cher) du 8 au 10 octobre 2004-discours de clôture le 10

Texte intégral

Mes chers amis,
Mes premières pensées vont à ceux qui ont organisé ces journées, ceux qui y ont participé, vous les députés, les sénateurs et les parlementaires européens et l'ensemble de l'équipe du Loir-et-Cher et de notre équipe, les assistants qui y ont participé et les journalistes qui ont bien voulu nous suivre dans les épreuves difficiles, " royalement " difficiles que nous leur avons imposées !
Mes remerciements vont aux présidents de groupe. Je veux dire à chacun d'entre eux et d'entre elles, à Hervé Morin, à Michel Mercier qui est avec nous par la pensée, son petit ennui de santé étant lié au souci aux forces qu'il a laissés dans la campagne électorale d'abord, pour les sénatoriales puis dans le travail difficile de constitution du groupe. J'ai beaucoup - je le dis parce qu'il n'est pas là - de gratitude à son endroit, parce qu'assumer à la fois la fonction de président du groupe au Sénat et la fonction de trésorier de notre mouvement politique, sans que jamais aucun soupçon depuis dix ans n'ait pu être formulé à notre encontre, cela vaut, me semble-t-il, que nous le citions à l'ordre de l'UDF !
Michel Mercier étant absent, c'est à Jacqueline Gourault que vont nos remerciements effectifs pour la représentation qui a été la sienne du groupe sénatorial. Je veux ajouter aussi notre gratitude à Marielle de Sarnez, notamment parce que le combat des élections européennes, et la victoire qui s'en est suivie, la constitution de notre nouveau groupe, l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, ont été, pour beaucoup, son uvre,et je voulais le lui dire.
Je veux m'adresser aux élus du Loir-et-Cher. Un certain nombre d'entre eux sont présents, je veux dire à Maurice Leroy, président du Conseil général, à Nicolas Perruchot, député maire de Blois, à Pierre Fauchon, sénateur du Loir-et-Cher, à Janelly Fourtou, députée européenne et à Jacqueline Gourault, présidente des maires et sénateur du Loir-et-Cher, ce qu'ils savent, mais qui va peut-être mieux en le formulant, que chacun d'entre eux occupe une place précieuse au sein de notre équipe et que nous avons, à leur égard, une dette de reconnaissance, d'amitié et un élan de chaleur humaine que nous ne manquerons pas de leur manifester dans les semainesà venir.
En écoutant chacun des discours, celui de Jacqueline Gourault, celui de Marielle de Sarnez et celui d'Hervé Morin, je voudrais redire, à mon tour, que ce qui m'a frappé au cours de ces trois jours, c'est la qualité et la solidité de l'équipe qui se forme.
J'ai pensé à cela pendant les tables rondes hier. J'y ai pensé pendant le débat sur l'Europe, j'y ai pensé pendant le débat sur les Institutions, j'y ai pensé pendant le débat économique.
L'équipe qui était là et qui nous représentait, Christian Blanc, Jean Arthuis, Charles-Amédée de Courson, pour l'économie, par exemple, c'était une équipe qui était, à mon sens, la meilleure équipe disponible aujourd'hui en France.
Les idées avancées qui renouvelaient le débat, la rigueur de la pensée, le sens de la vérité étaient la marque de fabrique de cette équipe.
Il m'a semblé, Hervé Morin l'a dit à sa manière, qu'en un an, cette équipe montait en force, en puissance, et que l'avenir de la démocratie française allait avoir à prendre en compte la force de cette équipe nouvelle que nous formons ensemble. La qualité, la solidité, l'énergie de cette équipe sont nécessaires pour le face à face avec la France dans lequel nous sommes entrés, car de 2004 à 2007, c'est le destin du pays qui va se jouer . Le destin du pays se jouera un peu sur des personnalités, beaucoup sur des idées et encore plus sur l'équipe qui porterases idées : son renouvellement - et là nous n'aurons pas de mal à montrer les visages nouveaux qui sont les nôtres -, sa cohérence et son courage.
J'ai eu beaucoup d'espoir au cours de ces journées, beaucoup de satisfaction, beaucoup de bonheur comme président de cette famille politique. Ce qui m'a frappé, c'est la cohérence de la pensée qui nous anime, parce que, sans que les intervenants se soient concertés, hier et aujourd'hui, on a retrouvé des thèmes qui sont comme autant d'éléments d'identité de notre famille politique et que je vais maintenant essayer de reprendre.
Cette cohérence, c'est le gage de l'avenir. Les grands choix d'un pays, ce que nous avons à faire, ne valent que s'ils sont cohérents entre eux, autrement il arrive ce à quoi nous assistons depuis des mois : la valse hésitation perpétuelle, un pas en avant, un pas en arrière et, au bout du compte, l"illisibilité et l'immobilisme.
Eh bien, cela empêche les peuples d'avancer, parce que cela empêche les peuples d'adhérer.
S'ils ne savent pas où ils vont, ils ne peuvent pas créer le mouvement et dans tous les cas, c'est l'échec assuré.
Je voudrais reprendre les principaux chapitres que nous avons évoqués au cours de ces journées.
D'abord, une réflexion sur les réformes.
Les déclarations se sont multipliées de la part du gouvernement, ces dernières semaines, sur l'inflexion des réformes.
Le gouvernement nous a dit, phrase que je n'aurais jamais imaginé entendre à la mi-temps d'une législature : " le temps des réformes difficiles est derrière nous, nous entrons dans le temps des "réformes gratifiantes ". Autrement dit, si je comprends bien, des réformes qui font plaisir. Eh bien nous contestons cette vision.
Si nous faisons le bilan des " réformes ", des réformes que l'on dit derrière nous, nous voyons un texte sur les retraites, c'est vrai dont les experts disent qu'il nous aura fait faire à peu près 40 % du chemin.
Nous pensions que l'on pouvait faire mieux, nous avions proposé des idées réellement novatrices : retraite par point, protection des acquis et égalité des Français devant la retraite. Nous avions même envisagé de faire adhérer le peuple français à cette démarche par un referendum. Même si nous pensions qu'on pouvait faire mieux, nous donnons acte au gouvernement de cette étape et c'est pourquoi nous l'avons votée.
Nous avons eu un texte sur la décentralisation qui devait être, souvenons-nous, le grand oeuvre de la mandature. Ce texte, faute d'avoir prononcé des choix, pour avoir renoncé à faire les choix, a embrouillé un peu plus le pouvoir local, provoquant des interrogations innombrables de la part des élus, de la part des experts et une absence radicale d'interrogations de la part des citoyens parce qu'ils n'y comprennent plus rien.
Nous avons eu enfin un texte sur la Sécurité sociale dont l'un de nos amis disait hier à la tribune que plus aucun parlementaire, quelque soit son groupe, plus un spécialiste, ne prétend aujourd'hui qu'il soit à la hauteur des enjeux.
Nous ne l'avons pas voté, et aujourd'hui, trois mois après son adoption, nous entendons le ministre lui-même envisager qu'il faille un nouveau plan dès que l'on constatera que celui-là a échoué.
Eh bien cela, nous semble-t-il, engage le pays sur un chemin dangereux parce qu'il y a pire que de ne pas faire les réformes que la situation exige, c'est d'y renoncer tout en prétendant à grands sons de trompe qu'on les a faites, parce que là le pays est trompé et il est démobilisé.
L'idée qu'on avance selon laquelle, après la route droite et la pente rude - comme on disait naguère - il y aurait désormais les riantes vallées qui conduisent à 2007, cette idée est trompeuse et dangereuse.
Notre peuple a besoin de mobilisation. Il a besoin qu'on l'appelle au mouvement. Il n'a pas besoin qu'on relâche l'effort et que l'on prétende que, désormais, tout va aller de soi.
L'Histoire ne va pas nous attendre.
Les chômeurs de plus en plus nombreux, les exclus, les étudiants sans emploi en cette rentrée, toutes ces victimes du mal français disent à leur manière que nous n'avons pas le temps et que nous ne pouvons pas relâcher l'effort.
Naturellement, en regardant ces années passées, puisque nous sommes - Marielle le faisait remarquer hier - exactement à mi-chemin de la mandature, on constate que ce que ressentent beaucoup de Français, c'est qu'une immense chance a été gâchée.
L'Histoire a offert en 2002 une occasion inespérée. La France avait donné mandat au Président de la République et à la majorité nouvelle. Si je veux décrire en deux mots ce mandat, au lendemain du vote du deuxième tour de l'élection présidentielle, je dirais que c'est un mandat de courage civique et d'action non partisane.
Courage civique et action impartiale. Il suffit de prononcer ces deux mots pour mesurer ce que doit être aujourd'hui le jugement porté sur la première partie du quinquennat.
Et l'on voit tout d'un coup ce qui a manqué : une démarche politique impartiale de rassemblement national et la vérité qui mobilise les peuples.
Nous avons, par exemple, longuement examiné le budget, et je voudrais le souligner en préambule.
Nous ne sous-estimons en rien la difficulté de la tâche et je note que le ministre des Finances manifeste, face à nos remarques, une attention qui n'est pas de façade, mais, faute de temps et faute de soutien, tous les experts sans exception qui se sont exprimés pendant ces Journées parlementaires l'ont noté, sans polémique : l'essentiel du redressement comptable a été obtenu par des mesures qui ne seront pas reconductibles l'année prochaine.
Nous ne sommes donc pas devant l'assainissement, le rétablissement de nos finances publiques. Nous sommes devant une tentative de présenter, pour une année, un budget soi-disant en équilibre.
L'utilisation comptable de la soulte d'électricité de France en est un exemple.
On inscrit dans nos comptes, en une seule année, une somme qui sera payée sur cinq ans et qui est destinée, a priori, à garantir le paiement ultérieur des retraites des agents d'EDF pendant au moins vingt ans. C'est avec cette soulte que l'on affiche la réduction du déficit de la France !
Il est juste de dire que ni le déficit, ni la dette ne sont maîtrisés.
L'année prochaine, en 2005, nous allons atteindre la fin de l'année avec une dette publique de 1100 milliards d'euros. Cela a une signification très simple : de notre absence de courage, nous laissons l'addition à payer à nos enfants. Dans un héritage familial, l'héritier peut toujours refuser l'héritage. S'il considère que le passif est trop important, il déclare : "Excusez-moi, je n'en veux pas, je renonce à l'héritage". Mais pas un de nos enfants ne pourra renoncer à l'héritage que nous allons leur laisser.
C'est la première fois depuis des décennies qu'une génération de Français va être obligée d'assumer ainsi l'impéritie et l'incurie de ceux qui l'ont précédée. Notre génération, quand elle est arrivée au travail, quand elle a fini ses études, elle se trouvait sans dettes à payer. Aujourd'hui, regardez l'accumulation des dettes qu'au contraire nous allons laisser à nos enfants.
Dette démographique, parce que le creusement de la pyramide va laisser sur les épaules de nos enfants des millions de seniors comme l'ont dit, de personnes âgées dont ils devront assumer la charge.
Dette sociale, parce que tout le monde sait bien que le vieillissement de la population française va entraîner mécaniquement une augmentation des dépenses de santé et, en plus de cela, nous décidons de leur laisser nos feuilles de maladie à payer.
Eh bien ceci est purement et simplement inacceptable dès l'instant que l'on veut être responsable.
Qu'est-ce qui manque, qu'est-ce qui a manqué ? Il a manqué la vérité.J'ai souri parce que chacun des trois présidents de groupe l'a dit, à sa manière, hier et aujourd'hui, il a manqué la vérité dans l'action du gouvernement.
Si la vérité simple, brute, brutale, dépouillée, avait été posée sur la table devant les yeux des Français, ils auraient sommé leurs dirigeants de prendre leurs responsabilités et parmi ceux qui auraient sommé leurs dirigeants de prendre leurs responsabilités, il y a les plus jeunes parmi les Français. Ce sont eux qui, les premiers, auraient dû manifester sous les fenêtres des gouvernants en disant : "Vous n'avez pas le droit d'éluder les problèmes, vous n'avez pas le droit de ne pas trancher, parce que vous n'avez pas le droit de nous abandonner à l'avance comme vous le faites".
Alors pourquoi la vérité ne s'exprime-t-elle jamais ?
Eh bien, parce que nous ne vivons pas dans une vraie démocratie.
Les hommes ne sont pas toujours vertueux mais les Institutions devraient être là pour les obliger à l'être. Nous n'avons pas l'équilibre des pouvoirs qui oblige les gouvernements, qu'ils le veuillent ou non, bon gré mal gré, à révéler ce qu'ils voudraient dissimuler, parce que tous les pouvoirs sont concentrés, et parce que toute l'action du pouvoir consiste à les concentrer davantage. Nous n'avons pas la séparation des pouvoirs qui oblige les gouvernants à écouter les peuples.
Abaissement du Parlement, parti unique, nomination à tous les postes de l'État sans exception d'amis et de proches, y compris à tous les postes de contrôle.
Eh bien, cela donne une démarche politique qui ne permet pas à la vérité de s'exprimer et les victimes sont nombreuses. La victime, c'est d'abord l'État, parce qu'un État qui n'est plus impartial n'est pas respecté. La victime, c'est ensuite le citoyen, parce qu'on ne lui dit pas la vérité et donc on ne lui permet pas de former son jugement. Et la victime, enfin c'est le pays et notamment dans le pays, sa jeunesse, parce que les choix ne sont pas courageux.
C'est exactement pourquoi nous avons posé les problèmes institutionnels. Tous les pouvoirs entre les mêmes mains, pas de confrontation, cela amène inéluctablement à commettre des erreurs.
Si le gouvernement avait pris en compte des jugements non complaisants, il n'aurait pas commis les erreurs, y comris les erreurs symboliques de cet automne.
Si l'on n'avait pas été le 25 août, alors que ce Parlement qui pourtant ne contrôle pas beaucoup, était en vacances, s'il y avait eu une confrontation des idées, on n'aurait pas signé ce jour-là un décret à la sauvette, en catimini, destiné à ne pas être regardé, qui ampute une partie des pensions de réversion des veuves et des veufs, c'est-à-dire qui donne un symbole désastreux de ce que doit être dans notre pays l'idée de la justice sociale.
La faute en est aux gouvernants qui se conduisent comme cela, mais faute bien plus grande encor,e des Institutions qui permettent d'imaginer que l'on va avoir, en France, des décrets qui passeront en catimini.
Il n'y aurait pas eu la faute du prêt à taux zéro, parce qu'il s'agit là d'une habileté comptable. Nous regardions le prêt à taux zéro comme la chance pour les jeunes ménages de se constituer un apport personnel qui ne sera remboursable qu'au terme de l'emprunt principal, c'est-à-dire qui leur permette d'accéder à l'acquisition d'un logement neuf ou ancien.
Il n'y aurait pas eu la faute de focaliser sur les ménages les plus aisés les avantages fiscaux pour l'emploi de personnel à domicile. Nous, nous pensons que s'il faut poser la question de ces avantages - Pierre-Christophe Baguet y insiste beaucoup - il faut les lier aux besoins d'une famille, garde des enfants ou besoins d'une personne handicapée ou d'une personne âgée. Là, on aura une démarche qui sera une démarche fondée en équité, c'est-à-dire une démarche à laquelle le pays adhérera au lieu de la juger comme un avantage supplémentaire pour les plus favorisés.
Tout se tient. Quand on n'est pas obligé de rendre des comptes, quand on n'a pas l'équilibre du pouvoir, quand on concentre tout entre les mêmes mains, on gouverne mal et, tout à l'heure, cela a été dit très justement par Hervé Morin, cela conduit à faire des erreurs.
Quand la démocratie n'impose plus sa discipline, le pouvoir s'égare. D'où notre affirmation : un pouvoir nouveau, une démarche politique nouvelle, ne s'obtiendront pas sans changements politiques profonds.
Nous ouvrons la réflexion institutionnelle. Notre démocratie est en panne. La République est malmenée. Il faut trouver un nouvel équilibre.
Ce nouvel équilibre commence par considérer les pivots de la démocratie dans laquelle nous vivons et le premier est évidemment le Président de la République. Le Président de la République, élu au suffrage universel, est naturellement en charge du plus important de la destinée de la Nation. Nous l'avons voulu et nous l'assumons, le président élu doit être en première ligne devant les Français et assumer les décisions qu'il prend.
Il faut en face un vrai Parlement, comme dans tous les autres pays du monde. Un Parlement qui ne se couche pas ! Un Parlement qui assume les trois fonctions - on n'en cite généralement que deux - qui, à mon sens, sont celles d'un véritable Parlement :
- Aider à faire la loi.
- Contrôler l'exécutif.
- Organiser le débat public pour qu'il ne se passe pas dans la rue, mais qu'il s'exprime clairement dans l'enceinte qui doit être la sienne, celle du Parlement de la République.
Nous disons pour cela qu'il n'y a pas besoin - je reprends à peu près les conclusions de la table ronde à laquelle ont participé hier des universitaires brillants et/ou des élus de qualité, parfois les deux - de changer le numéro de la République pour lui donner l'équilibre dont elle manque.
A ce titre, nous avons vécu un week-end extrêmement éclairant.
Pouvait-on imaginer démonstration plus éclatante de l'affaiblissement de la démocratie que cette valse hésitation que nous sommes en train de vivre à propos du débat sur l'avenir de l'Europe ?
Peut-on imaginer sujet plus important pour chacun des citoyens que nous sommes, pour le pays que nous formons ensemble, pour l'Union que nous avons constituée, que celui de son extension et de sa nature ? L'adhésion de la Turquie pose ces questions.
On peut être pour ou contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, mais personne ne peut nier que ce soit la décision historique la plus importante, qui va orienter l'avenir de l'Union pour les 50 ans qui viennent.
Et on refuserait au Parlement, 577 députés, 331 sénateurs élus au suffrage universel direct ou indirect, vivant, incarnant la démocratie dans ce que la République a de plus solennel, de se saisir de cette question ? D'organiser un débat, de s'exprimer et de voter ? Mais, je le dis au Premier ministre et je le dis au Président de la République : nous ne demandons pas un privilège, nous demandons notre droit et l'exercice du devoir qui est celui de chacun des parlementaires français, au service de chacun des citoyens français.
Nous demandons que soit respecté le droit des citoyens français à avoir voix au chapitre quand va se prendre une décision si déteminante pour leur avenir.
Que l'on soit pour ou contre, je voudrais insister sur ce point, je voudrais déconnecter la question de fond de l'adhésion de la Turquie sur laquelle on sait ce que nous pensons, mais je la déconnecte de l'urgence démocratique dans laquelle nous nous trouvons. Si nous avions été une démocratie normale, le Premier ministre, comme nous le lui avons demandé à l'Assemblée nationale, comme le gouvernement l'a fait au début des années 1990 lorsque s'est posé le problème de la première crise irakienne, le Premier ministre serait venu devant l'Assemblée nationale et il aurait dit cette chose simple : "Voilà une question essentielle, voilà la politique que nous allons suivre, qu'il nous semble devoir suivre au service de la France, avons-nous ou non le soutien du Parlement ?".
Cela aurait été un engagement de la responsabilité du gouvernement au titre de l'article 49 alinéa 1 de la Constitution et on aurait donné son plein sens au dialogue entre le législatif et l'exécutif, au dialogue démocratique.
Alors, pour les raisons qui ont été parfaitement expliquées et que tout le monde a à l'esprit, que le gouvernement n'est pas sûr de lui, qu'il n'est pas sûr de son parti, qu'il n'est pas sûr de sa majorité, qu'il n'est pas sûr du pays parce qu'il a le sentiment que que l'opinion n'est pas sur cette ligne, qu'elle n'approuve pas les choix qui vont être faits au nom du peuple français, le gouvernement ne veut pas de cet engagement de responsabilité.
Mais comme la Constitution est bien faite, le texte de la loi fondamentale ne comporte pas seulement l'engagement de responsabilité au titre de l'article 49 alinéa 1, il comporte aussi une disposition que nous avons introduite en 1992 et renforcée en 1999 à la demande de Jacques Chirac : c'est l'article 88 alinéa 4 de la Constitution. A cette époque, on nous avait dit : " il n'est pas possible que les décisions européennes se prennent sans que le Parlement français ait son mot à dire " et donc on a introduit une disposition nouvelle qui est faite spécifiquement pour les textes européens et que je veux vous rappeler : " Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne. "
Mes amis, si l'on a insisté en 1999 dans la Constitution à la demande de Jacques Chirac Président de la République, pour que le Parlement soit saisi de tout texte émanant d'une institution européenne, qu'est-ce qui peut justifier que l'on refuse de le saisir à propos de la décision la plus importante qui va être prise pour les 50 ans qui viennent ?
Si l'on veut que notre action collective ait du sens, comme parlementaires et comme citoyens, et nous sommes tous des citoyens, comment pourrions-nous accepter qu'on ne respecte pas la loi fondamentale quand on l'a soi-même écrite précisément dans le but qui est celui de la question posée devant nous aujourd'hui ?
C'est pourquoi, Hervé Morin pour l'Assemblée nationale et Michel Mercier pour le Sénat ont écrit à tous les parlementaires de l'une et l'autre des deux chambres du Parlement et nous leur avons dit, parce que nous savons qu'il y a beaucoup de troubles dans leur rang, que nous savons qu'au Parti socialiste beaucoup d'élus nous disent : "vous avez raison", et qu'à l'UMP, beaucoup d'élus nous disent : "dans ce combat-là, c'est vous qui avez raison et nos sommes avec vous". Nous avons écrit à chacun des parlementaires pour leur dire : "Oublions les partis, oublions les groupes. Nous sommes des parlementaires. Nous avons en charge la légitimité et l'honneur du Parlement de la République. Dans une démarche trans-partis et trans-groupes, oublions nos appartenances. Demandons tous ensemble au gouvernement de remplir le devoir élémentaire qui doit être le sien et de transmettre au Parlement l'avis de la Commission en direction du Conseil européen. Tous ensemble, que vous soyez pour ou que vous soyez contre, venez avec nous pour obliger à ce qu'il y ait débat et vote, prévus par l'article 88, sur un sujet qui est si importane pour l'avenir et sur lequel chacun prendra ses responsabilités."
Je voudrais m'arrêter un instant sur ce sujet.
On nous dit, c'est le domaine réservé du Président de la République.
Ayant lu la Constitution, m'étant entouré de l'avis de constitutionnalistes parmi les plus éminents que comptent l'université et le monde juridique français, ayant relu tous les articles de la Constitution, je n'ai vu nulle part qu'il y eût un domaine réservé prévu, par la Constitution, pour le Président de la République.
Et comme Marielle de Sarnez l'a rappelé à l'instant, le premier Président de la Vème République Charles de Gaulle lui-même, a indiqué - je veux bien considérer que sa pratique n'a pas toujours été celle-là sur tous les sujets, mais enfin - de la manière la plus explicite qu'il n'y avait pas de domaine réservé et, pour nous, cette idée de domaine réservé, cette conception monarchique du Président de la République qui décide seul, sans avoir à entendre d'autres avis que celui des conseils qu'il choisit de se donner, cette conception monarchique n'est pas la nôtre.
Mais, bien entendu, il y a une responsabilité du Président de la République . Et bien entendu nous lui demandons de l'assume. Simplement, la responsabilité du Président de la République ne doit pas empêcher les parlementaires d'assumer la leur. Chacun son rôle et chacun sa responsabilité.
Le Parlement va débattre, il va voter, nous allons tout faire pour cela et le Président de la République dira aux Français s'il est d'accord ou pas avec l'avis que le Parlement va exprimer.
Il sera dans son rôle et nous serons dans le nôtre, et la démocratie retrouvera sa légitimité, elle sera réévaluée parce qu'au lieu d'avoir des élus qui passent leur temps à éluder leurs responsabilités, il y aura enfin des élus qui les affronteront. Vous voyez bien que, derrière cette question, il y a une question européenne cruciale que je voudrais maintenant aborder parce que cette question européenne est naturellement liée au débat national que nous allons avoir sur la constitution de l'Union européenne et le referendum qui va ou non choisir de la ratifier.
Il y a deux choix européens et cela chemine plus ou moins apparemment, plus ou moins souterrainement depuis 50 ans :
Il y a le choix de l'Europe unie contre celui de l'Europe divisée. Il y a le choix de l'Europe en marche vers son unité, contre celui de l'Europe qui glisse vers sa dissolution.
Il y a ceux qui veulent que l'Europe se limite à être un grand marché dans lequel il y aura des États qui continueront à confronter leurs intérêts au mieux de ce qu'ils apprécient et il y a une autre idée qui est une Europe en marche vers sa souveraineté et qui organise en son sein une démocratie de citoyens.
Eh bien, cette idée-là, l'Europe en marche vers son unité, l'Europe en marche vers sa souveraineté, l'Europe en marche vers sa démocratie, c'est celle qui est la nôtre.
Et c'est la logique de la constitution qui est proposée au referendum par le traité constitutionnel dont Valéry Giscard d'Estaing a été le principal rédacteur.
C'est pour cette raison-là que nous sommes engagés.
Nous savons parfaitement que le combat de la constitution sera un combat difficile. Il suffit de regarder les sondages dans leur extrême incertitude pour mesurer que l'avis du pays n'est pas formé, que les interrogations sont nombreuses et que l'engagement de tous sera requis. Mais nous, nous avons une force dans ce débat, c'est notre cohérence.
Il y a des décennies que notre famille politique a voulu l'Europe. Il y a des décennies que nous avons été de tous ces combats, sans aucune exception. Le 9 mai 1950, la Communauté européenne de défense, le traité de Rome, le referendum sur la Grande-Bretagne, l'Acte unique, le referendum sur Maastricht et aujourd'hui ce combat-là.
Fantassins de tous les combats, chacun à notre place, les responsables portant le drapeau et les militants combattants de l'ombre. Nous n'avons jamais manqué à aucun rendez-vous européen. Et que demandions-nous ?
Souvenez-vous de la campagne européenne de 1999. Que demandions-nous ?
Les premiers à avoir demandé une constitution pour l'Europe, c'est l'UDF en 1999 dans la campagne européenne que j'avais l'honneur de conduire.
Les premiers à avoir rédigé et mis sur la table un texte de constitution, et il fallait être audacieux, c'est l'UDF à l'automne 1999. J'ai eu la surprise de voir arriver dans mon bureau grand nombre d'universitaires européens, le conseiller spécial du Président de la République fédérale allemande de l'époque venir me dire : " on vient vous voir parce que c'est la première fois que quelqu'un écrit un texte de constitution pour l'Union " et nous l'avions rédigé nous-mêmes, en 15 jours. Cela a pris un peu plus de temps avec la Convention, mais si vous relisez le texte de la Convention, vous retrouverez la structure même et un certain nombre des propositions que nous avions formulées.
Nous demandions une constitution, nous demandions des pouvoirs identifiés, nous demandions des institutions démocratiques. Ces exigences se retrouvent dans le texte de la Constitution proposé aux peuples d'Europe.
Et c'est pourquoi nous sommes totalement engagés dans ce combat. Certains disent que cela ne change pas beaucoup les choses. Pardon ! Qu'il y ait écrit " Constitution " sur la page de garde, cela change une chose,un élément fondamental, c'est que ces citoyens de pays différents et étrangers les uns aux autres deviennent, d'un seul coup d'un seul, des concitoyens de l'Union européenne en train de se former et ce combat-là, rien ne nous le fera abandonner.
Je répète qu'il va être très difficile et je voudrais répondre à deux objections.Ceux qui se battent contre le traité au nom de l'objection sociale et ceux qui se battent contre le traité au nom de l'objection souverainiste, ces deux pôles, structurés ou pas, mais dont tout le monde voit bien qu'ils vont conduire le combat pour le non à la Constitution.
Je réponds d'abord à ceux qui veulent le non au nom du social : sans crainte d'être démenti, je dis qu'il n'y a jamais eu, dans l'histoire de l'Europe, un seul texte européen qui intègre les objectifs sociaux, comme le texte de la Constitution proposé aux Français Il suffit de le lire et nous allons leur proposer de le lire.
L'économie sociale de marché, une économie de compétition au service d'objectifs sociaux, pour la première fois, ces notions sont inscrites dans le marbre d'un traité européen.
Un haut niveau de protection sociale pour la première fois est posé comme l'un des objectifs de l'Union européenne et enfin la défense, la consécration et la légitimation des services publics qui jusqu'alors n'avaient pas de base juridique, voilà ce qui est dans le texte de la Constitution.
C'est la première fois. Et on la repousserait pour revenir au traité de Nice qui lui, marque, comme nous l'avons dit abondamment quand nous avons refusé de le voter, l'absence complète d'objectifs sociaux pour l'Union européenne ?
Il y aurait là un illogisme. Cet illogisme, je l'espère, ne résistera pas.Il est vrai que le Traité a écrit : économie sociale hautement compétitive.
Mais, mes chers amis, y a-t-il une seule personne qui puisse défendre sincèrement l'idée que l'on pourrait faire du social si l'on n'est pas compétitif ? Est-ce qu'il y a quelqu'un de logique, de raisonnable, quelque part, dans un foyer français qui puisse imaginer que, si la France est incapable de résister à la compétition mondiale, elle va pouvoir proposer un pacte social qui tienne la route ?
Eh bien nous assumons cette expression d'économie sociale de marché hautement compétitive parce que c'est exactement de cela que l'Union européenne et la France en particulier ont besoin.
Je voudrais répondre maintenant à l'objection souverainiste qui ne va pas manquer d'apparaître et pour des raisons exactement inverses à celles que l'on vient d'énoncer. Comme toujours les non vont se retrouver venant d'horizons antagonistes.
J'ai pensé beaucoup à cela et je l'ai dit hier pendant le débat où l'un de nos amis observateurs venaient défendre l'idée qu'il fallait l'adhésion de la Turquie et qu'après cela, comme cela rendrait impossible le creuset européen, alors on constituerait ce creuset en fusionnant les nations fondatrices de l'Europe.
Eh bien, permettez-moi de le dire, jamais je ne donnerai mon accord à une démarche de cet ordre.
Si je défends l'Europe, c'est parce que j'aime la France. Si je défends cette idée de nations qui se fédèrent pour agir ensemble, c'est parce que je veux que mon pays, la France, ait accès au plus haut degré de souveraineté disponible. Tout seul, il ne le peut pas. Vouloir la France seule dans une démarche intergouvernementale et souverainiste, c'est en réalité accepter la faiblesse de la France.
C'est en réalité renoncer à ce que, en matière militaire, en matière de politique étrangère, en matière de lutte contre la criminalité, de lutte contre les maffias, de lutte contre l'argent noir, de lutte contre le terrorisme, en matière de droit de l'environnement, nous puissions à l'avenir peser du poids qui doit être le nôtre dans les décisions du monde.
Ceux qui aiment le plus la France, ce sont ceux qui veulent que la France atteigne la dimension planétaire qui doit être celle de nos combats, de nos idées, de nos valeurs, de nos enjeux.
Il n'y a qu'un chemin pour le faire, c'est que ces nations se rassemblent en se respectant. Il se trouve que l'idée de fédérer les nations est exactement formée sur ce principe : respecter les identités, respecter les différences et les faire vivre ensemble pour qu'elles puissent agir au bon niveau.
C'est un principe de respect de l'identité, de respect de la fierté de chacun qui nous inspire, et qui va nous inspirer dans ce combat.
Le besoin de souveraineté est inhérent à la vie des peuples. Le besoin de souveraineté légitime la vie des peuples, mais il n'y a qu'un moyen désormais pour l'atteindre, pour un État comme le nôtre, comme l'est la France aujourd'hui, c'est de le faire avec les autres.
Il me semble qu'en défendant cette Constitution, en refusant la tiédeur dans sa défense, c'est précisément une manière formidable de revisiter les principes qui sont les nôtres, peut-être de lever des ambiguïtés, peut-être d'éclairer des zones d'ombre. Elles existent en Europe et, quand elles existent, c'est toujours par défaut de démocratie et de transparence et donc, quand on veut éclairer les zones d'ombre, rendre l'Europe transparente, identifiée, non-technocratique, politique, rendre l'Europe respectée, alors il faut choisir le chemin de la Constitution.
C'est notre combat et c'est le moyen de réconcilier des aspirations nationales puissantes.
Cette Constitution peut donner aux citoyens français la volonté de se battre pour qu'en effet, l'Europe prenne en charge des attentes de pacte social, que peut-être on oublie trop souvent de formuler et elle doit donner aux citoyens français l'occasion de vérifier que c'est par amour de la France, par volonté nationale que nous voulons construire une Europe qui respecte son identité et qui reflète une volonté autonome.
Voilà mes chers amis l'enjeu du débat que nous allons vivre. Il n'est pas mince.
Nous avons une grande chance, c'est qu'avec les convictions qui ont été exprimées, avec l'équipe qui s'est formée, et avec la pugnacité que l'UDF n'a jamais cessé de manifester depuis deux ans, qu'elle a encore manifestée lors de ces journées à Blois , nous allons, dans ce combat, apporter une part essentielle.
Je vous remercie.

(Source http://www.udf.org, le 13 octobre 2004)