Texte intégral
Madame la Présidente et chère Christiane,
Mesdames et messieurs
Je suis très heureuse de participer à ce colloque qui a pour thème " agriculture raisonnée et développement durable " tant il se situe fort à propos dans le calendrier, en plein chantier de révision de la P.A.C., et au cur de mes préoccupations ministérielles.
Mon intervention sera donc articulée selon ces trois parties :
- Les enjeux auxquels l'agriculture est confrontée
- La protection des ressources naturelles : eau et biodiversité
- La contribution de l'" agriculture raisonnée "
1ère partie : l'agriculture et le développement durable
L'agriculture française a su, au fil des récentes décennies, tirer le meilleur parti de la politique agricole commune en réalisant des gains de productivité considérables et en répondant aux exigences de développement de filières agro-alimentaires compétitives.
Toutefois ce modèle de développement a atteint ses limites tant sur le plan économique - je fais référence aux enjeux internationaux du commerce mondial - que surtout sur le plan écologique de son impact sur les territoires. Sur le plan social enfin, ces évolutions ont entraîné une " fracture " entre les agriculteurs et la société.
La Ministre de l'Ecologie et du développement durable que je suis ne peut qu'être très attentive au devenir de l'agriculture qui constitue le principal mode de gestion de l'espace (60 %). D'autre part l'élue du Maine et Loire sait sur quel capital de professionnels de haut niveau, de productions de qualité et d'entreprises performantes s'appuie le secteur agricole en France ! Celui-ci doit donc être capable, avec l'aide des pouvoirs publics, de faire face aux nouveaux enjeux et aux attentes des citoyens qui constituent également des consommateurs.
Ces attentes se situent dans le droit fil des grands principes de la charte de l'environnement que le Président de la République souhaite voir inscrits dans la Constitution elle-même et qui doivent constituer les bases d'un mode de développement durable. Il appartient à toute activité humaine de respecter le droit de chacun à un environnement sain en prévenant les impacts négatifs ou, quand c'est trop tard ou impossible, de contribuer à les corriger. L'agriculture est particulièrement concernée par ces enjeux dans la mesure où elle utilise les principales ressources naturelles comme facteurs de production qu'il s'agisse des sols, de l'eau ou de la biologie du vivant.
La nouvelle PAC arrêtée par les Etats-membres européens n'a pas d'autres motivations que de répondre aux diverses exigences tant communautaires qu'internationales : ses contours n'en sont pas encore très nets et les mois qui viennent seront décisifs pour les orientations qu'ils imprimeront à l'agriculture de demain. Les pouvoirs publics et les professionnels doivent prendre ce virage avec détermination et discernement tant les conséquences seront essentielles pour notre environnement.
Ce défi doit être considéré, au delà des difficultés qui résultent de la période actuelle d'incertitude, comme une opportunité à saisir pour corriger voire remettre en cause un certain nombre de pratiques dont les impacts ne sont plus supportables.
J'ai été particulièrement impressionnée par les conclusions des récentes " Universités de l'A.P.C.A. " qui ont fortement mis en avant l'aspiration des agriculteurs à retrouver une responsabilité accrue dans la conduite de leur exploitation. Cet appel me semble salutaire et porteur de renouveau pour des agricultures parfaitement intégrées dans leur territoire.
Ne croyez pas que je cède à la chimère d'un retour à une sorte de bucolisme revisité. Je suis tout aussi persuadée que vous de l'impérieuse nécessité de la viabilité économique des exploitations. Mais cette viabilité ne saurait reposer sur un raisonnement se limitant au gain marginal sur le dernier kilo de viande ou quintal de céréale. C'est la globalité même du système d'exploitation qui doit pouvoir être remis en cause en y intégrant les " externalités " c'est à dire les impacts sur l'environnement et les services rendus à la société.
La nouvelle PAC me paraît offrir une gamme d'outils de pilotage de l'agriculture qui devrait favoriser les bonnes pratiques tout en préservant l'équilibre économique des exploitations. Qu'il s'agisse du découplage des aides, de la conditionnalité écologique ou encore des possibilités qu'ouvre l'article 69 ainsi bien sûr que du 2ème Pilier et son règlement de développement rural qui régit les CAD, la panoplie est étendue. Il faut du coup veiller à sa cohérence interne et conforter les autres démarches déjà entreprises plutôt que de réinventer de nouvelles séries de critères : lisibilité pour les agriculteurs mais aussi pour le citoyen et simplicité d'application et de contrôle sont les conditions de l'efficacité.
Je crois également aux vertus de la subsidiarité territoriale : selon les enjeux critiques des régions agricoles, il faut pouvoir adapter les priorités et donc les critères. Je souhaite également que l'on soit particulièrement vigilant aux risques de délocalisation de certaines productions qui pourraient nuire aux régions agricoles les plus défavorisées entraînant une extension de la déprise et la fermeture de certains espaces avec son cortège de risques naturels ou de perte de la qualité des paysages.
Cette nouvelle année sera ainsi décisive pour la réorientation de nos agricultures dans le sens d'un développement durable. Nous avons convenu avec mon collègue Hervé GAYMARD de faire coopérer étroitement les services de nos ministères et je compte beaucoup sur cette possibilité d'inscrire nos préoccupations dés l'amont des décisions .
2ème partie : deux enjeux prioritaires : l'eau et la biodiversité
Les deux enjeux territoriaux qui sont le plus en rapport avec les activités agricoles sont l'eau - à travers les sols eux-mêmes- et la biodiversité.
Ces deux thèmes sont également au cur de mon action au titre du M.E.D.D. tant les politiques correspondantes appellent un regain d'efficacité face à la dégradation continue de la situation en France comme dans d'autres pays européens .
L'eau d'abord : vous avez sans doute noté que la Directive-cadre européenne sur l'eau nous fixait des objectifs ambitieux d'ici 2015. Ces objectifs de qualité écologique des masses d'eau de surface (rivières, lacs et marais) et de préservation de nos ressources souterraines nous imposeront de sérieux progrès au vu des derniers résultats des campagnes de mesure conduites par l'IFEN. Les défis à relever sont en rapport avec des pollutions diffuses, nitrates, phosphore, pesticides, très liées avec les pratiques agricoles ainsi qu'avec l'équilibre quantitatif entre les usages, dont l'irrigation agricole, et la ressource disponible.
La réforme que je prépare depuis plus d'un an par une concertation étroite avec tous les acteurs et le grand public fera l'objet d'une prochaine communication au gouvernement . S'agissant de l'agriculture, ma conviction repose sur les trois propositions suivantes :
La priorité qui doit être accordée à la prévention des pollutions passe avant tout par les orientations de la politique agricole, les outils de politique de l'eau étant sans commune mesure avec les aides du 1er pilier
Les agriculteurs doivent être intégrés comme ils le souhaitent dans le dispositif des agences de l'eau : cela signifie ,conformément à la DCE, qu'ils doivent contribuer à la réparation des désordres que crée leur activité tout en bénéficiant de la solidarité entre usagers et d'aides aux actions individuelles ou collectives pour y remédier
La création de ressources nouvelles (ou plutôt la régulation des ressources existantes) ne doit ni être un tabou ni l'incitation à une fuite en avant : elle ne peut être que le résultat d'une analyse poussée et d'efforts partagés pour une utilisation économe et durable. Les objectifs de qualité des cours d'eau doivent être intégrés.
J'ai déjà dit lors de la réunion du CNIT le 16 Décembre que, pour une redevance nitrates appelée à sceller l'entrée des agriculteurs dans le dispositif des agences, j'avais une préférence pour un dispositif de taxation des intrants, engrais et aliments. Si je laisse à la PAC le soin de pratiquer une véritable incitation aux pratiques vertueuses, je n'en envisage pas moins de conforter la démarche " Agriculture Raisonnée " par une réduction de la redevance due.
La biodiversité ensuite : je crois utile de préciser, à la suite d'une observation de votre présidente, que par ce terme il faut entendre aussi bien la diversité des animaux domestiques et des plantes cultivées que, et surtout, celle de l'ensemble du cortège des espèces vivantes naturelles, de la flore et de la faune environnantes (depuis la micro-faune du sol jusqu'aux arbres et aux grands mammifères).
La diversité et la complexité des cycles et des chaînes alimentaires sont un bon indicateur de la qualité des milieux et une garantie de leur capacité de résilience c'est à dire de résistance à des perturbations. Cette richesse est aussi souvent un réservoir de services considérables à la société humaine Je citerai par exemple le pouvoir épuratoire de l'eau de certains milieux humides.
L'appauvrissement de la biodiversité a été mis en exergue à la suite des grandes monocultures tant du fait de la lutte systématique contre les plantes sauvages concurrentes que par suite des traitements contre certains parasites. Il est bien connu que de telles monocultures présentent des fragilités particulières à l'introduction inopinée de parasites sans antidote local et obligent donc à une veille permanente et à des interventions rapides en cas d'attaque.
Or cet appauvrissement ne me paraît ni inéluctable ni totalement irréversible. Il résulte de choix politiques, économiques et sociaux. J'ai donc proposé que le gouvernement adopte une stratégie en matière de biodiversité en 2004. La France a une responsabilité particulière sur ce plan, liée à la géographie de son territoire métropolitain et de ses collectivités d'outre-mer. Les travaux d'élaboration de la stratégie sont lancés et associent largement la société civile. Ils seront évoqués en février prochain à Kuala Lumpur, lors de la 7ème conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, et aboutiront à l'été 2004.
Dans ce cadre, mon souhait est également de rénover et de moderniser notre politique de protection, de gestion et de valorisation de notre patrimoine naturel en prenant soin d'en préserver les incontestables acquis. Mais il s'agit aussi d'en élargir le champ à l'ensemble du territoire au profit d'une nature plus " ordinaire ". Pour cela, il faut sans doute tenir compte des évolutions de la demande sociale et de rapprocher les décisions des citoyens afin d'en limiter les conflits d'usage.
Si dans le passé, l'agriculture a pu conduire à la destruction de certains milieux et des habitats naturels inféodés, elle a aussi, par son ouverture des milieux, participé à un enrichissement en espèces correspondantes. Elle doit dans l'avenir contribuer à enrichir et protéger ce capital. Là encore les moyens doivent être déterminés au plus près du terrain en fonction des enjeux et privilégier les démarches volontaires : les sites natura 2000 constituent bien sûr une priorité et les dispositifs du 1er comme du 2ème pilier doivent y contribuer.
Je ne terminerai pas cette partie sans mettre en avant l'une des suggestions que vous m'avez faite, madame la présidente, je veux parler de la contribution de votre réseau FARRE d'exploitations pilotes sur cette thématique spécifique : cette idée me plaît d'abord parce qu'elle émane des agriculteurs eux-mêmes. Mais elle me semble également permettre une approche pédagogique de proximité et d'exemple, dont on sait tout le rôle qu'elle a joué dans le développement agricole . Nous devons donc l'expertiser et l'orienter dans un sens qui prenne en compte nos propres priorités en particulier géographiques.
3ème partie : La contribution de l'agriculture raisonnée
Ma présence ici même et certaines incidentes de mon propos vous auront probablement fait comprendre, au delà de l'amitié de Christiane, tout mon intérêt pour la démarche de l'"agriculture raisonnée" .
Je vous préciserai par exemple que dans le cadre de la Stratégie nationale de développement durable, le gouvernement a fixé un objectif indicatif de 30 % d'exploitations qualifiées d'ici 2008.
Comment un tel objectif aurait-il été fixé en l'absence d'intérêt de la démarche ?
Qu'est-ce qui, pour moi, en fait l'intérêt ?
Il s'agit d'abord d'une démarche volontaire de chaque agriculteur : c'est la principale garantie de partage des objectifs poursuivis
La démarche s'inscrit dans un check-up complet de l'exploitation : elle permet une vision globale et doit faciliter cette reconquête de la responsabilité de l'agriculteur et constituer peut-être le premier pas d'une remise en cause plus profonde des choix fondamentaux
Enfin cette démarche s'inscrit dans un processus de certification par des organismes extérieurs agréés : cela répond à l'exigence de neutralité de la part du consommateur.
A ceux qui me diront qu'une part des critères du référentiel n'est autre que l'exigence réglementaire en vigueur, je répondrai que cela ne peut donc que faciliter l'adhésion de ceux qui hésitent encore !
Plus sérieusement, je crois à la pédagogie du succès ; je compte sur cet effet d'entraînement pour que ceux qui ne respectent pas encore les normes se mettent en règle au plus tôt, et que les autres, voire eux-mêmes, s'efforcent de faire mieux.
J'attends en particulier beaucoup de la régionalisation de la démarche qui me paraît ajouter un élément supplémentaire d'intérêt, celui de l'enracinement dans un territoire avec ses enjeux propres. Ainsi, non content de " raisonner " sa propre exploitation comme ensemble de pratiques, l'exploitant va la " raisonner " dans son cadre naturel et inscrire son action individuelle dans une collectivité plus large.
J'ai conscience que la principale réticence à l'adhésion au processus peut venir de la crainte que le coût certain du processus de qualification et l'implication personnelle nécessaire ne soient pas compensés par une espérance de valorisation des produits sur les marchés.
J'ai envie de leur répondre que cet effort est de toute façon inéluctable et qu'il vaut mieux le faire volontairement que sous la pression de la société (par le biais des réglementations) ou des marchés (par le rejet des consommateurs). Il faut donc tout faire pour valoriser la démarche.
A cet égard et pour terminer sur une note positive, je vous informe de ce que l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de décret "étiquetage ", relatif à l'utilisation du qualificatif " agriculture raisonnée ", est attendu incessamment, pour en permettre la signature dans les prochains jours.
Je peux donc vous rassurer officieusement quant à son contenu qui sera conforme aux orientations adoptées par le Conseil Supérieur d'Orientation.
En particulier les consommateurs pourront être informés par la mention "issu d'exploitation qualifiée au titre de l'agriculture raisonnée".
C'est en effet bien du côté du consommateur qu'il convient de se retourner pour le convaincre de l'à-propos et du sérieux de la démarche. L'enjeu est bien en effet de transformer l'essai par un avantage concurrentiel sur les marchés. L'adhésion des organisations représentant les grandes entreprises ou la coopération à votre association FARRE est probablement le gage d'une adhésion à ce principe.
Permettez-moi de formuler le vu que cette année 2004 voit le démarrage prometteur de l'adhésion en nombre des agriculteurs à cette démarche que vous avez portée, chère Christiane, à bout de bras. Puisse l'objectif de 30% être atteint avant 2008 ! Cela serait le signe incontestable de ce que l'agriculture française aura su négocier le virage que le pays attend d'elle.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 8 janvier 2004)