Texte intégral
Mes chers collègues,
Pour la première fois, alors que la Corse est en situation de crise depuis un quart de siècle, le pouvoir central recherche, en étroite concertation avec les élus insulaires une solution durable au problème corse.
Ce dialogue a été engagé dans la transparence. Chacun d'entre nous a pu y contribuer en y apportant ses convictions et sa vision personnelle de l'avenir de notre Ile. Nous devons aujourd'hui nous prononcer sur les orientations d'une réforme ambitieuse qui concerne principalement l'économie, la fiscalité, l'identité et les institutions.
Les propositions qui nous sont soumises procèdent d'une même logique: reconnaître la spécificité de la Corse dans la République et dans l'Union Européenne. Elles poursuivent un même objectif : sortir la communauté insulaire du désordre et de la violence et lui donner la chance d'un nouvel élan.
La méthode a été choisie d'un commun accord entre le gouvernement et les élus insulaires.
Notre Assemblée n'a pas vocation à se substituer à la représentation nationale, qui le moment venu, se prononcera sur les projets de loi qui lui seront soumis.
De nombreux élus insulaires, représentatifs de l'actuelle organisation territoriale de la Corse, ont été consultés : les présidents des conseils généraux et les maires des deux chefs-lieux. Les parlementaires, députés et sénateurs, ont également été partie prenante à la réflexion. Les acteurs économiques, sociaux et culturels ont pu aussi s'exprimer grâce à la remarquable concertation en direction de la société civile conduite par le Président du Conseil Economique, Social et Culturel de Corse.
Si le Gouvernement a cependant souhaité faire de l'Assemblée de Corse la " matrice du débat ", c'est parce elle est en effet légitime pour représenter la communauté insulaire dans sa diversité et sa complexité. Elle peut aussi fonder le choix qui sera le sien aujourd'hui sur une solide expérience, acquise dans la mise en uvre des deux statuts particuliers de 1982 et de 1991.
Sollicitée, l'Assemblée de Corse va donc répondre clairement aux questions qui lui ont été posées.
Je voudrais rappeler qu'à l'Assemblée de Corse le dialogue s'est d'abord organisé en interne dans le cadre des neuf groupes politiques, et avec la participation active du Conseil Exécutif. Le débat public qui a eu lieu en mars a débouché sur l'adoption de deux motions qui n'ont pas permis de marquer une position suffisamment forte, mais ont servi de révélateur pour les questions les plus sensibles. Chacun des groupes a pu ensuite participer aux réunions de Matignon ainsi même qu'aux différents sous-groupes thématiques, qui avaient une vocation plus restreinte.
Ce long parcours démontre que nous allons pouvoir délibérer aujourd'hui en toute connaissance de cause et engager un processus de réforme les yeux ouverts, fruit d'un travail en profondeur et expression d'une légitimité incontestable.
Nous dirons dans ce cadre ce que sont l'attente et l'espoir des insulaires. Nous donnerons aux propositions du Gouvernement le fondement démocratique indispensable à toute réforme audacieuse.
Avant d'engager le débat, je voudrais rappeler d'une part, les objectifs fondamentaux et la méthode de la réforme, d'autre part, l'économie des propositions du Gouvernement.
Les objectifs et la méthode
Pour situer les enjeux, il faut avoir constamment à l'esprit les drames que la Corse a connus au cours des dernières décennies.
Une situation de désordre et de violence généralisés. Des pouvoirs publics impuissants à garantir la sécurité, première des libertés, incapable d'amorcer l'essor d'une économie productive. Une population otage de rapports de force incontrôlés. Une communauté insulaire persuadée de ne plus être comprise par la communauté nationale. Une société corse profondément divisée, doutant de ses propres capacités à relever le défi.
L'assassinat du Préfet Erignac, les errements du Préfet Bonnet puis des attentats aveugles ont constitué, à cet égard, un véritable paroxysme. Cette situation désespérante exigeait un sursaut collectif.
C'est en ma qualité de Président de l'Assemblée de Corse que j'ai alors pris l'initiative, fin novembre, de demander publiquement au Premier ministre de rencontrer les représentants élus de Corse pour rechercher, ensemble, les moyens de sortir de cette impasse.
Le Premier ministre a saisi cette main tendue. Il a accepté d'engager un dialogue sans préjugé avec les élus de la Corse.
La première réunion, le 13 décembre à l'Hôtel Matignon s'est déroulée dans un esprit d'ouverture. Elle a suscité un grand espoir. Mais, le 8 avril, lors de la réunion suivante, l'analyse prudente et étriquée du Gouvernement a suscité une profonde déception dans l'opinion insulaire.
Le Premier ministre a su en prendre conscience immédiatement. Les élus territoriaux ont eux-mêmes mesuré leur incapacité à s'entendre sur un projet cohérent, s'ils restaient figés sur leurs positions. Chacun devait accepter de se remettre en cause, pour sortir du blocage.
Le contact a donc été rétabli avec les conseillers du Premier ministre. Un groupe de travail mixte associant les représentants du Gouvernement et les élus de Corse a été constitué. Les Préfets Alain Christnacht, Jean-Paul Proust et Jean-Pierre Lacroix, ont animé les réunions hebdomadaires de Matignon sur la base d'un mandat clair du Gouvernement.
Ce groupe de travail a examiné de façon approfondie tous les dossiers qui lui ont été soumis. La méthode retenue, en laissant chacun exprimer librement ses attentes, sans préalable, aura permis que les échanges soient productifs. Les représentants du Gouvernement, dont il faut saluer l'intelligence, le savoir-faire et la sensibilité, ont de leur côté tenu à rendre hommage à la qualité du travail et des propositions des élus insulaires.
Cette démarche aura permis à chacun d'approfondir les différents thèmes et d'en saisir tous les enjeux. Elle aura favorisé une prise de conscience commune des intérêts collectifs de la Corse. Un tel résultat est, incontestablement, à l'actif de tous !
Permettez moi cependant de dire combien nous devons rester mobilisés et déterminés. La mise en uvre de la réforme nécessitera du temps. Il faudra éviter les écueils et surmonter le scepticisme voire l'hostilité de certains.
Mais je suis sûr que nous sommes, tous ici, animés par une même volonté de réussir. C'est ce qui garantira la force de notre engagement.
Les axes de la réforme
J'en viens aux axes de la réforme proposée par le Gouvernement. Ils répondent aux quatre thèmes fondamentaux qui ont été défendus avec force par les élus de la Corse : la croissance et l'emploi, le patrimoine, l'identité, l'efficacité des pouvoirs publics.
. la croissance et l'emploi d'abord :
L'an dernier, notre Assemblée a fait de ce thème la priorité du Plan de Développement de la Corse. Le Conseil Exécutif, sur la base du mandat qui lui a été confié, a défendu activement ce texte dans la négociation des partenariats avec l'Etat et avec l'Union Européenne. Il convenait que le Gouvernement reprenne à son compte cet objectif.
Nos choix reposent donc sur un constat. En Corse, les politiques traditionnelles d'intervention publique ont révélé leurs limites. Elles ont sans doute permis de traverser la crise en préservant les activités et les emplois existants. Elles ne correspondent plus aux aspirations des nouvelles générations, mieux qualifiées, ni aux exigences des acteurs économiques, confrontés à une compétition soutenue.
Pour créer une nouvelle donne économique, encore fallait-il concevoir des réponses novatrices. Le dispositif défini en commun va dans ce sens et comporte :
- un statut fiscal redéployé, pour encourager l'investissement productif notamment dans les secteurs du tourisme, de l'artisanat et des nouvelles technologies, tout en favorisant les activités de l'intérieur de l'Ile.
- un financement adapté aux besoins des entreprises, grâce au renforcement des organismes de capital risque et de crédit bail, et au réengagement du secteur bancaire.
- des infrastructures publiques et des équipements collectifs remis à niveau pour faire face aux exigences du développement et de la protection de l'environnement, et offrir à la population une qualité de vie digne d'une société moderne. Un effort exceptionnel d'investissement public sera donc mobilisé grâce à une loi programme d'une durée de 15 ans. Ce dispositif permettra de renforcer l'activité et les qualifications des entreprises locales dans le secteur des travaux publics, essentiel pour l'économie insulaire.
Il faut souligner la qualité des propositions avancées par le Conseil Exécutif et une excellente concertation avec le Préfet de Corse, cela a permis de concevoir un dossier qui reste à analyser devant l'Assemblée de Corse.
. L'identité corse, ensuite :
Après avoir été un facteur de polémique, de division, voire d'exclusion, l'identité corse est redevenue les dernières années le dénominateur commun qui rassemble tous les insulaires.
Il nous appartenait de traduire ce fort attachement à l'identité corse mais aussi d'exprimer notre inquiétude face à l'inefficacité des politiques nationales conduites jusqu'à ce jour.
Nous avons donc affirmé la nécessité de politiques volontaristes pour la Corse, dans les domaines de la culture, de la langue, du patrimoine et de l'environnement. Ces politiques se situent dans un esprit d'ouverture et de tolérance. Mais elles ne peuvent se concevoir que sur la base de mesures dérogatoires au droit commun.
Cette démarche sur certains sujets implique une révision de la Constitution.
Aussi, le Gouvernement a-t-il ouvert la perspective d'une reconnaissance constitutionnelle de la spécificité Corse, qui apportera à ces dérogations la légitimité et la stabilité nécessaires.
Il en ira de même au niveau de l'Union Européenne. Le Gouvernement est disposé à défendre la prise en compte du fait insulaire, sur des enjeux aussi importants que l'harmonisation fiscale, l'ouverture des transports ou le maintien des activités traditionnelles.
Ensemble, l'Exécutif et la Commission des Affaires Européennes de l'Assemblée de Corse ont su définir une position commune pour défendre efficacement les intérêts de l'Ile dans la construction européenne. Cet esprit d'équipe, au-delà des clivages politiques, mérite d'être salué.
. La préservation du patrimoine foncier de l'Ile :
L'abrogation brutale, en 1998, du régime fiscal applicable en Corse au patrimoine foncier et immobilier, a suscité l'indignation et la protestation fondée de nos concitoyens.
L'Assemblée de Corse a aussitôt demandé la suspension de cette mesure et le maintien, sous une forme modifiée, des droits historiques acquis en matière de droits de succession depuis deux siècles par les arrêtés MIOT. Elle s'est engagée en même temps à élaborer rapidement des propositions.
Cette attitude constructive a bénéficié du travail et du soutien du " comité MIOT ", association rassemblant plus de 20 000 adhérents. Elle nous a permis d'être en mesure de soumettre au Gouvernement des solutions adaptées et argumentées. Et, en reprenant la quasi totalité des propositions de l'Assemblée de Corse, le Gouvernement a reconnu leur pertinence.
Le patrimoine foncier et immobilier, détenu par tout citoyen français propriétaire en Corse, continuera à bénéficier d'une exonération fiscale significative sur les droits de succession. La constitution des titres de propriété et les sorties de l'indivision seront encouragées. Ainsi, nous aurons pu préserver l'esprit des arrêtés MIOT et défendre avec efficacité notre communauté insulaire.
. Une organisation territoriale de la Corse unifiée et rénovée :
Les statuts particuliers de 1982 et surtout 1991 ont doté la Corse de responsabilités accrues et de compétences largement décentralisées en matière de développement économique, social et culturel. Ils ont produit des résultats très positifs. Mais ils ont aussi révélé des limites de nature à compromettre la cohérence des politiques voulues par notre collectivité.
Nos concitoyens ont, en effet, à l'égard de la gestion publique, une exigence croissante d'efficacité, de transparence et de responsabilité. Cette exigence est légitime mais seule une démocratie locale modernisée sera capable de répondre à ces aspirations nouvelles.
Il nous appartenait donc de définir les réformes nécessaires pour permettre une meilleure utilisation des fonds publics, pour garantir des services publics performants et proches des citoyens, et pour associer réellement aux décisions les partenaires économiques et sociaux.
S'il est vrai que dans le domaine institutionnel, certaines notions comme le mot d'autonomie suscitent des réactions passionnelles, les discussions engagées avec les représentants du Gouvernement ont permis de ramener les choses à leur juste mesure.
Grâce à une approche pragmatique, un large accord entre les élus s'est dégagé progressivement pour ne pas limiter la réflexion à des considérations juridiques, mais au contraire privilégier la recherche de réformes efficaces et utiles. Utiles pour exercer la véritable responsabilité dans les domaines de compétences transférées. Utiles pour disposer des moyens nécessaires à leur mise en uvre, qu'ils soient humains, financiers ou normatifs.
Il est ainsi apparu que la réforme de l'organisation territoriale de la Corse supposerait une véritable clarification des compétences, la suppression d'un niveau d'administration locale mais aussi la reconnaissance au pouvoir régional de la capacité d'adapter, dans ses domaines de compétence, les normes nationales au particularisme insulaire.
Une large majorité des élus s'est alors déclarée prête à assumer une révision de la Constitution pour aboutir à la suppression des deux conseils généraux et à l'attribution à l'Assemblée de Corse d'un pouvoir d'adaptation de certaines législations, dans le respect des principes fondamentaux de la loi nationale. Tout en considérant que ces propositions n'étaient pas les plus faciles à mettre en uvre, le Gouvernement a accepté cette voie réformatrice qui rapprochera la Corse de la plupart des démocraties régionales de l'Union Européenne.
S'agissant de la mise en uvre des réformes jusqu'en 2004, il sera procédé en deux étapes, conformément à nos propositions.
- Dans une première phase, de quatre ans, il s'agira d'engager la loi programme, d'adopter la refonte du statut fiscal et les dispositions propres à la fiscalité du patrimoine, et de réaliser les transferts de compétence entre l'Etat et la Collectivité de Corse, assortis du pouvoir réglementaire correspondant. Les deux conseils généraux seront maintenus jusqu'en 2004 mais la Collectivité Territoriale regroupera certaines de leurs compétences et elle jouera un rôle de coordonnateur.
Le Parlement sera saisi rapidement des projets de lois portant sur ces différents sujets. Ils devront être votés par l'Assemblée Nationale et le Sénat en 2001.
- Dans une deuxième phase, à l'horizon 2003 la perspective d'une révision constitutionnelle interviendra pour conférer à la Collectivité Territoriale de Corse le pouvoir d'adapter certaines dispositions législatives dans les domaines de compétence qui lui seront reconnus, pour supprimer les départements et pour permettre les autres dispositions dérogatoires souhaitées.
Cette progressivité dans la réforme est réaliste pour se donner les moyens de mener à bien les différents chantiers et affirmer la capacité de notre Assemblée à assumer avec succès ses nouveaux pouvoirs.
En votant cette réforme, vous accomplirez un acte historique. Vous donnerez une chance majeure au processus de paix que nous avons engagé ensemble.
Une paix que les Gouvernements successifs de la République n'ont pas su garantir à nos concitoyens. Une paix qui est encore fragile mais que nous avons le devoir de consolider. Une paix qui sera la meilleure garante de la République à laquelle nous sommes profondément attachés.
Le sursaut qui sera le nôtre aujourd'hui ne pourra pas rester sans conséquence au niveau des représentants de la nation et au sommet de l'Etat.
La République ne peut plus aujourd'hui rester figée, immobile et tournée vers le passé. Au contraire, à l'aube de ce siècle elle doit résolument s'inscrire dans une modernité qui passe par la réforme de l'Etat. La France qui s'est engagée avec conviction dans la construction de l'Union Européenne est suffisamment forte pour reconnaître la différence corse sans mettre en péril son unité.
Pour réconcilier durablement la Corse avec la communauté nationale, et pour permettre aux Corses d'y retrouver leur dignité, il sera sans doute nécessaire le moment venu de consulter l'ensemble des Français par voie de référendum.
L'inscription du statut de la Corse dans la constitution française ne sera pas alors l'ébauche d'une dérive mais au contraire un enracinement durable dans une République moderne.
(source http://www.joserossi.com, le 2 décembre 2002)
Pour la première fois, alors que la Corse est en situation de crise depuis un quart de siècle, le pouvoir central recherche, en étroite concertation avec les élus insulaires une solution durable au problème corse.
Ce dialogue a été engagé dans la transparence. Chacun d'entre nous a pu y contribuer en y apportant ses convictions et sa vision personnelle de l'avenir de notre Ile. Nous devons aujourd'hui nous prononcer sur les orientations d'une réforme ambitieuse qui concerne principalement l'économie, la fiscalité, l'identité et les institutions.
Les propositions qui nous sont soumises procèdent d'une même logique: reconnaître la spécificité de la Corse dans la République et dans l'Union Européenne. Elles poursuivent un même objectif : sortir la communauté insulaire du désordre et de la violence et lui donner la chance d'un nouvel élan.
La méthode a été choisie d'un commun accord entre le gouvernement et les élus insulaires.
Notre Assemblée n'a pas vocation à se substituer à la représentation nationale, qui le moment venu, se prononcera sur les projets de loi qui lui seront soumis.
De nombreux élus insulaires, représentatifs de l'actuelle organisation territoriale de la Corse, ont été consultés : les présidents des conseils généraux et les maires des deux chefs-lieux. Les parlementaires, députés et sénateurs, ont également été partie prenante à la réflexion. Les acteurs économiques, sociaux et culturels ont pu aussi s'exprimer grâce à la remarquable concertation en direction de la société civile conduite par le Président du Conseil Economique, Social et Culturel de Corse.
Si le Gouvernement a cependant souhaité faire de l'Assemblée de Corse la " matrice du débat ", c'est parce elle est en effet légitime pour représenter la communauté insulaire dans sa diversité et sa complexité. Elle peut aussi fonder le choix qui sera le sien aujourd'hui sur une solide expérience, acquise dans la mise en uvre des deux statuts particuliers de 1982 et de 1991.
Sollicitée, l'Assemblée de Corse va donc répondre clairement aux questions qui lui ont été posées.
Je voudrais rappeler qu'à l'Assemblée de Corse le dialogue s'est d'abord organisé en interne dans le cadre des neuf groupes politiques, et avec la participation active du Conseil Exécutif. Le débat public qui a eu lieu en mars a débouché sur l'adoption de deux motions qui n'ont pas permis de marquer une position suffisamment forte, mais ont servi de révélateur pour les questions les plus sensibles. Chacun des groupes a pu ensuite participer aux réunions de Matignon ainsi même qu'aux différents sous-groupes thématiques, qui avaient une vocation plus restreinte.
Ce long parcours démontre que nous allons pouvoir délibérer aujourd'hui en toute connaissance de cause et engager un processus de réforme les yeux ouverts, fruit d'un travail en profondeur et expression d'une légitimité incontestable.
Nous dirons dans ce cadre ce que sont l'attente et l'espoir des insulaires. Nous donnerons aux propositions du Gouvernement le fondement démocratique indispensable à toute réforme audacieuse.
Avant d'engager le débat, je voudrais rappeler d'une part, les objectifs fondamentaux et la méthode de la réforme, d'autre part, l'économie des propositions du Gouvernement.
Les objectifs et la méthode
Pour situer les enjeux, il faut avoir constamment à l'esprit les drames que la Corse a connus au cours des dernières décennies.
Une situation de désordre et de violence généralisés. Des pouvoirs publics impuissants à garantir la sécurité, première des libertés, incapable d'amorcer l'essor d'une économie productive. Une population otage de rapports de force incontrôlés. Une communauté insulaire persuadée de ne plus être comprise par la communauté nationale. Une société corse profondément divisée, doutant de ses propres capacités à relever le défi.
L'assassinat du Préfet Erignac, les errements du Préfet Bonnet puis des attentats aveugles ont constitué, à cet égard, un véritable paroxysme. Cette situation désespérante exigeait un sursaut collectif.
C'est en ma qualité de Président de l'Assemblée de Corse que j'ai alors pris l'initiative, fin novembre, de demander publiquement au Premier ministre de rencontrer les représentants élus de Corse pour rechercher, ensemble, les moyens de sortir de cette impasse.
Le Premier ministre a saisi cette main tendue. Il a accepté d'engager un dialogue sans préjugé avec les élus de la Corse.
La première réunion, le 13 décembre à l'Hôtel Matignon s'est déroulée dans un esprit d'ouverture. Elle a suscité un grand espoir. Mais, le 8 avril, lors de la réunion suivante, l'analyse prudente et étriquée du Gouvernement a suscité une profonde déception dans l'opinion insulaire.
Le Premier ministre a su en prendre conscience immédiatement. Les élus territoriaux ont eux-mêmes mesuré leur incapacité à s'entendre sur un projet cohérent, s'ils restaient figés sur leurs positions. Chacun devait accepter de se remettre en cause, pour sortir du blocage.
Le contact a donc été rétabli avec les conseillers du Premier ministre. Un groupe de travail mixte associant les représentants du Gouvernement et les élus de Corse a été constitué. Les Préfets Alain Christnacht, Jean-Paul Proust et Jean-Pierre Lacroix, ont animé les réunions hebdomadaires de Matignon sur la base d'un mandat clair du Gouvernement.
Ce groupe de travail a examiné de façon approfondie tous les dossiers qui lui ont été soumis. La méthode retenue, en laissant chacun exprimer librement ses attentes, sans préalable, aura permis que les échanges soient productifs. Les représentants du Gouvernement, dont il faut saluer l'intelligence, le savoir-faire et la sensibilité, ont de leur côté tenu à rendre hommage à la qualité du travail et des propositions des élus insulaires.
Cette démarche aura permis à chacun d'approfondir les différents thèmes et d'en saisir tous les enjeux. Elle aura favorisé une prise de conscience commune des intérêts collectifs de la Corse. Un tel résultat est, incontestablement, à l'actif de tous !
Permettez moi cependant de dire combien nous devons rester mobilisés et déterminés. La mise en uvre de la réforme nécessitera du temps. Il faudra éviter les écueils et surmonter le scepticisme voire l'hostilité de certains.
Mais je suis sûr que nous sommes, tous ici, animés par une même volonté de réussir. C'est ce qui garantira la force de notre engagement.
Les axes de la réforme
J'en viens aux axes de la réforme proposée par le Gouvernement. Ils répondent aux quatre thèmes fondamentaux qui ont été défendus avec force par les élus de la Corse : la croissance et l'emploi, le patrimoine, l'identité, l'efficacité des pouvoirs publics.
. la croissance et l'emploi d'abord :
L'an dernier, notre Assemblée a fait de ce thème la priorité du Plan de Développement de la Corse. Le Conseil Exécutif, sur la base du mandat qui lui a été confié, a défendu activement ce texte dans la négociation des partenariats avec l'Etat et avec l'Union Européenne. Il convenait que le Gouvernement reprenne à son compte cet objectif.
Nos choix reposent donc sur un constat. En Corse, les politiques traditionnelles d'intervention publique ont révélé leurs limites. Elles ont sans doute permis de traverser la crise en préservant les activités et les emplois existants. Elles ne correspondent plus aux aspirations des nouvelles générations, mieux qualifiées, ni aux exigences des acteurs économiques, confrontés à une compétition soutenue.
Pour créer une nouvelle donne économique, encore fallait-il concevoir des réponses novatrices. Le dispositif défini en commun va dans ce sens et comporte :
- un statut fiscal redéployé, pour encourager l'investissement productif notamment dans les secteurs du tourisme, de l'artisanat et des nouvelles technologies, tout en favorisant les activités de l'intérieur de l'Ile.
- un financement adapté aux besoins des entreprises, grâce au renforcement des organismes de capital risque et de crédit bail, et au réengagement du secteur bancaire.
- des infrastructures publiques et des équipements collectifs remis à niveau pour faire face aux exigences du développement et de la protection de l'environnement, et offrir à la population une qualité de vie digne d'une société moderne. Un effort exceptionnel d'investissement public sera donc mobilisé grâce à une loi programme d'une durée de 15 ans. Ce dispositif permettra de renforcer l'activité et les qualifications des entreprises locales dans le secteur des travaux publics, essentiel pour l'économie insulaire.
Il faut souligner la qualité des propositions avancées par le Conseil Exécutif et une excellente concertation avec le Préfet de Corse, cela a permis de concevoir un dossier qui reste à analyser devant l'Assemblée de Corse.
. L'identité corse, ensuite :
Après avoir été un facteur de polémique, de division, voire d'exclusion, l'identité corse est redevenue les dernières années le dénominateur commun qui rassemble tous les insulaires.
Il nous appartenait de traduire ce fort attachement à l'identité corse mais aussi d'exprimer notre inquiétude face à l'inefficacité des politiques nationales conduites jusqu'à ce jour.
Nous avons donc affirmé la nécessité de politiques volontaristes pour la Corse, dans les domaines de la culture, de la langue, du patrimoine et de l'environnement. Ces politiques se situent dans un esprit d'ouverture et de tolérance. Mais elles ne peuvent se concevoir que sur la base de mesures dérogatoires au droit commun.
Cette démarche sur certains sujets implique une révision de la Constitution.
Aussi, le Gouvernement a-t-il ouvert la perspective d'une reconnaissance constitutionnelle de la spécificité Corse, qui apportera à ces dérogations la légitimité et la stabilité nécessaires.
Il en ira de même au niveau de l'Union Européenne. Le Gouvernement est disposé à défendre la prise en compte du fait insulaire, sur des enjeux aussi importants que l'harmonisation fiscale, l'ouverture des transports ou le maintien des activités traditionnelles.
Ensemble, l'Exécutif et la Commission des Affaires Européennes de l'Assemblée de Corse ont su définir une position commune pour défendre efficacement les intérêts de l'Ile dans la construction européenne. Cet esprit d'équipe, au-delà des clivages politiques, mérite d'être salué.
. La préservation du patrimoine foncier de l'Ile :
L'abrogation brutale, en 1998, du régime fiscal applicable en Corse au patrimoine foncier et immobilier, a suscité l'indignation et la protestation fondée de nos concitoyens.
L'Assemblée de Corse a aussitôt demandé la suspension de cette mesure et le maintien, sous une forme modifiée, des droits historiques acquis en matière de droits de succession depuis deux siècles par les arrêtés MIOT. Elle s'est engagée en même temps à élaborer rapidement des propositions.
Cette attitude constructive a bénéficié du travail et du soutien du " comité MIOT ", association rassemblant plus de 20 000 adhérents. Elle nous a permis d'être en mesure de soumettre au Gouvernement des solutions adaptées et argumentées. Et, en reprenant la quasi totalité des propositions de l'Assemblée de Corse, le Gouvernement a reconnu leur pertinence.
Le patrimoine foncier et immobilier, détenu par tout citoyen français propriétaire en Corse, continuera à bénéficier d'une exonération fiscale significative sur les droits de succession. La constitution des titres de propriété et les sorties de l'indivision seront encouragées. Ainsi, nous aurons pu préserver l'esprit des arrêtés MIOT et défendre avec efficacité notre communauté insulaire.
. Une organisation territoriale de la Corse unifiée et rénovée :
Les statuts particuliers de 1982 et surtout 1991 ont doté la Corse de responsabilités accrues et de compétences largement décentralisées en matière de développement économique, social et culturel. Ils ont produit des résultats très positifs. Mais ils ont aussi révélé des limites de nature à compromettre la cohérence des politiques voulues par notre collectivité.
Nos concitoyens ont, en effet, à l'égard de la gestion publique, une exigence croissante d'efficacité, de transparence et de responsabilité. Cette exigence est légitime mais seule une démocratie locale modernisée sera capable de répondre à ces aspirations nouvelles.
Il nous appartenait donc de définir les réformes nécessaires pour permettre une meilleure utilisation des fonds publics, pour garantir des services publics performants et proches des citoyens, et pour associer réellement aux décisions les partenaires économiques et sociaux.
S'il est vrai que dans le domaine institutionnel, certaines notions comme le mot d'autonomie suscitent des réactions passionnelles, les discussions engagées avec les représentants du Gouvernement ont permis de ramener les choses à leur juste mesure.
Grâce à une approche pragmatique, un large accord entre les élus s'est dégagé progressivement pour ne pas limiter la réflexion à des considérations juridiques, mais au contraire privilégier la recherche de réformes efficaces et utiles. Utiles pour exercer la véritable responsabilité dans les domaines de compétences transférées. Utiles pour disposer des moyens nécessaires à leur mise en uvre, qu'ils soient humains, financiers ou normatifs.
Il est ainsi apparu que la réforme de l'organisation territoriale de la Corse supposerait une véritable clarification des compétences, la suppression d'un niveau d'administration locale mais aussi la reconnaissance au pouvoir régional de la capacité d'adapter, dans ses domaines de compétence, les normes nationales au particularisme insulaire.
Une large majorité des élus s'est alors déclarée prête à assumer une révision de la Constitution pour aboutir à la suppression des deux conseils généraux et à l'attribution à l'Assemblée de Corse d'un pouvoir d'adaptation de certaines législations, dans le respect des principes fondamentaux de la loi nationale. Tout en considérant que ces propositions n'étaient pas les plus faciles à mettre en uvre, le Gouvernement a accepté cette voie réformatrice qui rapprochera la Corse de la plupart des démocraties régionales de l'Union Européenne.
S'agissant de la mise en uvre des réformes jusqu'en 2004, il sera procédé en deux étapes, conformément à nos propositions.
- Dans une première phase, de quatre ans, il s'agira d'engager la loi programme, d'adopter la refonte du statut fiscal et les dispositions propres à la fiscalité du patrimoine, et de réaliser les transferts de compétence entre l'Etat et la Collectivité de Corse, assortis du pouvoir réglementaire correspondant. Les deux conseils généraux seront maintenus jusqu'en 2004 mais la Collectivité Territoriale regroupera certaines de leurs compétences et elle jouera un rôle de coordonnateur.
Le Parlement sera saisi rapidement des projets de lois portant sur ces différents sujets. Ils devront être votés par l'Assemblée Nationale et le Sénat en 2001.
- Dans une deuxième phase, à l'horizon 2003 la perspective d'une révision constitutionnelle interviendra pour conférer à la Collectivité Territoriale de Corse le pouvoir d'adapter certaines dispositions législatives dans les domaines de compétence qui lui seront reconnus, pour supprimer les départements et pour permettre les autres dispositions dérogatoires souhaitées.
Cette progressivité dans la réforme est réaliste pour se donner les moyens de mener à bien les différents chantiers et affirmer la capacité de notre Assemblée à assumer avec succès ses nouveaux pouvoirs.
En votant cette réforme, vous accomplirez un acte historique. Vous donnerez une chance majeure au processus de paix que nous avons engagé ensemble.
Une paix que les Gouvernements successifs de la République n'ont pas su garantir à nos concitoyens. Une paix qui est encore fragile mais que nous avons le devoir de consolider. Une paix qui sera la meilleure garante de la République à laquelle nous sommes profondément attachés.
Le sursaut qui sera le nôtre aujourd'hui ne pourra pas rester sans conséquence au niveau des représentants de la nation et au sommet de l'Etat.
La République ne peut plus aujourd'hui rester figée, immobile et tournée vers le passé. Au contraire, à l'aube de ce siècle elle doit résolument s'inscrire dans une modernité qui passe par la réforme de l'Etat. La France qui s'est engagée avec conviction dans la construction de l'Union Européenne est suffisamment forte pour reconnaître la différence corse sans mettre en péril son unité.
Pour réconcilier durablement la Corse avec la communauté nationale, et pour permettre aux Corses d'y retrouver leur dignité, il sera sans doute nécessaire le moment venu de consulter l'ensemble des Français par voie de référendum.
L'inscription du statut de la Corse dans la constitution française ne sera pas alors l'ébauche d'une dérive mais au contraire un enracinement durable dans une République moderne.
(source http://www.joserossi.com, le 2 décembre 2002)