Texte intégral
Monsieur le Président du Congrès, Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Dès le jour de la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le 29 octobre 2004, le Président de la République a demandé au Conseil Constitutionnel d'apprécier la conformité du traité à la Constitution de la République française.
La décision du Conseil Constitutionnel du 19 novembre 2004 me conduit à vous présenter un projet de loi constitutionnelle en trois volets :
- le premier ouvre dès maintenant la procédure de ratification du traité conformément à l'engagement pris par le Président de la République de soumettre cette ratification à référendum ;
- le deuxième aménage le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences des nouveaux engagements de la France pris dans le traité. Cette révision est évidemment subordonnée à l'entrée en vigueur du traité constitutionnel ;
- le dernier volet précise les modalités selon lesquelles les adhésions futures seront soumises à référendum comme l'a souhaité le chef de l'Etat.
Cette révision constitutionnelle est la conséquence d'une évolution fondamentale et positive de l'organisation européenne : l'Europe devient plus politique, c'est-à-dire plus démocratique, et le modèle français est mieux compris dans l'Union.
L'Europe politique
La révision constitutionnelle qui vous est aujourd'hui proposée présente plusieurs avancées démocratiques que nous demandions depuis longtemps.
En particulier, le Parlement national fait une avancée dans l'organisation européenne. En contrôlant l'exercice de la subsidiarité, vous pourrez assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Vous pourrez opposer votre veto à une décision du Conseil mettant en oeuvre le mécanisme de la "clause passerelle".
Le Parlement sera destinataire de tous les projets d'actes législatifs européens, ce qui lui permettra d'émettre un avis motivé selon les modalités de l'article 88-5, que je compléterai par une circulaire qui permettra d'améliorer l'information et l'expression des deux Assemblées.
D'autre part, le projet de révision constitutionnelle donne un pouvoir essentiel au peuple français, celui de décider des nouvelles adhésions à l'Union européenne à l'avenir.
Cette disposition nous permettra de répondre, sans peur ni crispation, à la démarche du Gouvernement turc.
Dans un premier temps, il appartiendra à la Turquie d'apporter la preuve qu'elle veut et qu'elle peut vivre à l'européenne, c'est-à-dire en respectant nos valeurs, définies par "les critères de Copenhague".
Ensuite, grâce à cette révision constitutionnelle, le peuple français tranchera.
Il décidera, non pas a priori, sans donner la chance de l'émancipation européenne au peuple turc, mais en vérifiant si les réalités constatées correspondent aux volontés affichées.
Les Françaises et les Français décideront des frontières de la nouvelle Europe.
D'autres innovations politiques proposées par le traité corrigeront certaines dérives bureaucratiques qui ont pu marquer l'évolution de l'organisation européenne.
La fin d'une présidence semestrielle du Conseil européen au profit d'une présidence qui peut être quinquennale, l'élection du Président de la Commission par un Parlement européen aux pouvoirs renforcés, la prise en compte de deux politiques majeures pour la place de l'Europe dans le monde (les affaires étrangères et la défense), tous ces progrès parmi d'autres (renforcement de la politique en matière de justice et d'affaires intérieures, amélioration de la coordination des politiques économiques,...) donneront aux institutions européennes plus de force grâce à plus de légitimité et plus de lisibilité.
Un traité pensé en français
Les conventionnels, grâce notamment à leur président Valéry Giscard d'Estaing, ont construit un projet qui laisse une grande place à la pensée française au sein de leur ambition européenne.
Le premier avantage de cette démarche est que le texte du traité, notamment dans ses deux premières parties, est bien écrit, lisible par tous, en net progrès par rapport à la rédaction si peu accessible du traité de Maastricht.
Les Françaises et les Français retrouveront dans le traité les valeurs qui sont les piliers de notre pacte républicain : la dignité de l'homme, les libertés, l'égalité, la solidarité, la citoyenneté et la justice, exprimées notamment par la présomption d'innocence et les droits de la défense.
Ces droits fondamentaux des personnes, auxquels nos compatriotes sont traditionnellement très attachés, constituent l'armature de la "Charte des droits fondamentaux". Chaque Française, chaque Français se retrouvera dans ce texte voisin de "la grande Déclaration" et du préambule de la Constitution de 1946.
Sur le plan social, le projet de Constitution européenne ajoute une dizaine d'articles pour faire progresser l'Europe sociale, notamment en renforçant les droits sociaux et en reconnaissant le rôle des partenaires sociaux. C'est ainsi qu'à la demande de la France, un sommet social tripartite réunira les présidences du Conseil et de la Commission avec les partenaires sociaux, avant chaque Conseil européen de printemps. De surcroît, une "clause sociale" impose la prise en compte des exigences sociales dans toutes les politiques de l'Union. Une autre initiative française, "le Pacte européen pour la jeunesse" inscrite à l'ordre du jour du prochain sommet montre la capacité d'influence de notre pays au sein de l'Union.
Nos compatriotes pourront aussi se réjouir de voir reconnu dans le traité "le service public à la française" puisqu'il est écrit que les entreprises gérant "les services d'intérêt économique général" peuvent échapper aux règles de la concurrence si celles-ci rendent impossible l'accomplissement de leur mission.
Cette influence française dans le traité, visible par tous, pourra conforter les sentiments de nos compatriotes vis-à-vis de l'Europe : fierté, quand il s'agit d'Airbus, d'Ariane, ou d'Iter, nécessité quand il s'agit d'agriculture ou de territoires, efficacité quand la fraternité dépasse les rivalités.
Il vous est ainsi proposé de réviser le titre XV de notre Constitution pour que l'exercice des compétences de l'Union soit conforme au traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,
J'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle qui, si vous en décidez, ouvrira la procédure de ratification, en France, du nouveau traité de Rome.
Le grand débat populaire pour l'avenir de la France dans l'Union pourra alors s'ouvrir. Je suis sûr que la campagne référendaire, démocratique et pluraliste, permettra au peuple français de faire un choix d'histoire, un choix d'avenir.
Ce rendez-vous avec l'Histoire n'est pas partisan. Pour l'Europe, le projet constitutionnel n'est pas une étape après d'autres.
C'est l'aboutissement d'une longue démarche à laquelle toutes les familles politiques représentées au Parlement ont contribué.
L'Europe n'est pas de droite, elle n'est pas de gauche, c'est notre avenir, notre destin.
Hier le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et le Chancelier Schmidt, François Mitterrand, Helmut Kohl, Jacques Delors et aujourd'hui Jacques Chirac, Gerhard Schroder, Tony Blair, José Luis Zapatero, tous et bien d'autres ont construit, dans les difficultés mais avec détermination, le projet européen.
Il n'y a pas de projet de rechange.
Les pères de l'Europe ont voulu la paix contre la guerre, la démocratie contre la dictature. Notre continent était le plus dangereux. Aujourd'hui, le monde est trop instable, l'humanité a besoin de l'Europe et de ses valeurs pour trouver son équilibre. Seul un équilibre multilatéral peut faire progresser la paix dans le monde. La domination conduit à l'affrontement, l'équilibre est un espoir de paix.
Depuis le milieu du vingtième siècle, l'Europe a fait la paix à l'intérieur de ses frontières, notre mission est aujourd'hui de construire la paix hors de ses frontières. L'Europe n'est plus un rêve. C'est une urgence.
Sincèrement la bonne réponse c'est oui.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er mars 2005)