Déclaration de M. Bernard Layre, président des Jeunes Agriculteurs, sur son élection à la tête du syndicat, le fonctionnement des organisations professionnelles agricoles, la politique agricole, les pratiques commerciales de la grande distribution, le projet de loi de modernisation agricole et l'installation des jeunes agriculteurs, Béziers le 24 juin 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 38ème congrès des Jeunes Agriculteurs à Béziers du 22 au 24 juin 2004

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Avant toute chose, je voudrais vous dire, avec une pointe d'émotion dans la voix, tout le plaisir que j'ai à m'exprimer devant vous aujourd'hui en tant que nouveau président des Jeunes agriculteurs.
Je dois vous avouer que cette responsabilité me semble énorme, mais je sais aussi que je peux compter sur une équipe nationale solide et un réseau toujours prêt à se mobiliser.
Et ce congrès n'en est-il pas la meilleure illustration !
Les Jeunes agriculteurs de l'Hérault ont fait un travail formidable, et je tiens à leur adresser, au nom de tous les congressistes, un immense merci pour l'organisation de ce congrès.
Bravo à toi, Matthieu, et à toute ton équipe. Bravo au comité d'organisation, qui depuis plus d'un an est mobilisé pour mener à bien cette grande opération. Bravo aussi à toi, Philippe, qui a présidé ce comité. C'est un beau succès collectif, qui est révélateur du professionnalisme avec lequel vous avez conduit le projet.
Et quel accueil ! quelle ambiance ! quelle convivialité ! On a senti que vous étiez fiers de nous accueillir dans votre département, et vous avez bien raison, car nous ne sommes pas prêt d'oublier ce 38ème congrès.
Un grand merci aussi à tous les bénévoles qui ont contribué à la réussite de ce congrès.
Vous méritez tous nos applaudissements.
Je tiens aussi à remercier tous les partenaires qui ont soutenu le projet des Jeunes agriculteurs de l'Hérault, en particulier les partenaires de la profession agricole, mais également la Mairie de Béziers, le Conseil Général de l'Hérault et le Conseil Régional de Languedoc Roussillon. La confiance que vous avez accordée aux Jeunes agriculteurs mérite d'être saluée.1
Merci, enfin, à l'ensemble de nos invités, aux présidents de la FNSEA, de l'APCA, de la CNMCCA et de ses composantes, pour leur présence à notre congrès et pour les encouragements qu'ils ont adressés à la nouvelle équipe.
Vos interventions de ce matin sur l'engagement des jeunes et leur place dans les organisations agricoles me confortent dans l'idée que nous devons, tous ensemble, retrousser nos manches pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture. Il en va de l'avenir de notre profession, mais aussi du dispositif qui accompagne les paysans.
Monsieur le ministre,
Je vous souhaite la bienvenue à Béziers, au 38ème congrès des Jeunes agriculteurs. Je crois que vous commencez à bien nous connaître puisque c'est la troisième fois que vous participez à notre congrès, et que les occasions ne manquent pas, tout au long de l'année, d'échanger avec les représentants des Jeunes agriculteurs.
Finalement, c'est chez nous que le changement est intervenu en premier. Non pas que nous en avions marre de Jérôme Despey, mais simplement parce que nos statuts prévoient un mandat de deux ans et une limite d'âge à 35 ans, auxquels nous sommes très attachés.
Avant-hier donc, les Jeunes agriculteurs ont élu une nouvelle équipe pour les représenter au niveau national. Le fort taux de renouvellement qui caractérise nos élections et la durée plutôt courte des mandats nous poussent à définir une ligne politique très claire et à fixer des objectifs concrets. C'est aussi ce qui fait des Jeunes agriculteurs une formidable école de formation à la responsabilité.
Mais avant de revenir plus longuement sur nos priorités, Monsieur le ministre, je tiens à remercier les administrateurs qui nous quittent et qui ont accompli un énorme travail durant les deux années écoulées au service des jeunes agriculteurs. Et plus particulièrement Jérôme Despey, qui a mené tambour battant notre organisation durant un mandat que l'on peut définitivement classer parmi les meilleurs millésimes.
Jérôme, toi le premier viticulteur à devenir président des Jeunes agriculteurs depuis les débuts du CNJA. Ton sens de l'engagement et des responsabilité n'ont d'égal que ta détermination à faire avancer les idées des JA et la cause des paysans. Ta vision du métier, les valeurs qui t'animent et ton sens du travail en équipe méritent respect. Tu fais parti de ceux qui ont consacré l'essentiel de leur temps à la mission qu'on leur avait confiée.
C'est aussi pour cela que je tiens à associer ta famille, et tout spécialement ta femme, Christine, et tes enfants, Romain et Mathilde, aux applaudissements que je vous demande encore une fois pour Jérôme.
Monsieur le ministre,
Comme vous le savez, chaque année, le congrès des Jeunes agriculteurs est l'occasion d'un débat autour d'un rapport d'orientation, que nous amendons et adoptons au terme d'un processus qui implique l'ensemble de notre réseau.
C'est un moment fort du congrès qui permet aux Jeunes agriculteurs de se positionner sur des enjeux qui correspondent généralement à des préoccupations de moyen et long termes.
Après plusieurs rapports largement consacrés aux politiques agricoles et à la valorisation de nos productions, mais aussi à la manière dont nous voyons l'avenir de nos exploitations, nous avons décidé cette année de sortir de l'exploitation pour aller faire un tour d'horizon des services qui interviennent auprès des paysans.
Nous nous sommes interrogés sur l'adéquation de ces services avec les besoins de nos exploitations, mais aussi avec notre vision du métier.
Ce rapport n'a pas la prétention d'être exhaustif face à la multitude des organisations, mais il donne des orientations et des principes pour des changements qui, à nos yeux, sont inéluctables.
Le premier constat que nous faisons, c'est que l'agriculteur est au centre d'un système complexe, et c'est sans doute un euphémisme.
Depuis les premières mutuelles d'assurance créées au milieu du 19ième siècle, en passant par la création des organisations de services avec les lois de modernisation des années 60, les organisations professionnelles agricoles interpellent aujourd'hui par leur multitude et parfois par leur antagonisme.
Aujourd'hui, l'inventaire des services qui gravitent autour de l'agriculteur est un exercice quasi impossible et maintenir une cohésion de l'ensemble devient une réelle gageure.
De nombreuses organisations professionnelles sont le fruit de politiques concertées entre la profession agricole et l'Etat qui ont permis la mise en place d'un accompagnement efficace des paysans.
Mais en l'espace de 15 ans, plusieurs tendances lourdes : séisme de la démographie agricole, avènement du pluralisme syndical, mise à l'index de l'agriculture, réformes des politiques agricoles, ont mis à mal le nécessaire consensus entre les pouvoirs publics et le syndicalisme pour une saine gestion de ces services.
Au final, il me semble normal que les agriculteurs éprouvent des difficultés à se retrouver dans des organisations professionnelles destinées à vulgariser, administrer, gérer, voire contrôler des politiques publiques qu'ils ne cautionnent pas forcément.
Même si les installations d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes qu'hier, je pense notamment à la formation et aux structures, et malgré une nécessité croissante de polyvalence pour les futurs paysans, les jeunes agriculteurs veulent garder un esprit d'entreprise, une réelle autonomie de décision et d'action.
Les services doivent agir dans cet esprit pour contribuer également à la construction d'un revenu par une juste rémunération des produits et du travail.
Aujourd'hui, nous n'avons pas peur de dire que le bon sens paysan fait trop souvent défaut au niveau des services.
Fondamentalement, nous pensons que les services aux agriculteurs doivent déterminer leurs stratégies et leurs orientations en fonction des seuls intérêts des paysans, en terme d'efficacité mais aussi de coût.
Ainsi, les services accompagnant l'agriculture doivent s'articuler autour d'un projet commun de développement basé sur une politique de prix, mis en oeuvre avec une dimension collective forte, et qui privilégie la solidarité entre les hommes et entre les organisations.
C'est pourquoi nous plaidons pour l'instauration de pôles de services, par domaine de compétence, pour aller vers une plus grande efficacité et vers un fonctionnement plus économe en budget, mais aussi en responsables professionnels.
A l'heure où la gestion de l'exploitation prend une dimension nouvelle, les paysans ont besoin d'organisations professionnelles expertes dont le soucis premier doit être la maîtrise par l'exploitant de ses résultats, et non le développement de produits nouveaux sous prétexte d'une réelle proximité avec les exploitants.
D'une façon générale, nous considérons que les organisations professionnelles n'ont pas à compenser la diminution de leur public initial par une diversification de leurs activités. Au final, cela génère des conflits préjudiciables à leur fonctionnement mais surtout aux paysans, qui sont à l'origine des financements des organisations.
Pour l'avenir des services mais aussi et surtout pour celui des paysans, nous plaidons pour une prise de conscience collective des organisations.
Dans ce projet, nous sommes convaincus que le syndicalisme généraliste doit jouer un rôle majeur en assumant complètement la coordination de l'accompagnement des paysans au travers de Conseils de l'agriculture départementaux opérationnels.
Monsieur le ministre,
Vous constatez que cette année, nous avons ménagé une large place dans nos débats au fonctionnement de nos propres organisations, mais cela ne veut pas dire, bien au contraire, que nous considérons que tout va bien de votre côté.
Je vais être clair dès le début.
L'impression que le politique donne aujourd'hui aux paysans n'est pas un modèle de cohérence intellectuelle.
Pour illustrer mon propos, un seul exemple me suffira, mais il est de taille. Je veux parler des négociations commerciales internationales, que ce soit à l'OMC ou au niveau bilatéral entre l'Union européenne et le Mercosur.
Trouvez-vous cohérent, Monsieur le ministre, qu'un responsable politique ou un commissaire européen décide de renforcer, en France ou en Europe, telle ou telle disposition sociale, environnementale ou sanitaire, et que dans le même temps, il signe un accord de libre échange avec une région du monde qui est à mille lieux des mêmes préoccupations.
Avec un tel comportement, vous faites mourir à petit feu notre agriculture, mais aussi des pans entiers de notre économie. Et le pire, c'est que cette cohabitation forcée entre des agricultures qui n'ont rien de comparable fait des dégâts des deux côtés.
Monsieur le ministre, je vous le dis solennellement aujourd'hui, les paysans français ne seront pas les mineurs du 21 siècle. Nous ne fermerons pas nos exploitations les unes après les autres parce que dans un coin du monde, un agriculteur qui exploite la main d'oeuvre et ne connaît pas notre fiscalité ou nos contraintes environnementales, veut à tout prix exporter sur nos marchés.
Mais ne vous méprenez pas, Monsieur le ministre, c'est justement parce que nous sommes attachés à notre modèle de société européen que nous plaidons pour des politiques internes solides, harmonisées et pleinement assumées politiquement.
Ce ne serait pas faire preuve d'un courage politique démesuré que de réclamer une politique agricole européenne forte, qui assure l'autosuffisance et la sécurité alimentaire de 25 pays et de 450 millions de consommateurs.
C'est ce qui s'appelle un choix stratégique, un choix politique.
Et quand je vois les orientations prises dans les négociations agricoles à l'OMC et avec le Mercosur, je suis obligé de vous dire, Monsieur le ministre, que les paysans sont extrêmement inquiets, inquiets de voir que vous ne les contestez qu'à la marge.
Mais ce serait trop facile de simplement dénoncer sans rien proposer.
En ce qui nous concerne, nous uvrons depuis plusieurs années pour insuffler une dynamique nouvelle qui permettrait à tous les paysans du monde de vivre dignement de leur métier et du prix de leurs produits. Certes, cette approche nécessite une protection des marchés, mais est-ce trop demander lorsque l'on sait que plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim.
Le congrès mondial qui s'est tenu à Paris il y a un an a permis aux jeunes agriculteurs de plus de 100 pays d'adopter une déclaration qui pose les bases d'une nouvelle discipline mondiale des politiques agricoles.
Je n'aurais qu'un vux à formuler, Monsieur le ministre, c'est que la prise de conscience des jeunes agriculteurs gagne rapidement les décideurs politiques.
Avec ce que je viens d'exposer, Monsieur le ministre, vous imaginez ce que pensent les Jeunes agriculteurs de la réforme de la PAC que vous avez signée à Luxembourg en juin dernier, juste après le congrès mondial.
Aux baisses de prix et à la dérégulation des marchés, est venu s'ajouter le découplage, qui est la négation même de l'acte de production, la négation du métier, la négation du renouvellement des générations en agriculture.
Monsieur le ministre, vous vous étiez fixés une ligne rouge, et vous l'avez franchie, ne serait-ce qu'en acceptant une baisse de prix complémentaire sur le beurre.
Quant au découplage, que vous rejetiez au début, force est de constater qu'il est bien là, partiel ou total, dans la plupart des productions.
Tout ceci n'est pas très reluisant, Monsieur le ministre.
Après le coup de massue de Luxembourg et le rejet de cette réforme d'inspiration ultra-libérale, nous avons décidé de continuer à nous battre pour obtenir une mise en oeuvre en France qui pénalise le moins possible l'installation des jeunes en évitant les dérives spéculatives sur les droits à paiement.
Après quelques revirements de votre part sur le caractère marchand ou non de ces droits à paiement, et un peu de pression, le bon sens à repris le dessus, et nous nous en félicitons.
Même si nous pensons que les niveaux maximums de taxation des transferts devraient être revus à la hausse, le dispositif retenu, qui prévoit des droits gratuits pour les jeunes et une taxation différente selon que l'on respecte ou non le schéma des structures, va dans la bonne direction.
En revanche, permettez-moi de vous dire que s'agissant de la conditionnalité, et plus particulièrement des bandes enherbées, on marche sur la tête.
Je connais en effet des agriculteurs dont l'exploitation, parfaitement plate, n'est traversée par aucune rivière, des agriculteurs qui ont fait le choix de développer des jachères industrielles, et qui vont devoir implanter des bandes enherbées.
Vous m'obligez, Monsieur le ministre, à plagier Jean-Michel Lemétayer pour vous dire que décidément, ça ne tourne pas très rond au ministère de l'agriculture.
Un jour, vous comprendrez que la politique du bâton est beaucoup moins productive que celle de la carotte, surtout en agriculture.
Et faites attention avec la mise en oeuvre de la conditionnalité, car je suis sûr que vous n'êtes pas loin de ressusciter Kafka.
Monsieur le ministre,
Les jeunes agriculteurs savent que la construction européenne est l'avenir de notre continent. C'est pourquoi, malgré ses imperfections, je pense que la Constitution qui a été adoptée lors du dernier Conseil européen est un pas de plus vers une Europe durablement ancrée dans la paix et la stabilité.
Mais de grâce, faites en sorte que les citoyens de cette Europe ne soient pas déboussolés par des décisions qui ne sont pas comprises.
Je pense notamment à l'amende exorbitante que nous a infligée la Commission européenne pour avoir défendu le revenu des producteurs de viande bovine en pleine crise de l'ESB. En tant que président des Jeunes agriculteurs, mais aussi en tant que citoyen de cette Europe, cela me fait mal au ventre.
Et c'est sans parler de la situation financière que provoque une telle décision pour une structure comme la notre.
Je crois qu'il est urgent et vital que nous nous penchions sur ce droit de la concurrence, car la reconquête de la valeur ajoutée par les agriculteurs passe par le renforcement des interprofessions, qui doivent être pérennisées.
Aujourd'hui, nous partons d'une situation où les prix agricoles sont anormalement bas, tandis que les prix à la consommation sont à la hausse.
Ce qui démontre au moins que la politique agricole actuelle n'est ni au service des paysans, ni au service des consommateurs.
Dès lors, il n'est pas étonnant de voir l'étau se resserrer quelque peu ces derniers jours sur les industriels et distributeurs.
Et je peux vous dire que nous y sommes pour quelque chose. Cela fait des années que nous dénonçons les pratiques commerciales illicites de la grande distribution, qui met en coupe réglée les acteurs économiques les plus faibles, notamment les PME et les agriculteurs.
En novembre 2002, nous avions d'ailleurs bloqué les plate-formes d'approvisionnement pour dénoncer ces comportements, avant de nous mobiliser à nouveau pour sensibiliser l'opinion publique.
Et si nous avons tenu à avoir des garanties importantes avant de signer un nouvel engagement sous l'égide de Nicolas Sarkozy, c'est bien parce que la grande distribution n'avait pas respectée ses précédentes signatures.
En premier lieu, je tiens à dire que nous sommes satisfaits de la reprise en main du dossier de la distribution par les pouvoirs publics.
Le maintien de la Loi Galland est aussi un élément de satisfaction, de même que la reconnaissance de la spécificité de la formation des prix agricoles.
L'instauration de systèmes de suivi des prix, notamment grâce à des mesures de l'INSEE et des contrôles de la DGCCRF, doit garantir que la baisse des prix à la consommation n'est pas répercutée sur les prix des produits agricoles.
Mais ce n'est pas tout, puisque nous avons aussi obtenu la mise en place d'un dispositif de blocage des marges en cas de crise, associé aux prix minimums, ainsi que la suppression des marges arrières, rabais, remises et ristournes pour les produits agricoles.
Nous avions conditionné notre signature à un engagement clair des pouvoirs publics qu'ils prendraient des dispositions pour que les condamnations pour pratique commerciale illicite fassent l'objet d'une condamnation. Nous avons eu ces garanties par écrit, et donc nous avons signé.
Mais nous devrons rester extrêmement vigilants, pour être capable de rendre compte de toute dérive lors du rendez-vous qui est d'ores et déjà fixé au mois de novembre prochain.
De la même manière, nous allons suivre de très près les travaux législatifs des prochains mois, juste au cas où la tentation serait trop forte pour la grande distribution de faire passer quelques amendements visant à assouplir la réglementation ou le système de sanctions.
Nous comptons sur vous, Monsieur le ministre, pour exercer cette même vigilance.
Puisque j'évoque le travail législatif des prochains mois, permettez-moi de vous faire part de nos attentes sur le projet de loi de modernisation agricole que vous êtes en train de préparer.
Pour les Jeunes agriculteurs, cette loi de modernisation agricole doit permettre d'apporter de la lisibilité aux agriculteurs sur l'avenir de leur métier. Ce doit être un outil d'orientation permettant d'atténuer au maximum les effets pervers de la réforme de Luxembourg.
Je souhaite bien entendu que cette loi soit dotée d'un volet " jeune ", mais aussi d'un volet " DOM " car je sais que les attentes sont grandes et qu'un travail de fond important a été réalisé, notamment par les jeunes agriculteurs de l'Interdom.
Mais je veux aussi vous dire, Monsieur le ministre, que nous n'imaginons pas que cette loi puisse être l'occasion d'une remise en cause d'outils de régulation, et notamment le contrôle des structures.
Notre vision n'est pas celle d'une ferme France qui serait figée pour l'éternité, et d'ailleurs chacun sait bien que les projets agricoles départementaux évoluent régulièrement, mais nous voulons conserver des gardes-fous, pour éviter les dérives.
Si je dis cela, c'est parce que les Jeunes agriculteurs sont convaincus que la richesse de l'agriculture française repose sur un tissu dense d'exploitations à taille humaine, qui valorisent nos terroirs et nos savoir-faire.
Sur ce point précis du contrôle des structures, Monsieur le ministre, j'attends de vous un engagement concret.
Mais je souhaite aussi mettre l'accent sur l'absolue nécessité de mettre en place un dispositif permettant de gérer et d'anticiper les crises, ainsi qu'un système d'assurance récolte couvrant l'ensemble des productions.
S'agissant de l'assurance récolte, très honnêtement, il faut arrêter de commander des rapports et passer à l'acte.
L'étude approfondie des dispositifs espagnol et américain, mais aussi les expériences menées en France par Groupama, nous démontrent que ce type d'assurance fonctionne bien, à condition d'être abondé de manière pérenne par des fonds publics.
Aujourd'hui, la question posée est justement celle de l'abondement de l'Etat, et j'ai l'impression que Bercy a de sacrés oursins dans les poches.
Monsieur le ministre,
En parlant d'oursins, je crois que le gel budgétaire touchant votre ministère s'élève à 243 millions d'euros pour cette année. Dans la mesure où personne dans vos services n'est à même de nous dire quels sont les secteurs touchés, pourriez-vous au moins nous préciser aujourd'hui ceux que vous considérez comme moins prioritaires.
A moins que vous préfériez rendre le gel budgétaire éligible au fond des calamités agricoles !
Monsieur le ministre,
Je ne voudrais pas terminer sur une note trop négative, alors je vous propose de faire le point sur notre projet pour le renouvellement des générations en agriculture.
Je tiens tout d'abord à rappeler que pour les Jeunes agriculteurs, le première politique d'installation, c'est une politique de revenu, une politique de revenu par les prix. C'est aussi un métier d'agriculteur attractif, une qualité de vie conforme à ce que les jeunes sont en droit d'attendre. Aujourd'hui, Monsieur le ministre, les agriculteurs veulent être des citoyens comme les autres.
C'est la raison pour laquelle les services de remplacements revêtent à mes yeux un rôle essentiel, et qu'il est de notre devoir de poursuivre leur développement.
Monsieur le ministre,
Depuis maintenant plus de trois ans, les Jeunes agriculteurs ont décidé de resituer l'installation au sein d'un projet global, plus large, qui se décline suivant quatre axes essentiels :
- l'adaptation du parcours aux nouveaux contexte et profil des candidats,
- le développement des partenariats locaux,
- la promotion du métier d'agriculteur,
- et enfin la transmission de l'exploitation.
La Journée Nationale de l'installation que nous avons organisée le 13 mars 2003 à Rumilly dans l'Aude, à laquelle vous avez d'ailleurs participé, a permis de poser les bases d'un travail qui s'est avéré constructif, mais pas toujours suffisamment productif.
Sur le parcours à l'installation, nous pouvons être satisfaits car les avancées sont significatives : pérennisation des prêts bonifiés, versement de la DJA en une fois dès 2004 avec sortie de l'assiette sociale, validation des acquis d'expérience pour le stage 6 mois, redémarrage du FICIA, et d'autres aménagements du dispositif.
Sachez tout de même, Monsieur le ministre, que nous attendons avec impatience la sortie du décret pour le versement de la DJA en une fois, avec rétroactivité au 1er janvier 2004, et que nous demandons toujours sa défiscalisation.
Par ailleurs, compte tenu des difficultés de démarrage du FICIA, nous demandons le report sur 2004 des fonds non utilisés en 2003.
En outre, comme nous le présentions depuis le début au vu des fonds qui étaient précédemment alloués aux PIDIL, les crédits actuels du FICIA ne permettent pas de financer l'ensemble des actions, ce qui nous conduit à demander sa revalorisation en le portant à 15 millions d'euros.
S'agissant des partenariats locaux, vous avez participé, Monsieur le ministre, au premier Comité National de l'Installation, qui a permis d'initier une dynamique nouvelle autour de partenariats élargis à tous les acteurs du monde rural.
Lors de ce comité, nous avons identifié trois grandes priorités : l'enseignement et la formation, le foncier, la transmission, sur lesquelles nous nous sommes engagés à approfondir le travail, au niveau national mais surtout au plus près du terrain.
En matière de foncier, je profite du fait que notre congrès se déroule dans une région où la pression urbaine est très forte, pour vous demander d'entamer une réflexion sur la possibilité de créer, auprès des villages, des zones constructibles dédiées à l'activité agricole.
Les Jeunes agriculteurs font de la promotion du métier d'agriculteur un enjeu majeur pour le renouvellement des générations. C'est pourquoi nous avons contribué très activement à la réflexion que vous avez mise en place, Monsieur de ministre, après l'annonce de l'abondement du Fonds de communication.
Laissez moi vous dire qu'aujourd'hui, nous sommes quelque peu déçus, puisque depuis cette annonce, c'était à l'automne 2002, le Fonds de communication n'a pas fonctionné.
Les crédits de 2003 sont certainement passés aux oubliettes, et ceux de 2004 ont peut-être subit le gel budgétaire, mais ce qui serait encore plus grave, Monsieur le ministre, c'est que vous les fassiez renaître de leurs cendres pour faire la promotion de la nouvelle PAC au lieu de faire la promotion des métiers de l'agriculture.
Si vous reteniez la première option, nous souhaiterions évidemment en être informés afin de ne pas nous retrouver à cautionner implicitement une réforme qui n'est pas la notre.
Monsieur le ministre,
J'en viens maintenant à la transmission des exploitations, et force est de constater, plus d'un an après vos annonces de Rumilly, que nous en sommes toujours au point mort.
Vous aviez évoqué plusieurs axes de travail :
- la possibilité d'aller plus loin que la loi sur l'initiative économique pour l'exonération des plus-values en cas de transmission à un jeune,
- l'instauration d'abattements spécifiques sur les revenus fonciers imposables, notamment lorsqu'ils proviennent de baux à long terme consentis à des jeunes agriculteurs,
- et enfin, une amélioration de l'Aide à la Transmission des Exploitations, l'ATE.
Entre temps, avec vos services, nous avons réouvert le dossier des points retraite gratuits dont pourraient bénéficier les cédants qui transmettent leur exploitation à un jeune.
Aujourd'hui, nous ne comprendrions pas, alors que le problème de la transmission des entreprises est un sujet de préoccupation majeur en France, que vous ne teniez pas vos engagements.
Avant de conclure, Monsieur le ministre, je voudrais vous faire part des préoccupations de plusieurs secteurs de productions.
Je commencerais par le secteur laitier, qui suite à la réforme de Luxembourg, est en train de vivre un véritable bouleversement.
La profession a signé au mois de février une clause de paix sur le prix du lait, et des groupes de travail ont été mis en place.
Pour les Jeunes agriculteurs, au-delà du combat sur le prix du lait, la priorité est bien de maintenir un système de prélèvements à l'agrandissement.
Aussi, nous rejetons toute logique de prélèvement linéaire, qui reviendrait à condamner l'installation dans ce secteur. Nous plaidons pour un dispositif de prélèvements différenciés qui soient fonction du volume de quota et de la structure de l'exploitation, en prenant référence sur le projet agricole départemental.
En outre, je pense que des moyens supplémentaires devront être dégagés pour accompagner les adaptations de la filière laitière.
Pour l'ensemble des productions animales, la question de la mise aux normes des bâtiments d'élevage demeure très prégnante, ce qui rend la mise en oeuvre du plan que vous avez annoncé plus qu'urgente.
Mais je voudrais aussi vous dire, Monsieur le ministre, que nous ne sommes pas encore revenus de la manière dont a été géré le problème de l'équarrissage. Certes le dossier était compliqué, mais admettez quand même qu'un nouveau record de réunionnite a certainement été battu.
S'agissant des productions végétales, et plus spécialement des calamités pour les grandes cultures, je souhaite vous dire à quel point, là encore, la gestion du dossier à été compliquée.
La publication d'une circulaire le 5 janvier fermant la porte du dispositif à des milliers d'agriculteurs, qui légitimement pouvaient y prétendre, a été perçue comme une profonde injustice.
Aussi je vous compte sur vous, Monsieur le ministre, pour que le travail engagé avec vos services et les DDAF pour sortir de cette situation ne laisse personne au bord du chemin.
Autre sujet majeur de préoccupation : la réforme de l'OCM sucre. En effet, la Commission européenne semble bien décidée à imposer une réforme s'inscrivant dans la droite ligne des précédentes, qui va conduire à une forte baisse des prix et qui risque à terme de remettre en cause le système des quotas.
Ce projet est d'autant plus aberrant que l'actuel régime sucrier ne coûte rien au contribuable, puisque c'est la filière elle-même qui le finance, qu'il rémunère correctement les producteurs, et qu'à ma connaissance, personne ne trouve le prix du kilo de sucre trop élevé, à part peut-être Coca-Cola ou Nestlé.
En proposant cette réforme, la Commission européenne confirme bien qu'elle est aux ordres des multinationales de l'agro-alimentaire, et c'est inacceptable.
Concernant les fruits et les légumes, je pense que la priorité aujourd'hui, au vu des crises à répétition dans ces secteurs, c'est bien de mettre en place des outils de gestion et d'anticipation des crises, comme je l'ai évoqué précédemment. Ce qui n'empêche pas, Monsieur le ministre, de prendre des mesures d'urgence pour aider les producteurs de légumes en difficulté.
J'en arrive à la viticulture, production au combien importante dans la région qui nous accueille, mais aussi bien sûr au niveau national.
Sachez d'abord, Monsieur le ministre, que les Jeunes agriculteurs sauront être une force de proposition dans les débats autour de l'évolution de l'OCM, avec comme objectif principal de renforcer les dispositions favorisant l'installation des jeunes, notamment en matière de droits à produire et de préservation du potentiel viticole.
Et qui dit préservation du potentiel viticole dit absolue nécessité de faire fonctionner correctement le système de reconversion qualitative différée que vous avez défendu, et qui est une mesure capitale pour assurer la reconversion du vignoble.
Tout aurait été parfait si les engagements pris pour l'application sur le terrain avaient été respectés. Mais au moment où je vous parle, Monsieur le ministre, plusieurs centaines de viticulteurs n'ont pas encore reçu leur premier versement, ce qui n'est pas acceptable.
Un mot enfin, sur la loi Evin, pour vous dire que les Jeunes agriculteurs plaident en faveur d'une adaptation qui autorise la promotion collective des vins.
Monsieur le ministre,
Je ne peux terminer mon propos sans évoquer un certain nombre de sujets en lien avec l'environnement.
Pour faire simple, j'en ferais trois grandes catégories :
- les sujets porteurs d'avenir pour notre agriculture, et je pense notamment aux biocarburants,
- les sujets qui pourraient aller bien si les financements ne faisaient pas défaut, je pense en particulier au PMPOA,
- et enfin ce qui ne va pas bien, et là, la liste est un peu plus longue : loi sur l'eau, phytosanitaires, boues, OGM, grands prédateurs, et j'en oublie sans doute.
Pour les biocarburants, les Jeunes agriculteurs réclament une vraie politique ambitieuse de développement de cette énergie renouvelable. Nous plaidons pour l'incorporation obligatoire et une défiscalisation qui trouve toute sa justification dans leur contribution au développement durable.
Mais puisque je parle des carburants, j'en profite pour vous dire que les agriculteurs souffrent énormément de l'augmentation du prix du fioul domestique, qui a grimpé en flèche de 25 % en l'espace d'un an. C'est une charge supplémentaire de plusieurs centaines de millions d'euros pour notre agriculture.
C'est pourquoi nous demandons la mise en place d'un carburant professionnel, c'est à dire totalement détaxé, comme en disposent les pêcheurs.
Concernant le PMPOA, j'irais vite en vous disant qu'il faut permettre à tous les agriculteurs de disposer des financements suffisants pour leurs investissements.
Pour la loi sur l'eau, nous avons bien compris que la seule logique, c'est de percevoir de nouvelles taxes, dont acte. Difficile dans ces conditions que nous débordions d'enthousiasme sur le sujet.
Plus compliqué, les boues d'épuration. Nous avons bien conscience qu'il s'agit là d'un débat de société, mais nous ne voulons pas être mis devant le fait accompli des autorisations d'épandages. Il est indispensable de mettre en place un fonds national de garantie et de prévoir une traçabilité complète des produits, qui doivent être considérés comme des déchets.
Les OGM, encore un sujet compliqué sur lequel la cohérence et le courage politique ne sont pas au rendez-vous. Cohérence tout d'abord, avec une interdiction de produire qui coexiste avec des autorisations d'importation. Courage politique ensuite, car je ne trouve pas très glorieux que des ministres européens ne se prononcent pas sur la levée du moratoire, laissant à la Commission européenne le soin de le faire.
Un mot sur les phytosanitaires : nous avons un devoir commun, Monsieur le ministre, de sensibiliser l'opinion publique au fait que ce sont des médicaments indispensables à la vie des plantes.
Un mot, pour finir, sur les grands prédateurs, pour dire que la cohabitation est définitivement impossible avec le pastoralisme.
Monsieur le ministre,
Admettez que pour une nouvelle équipe qui entame un mandat, nous avons du pain sur la planche.
Mes propos n'ont pas toujours été tendres, mais je pense que ce discours de vérité reflète bien ce que les jeunes agriculteurs vivent et ressentent aujourd'hui au plus profond d'eux-mêmes.
Mais ce qui me fait chaud au coeur, c'est de voir que les valeurs de notre syndicalisme sont toujours aux fondements de nos projets, de nos ambitions.
Quelle plus belle illustration de la solidarité entre les paysans que l'opération paille menée par les réseaux JA et FNSEA. Je tiens à rendre hommage à tous ceux et à toutes celles qui ont participé à ce formidable élan de solidarité, avec une pensée toute particulière pour Jean-Marie DARRAS, qui a payé de sa vie son engagement syndical.
Dans les moments difficiles, nous devons serrer les coudes, nous devons faire bloc et regarder devant, car c'est bien notre responsabilité de bâtir l'agriculture de demain.
Mais il est aussi de votre devoir, Monsieur le ministre, de mettre en oeuvre une politique agricole conforme à l'intérêt de notre pays.
Cette politique agricole que nous appelons de nos voeux, c'est une politique qui permet aux paysans de vivre dignement de leur métier et du prix de leurs produits, c'est une politique agricole qui assure le renouvellement des générations en agriculture.
Monsieur le ministre, je vous cède la parole.
(Source http://www.cnja.com, le 2 novembre 2004)