Interview débat entre MM. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement, et Philippe de Villiers, président de Mouvement pour la France, dans "Valeurs actuelles" le 15 avril 2005, sur les enjeux du référendum sur la Constitution européenne, notamment en matière d'immigration et de concurrence sur les services.

Prononcé le

Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Valeurs Actuelles.- Cette campagne référendaire est différente de celle de 1992 sur le traité de Maastricht en cela que, pour la première fois, la perspective du "non" ne fait plus peur à une majorité de Français. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Jean-François Copé.- Au-delà de l'aspect quantitatif que vous évoquez, j'aimerais insister sur deux points essentiels révélés par les sondages. Premier point : les partisans du "oui" viennent majoritairement de la droite, sont plutôt attachés à l'entreprise, à l'initiative et à l'engagement.
Seconde caractéristique : le "oui" est franchement majoritaire chez les jeunes et chez les seniors. Et c'est à mon sens très significatif : chez les premiers, l'envie de bouger et de découvrir le monde s'accorde avec le grand espace économique européen que nous préparons ; chez les seconds, l'attachement à la paix, qu'ils n'ont pas toujours connue, nourri par le devoir de mémoire, coïncide avec l'obsession de préparer l'avenir de ses enfants et de ses petits-enfants...
Valeurs Actuelles.- Et le fait que le "non" ne fasse plus peur ?
Jean-François Copé.- Cela ne me surprend pas, pour une raison très simple, que Philippe de Villiers incarne à merveille : le "non" est devenu le nec plus ultra de la nouvelle pensée unique. Il est d'ailleurs soutenu par tous les conservatismes ! Celui qui fait oeuvre de courage dans l'expression de ses convictions, ce n'est pas celui qui appelle à voter "non" pour que rien ne bouge, c'est celui qui appelle à voter "oui" pour que les choses, enfin, commencent à changer...
Philippe de Villiers.- Première remarque : je note que si le "non" l'emporte, le membre du gouvernement que vous êtes aura disqualifié d'avance une majorité de Français, dont il vient de stigmatiser le conformisme et le manque de courage. C'est une information. Deuxième remarque : si la pensée unique c'est de défendre la pérennité de la France en tant que nation et l'identité de l'Europe en tant que civilisation, je l'assume parfaitement. Pour en revenir aux sondages, mon analyse est claire : la digue a cédé. Le "non" est désormais majoritaire à gauche, mais aussi à droite.
Jean-François Copé.- Pas à l'UMP !
Philippe de Villiers.- L'UMP n'est pas toute la droite. Et même à l'UMP, le "non" progresse constamment. Quant au fond, pourquoi le "non" monte-t-il ? Parce que les Français sont de plus en plus nombreux à comprendre que le seul vote utile, c'est le vote "non". Et c'est aussi le seul vote d'effet immédiat. Il aura, selon moi, quatre conséquences.
Primo, l'arrêt immédiat des négociations en cours sur l'entrée de la Turquie, prévues pour le 3 octobre.
Secundo, l'enterrement de première classe de la directive Bolkestein dont son auteur a confirmé ce matin même qu'elle n'était pas retirée, contrairement aux discours officiels.
Tertio, la renégociation d'un bon traité fondateur sur la base d'un message clair : nous voulons l'Europe des peuples sans la Turquie, et non l'Europe des technocrates avec la Turquie.
Quarto, un choc salutaire pour l'économie. C'est sans doute l'élément le plus nouveau de ces derniers jours : les cinq principaux instituts d'analyse économique, qui diffèrent par leurs points de vue sur le "oui" et sur le "non", viennent de s'accorder sur un diagnostic, ainsi résumé par l'AFP : "Le "non" pourrait constituer un électrochoc pour les économies européennes". Bref, le cataclysme n'est pas là où le disent les partisans du "oui". Le cataclysme, c'est celui que subit chaque jour notre industrie, quand Bruxelles décrète l'ouverture des frontières aux textiles chinois !
Valeurs Actuelles.- Jean-François Copé pense-t-il lui aussi qu'un "non" à la Constitution signifierait un coup d'arrêt au processus d'adhésion turque ?
Jean-François Copé.- Quand j'écoute Philippe de Villiers, je me dis que rien ne change jamais. Le seul ressort de la campagne du "non" c'est : "plus c'est gros, plus ça passe". Et de ce point de vue, mon interlocuteur est un orfèvre !
Première réponse : les Français ne doivent pas croire un instant qu'un "non" suspendra une seconde les négociations avec la Turquie...
Philippe de Villiers.- C'est donc pire que je ne le pensais...
Jean-François Copé.- Ce qui serait pire, pour les adversaires de l'adhésion turque, c'est que la Constitution européenne soit rejetée. Car elle pose des conditions d'entrée dans l'Union infiniment plus difficiles à remplir que le traité de Nice sur lequel nous fonctionnons actuellement... La Charte des droits fondamentaux est une garantie pour le respect de la démocratie et des droits de l'homme qui n'existait pas dans le traité de Nice...
Deuxième remarque : grâce au président de la République que vous attaquez si volontiers, il est désormais inscrit dans la Constitution que le peuple français devra s'exprimer par référendum pour chaque nouvelle adhésion. C'est donc à lui - à chacun d'entre nous ! - qu'il appartiendra, le moment venu, de dire "oui" ou "non" à la Turquie. Que demandez-vous de mieux ?
Franchement, je trouve que la technique qui consiste pour vous à amalgamer systématiquement la question de la Constitution européenne à celle de la Turquie trouve ici sa limite : non seulement le nouveau traité rendra plus difficile l'adhésion d'un État qui ne respecterait pas les caractères démocratiques de l'Union, mais aussi et surtout le peuple français disposera d'un droit de veto...
Philippe de Villiers.- Et vous, Jean-François Copé, êtes-vous favorable, personnellement, à l'adhésion de la Turquie ? Ceux qui nous liront ont le droit de le savoir...
Jean-François Copé.- Ma position est on ne peut plus claire : j'estime que la Turquie ne remplit pas pour l'instant les conditions requises pour adhérer à l'Union européenne. C'est net et précis. Et si elle les remplit un jour, il sera toujours temps de se décider puisque, je viens de le dire, le peuple français aura le dernier mot.
Philippe de Villiers.- C'est pourtant Jacques Chirac qui, le 17 décembre dernier, a fixé la date du 3 octobre prochain pour l'entrée dans la négociation avec la Turquie. Quant à la Charte des droits fondamentaux, dont vous dites tant de bien, je rappelle qu'elle autorise dans son article II-70 "la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement, ou collectivement, en public ou en privé...". M. Erdogan peut être satisfait : elle autorise explicitement le voile que le Parlement a mis hors la loi !
Jean-François Copé.- Je ne peux pas vous laisser dire cela. Jamais l'Europe ne remettra en question cet acquis ! La Constitution reconnaît justement aux États toute compétence pour les questions de laïcité. Chaque peuple décide ! Arrêtez de désinformer les Français avec des fantasmes !
Philippe de Villiers.- La Charte des droits fondamentaux n'est pas un fantasme. Elle aura valeur constitutionnelle ! Et de toute façon, en cas de conflit d'interprétation, c'est la Cour de justice qui tranchera, et l'on connaît sa jurisprudence constante en matière de droit des minorités... Quant au refus de reconnaître les racines chrétiennes de l'Europe, c'est tout sauf un procès d'intention : elle résulte d'une demande express du gouvernement français...
Valeurs Actuelles.- Puisque nous sommes dans le coeur du texte, restons-y. Il existe, dans le camp du "non" et dans le camp du "oui", deux ambiguïtés majeures. Les défenseurs de la Constitution la présentent, en effet, comme le seul moyen de sortir du traité de Nice qu'ils présentaient, en 2000, comme le meilleur traité possible. Qui faut-il croire ? Les pro-européens d'hier ou ceux d'aujourd'hui ? Quant aux tenants du "non", qui ont toujours critiqué le caractère irréversible des traités européens successifs, comment se fait-il qu'ils ne reconnaissent pas à la Constitution le mérite de prévoir une clause de sortie explicite de l'Union, disposition radicalement nouvelle dans l'histoire de la construction européenne ?
Jean-François Copé.- Le traité de Nice était un compromis. Chacun avait bien conscience qu'il était nécessaire mais qu'il fallait continuer à progresser dans le sens d'un fonctionnement plus démocratique et plus efficace, dès lors que l'élargissement portait l'Europe de quinze à vingt-cinq membres. C'est ce constat qui a poussé la France à réclamer un traité constitutionnel clarifiant les compétences de l'Union et celles des États. Et la France a eu gain de cause !
Voici pourquoi j'ose dire que ce traité est non seulement conforme à ce que nous avions demandé, mais aussi qu'il est la transposition, à l'échelle européenne, du modèle français que nous défendons, au triple point de vue du politique, de l'économique et du social.
Politique ? Il fallait renforcer à la fois les instances exécutives et législatives de l'Union afin d'encadrer et de contrôler ce que les anti-européens dénoncent comme la technocratie bruxelloise. C'est chose faite avec la Constitution, qui donne au Conseil et au Parlement, donc aux politiques, le dernier mot sur les technocrates.
Economique ? Nous disposons enfin des instruments qui nous manquaient pour harmoniser, en Europe, les conditions de la concurrence dans un ensemble de 450 millions de consommateurs et d'investisseurs, d'employeurs et de salariés.
Social ? Jamais la protection sociale et juridique des travailleurs, mais aussi les garanties offertes sur la défense des services publics, qui est la marque du modèle français, n'a été inscrite aussi clairement dans un traité.
Philippe de Villiers.- C'est sans doute pourquoi Tony Blair vote des deux mains la Constitution et M. Frits Bolkestein avec lui...
Jean-François Copé.- Une Constitution est un cadre, chacun peut y trouver des instruments pour mener la politique qu'il souhaite dans le respect de ses partenaires ! L'Europe, voyez-vous, je la conçois, moi, comme un formidable espace de liberté. Et comme je suis de droite, je mets la liberté au rang de valeur suprême. Comment ne pas voir qu'en organisant l'Europe nous nous donnons les moyens de décupler cette liberté en tissant des liens nouveaux avec des peuples qui, pour ne parler que de l'Europe centrale et orientale, ont justement été à la pointe du combat pour la liberté en se libérant du joug communiste !
Ce n'est pas en s'isolant que la France pèsera, c'est en saisissant l'occasion de nouveaux marchés et de nouvelles alliances. C'est quand on se confronte aux autres qu'on a le plus de chances d'exporter son modèle, pas en leur disant "non"...
Valeurs Actuelles.- Il nous semblait pourtant que la majorité élue en 2002 l'avait été pur réformer ce modèle social français, non pour le couler dans le marbre ?
Jean-François Copé.- Il y a, dans le modèle français, des acquis sociaux à conserver et d'autres à réformer. Le mérite de la Constitution est qu'elle fixe un cadre unique pour 450 millions d'habitants, mais qu'elle laisse aux États tout le loisir de réformer ce qui doit l'être. Nous ne nous en sommes pas privés, ni pour les retraites, ni pour l'assurance maladie, personne ne peut nous dénier ce courage !
Philippe de Villiers.- Je réponds d'abord sur la clause de sortie de l'Union. Pour moi, ce n'est qu'un leurre : une liberté formelle destinée à habiller une mise sous tutelle à vocation irréversible. La seule clause de sortie qui vaille, c'est de dire non tout de suite. Ce n'est pas d'attendre d'être prisonniers !
Car enfin, qu'est-ce qu'une Constitution ? C'est la loi suprême qu'un peuple souverain se donne pour conférer un statut à son État. On trouve dans celle que vous défendez toutes les caractéristiques d'une nouvelle puissance publique, supra-étatique : lois, ministres et toutes les matières constitutives de la souveraineté. En dehors de la défense - mais pour combien de temps encore ? -, pas un domaine d'action, régalien ou secondaire, n'échappe au contrôle étroit de Bruxelles, à commencer par la maîtrise de nos frontières qui nous est retirée. Les parlements nationaux gagnent un droit d'avis, mais perdent celui de faire la loi. A Bruxelles le pouvoir de décider, aux élus du peuple, celui de protester !
Quant à la Constitution de 1958, qui jusqu'alors était la norme suprême de notre démocratie, elle est désormais soumise à la norme européenne, en vertu de l'article I-6 du nouveau traité. Et vous osez, après cela, expliquer aux Français qu'ils auront encore leur mot à dire ? Déjà, quand nous voulons baisser la TVA pour les restaurateurs en vertu d'une promesse présidentielle, Bruxelles nous en empêche... Comment imaginer que notre liberté d'action va se trouver renforcée dans le cadre d'un système encore plus centralisé ?
Je pose donc la question à Jean-François Copé : comment le gouvernement français, qui n'a pas été en mesure d'avoir le dernier mot sur quelques points de TVA, compte-t-il empêcher les 700 000 immigrants clandestins que l'Espagne vient de régulariser de venir s'installer chez nous alors qu'il n'existe plus de contrôle fixe aux frontières et que la Constitution européenne prévoit la mise en commun de toutes les politiques migratoires ?
Jean-François Copé.- Toujours la peur, toujours le cataclysme ! Comment pouvez-vous dire que la politique d'immigration va nous échapper alors que l'article 267 rappelle très clairement que les différentes politiques européennes menées "n'affectent pas le droit des États-membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers sur leur territoire" ?
Philippe de Villiers.- L'article 267 dit cela après avoir précisé que "l'Union développe une politique commune de l'immigration" qui s'applique, je cite, "aux conditions d'entrée et de séjour ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres des visas et titres de séjour de longue durée, y compris aux fins de regroupement familial"... Que signifient des quotas quand les frontières sont elles-mêmes abolies par l'article 265 ?
Jean-François Copé.- Vous sortez un alinéa de son contexte ! Voyez comment fonctionnent les partisans du "non" ! Croyez-vous d'ailleurs, M. de Villiers, que la France peut, seule, régler le problème de l'immigration en Europe ?
Le vrai danger pour la France n'est pas d'accepter des règles du jeu égales pour tous ; il est qu'après avoir été, pendant tant d'années, un moteur de l'Europe, la France si elle vote "non" verra tout ce que nous avons patiemment construit depuis cinquante ans voler en éclats... Je le dis en conscience, ce serait un discrédit pour la France aux yeux de l'Europe.
Vous parlez d'électrochoc en cas de victoire du "non" ? Je préfère parler, moi, d'un formidable retour en arrière ; si le traité est repoussé, c'est vous, M. de Villiers, qui allez partir le renégocier, en compagnie de M. Mélenchon et de Mme Laguiller ?
Philippe de Villiers.- Ou vous, avec M. Cohn-Bendit et M. Hollande ?
Jean-François Copé.- Vous imaginez que si la France dit "non", nos partenaires qui nous ont déjà beaucoup cédé, notamment en matière de politique agricole commune, ne vont pas nous le faire payer, continuer l'Europe sans nous et sur notre dos ?
Philippe de Villiers.- Vous êtes en train de nous dire que nous serons punis ? Belle leçon de démocratie...
Jean-François Copé.- La démocratie, c'est aussi la responsabilité ! La vérité,, c'est qu'en cas de victoire du "non" nous n'aurons pas le règlement de copropriété dont nous avons tous besoin pour nous développer harmonieusement et que nous serons en position de faiblesse pour peser dans le sens que nous souhaitons. La chance de la France, c'est de rester un élément moteur dans un ensemble de 450 millions d'habitants régi par des règles politiques, économiques et sociales communes, qui nous permettront de peser enfin face aux États-Unis et à la Chine...
Philippe de Villiers.- En continuant à ouvrir nos frontières à tour de bras, tout cela est très logique...
Valeurs Actuelles.- A propos de règles sociales communes, M. Copé peut-il nous expliquer ce qui s'est vraiment passé avec la directive Bolkestein, condamnée aujourd'hui par le gouvernement mais à laquelle Michel Barnier, alors commissaire à Bruxelles, avait été associé ?
Jean-François Copé.- Première remarque : il ne s'agit pas d'une directive mais d'un projet, préparé bien avant la rédaction de la Constitution. Ils n'ont donc aucun rapport. D'autre part, pour que cette directive soit appliquée elle aurait requis l'approbation du Parlement et du Conseil européens. Avant même cette phase ultime, nous avons pu obtenir, grâce à Jacques Chirac, que cette proposition de directive soit complètement réécrite.
Valeurs Actuelles.- Mais ce projet de directive, Michel Barnier l'avait accepté ?
Jean-François Copé.- Michel Barnier, dans le cadre de ses fonctions d'alors, faisait partie d'un ensemble collégial. Il ne parlait pas au nom de la France ! N'essayez pas de le mettre en cause.
Pour moi, le problème de la directive Bolkestein, ce n'est pas la responsabilité de tel ou tel, c'est celui de la responsabilité des instances de décision de l'Union européenne. Or sur ce point, force est de constater que la mécanique politique communautaire a bien fonctionné : la directive Bolkestein a été arrêtée.
J'ajoute qu'en faisant passer les droits de vote de la France de 8 à 13 % au Conseil, la Constitution européenne renforce notre pouvoir de décision. En votant "oui", on se donne les moyens d'éviter des directives de ce type.
Philippe de Villiers.- Trois remarques. D'abord, on ne défend pas ses intérêts avec 13 % des voix. On les défend en posant son veto. Sinon, c'est la roulette russe... Et demain, peut-être, la roulette turque puisque, l'influence des États étant indexée sur leur poids démographique, celle-ci bénéficiera pleinement de ce principe.
Jean-François Copé.- Encore la Turquie !
Philippe de Villiers.- Ca vous gêne ! Et puis je ne peux pas vous laisser dire que la directive a été retirée. Le communiqué officiel de la Commission en date du 23 mars 2005 le dit clairement : "La directive ne sera pas retirée. Seule la Commission pourrait le faire. Le Conseil européen n'a pas le droit de donner des injonctions de ce type à la Commission...".
Enfin et surtout, c'est un mensonge de prétendre que le gouvernement français a toujours été contre son principe : le 13 février 2003, l'UMP et le PS ont voté comme un seul homme au Parlement européen une motion pour donner une base juridique à la directive Bolkestein. L'UMP aurait-elle voté pour sans le consentement du gouvernement ?
Quant à prétendre que, dans le cadre de la Constitution, tout serait plus facile, c'est pareillement faux : alors que, dans la plupart des domaines, on passe de la règle de l'unanimité à celle de la majorité, l'unanimité n'est plus requise que dans un seul cas : pour obtenir le retrait d'une directive - pardon, d'une loi ! - émanant de la Commission. Donc, mission impossible !
Bref, un pays qui perd la maîtrise de ses lois avec l'article 6, celle des frontières avec les articles 265 et suivants, la maîtrise de sa politique étrangère avec la fin programmée de son siège à l'Onu, contenue dans l'article 305, que lui reste-t-il ? Ses yeux pour pleurer, des banderoles pour manifester, et un gouvernement pour prendre le Thalys vers Bruxelles, avec la robe de bure des suppliants...
Jean-François Copé.- Alors là, chapeau ! C'est un beau récit de science-fiction, mais ce n'est pas l'histoire de la Constitution. Quand je la lis, j'y vois, moi, l'inverse de ce que vous décrivez : j'y vois une Europe qui prend ses responsabilités vis-à-vis de l'extérieur et qui laisse aux États les leurs dans toute une série de domaines essentiels, tels l'immigration, la sécurité ou le terrorisme.
Philippe de Villiers.- Les Français vont lire le texte. Le vrai, pas celui que le gouvernement a cru utile de leur résumer dans le document de propagande qu'ils vont recevoir dans leur boîte aux lettres. Et ils verront bien lequel de nous deux raconte des histoires...
Valeurs Actuelles.- Pratiquement, si le "oui" l'emporte - les conséquences d'un "non" ont déjà été largement évoquées -, comment le gouvernement tirera-t-il parti de la Constitution, que M. Copé vient de décrire comme un formidable instrument ?
Jean-François Copé.- Nous utiliserons la Constitution comme un multiplicateur d'influence dans tous les grands domaines de l'action publique. La sécurité, bien sûr - et à ce sujet, les outils que prévoit la Constitution contre le terrorisme et les trafics en tout genre sont des éléments majeurs -, mais aussi l'emploi et l'action économique. L'harmonisation fiscale et sociale sera essentielle dans la perspective de nos échanges avec les dix nouveaux pays de l'Est, qui constituent pour nous une formidable réserve de croissance et d'investissement si nous savons l'utiliser. Savez-vous par exemple que la France est le premier pays investisseur en Pologne ?
Enfin et surtout, l'adoption de la Constitution européenne scellera le grand retour de la politique. Le pouvoir des chefs d'État et de gouvernement sera renforcé : M. de Villiers devrait être le premier à s'en réjouir au lieu d'inventer des dangers qui n'existent pas, relayés par ses alliés du moment, de l'extrême gauche à l'extrême droite.
Philippe de Villiers.- Je ne suis pas plus allié avec Mme Laguiller que vous ne l'êtes avec M. Cohn-Bendit. Je dis ce que j'estime indispensable à l'information des citoyens, auxquels je ne demande pas ce qu'ils votent à telle ou telle élection.
Car si le "oui" l'emporte, il remettra en question trois principes essentiels pour l'équilibre de notre société.
D'abord, le principe même de l'Europe, dont les racines ont été niées pour mieux l'ouvrir à ce qui n'est pas elle, à commencer par la Turquie. Ensuite, le principe même de la souveraineté nationale, je l'ai dit. Et sans même la perspective de troquer cet abandon contre un surcroît de prospérité, puisque l'Europe ouverte que vous préconisez est une Europe offerte. Si l'Europe nous protégeait de l'immigration massive et de délocalisations industrielles, ça se saurait. Demandez aux salariés du textile s'ils ont envie de pousser plus loin l'expérience.
Enfin, et ce sera mon dernier mot, le principe même de la famille sera mis en cause : il suffit, pour s'en persuader, de lire la déclaration des associations homosexuelles qui ont annoncé solennellement, le lundi de Pâques, qu'elles voteraient "oui" en vertu des articles I-2 et 124 qui permettent, à terme, l'adoption des enfants par les couples homosexuels, au nom de la non-discrimination...
Jean-François Copé.- Désinformation ! L'article II-69 précise que "le droit de se marier et de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice". Ce n'est pas l'Europe, mais bien chaque État qui continuera d'appliquer le droit du mariage comme il l'entend...
Philippe de Villiers.- Tant que Bruxelles et la Cour de justice, interprète suprême des traités, ne décideront pas de modifier ce droit de la famille, en vertu de l'article I-6 qui pose le principe que le droit adopté par les institutions européennes prime le droit des États membres. Les textes sont faits pour être appliqués. C'est pourquoi je ne veux pas de cette Constitution !
(Source http://www.mpf-villiers.com, le 2 mai 2005)