Texte intégral
E. Cugny - Nous recevons ce matin le garde des Sceaux. D. Perben bonjour.
R - Bonjour.
Q - L'affaire Julia est relancée avec l'appel à l'aide F. Aubenas dans une cassette transmise hier à l'agence Reuter. La journaliste de Libération en appelle directement, on l'a vu, au député UMP, qui s'était déjà illustré dans une tentative de libération de Malbrunot et Chesnot. Dans le quotidien Aujourd'hui en France, ce matin, D. Julia demande au ministre des Affaires étrangères de retirer sa plainte contre lui. Où en est le dossier ?
R - D'abord je voudrais dire l'émotion qu'on a tous ressenti ce matin en voyant les photos de F. Aubenas. Il se trouve que je la connaissais, je la connais, puisqu'elle a suivi un certain nombre d'affaires de justice, un certain nombre de grands procès. Elle semble effectivement souffrir à la fois physiquement et psychologiquement. Alors où en est cette affaire ? Vous le savez hier, M. Barnier a indiqué que la cassette était à l'examen, c'est-à-dire que les services spécialisés sont en train d'essayer d'en retirer des éléments d'information. Pour le reste, moi je dirais simplement que dans une affaire comme celle-là, personne ne peut agir seul. Il faut que la démarche soit à la fois collective et professionnelle. Je pense que c'est de cette façon là que les otages journalistes précédents avaient pu être libérés, et je pense que c'est en travaillant d'une manière collective et encore une fois très professionnelle qu'on peut avancer.
Q - Alors cette affaire judiciaire, D. Julia visé par une information judiciaire après sa tentative avortée. Le député est toujours en attente d'une convocation du juge antiterroriste J.-L. Bruguière. Julia qui propose des dates à Bruguière qui ne donne pas suite. Ca sent un petit peu l'enlisement non ?
R - Ecoutez il a été convoqué, il n'est pas venu aux dates qui lui avaient été proposées. Je pense qu'il se rendra devant le juge à une date dont ils pourront définir ensemble de la précision. Pour le reste, contrairement à ce qu'insinue monsieur Julia, il a tout à fait sa liberté de déplacement, d'aller et de venir.
Q - Mais il n'a plus de passeport quand même.
R - Bien sur que si.
Q - Il a toujours son passeport ?
R - Bien sur que si, il n'y a aucune mesure actuellement de contrôle judiciaire sur monsieur Julia.
Q - Donc il peut se rendre en Irak quand bon lui semble ?
R - Encore faut-il avoir un visa bien entendu.
Q - Donc ça c'est une autre affaire. Le cas de P. Brett et P. Evanno est réglé puisque eux, sont mis en examen. En tous cas, nouvel imbroglio pour le gouvernement français. Vous craigniez des récurrences politiques ? J.-P. Raffarin n'a pas besoin de cela en ce moment.
R - Ecoutez je ne crois pas qu'il faille parler d'imbroglio politique. Moi je ne connais pas l'identité des ravisseurs, comme cela a été dit tout à l'heure par un de vos observateurs. Il est clair que ces gens connaissent un petit peu la politique française. Peut-être veulent-ils en jouer. Je crois que derrière tout cela, il faut rester extrêmement calme, extrêmement déterminé. Nous avons des services spécialisés qui ont d'ailleurs été renforcés dans la région, il faut travailler de façon extrêmement méthodique, suivre toutes les filières possibles. Et je suis convaincu qu'avec cette détermination, cette volonté d'aboutir, nous parviendrons à libérer et à faire libérer F. Aubenas. Et c'est ça qui est important.
Q - Dernière question sur ce sujet, monsieur le ministre, les services spéciaux français privilégient une piste, la piste syrienne en l'occurrence. Vous confirmez ?
R - Vous comprendrez que je ne dirais rien de ce type ici, à l'antenne. La seule chose qui compte, c'est la vie de F. Aubenas et c'est la possibilité qu'elle puisse être libérée.
Q - Alors parlons de l'actualité qui est la votre en ce moment, D. Perben. Les députés examinent depuis hier après midi la réforme du droit des faillites, autrement dit le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises. Objectif central, c'est de permettre aux chefs d'entreprise de prévenir la casse, si on faut court. Votre initiative est partie d'un constat, trop d'entreprises et essentiellement des PME d'ailleurs disparaissent chaque année.
R - Il y a 150 000 emplois qui sont détruits du fait de faillites chaque année. J'estime qu'on peut en sauver vraiment avec le texte que je propose, au moins le tiers, c'est-à-dire au moins 50 000 emplois par an. Toutes ces entreprises, c'est un gâchis, un gâchis humain d'abord pour les salariés, un gâchis aussi en terme de dynamisme économique. Et lorsqu'il y a plus de 2 ans maintenant, 2 ans et demi, j'avais fait un peu le tour des partenaires économiques et sociaux, aussi bien au niveau national qu'au niveau des différentes régions, le constat général était toujours le même : les lois de 84/85 qui avaient 20 ans d'age sont obsolètes aujourd'hui. Il fallait les modifier. Alors quel est le principe de la réforme que je défends en ce moment à l'Assemblée nationale ? C'est de pouvoir anticiper. C'est-à-dire il faut créer les conditions d'une confiance telle que le chef d'entreprise, lorsqu'il commence à rencontrer des difficultés, n'attende pas je dirais que les choses s'aggravent, et prenne lui-même l'initiative grâce à une conciliation ou grâce à une mise en sauvegarde de discuter avec ses créanciers, et de rétablir la situation de l'entreprise. Et qu'on n'attende pas la cessation de paiement et qu'on n'aille pas uniquement vers le redressement judiciaire et ensuite la liquidation.
Q - Vous avez directement copié le système américain, le fameux "Chapter 11".
R - Oui enfin l'esprit est le même mais les modalités n'ont franchement pas grand chose à voir les unes avec les autres. J'étais allé voir personnellement le mécanisme américain mais je ne l'ai vraiment pas transposé car on est là bas dans un contexte juridique, économique très différent. Non, l'idée qui est commune, c'est effectivement cette idée de sauvegarde, c'est-à-dire de se mettre en quelque sorte en situation de pouvoir ne pas respecter ses échéances mais après une discussion avec ses créanciers et avec la validation du juge.
Q - Alors on voit tout de suite quand même les commentaires de certains, la loi Perben c'est la porte ouverte à toutes les facéties de la part des patrons qui vont en profiter pour dégraisser à la moindre occasion, et en invoquant leurs difficultés.
R - Franchement, ce type de critiques n'est vraiment pas sérieux. Je veux dire, nous avons aujourd'hui une réalité, nous avons la réalité que nous savons bien que les responsables d'entreprise et en particulier ceux des PME - c'est essentiellement aux PME que s'adresse ma loi - ne vont pas spontanément vers les procédures collectives, vers le tribunal de commerce. Et c'est donc en créant ces deux dispositifs nouveaux - conciliation et sauvegarde - je mets à leur disposition la possibilité non seulement de sauver leur entreprise, mais aussi de sauver les emplois. Et donc c'est vraiment un dispositif dont la finalité économique est très grande. Il faut faire moins de judiciaire et plus d'économie.
Q - Quelle est la différence, conciliation avec le système existant ?
R - La conciliation ressemble un petit peu à des dispositifs qui jusqu'ici étaient de fait existants dans certains tribunaux de commerce. La conciliation, c'est la possibilité pour le chef d'entreprise de discuter avec ses créanciers et puis d'arriver à un accord, et puis de le faire valider par le juge. C'est-à-dire d'obtenir soit des remises de dette, soit des échelonnements, soit de l'argent frais, c'est très important. C'est-à-dire qu'on rend possible le fait qu'un banquier apporte de l'argent supplémentaire avec bien sûr une certaine protection de cet argent qui est apporté dans l'entreprise en un moment où il y a un risque de perdre cette mise. Donc c'est vraiment un dispositif qui est orienté vers la préservation de l'emploi.
Q - Donc exit le règlement à l'amiable ?
R - La conciliation, c'est un peu une reprise du règlement à l'amiable. D'accord, donc une autre version. En tout cas, le message est clair : il s'agit d'avoir une approche économique et non systématiquement judiciaire.
R - Il faut éviter d'aller trop vite vers le judiciaire et il faut à toute force anticiper pour éviter la casse.
Q - Alors autre innovation du texte, un chef d'entreprise qui a fait faillite pourra se relancer dans une autre entreprise sans période probatoire. Est-ce que ce n'est pas un petit risque ça ?
R - Alors ce que je veux, c'est faire en sorte qu'on fasse enfin la différence dans notre pays entre le patron malhonnête qui doit être sanctionné et qui doit l'être à la suite d'une procédure contradictoire, conformément aux grands principes du droit, et puis le patron, qui lui n'est pas malhonnête, mais qui, parce qu'il y a eu un retournement du marché, se trouve malheureusement en difficulté. Or ces patrons-là, il faut leur donner une seconde chance. Pourquoi ? D'abord pour eux bien entendu et puis aussi, pour notre économie. Nous avons besoin de gens susceptibles de prendre des risques, susceptibles de créer des entreprises, susceptibles d'aller de l'avant et de créer des emplois.
Q - Il n'y a pas que des patrons voyous.
R - Il faut sanctionner les patrons voyous et donner une deuxième chance aux patrons honnêtes. Voilà. C'est l'esprit de ce texte et il y a des mesures très concrètes qui sont prévues dans ce dispositif et je crois que c'est aussi un message en direction, par exemple, des jeunes qui ont envie de créer une entreprise. Il faut savoir qu'une entreprise créée a une très forte chance - 50 % de chance - pour que dans les 5 ans elle ait des difficultés. Mais il ne faut pas que ces difficultés probables fassent renoncer ceux qui ont envie de créer des emplois et de créer des entreprises.
Q - Si on doit retenir une mesure phare de ce texte ?
R - C'est la conciliation et la sauvegarde. C'est-à-dire cette idée d'anticiper.
Q - Les professions libérales sont également concernées ?
R - Alors l'autre caractéristique de ce texte c'est qu'enfin, les procédures dites collectives - c'est-à-dire ces dispositifs dont nous parlons depuis quelques minutes qui permettent à quelqu'un qui est responsable d'une entreprise d'avoir des réponses à ces difficultés financières - ces procédures seront ouvertes aux professions libérales qui jusqu'ici n'avaient pas la possibilité d'avoir accès à ces procédures.
Q - Approche plus économique que judiciaire. On imagine que vos services ont travaillé en étroite collaboration avec Bercy. Cela a commencé sous F. Mer et puis se poursuit donc sous T. Breton. Entre temps il y a eu Sarkozy, Gaymard. Il n'y a jamais eu de divergences de vue sur l'approche de ce dossier, le garde des Sceaux qui s'intéresse au volet économique ?
R - Nous travaillons bien entendu en étroite liaison mais le ministère de la Justice, ce n'est pas seulement le droit pénal, et le droit de la famille, c'est aussi le droit économique et, depuis 3 ans bientôt, j'ai, avec F. Mer, mis en place ce qu'on a appelé la loi de sécurité financière à la suite des scandales boursiers qui avaient secoué les Etats-Unis, pour protéger la France de ce type d'évènements. J'ai également pris un certain nombre d'ordonnances sur les valeurs immobilières et là, je suis engagé sur cette réforme du droit de la faillite. C'est de la responsabilité du ministère de la Justice. Je crois qu'il faut que cette maison soitvraiment le ministère du droit, mais on ne travaille pas tous seul bien entendu, et nous faisons tout un travail de préparation, de suivi avec le ministère de l'Economie et des Finances.
Q - Quand tout cela va t-il s'appliquer concrètement ?
R - Ce que j'espère, c'est que les débats parlementaires se dérouleront à l'Assemblée, puis au Sénat et puis retour à l'Assemblée je pense d'ici au 14 juillet. Si nous arrivons à un texte voté définitivement avant le 14 juillet, je m'engage à ce que les décrets d'application soient tous rédigés, mis en place, avant le 31 décembre 2005. Ce que je souhaite vraiment, c'est que cette loi puisse être applicable au 1er janvier 2006 car il y va de la préservation d'au moins 50 000 emplois par an.
Q - Vous avez eu un bon accueil de la part du Medef notamment ?
R - Ecoutez le travail a été très long, de préparation. Pendant deux ans, j'ai vu tout le monde, les organisations économiques comme le Medef, mais aussi les organisations de salariés. J'ai encore revu récemment l'ensemble des syndicats de salariés. Evidemment, tous les professionnels du droit qui participent à la vie économique, et sans pouvoir dire que tout le monde est d'accord sur tout, c'est très difficile, mais je dirais qu'il y a un large consensus. Un, sur les objectifs du texte, sur ses grands dispositifs et puis ensuite bien sûr, il y a encore des discussions. Il y aura des discussions avec l'Assemblée puis avec le Sénat sur un certain nombre de modalités. Mais ça c'est normal, c'est la vie parlementaire et il est bien normal que jusqu'au bout, il puisse y avoir des ajustements sur ce texte.
Q - Rapidement, deux sujets pour conclure. Demain, s'ouvre à Angers le plus grand procès d'assises jamais organisé en France. De nouveau le drame, l'horreur de la pédophilie au menu. Magistrats professionnels et jurés assistés psychologiquement. Est-ce que vous avez donné des directives précises pour éviter un nouvel Outreau ?
R - Je pense que ce procès - j'espère que ce procès - se déroulera dans de bonnes conditions. D'abord toutes les conditions matérielles ont été mises en place pour que cela se passe le mieux possible. J'ai souhaité comme je l'avais indiqué après l'affaire d'Outreau qu'un magistrat du parquet puisse faire uvre de pédagogie et explique en particulier à vos amis de la presse, le déroulé des choses. Pour le reste, j'espère que tout a été préparé dans de bonnes conditions, l'instruction, la préparation du procès. Ce que je veux simplement dite, c'est qu'au-delà de ce procès d'Angers qui une fois de plus nous montre beaucoup d'horreurs et de violences à l'intérieur des familles, il nous faut continuer à améliorer l'écoute de la parole de l'enfant. C'est ce que nous faisons avec les systèmes de signalement que j'ai mis en place avec les services sociaux, les lieux pour entendre dans de bonnes conditions de sécurité juridique la parole de l'enfant. Et puis il faut que tout ensemble, justice mais aussi services sociaux et Education nationale, nous fassions en sorte d'être alertés suffisamment vite pour éviter qu'on en arrive à des horreurs comme celles-là.
Q - Alors la violence au quotidien contre les enfants, intolérable évidemment, c'est aussi celle des femmes battues. La violence conjugale, un autre de vos sujets de préoccupation.
R - Oui une femme sur dix en France dit qu'elle a été l'objet de violences à l'intérieur de la famille et je présenterai dans quelques heures un clip que les grandes télévisions ont accepté de diffuser et qui est un clip, je dirais, de cri d'alarme contre la violence conjugale. Les images sont pédagogiquement très fortes parce que je souhaite que chacun prenne bien conscience de la gravité de cela. Nous n'avons pas le droit de rester silencieux quand on sait qu'une femme sur 10 est concernée.
Q - Donc c'est un clip qui sera diffusé sur les chaînes de télévision ?
R - Sur toutes les chaînes de télévision...
Q - A n'importe quelle heure malgré la violence des images ?
R - Oui mais ces images sont à la fois très fortes, mais elles n'ont évidemment rien de vulgaire.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 mars 2005)
R - Bonjour.
Q - L'affaire Julia est relancée avec l'appel à l'aide F. Aubenas dans une cassette transmise hier à l'agence Reuter. La journaliste de Libération en appelle directement, on l'a vu, au député UMP, qui s'était déjà illustré dans une tentative de libération de Malbrunot et Chesnot. Dans le quotidien Aujourd'hui en France, ce matin, D. Julia demande au ministre des Affaires étrangères de retirer sa plainte contre lui. Où en est le dossier ?
R - D'abord je voudrais dire l'émotion qu'on a tous ressenti ce matin en voyant les photos de F. Aubenas. Il se trouve que je la connaissais, je la connais, puisqu'elle a suivi un certain nombre d'affaires de justice, un certain nombre de grands procès. Elle semble effectivement souffrir à la fois physiquement et psychologiquement. Alors où en est cette affaire ? Vous le savez hier, M. Barnier a indiqué que la cassette était à l'examen, c'est-à-dire que les services spécialisés sont en train d'essayer d'en retirer des éléments d'information. Pour le reste, moi je dirais simplement que dans une affaire comme celle-là, personne ne peut agir seul. Il faut que la démarche soit à la fois collective et professionnelle. Je pense que c'est de cette façon là que les otages journalistes précédents avaient pu être libérés, et je pense que c'est en travaillant d'une manière collective et encore une fois très professionnelle qu'on peut avancer.
Q - Alors cette affaire judiciaire, D. Julia visé par une information judiciaire après sa tentative avortée. Le député est toujours en attente d'une convocation du juge antiterroriste J.-L. Bruguière. Julia qui propose des dates à Bruguière qui ne donne pas suite. Ca sent un petit peu l'enlisement non ?
R - Ecoutez il a été convoqué, il n'est pas venu aux dates qui lui avaient été proposées. Je pense qu'il se rendra devant le juge à une date dont ils pourront définir ensemble de la précision. Pour le reste, contrairement à ce qu'insinue monsieur Julia, il a tout à fait sa liberté de déplacement, d'aller et de venir.
Q - Mais il n'a plus de passeport quand même.
R - Bien sur que si.
Q - Il a toujours son passeport ?
R - Bien sur que si, il n'y a aucune mesure actuellement de contrôle judiciaire sur monsieur Julia.
Q - Donc il peut se rendre en Irak quand bon lui semble ?
R - Encore faut-il avoir un visa bien entendu.
Q - Donc ça c'est une autre affaire. Le cas de P. Brett et P. Evanno est réglé puisque eux, sont mis en examen. En tous cas, nouvel imbroglio pour le gouvernement français. Vous craigniez des récurrences politiques ? J.-P. Raffarin n'a pas besoin de cela en ce moment.
R - Ecoutez je ne crois pas qu'il faille parler d'imbroglio politique. Moi je ne connais pas l'identité des ravisseurs, comme cela a été dit tout à l'heure par un de vos observateurs. Il est clair que ces gens connaissent un petit peu la politique française. Peut-être veulent-ils en jouer. Je crois que derrière tout cela, il faut rester extrêmement calme, extrêmement déterminé. Nous avons des services spécialisés qui ont d'ailleurs été renforcés dans la région, il faut travailler de façon extrêmement méthodique, suivre toutes les filières possibles. Et je suis convaincu qu'avec cette détermination, cette volonté d'aboutir, nous parviendrons à libérer et à faire libérer F. Aubenas. Et c'est ça qui est important.
Q - Dernière question sur ce sujet, monsieur le ministre, les services spéciaux français privilégient une piste, la piste syrienne en l'occurrence. Vous confirmez ?
R - Vous comprendrez que je ne dirais rien de ce type ici, à l'antenne. La seule chose qui compte, c'est la vie de F. Aubenas et c'est la possibilité qu'elle puisse être libérée.
Q - Alors parlons de l'actualité qui est la votre en ce moment, D. Perben. Les députés examinent depuis hier après midi la réforme du droit des faillites, autrement dit le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises. Objectif central, c'est de permettre aux chefs d'entreprise de prévenir la casse, si on faut court. Votre initiative est partie d'un constat, trop d'entreprises et essentiellement des PME d'ailleurs disparaissent chaque année.
R - Il y a 150 000 emplois qui sont détruits du fait de faillites chaque année. J'estime qu'on peut en sauver vraiment avec le texte que je propose, au moins le tiers, c'est-à-dire au moins 50 000 emplois par an. Toutes ces entreprises, c'est un gâchis, un gâchis humain d'abord pour les salariés, un gâchis aussi en terme de dynamisme économique. Et lorsqu'il y a plus de 2 ans maintenant, 2 ans et demi, j'avais fait un peu le tour des partenaires économiques et sociaux, aussi bien au niveau national qu'au niveau des différentes régions, le constat général était toujours le même : les lois de 84/85 qui avaient 20 ans d'age sont obsolètes aujourd'hui. Il fallait les modifier. Alors quel est le principe de la réforme que je défends en ce moment à l'Assemblée nationale ? C'est de pouvoir anticiper. C'est-à-dire il faut créer les conditions d'une confiance telle que le chef d'entreprise, lorsqu'il commence à rencontrer des difficultés, n'attende pas je dirais que les choses s'aggravent, et prenne lui-même l'initiative grâce à une conciliation ou grâce à une mise en sauvegarde de discuter avec ses créanciers, et de rétablir la situation de l'entreprise. Et qu'on n'attende pas la cessation de paiement et qu'on n'aille pas uniquement vers le redressement judiciaire et ensuite la liquidation.
Q - Vous avez directement copié le système américain, le fameux "Chapter 11".
R - Oui enfin l'esprit est le même mais les modalités n'ont franchement pas grand chose à voir les unes avec les autres. J'étais allé voir personnellement le mécanisme américain mais je ne l'ai vraiment pas transposé car on est là bas dans un contexte juridique, économique très différent. Non, l'idée qui est commune, c'est effectivement cette idée de sauvegarde, c'est-à-dire de se mettre en quelque sorte en situation de pouvoir ne pas respecter ses échéances mais après une discussion avec ses créanciers et avec la validation du juge.
Q - Alors on voit tout de suite quand même les commentaires de certains, la loi Perben c'est la porte ouverte à toutes les facéties de la part des patrons qui vont en profiter pour dégraisser à la moindre occasion, et en invoquant leurs difficultés.
R - Franchement, ce type de critiques n'est vraiment pas sérieux. Je veux dire, nous avons aujourd'hui une réalité, nous avons la réalité que nous savons bien que les responsables d'entreprise et en particulier ceux des PME - c'est essentiellement aux PME que s'adresse ma loi - ne vont pas spontanément vers les procédures collectives, vers le tribunal de commerce. Et c'est donc en créant ces deux dispositifs nouveaux - conciliation et sauvegarde - je mets à leur disposition la possibilité non seulement de sauver leur entreprise, mais aussi de sauver les emplois. Et donc c'est vraiment un dispositif dont la finalité économique est très grande. Il faut faire moins de judiciaire et plus d'économie.
Q - Quelle est la différence, conciliation avec le système existant ?
R - La conciliation ressemble un petit peu à des dispositifs qui jusqu'ici étaient de fait existants dans certains tribunaux de commerce. La conciliation, c'est la possibilité pour le chef d'entreprise de discuter avec ses créanciers et puis d'arriver à un accord, et puis de le faire valider par le juge. C'est-à-dire d'obtenir soit des remises de dette, soit des échelonnements, soit de l'argent frais, c'est très important. C'est-à-dire qu'on rend possible le fait qu'un banquier apporte de l'argent supplémentaire avec bien sûr une certaine protection de cet argent qui est apporté dans l'entreprise en un moment où il y a un risque de perdre cette mise. Donc c'est vraiment un dispositif qui est orienté vers la préservation de l'emploi.
Q - Donc exit le règlement à l'amiable ?
R - La conciliation, c'est un peu une reprise du règlement à l'amiable. D'accord, donc une autre version. En tout cas, le message est clair : il s'agit d'avoir une approche économique et non systématiquement judiciaire.
R - Il faut éviter d'aller trop vite vers le judiciaire et il faut à toute force anticiper pour éviter la casse.
Q - Alors autre innovation du texte, un chef d'entreprise qui a fait faillite pourra se relancer dans une autre entreprise sans période probatoire. Est-ce que ce n'est pas un petit risque ça ?
R - Alors ce que je veux, c'est faire en sorte qu'on fasse enfin la différence dans notre pays entre le patron malhonnête qui doit être sanctionné et qui doit l'être à la suite d'une procédure contradictoire, conformément aux grands principes du droit, et puis le patron, qui lui n'est pas malhonnête, mais qui, parce qu'il y a eu un retournement du marché, se trouve malheureusement en difficulté. Or ces patrons-là, il faut leur donner une seconde chance. Pourquoi ? D'abord pour eux bien entendu et puis aussi, pour notre économie. Nous avons besoin de gens susceptibles de prendre des risques, susceptibles de créer des entreprises, susceptibles d'aller de l'avant et de créer des emplois.
Q - Il n'y a pas que des patrons voyous.
R - Il faut sanctionner les patrons voyous et donner une deuxième chance aux patrons honnêtes. Voilà. C'est l'esprit de ce texte et il y a des mesures très concrètes qui sont prévues dans ce dispositif et je crois que c'est aussi un message en direction, par exemple, des jeunes qui ont envie de créer une entreprise. Il faut savoir qu'une entreprise créée a une très forte chance - 50 % de chance - pour que dans les 5 ans elle ait des difficultés. Mais il ne faut pas que ces difficultés probables fassent renoncer ceux qui ont envie de créer des emplois et de créer des entreprises.
Q - Si on doit retenir une mesure phare de ce texte ?
R - C'est la conciliation et la sauvegarde. C'est-à-dire cette idée d'anticiper.
Q - Les professions libérales sont également concernées ?
R - Alors l'autre caractéristique de ce texte c'est qu'enfin, les procédures dites collectives - c'est-à-dire ces dispositifs dont nous parlons depuis quelques minutes qui permettent à quelqu'un qui est responsable d'une entreprise d'avoir des réponses à ces difficultés financières - ces procédures seront ouvertes aux professions libérales qui jusqu'ici n'avaient pas la possibilité d'avoir accès à ces procédures.
Q - Approche plus économique que judiciaire. On imagine que vos services ont travaillé en étroite collaboration avec Bercy. Cela a commencé sous F. Mer et puis se poursuit donc sous T. Breton. Entre temps il y a eu Sarkozy, Gaymard. Il n'y a jamais eu de divergences de vue sur l'approche de ce dossier, le garde des Sceaux qui s'intéresse au volet économique ?
R - Nous travaillons bien entendu en étroite liaison mais le ministère de la Justice, ce n'est pas seulement le droit pénal, et le droit de la famille, c'est aussi le droit économique et, depuis 3 ans bientôt, j'ai, avec F. Mer, mis en place ce qu'on a appelé la loi de sécurité financière à la suite des scandales boursiers qui avaient secoué les Etats-Unis, pour protéger la France de ce type d'évènements. J'ai également pris un certain nombre d'ordonnances sur les valeurs immobilières et là, je suis engagé sur cette réforme du droit de la faillite. C'est de la responsabilité du ministère de la Justice. Je crois qu'il faut que cette maison soitvraiment le ministère du droit, mais on ne travaille pas tous seul bien entendu, et nous faisons tout un travail de préparation, de suivi avec le ministère de l'Economie et des Finances.
Q - Quand tout cela va t-il s'appliquer concrètement ?
R - Ce que j'espère, c'est que les débats parlementaires se dérouleront à l'Assemblée, puis au Sénat et puis retour à l'Assemblée je pense d'ici au 14 juillet. Si nous arrivons à un texte voté définitivement avant le 14 juillet, je m'engage à ce que les décrets d'application soient tous rédigés, mis en place, avant le 31 décembre 2005. Ce que je souhaite vraiment, c'est que cette loi puisse être applicable au 1er janvier 2006 car il y va de la préservation d'au moins 50 000 emplois par an.
Q - Vous avez eu un bon accueil de la part du Medef notamment ?
R - Ecoutez le travail a été très long, de préparation. Pendant deux ans, j'ai vu tout le monde, les organisations économiques comme le Medef, mais aussi les organisations de salariés. J'ai encore revu récemment l'ensemble des syndicats de salariés. Evidemment, tous les professionnels du droit qui participent à la vie économique, et sans pouvoir dire que tout le monde est d'accord sur tout, c'est très difficile, mais je dirais qu'il y a un large consensus. Un, sur les objectifs du texte, sur ses grands dispositifs et puis ensuite bien sûr, il y a encore des discussions. Il y aura des discussions avec l'Assemblée puis avec le Sénat sur un certain nombre de modalités. Mais ça c'est normal, c'est la vie parlementaire et il est bien normal que jusqu'au bout, il puisse y avoir des ajustements sur ce texte.
Q - Rapidement, deux sujets pour conclure. Demain, s'ouvre à Angers le plus grand procès d'assises jamais organisé en France. De nouveau le drame, l'horreur de la pédophilie au menu. Magistrats professionnels et jurés assistés psychologiquement. Est-ce que vous avez donné des directives précises pour éviter un nouvel Outreau ?
R - Je pense que ce procès - j'espère que ce procès - se déroulera dans de bonnes conditions. D'abord toutes les conditions matérielles ont été mises en place pour que cela se passe le mieux possible. J'ai souhaité comme je l'avais indiqué après l'affaire d'Outreau qu'un magistrat du parquet puisse faire uvre de pédagogie et explique en particulier à vos amis de la presse, le déroulé des choses. Pour le reste, j'espère que tout a été préparé dans de bonnes conditions, l'instruction, la préparation du procès. Ce que je veux simplement dite, c'est qu'au-delà de ce procès d'Angers qui une fois de plus nous montre beaucoup d'horreurs et de violences à l'intérieur des familles, il nous faut continuer à améliorer l'écoute de la parole de l'enfant. C'est ce que nous faisons avec les systèmes de signalement que j'ai mis en place avec les services sociaux, les lieux pour entendre dans de bonnes conditions de sécurité juridique la parole de l'enfant. Et puis il faut que tout ensemble, justice mais aussi services sociaux et Education nationale, nous fassions en sorte d'être alertés suffisamment vite pour éviter qu'on en arrive à des horreurs comme celles-là.
Q - Alors la violence au quotidien contre les enfants, intolérable évidemment, c'est aussi celle des femmes battues. La violence conjugale, un autre de vos sujets de préoccupation.
R - Oui une femme sur dix en France dit qu'elle a été l'objet de violences à l'intérieur de la famille et je présenterai dans quelques heures un clip que les grandes télévisions ont accepté de diffuser et qui est un clip, je dirais, de cri d'alarme contre la violence conjugale. Les images sont pédagogiquement très fortes parce que je souhaite que chacun prenne bien conscience de la gravité de cela. Nous n'avons pas le droit de rester silencieux quand on sait qu'une femme sur 10 est concernée.
Q - Donc c'est un clip qui sera diffusé sur les chaînes de télévision ?
R - Sur toutes les chaînes de télévision...
Q - A n'importe quelle heure malgré la violence des images ?
R - Oui mais ces images sont à la fois très fortes, mais elles n'ont évidemment rien de vulgaire.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 mars 2005)