Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à France 2 le 5 février 2004, sur l'examen du projet de loi sur la laïcité à l'Assemblée nationale et sur la décision d'Alain Juppé de conserver ses responsabilités politiques jusqu'à l'appel de sa condamnation en première instance.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- F. Laborde-. Nous allons d'abord parler laïcité, puisque le débat a débuté à l'Assemblée nationale. Et puis nous reviendrons sur les suites du verdict à l'encontre d'A. Juppé et sa décision de rester dans la vie politique française. La Laïcité, l'ouverture du débat, hier, sur quelle tonalité cela s'est-il passé ?
R- "Je crois que c'est une tonalité qui tend à être consensuelle. Globalement et politiquement, tout le monde est d'accord pour marquer un principe sur cette question."
Q- L'idée est que l'on garde effectivement cette loi, avec tout de même un amendement, car on va demander à chaque fois aux chefs d'établissements ou aux proviseurs, si effectivement, un élève arrive avec des signes...
R- "D'avoir un dialogue. Cela allait de soi, mais ça va encore mieux en le disant, j'en conviens volontiers. Mais par le passé déjà, il y avait de toute façon un dialogue et c'est indispensable."
Q-Mais ce dialogue n'empêche pas l'application de la loi, en aucune façon ?
R- "Non, au contraire, mais il peut permettre de l'appliquer, peut-être avec plus de douceur, plus de compréhension aussi. Ce sont des adolescentes, il faut les traiter comme telles."
Q- Pourquoi la question des hôpitaux, puisqu'elle va être amenée, mérite-t-elle une deuxième loi ? Il n'est pas possible de faire tout dans la même loi, il faut un deuxième projet ?
R- "Ce n'est pas un principe de laïcité, c'est un principe médical, donc les choses doivent être traitées séparément."
Q- Et ce deuxième texte vise aussi à appliquer la laïcité, en tout cas à l'hôpital ?
R- "Elle va permettre surtout de ne pas avoir de discrimination et aussi d'être efficace, simplement dans le service. Parce qu'il s'agit de sauver les gens d'abord."
Q- Donc, par exemple, des femmes qui refuseraient de se faire ausculter par des hommes ou inversement ?
- "Oui, en cas d'urgence, cela peut poser de vrais problèmes."
Q- Quand arrivera cette loi ?
R- "Le Premier ministre a dit que, dès qu'on aurait achevé cela, il avait l'intention de le programmer."
Q- Cette loi sur la laïcité suscite beaucoup d'émotion à l'étranger...
R- "D'incompréhension..."
Q- Dans les pays anglo-saxons...
R- "Oui, parce que leur tradition est différente et ils vivent souvent d'une manière très communautariste, on le voit. Nous, depuis le XIXème siècle, nous avons une politique d'intégration qui est forte, il y a un melting pot à la française qui a bien marché. On a fait des Français avec des gens venus - j'en sais quelque chose ! - des quatre coins du monde. Et la loi de 1905 a été une loi assez révolutionnaire à l'époque. Je voudrais dire d'ailleurs à nos compatriotes musulmans qui, parfois, comprennent mal ce principe, qu'elle a d'abord été dirigée contre l'Eglise catholique. Et on a envoyé l'armée déposséder l'Eglise catholique de ses églises, qui ont été nationalisées à l'époque ! Et ce principe-là, aujourd'hui, on a un siècle d'expérience pratiquement sur la manière de le vivre et c'est ce qui nous a aidé précisément à faire l'intégration à la française, c'est-à-dire à considérer qu'il ne devait y avoir aucune différence parmi les citoyens français."
Q- C'est dans les pays arabes qu'elle est le plus mal ressentie. Faut-il faire de la pédagogie, faut-il aller là-bas ?
R- "On a certainement besoin d'expliquer qu'en fait, c'est pour préserver l'intégrité des droits de chaque individu, y compris des musulmans, que la religion est une affaire privée et qui a toute sa place dans le cadre de la vie privée. C'est pour préserver cette liberté, cette identité de chacun que nous faisons vivre ce jugement et cela permet la coexistence des différences. Il s'agit d'arriver à vivre ensemble dans nos différences. Et ce principe est de ce point de vue indispensable."
Q- Revenons à l'affaire Juppé, avec notamment ce dernier sondage dans Le Figaro de ce matin, où 62 % des Français approuvent la décision d'A. Juppé de ne pas se retirer de la vie politique française. Hier, 57 % disaient qu'il fallait peut-être qu'il arrête. Cela veut-il dire que les Français changent d'avis, que les sondages ne sont pas fiables ?
R- "En tout cas, je vous confirme qu'il a l'intention, pour le moment, de rester."
Q- C'est ce que nous avions compris, oui...
R- "Et alors, naturellement, "rester", c'est aussi être en conformité avec le principe de la présomption d'innocence, car le propre de l'appel est de réduire le jugement de première instance à néant. Tous les appels ont cet effet, on repart de zéro. Donc, il est totalement innocent aux yeux de la loi aujourd'hui."
Q- C'est pour cela que J.-P. Raffarin a pu dire qu'il souhaitait un "autre verdict"...
R- "Je ne sais pas si le Premier ministre a dit cela, mais il est certain qu'en tous les cas..."
Q- C'est ce que J. De Rohan, sénateur, a rapporté...
R- "Oui... Je ne sais pas ce qui s'est passé. Mais il y a une chose qui est certaine : c'est que si A. Juppé a fait appel, c'est pour avoir un autre jugement que le précédent. C'est une évidence !"
Q- Le groupe socialiste et le groupe UDF ont décidé de se retirer de la commission d'enquête parlementaire qui avait été diligentée...
R- "Ce n'est pas une commission d'enquête, mais "d'information"..."
Q- ... d'information, qui avait été diligentée par J.-L. Debré, en disant que, vraiment, ce n'était pas dans la bonne méthode de procéder. C'est un mauvais procès ?
R- "Je rappelle que le groupe socialiste avait commencé par demander une commission d'enquête qui n'avait aucun sens, parce que la Constitution ne permet pas au Parlement d'enquêter sur des faits dont la justice elle-même est saisie. Et il y a un juge d'instruction qui a été désigné et qui enquête, et puis le président de la République a désigné les trois plus hauts magistrats de France - le premier président de la Cour de cassation, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour des comptes -, c'est-à-dire des personnalités insoupçonnables, dont l'impartialité est certaine, et qui vont dans cette affaire-là, faire la vérité, aider et éclairer par l'information qui a été ouverte par le Parquet, le juge d'instruction qui enquête, la police judiciaire qui a fait des investigations. Donc, la vérité, on va la savoir."
Q- Les socialistes, comme l'UDF, disent que c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui est l'organe de tutelle, qui aurait dû être saisi...
R- "Le CSM a toute sa signification pour procéder aux appréciations de faits dont on lui donnera connaissance. Mais les investigations elles-mêmes, le CSM n'est pas outillé pour les faire. Par contre, il va avoir connaissance de la totalité de ce que l'enquête fera connaître. Et donc il pourra statuer."
Q- D'ores et déjà, y a-t-il des éléments un peu concrets sur lesquels on peut se fonder concernant les éventuelles écoutes, effractions, etc., dont la juge aurait été victime ?
R- "D'après les déclarations du procureur de la République, qui a déjà procédé à des investigations, la plupart des choses qui ont été énoncées jusqu'à maintenant, apparaissent non avenues. Par exemple, les menaces de mort : ce ne sont pas des menaces de mort, ce sont des menaces, et elles ne sont pas contre le tribunal mais contre A. Juppé. L'auteur anonyme de ces menaces exigeait qu'A. Juppé soit condamné. Il menaçait A. Juppé s'il ne l'était pas ! L'effraction du bureau d'à-côté pas le bureau du juge, c'est parce que les clés avaient été perdues et que le magistrat d'à-côté avait, lui-même, demandé que son bureau soit forcé, en sa présence. Le reste est un peu du même ordre."
Q- Cela ne fait-il pas un faisceau d'éléments qui peut troubler le juge ?
R- "Je ne suis pas sûr que les juges aient été troublés par cela. Ils disent qu'ils ont rendu cela dans une mauvaise ambiance. Mais je crois que c'est leur appréciation. Le jugement du tribunal a été, de leur point de vue... D'abord, c'est une preuve d'indépendance ce jugement, puisqu'il n'a pas été influencé par le Gouvernement... C'est une preuve éclatante d'indépendance, ne serait-ce que par sa sévérité. Donc, on ne peut pas soupçonner de pressions..."
Q- L'appel, c'est dans quel délai ?
R- "Cela dépend de la Cour d'appel, mais en général c'est autour d'un an, un peu moins ou un peu plus, entre 10 et 14 mois..."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 février 2004)