Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser le gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives européennes et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Ce projet de loi qui permettra notamment de transcrire dans le droit interne plus de vingt textes communautaires, s'inscrit dans le cadre des efforts engagés par le gouvernement pour accélérer la transposition des directives européennes.
Je souhaite, en introduction de cette discussion générale, rappeler premièrement la situation de la France en matière de transposition des directives européennes, puis permettez-moi en deuxième lieu de décrire le contenu du projet de loi d'habilitation et le souci de concertation dans lequel le gouvernement l'a élaboré, avant d'évoquer, dans un dernier temps, la mise en place d'un dispositif pérenne qui nous évite d'accumuler de nouveaux retards, ce qui me paraît essentiel.
La situation de la France au regard de ses engagements communautaires
La législation européenne est constituée pour une part essentielle de directives, c'est-à-dire de lois-cadres qui fixent une obligation de résultat aux Etats membres, en leur imposant de prendre, dans un délai précis, les mesures nécessaires pour adapter leur droit interne.
Dès sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué toute l'importance qu'il accordait au respect par la France de ces engagements dans ce domaine. Un plan d'accélération de la transposition des directives communautaires a été élaboré à cette fin en novembre 2002, puis adapté six mois plus tard.
Disons-le clairement. Les résultats n'ont pas été à la hauteur de nos espérances. Les efforts engagés ont certes permis d'endiguer l'accumulation de nouveaux retards de transposition, mais pas de réduire ceux-ci de façon significative. Le déficit de transposition, c'est-à-dire la part des directives communautaires qui n'ont pas été transposées dans les délais, était de 3,8 % en novembre 2002. Ce chiffre est passé à 3,5 % un an plus tard, en légère réduction il est vrai, mais toujours sensiblement supérieur à l'objectif fixé par les Conseils européens successifs - 1,5 % -.
De ce fait, la France demeure aujourd'hui parmi les Etats européens les plus retardataires en matière de transposition des directives : 101 directives, dont 54 relatives au marché intérieur, étaient en souffrance au 1er janvier dernier. Nous accusons en moyenne un retard de 14 mois par rapport aux échéances de transposition.
Le coût qui en résulte pour notre pays est élevé, à trois titres.
C'est d'abord un coût juridique :
Même non transposée, toute directive a en effet un certain effet direct en droit national, qui introduit du flou sur la norme applicable : est-ce la directive ou la législation nationale en contradiction nationale avec cette dernière qui s'applique ? L'incertitude qui en résulte est préjudiciable à nos concitoyens, et fait peser sur l'Etat une lourde responsabilité, y compris financière, par exemple quand les directives portent sur des questions relatives à la sécurité ou à la santé.
La non-transposition nous expose par ailleurs à des poursuites en manquement devant la Cour de justice de Luxembourg, pouvant déboucher sur des sanctions financières sous astreinte. A la différence de l'Espagne et de la Grèce, la France n'a heureusement jamais à ce jour été condamnée financièrement. Mais avec plus de 200 procédures d'infraction à la législation du marché intérieur, dont 11 dans lesquelles la France est menacée d'astreinte, le risque est désormais présent.
Le coût est aussi économique.
La transposition est tout particulièrement indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur. L'harmonisation des législations à laquelle procèdent les directives a pour objet d'éviter une concurrence déloyale entre entreprises et de profiter pleinement des bénéfices du marché unique. Dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici 2010, l'Union européenne a ainsi adopté plus de 70 directives. Pour 40 d'entre elles, l'échéance de transposition est désormais échue. Or sur ces 40 directives, la France n'en a malheureusement transposé à ce jour que 19 ! Cela est lourd de conséquences, quand on sait que la bonne transposition détermine, dans une certaine mesure, la localisation des investissements des entreprises en Europe et donc en France.
Mais le coût de la non-transposition est surtout politique.
Comment être crédibles face aux 10 pays adhérents dont nous exigeons qu'ils intègrent l'acquis communautaire avant l'élargissement, c'est-à-dire avant le 1er mai 2004, si nous sommes nous-mêmes défaillants ? Comment rester une force de proposition dans l'Union européenne, si nous tardons à appliquer les règles que nous avons nous-mêmes contribué à définir ? De manière générale, comme j'ai pu le constater dans mes fréquents déplacements chez nos partenaires de l'Union élargie et dans mes contacts réguliers avec la Commission européenne, l'attitude de la France pourrait laisser à penser que nous ne sommes pas sincèrement attachés à notre rôle de moteur de la construction européenne. Ou même que nous refusons ce qui fait le caractère unique de la construction européenne, à savoir la primauté du droit communautaire, alors même que nous l'avons fermement défendu dans le projet de Constitution européenne.
Les causes de ces retards de transposition sont bien connues. Elles ont notamment été bien identifiées par votre délégation pour l'Union européenne, dans un rapport annuel remarquable établi par M. Christian Philip.
- Les difficultés résident tout d'abord dans les pesanteurs administratives, que dénonçait encore récemment le Premier ministre dans sa communication en Conseil des ministres du 31 décembre dernier. 60% des directives ne nécessitent d'ailleurs que des dispositions réglementaires pour être transposées. Pour les autres, c'est également dans les administrations que les projets de loi sont élaborés et peuvent prendre de premiers retards. Face à ces carences, le gouvernement a décidé d'agir en mettant en place un plan d'action destiné à accélérer le rythme de la transposition :
- bilans réguliers en Conseil des ministres ;
- désignation d'un correspondant "transposition" dans chaque cabinet ministériel ;
- diffusion systématique des fiches d'impact aux Assemblées ;
- responsabilisation des administrations par la large diffusion du tableau des retards par ministère chef de file, dans la presse comme sur le site internet du ministère délégué aux Affaires européennes. Ce tableau comprend désormais également les décisions-cadre - 3ème pilier -, suite à une demande justifiée formulée par Christian Philip au nom de la délégation pour l'Union européenne.
Ces efforts se poursuivent : la France a ainsi notifié à la Commission depuis le 1er janvier la transposition de 12 directives de nature réglementaire. La pression exercée sur les administrations doit cependant s'intensifier. Il faut revoir, sans doute, l'organisation administrative de certains ministères, sur le modèle des ministères les plus performants comme celui de l'Agriculture. C'est dans cet esprit que j'ai proposé à mon collègue Alain Lambert, dans le cadre d'une réflexion globale sur la prise en compte des questions européennes au sein de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), d'intégrer les retards de transposition des directives de nature réglementaire aux indicateurs de performance qui seront définis d'ici au mois de septembre. Le respect de l'Etat de droit, qu'il soit français ou communautaire, doit en effet devenir un paramètre essentiel de la bonne administration, par opposition à la mal-administration.
Mais les difficultés s'expliquent aussi par la charge de travail des Assemblées. Sous cette législature, neuf lois transposant des directives européennes ont certes été adoptées, mais douze autres projets de loi destinés à transposer plus de trente directives sont en cours d'examen ou, en instance. Le gouvernement avait en particulier adopté l'été dernier deux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire (DDAC), qui n'ont pu être examinés depuis cette date, simplement en raison de la charge de travail des Assemblées.
Cette situation n'est pas viable. C'est pourquoi, à quelques semaines du rendez-vous historique de l'élargissement, le recours à une loi d'habilitation nous est apparu comme nécessaire.
Le projet de loi d'habilitation
Le recours à l'article 38 de la Constitution est bien encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Permettez-moi de souligner cependant que le gouvernement ne s'est engagé dans cette voie qu'avec un souci de concertation étroite et de transparence totale avec les Assemblées.
Sur la méthode : le président de l'Assemblée nationale, comme celui du Sénat, ont été consultés dès l'automne 2003 par le Premier ministre non seulement sur le principe du recours aux ordonnances, mais également sur la liste des directives concernées. Toutes les directives qui soulevaient des réserves de la part du Parlement ont été retirées du projet de loi d'habilitation, soit 12 textes au total, dont le "paquet télécom" que l'Assemblée nationale a examiné en février. Votre rapporteur, ainsi que l'ensemble des orateurs qui en ont fait la demande, ont eu accès à l'ensemble des projets d'ordonnances, qu'ils soient définitifs ou à l'état d'ébauche, afin de pouvoir apprécier au mieux les intentions du gouvernement. Je suis, bien sûr, aujourd'hui à votre disposition pour vous apporter tous les éclaircissements nécessaires.
Sur les dispositions concernées : les directives choisies, qui sont relatives au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement, ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, sont en nombre limité. Elles n'ont aucune perspective d'adoption par un autre véhicule législatif à court terme. Leur échéance de transposition est par ailleurs dépassée ou expire dans l'année. Les directives portent, soit sur des dispositions de nature technique, soit sur des domaines plus importants, mais dans lesquels les retards ne sauraient en aucun cas être tolérés. Permettez-moi à cet égard de développer un exemple : celui de la sécurité maritime. La France a été à la pointe des décisions communautaires intervenues après les catastrophes de l'Erika et du Prestige, qui ont souillé notre littoral et causé d'immenses dommages écologiques, économiques, sociaux et humains. Le projet de loi d'habilitation prévoit la transposition de quatre directives relatives à la sécurité maritime. Toutes ces directives sont en retard de transposition : par exemple la directive relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi du trafic des navires, adoptée suite au naufrage de l'Erika, pour laquelle la Commission a engagé le 26 février dernier une procédure d'infraction contre 12 Etats membres, dont la France. L'Europe ne pourra lutter efficacement contre les "voyous" des mers que si chaque Etat - et la France tout particulièrement - adopte sans tarder les dispositions prévues au niveau communautaire. Nous serions bien coupables si un nouveau drame intervenait, faute d'avoir pris à temps les mesures adéquates.
En ayant recours selon ces modalités aux ordonnances, le gouvernement n'entend en rien rejeter sur le Parlement une responsabilité dans les retards de transposition qui se sont accumulés depuis plus de dix ans. Il a souhaité au contraire mettre en avant l'esprit indispensable de coopération qui doit exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour que la France respecte, dans les meilleurs délais, ses engagements européens. C'est dans ce même esprit que votre Assemblée a accepté d'examiner dans des délais brefs ce projet de loi.
La mise en place d'un dispositif pérenne qui permette de ne plus accumuler de nouveaux retards
Permettez-moi de souligner, en conclusion, que le recours à la loi d'habilitation pour transposer des directives communautaires n'est, par définition, qu'une solution exceptionnelle aux effets ponctuels. Si nous n'engageons pas une réflexion plus profonde sur l'insertion de la norme européenne dans la législation française, les retards s'accumuleront à nouveau inexorablement et la France se retrouvera peut-être, d'ici deux ou trois ans, confrontée à une situation similaire.
C'est pourquoi le gouvernement a plaidé, depuis un an, pour la mise en place, de façon pragmatique, d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001. Les discussions avec les deux Assemblées ont été engagées par le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement. J'ai la conviction que ces discussions aboutiront très vite, car il va de notre engagement à bâtir l'Europe. Je me félicite déjà qu'un plus grand nombre de projets de loi transposant des directives européennes ait pu être examiné par le Parlement dans les dernières semaines, et soit programmé au printemps prochain. C'est un signal important adressé à nos partenaires et aux institutions européennes.
Au-delà de cette mesure, il nous faut méditer l'exemple de certains Etats voisins, notamment les pays nordiques qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives. Je salue à cet égard le travail d'analyse comparée des institutions qui a été engagé par votre Assemblée, avec le rapport de M. Guy Geoffroy, et avec le prochain rapport annuel de M. Christian Philip. Regardons en effet le cas du Danemark. Ce pays compte à ce jour 5 directives en retard de transposition : 5 directives seulement ! Et la qualité de cette transposition opérée ne saurait être contestée au vu du faible nombre d'infractions communautaires qui le concernent. Comme vous le savez, ces pays associent étroitement les parlementaires en amont de la négociation des directives européennes, si bien qu'en aval la transposition s'accomplit de façon simplifiée. La moitié de notre législation est désormais d'inspiration communautaire. Inspirons-nous de cette expérience positive. L'instauration d'un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire est en effet peut-être à considérer. Ainsi, pour certaines directives d'intérêt secondaire, une procédure d'examen simplifiée, s'inspirant de celle déjà en vigueur dans votre Assemblée, mériterait à mon avis d'être examinée.
Chacun s'est réjoui de l'heureuse initiative prise par le président Debré de mettre en place des séances mensuelles de questions d'actualité au gouvernement consacrées à la thématique européenne. Ces séances illustrent la volonté de l'Assemblée nationale de s'ouvrir encore davantage aux enjeux de la construction communautaire. Mais les questions européennes sont omniprésentes dans notre vie quotidienne et touchent désormais tous nos concitoyens. Aussi, c'est un véritable rééquilibrage du travail législatif qui doit sans doute être opéré, autour de cinq priorités :
- reconnaître la place primordiale qu'a prise la législation européenne, fruit de notre souveraineté partagée, dans notre législation nationale ;
- faire en sorte que la représentation nationale débatte et oriente davantage la position française lors de la négociation des actes communautaires, en utilisant plus largement la procédure de l'article 88-4 de la Constitution ;
- développer les échanges, voire les liens de travail entre les Assemblées et les représentants de la France au Parlement européen ;
- économiser en revanche le temps parlementaire consacré à la transposition des directives de portée limitée ou exclusivement techniques ;
- mettre, de façon générale, autant l'accent sur l'application du droit communautaire que sur sa négociation dans les instances communautaires.
Mesdames et Messieurs les Députés,
La volonté politique ne saurait s'exprimer durablement dans la négociation européenne, si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de la mise en oeuvre du droit, fruit de cette négociation. Il nous faut faire preuve de détermination pour préparer l'avenir, comme pour effacer les retards du passé. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à transposer des directives souvent anciennes, puisque la plupart d'entre elles ont été adoptées en l'an 2000, et certaines, dès 1993 ou 1994. Grâce à ce projet, vous pouvez notamment mettre un terme à 12 procédures d'infraction déjà engagées contre la France, et apporter une meilleure sécurité juridique à tous nos concitoyens. Telles sont les conditions dans lesquelles le gouvernement vous présente ce projet de loi portant habilitation du gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires.
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi tout d'abord de remercier votre rapporteur, M. Geoffroy, pour le travail très complet, tout à fait pertinent et fort opportunément prospectif qu'il a accompli. Je remercie également tous les orateurs qui se sont exprimés pour la qualité de leurs interventions.
Arrivée au terme de cette discussion générale, je souhaiterais apporter une réponse d'ensemble à vos interrogations, à vos réserves comme à vos propositions.
Vous avez, me semble-t-il, exprimé un souci commun : faire en sorte que le processus d'élaboration et de mise en oeuvre de la législation européenne soit plus directement en phase avec les aspirations de notre pays. Bien sûr, ce souci commun s'exprime avec des nuances. Je souhaiterais revenir sur les différentes questions évoquées en les regroupant en quatre rubriques :
La question du principe du recours à une loi d'habilitation ;
Le rôle des Parlements nationaux dans la décision européenne ;
La teneur de la législation européenne au regard de la vision que nous avons de l'Europe ;
Les pistes à explorer en vue de solutions pérennes pour ne plus accumuler de retards de transposition et améliorer la qualité de notre travail législatif européen.
Permettez-moi de reprendre ces différents points :
Tout d'abord, le recours à une loi d'habilitation était-il justifié ? Je ne reviendrai pas sur l'encadrement juridique du recours aux ordonnances prévu par l'article 38 de la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le gouvernement a bien évidemment pris soin de respecter les termes de la Constitution. L'habilitation est précise et circonscrite dans le temps, qu'il s'agisse de la transposition-même des directives, ou des articles connexes qui ont été rédigés dans un souci de cohérence.
Chacun a convenu ici de la nécessité pour la France de respecter ses engagements européens, et donc de remédier à notre retard de transposition, d'autant que plusieurs des directives concernées ne sauraient sans risque attendre davantage, en particulier celles relatives à la sécurité maritime .
Dans ce contexte, votre rapporteur M. Geoffroy, tout comme MM. Lequiller, Philip et Gantier ont bien compris la nécessité du recours à une loi d'habilitation, même si cette procédure a, de façon légitime, soulevé de leur part certaines réserves. Il aurait pu par exemple être souhaitable de débattre plus longuement de la directive relative à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, si celle-ci n'enregistrait déjà tant de retard. De même, les dispositions relatives au système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre auraient pu mériter un débat plus large, si le calendrier international n'avait pas été aussi contraignant. Nous sommes en retard de transposition depuis le 31 décembre. Or la France se veut exemplaire dans l'application du Protocole de Kyoto. Quant aux autres textes sur l'environnement évoqués, ils s'inscrivent pleinement dans la logique de notre future charte pour l'environnement.
Vous avez été plusieurs à saluer l'esprit de dialogue et de transparence entre le gouvernement et les Assemblées, qui a présidé à l'élaboration de ce projet. Le Parlement a non seulement été consulté de manière préalable sur la liste des directives à transposer, mais il s'est par ailleurs vu communiquer avec le projet de loi les projets d'ordonnances, qu'ils soient du reste définitifs ou provisoires. Tous les groupes qui l'ont souhaité ont eu accès à ces textes, par le biais de votre rapporteur. En retirant du projet de loi les dispositions qui exigeaient, du point de vue des Assemblées, un plus large débat, le gouvernement a enfin scrupuleusement suivi les demandes parlementaires.
Deuxième point soulevé : existe- t-il un déficit démocratique de la construction européenne qui serait dû au manque d'implication des Parlements nationaux, en France notamment ? En tant que ministre des Affaires européennes, je ne vous surprendrai pas en souscrivant aux propos de M. Gantier sur l'importance de la législation communautaire au niveau de nos institutions nationales. L'Europe est encore trop souvent perçue comme "bruxelloise", alors qu'elle est désormais au coeur de la politique française. Alors que nous en sommes l'un des principaux acteurs.
Il existe bien des dispositifs qui permettent déjà d'associer notre Parlement à l'élaboration de la norme communautaire : aux termes de l'article 88-4 de la Constitution en particulier, le gouvernement soumet aux Assemblées tout projet d'acte communautaire de nature législative. 317 textes ont été ainsi transmis en 2003 et l'Assemblée nationale a sur cette base adopté 8 résolutions en 2003 afin d'orienter la position du gouvernement dans la négociation. Le gouvernement examine toujours avec grand soin ces résolutions, par exemple celle sur le deuxième paquet ferroviaire élaborée par Christian Philip en 2003. Je considère également avec une grande attention les propositions de résolution déposées par votre Délégation pour l'Union européenne, qui sont toujours d'une grande qualité : j'ai même pris l'initiative de relancer les présidents des commissions pour que ces propositions soient dûment examinées.
Permettez-moi, au passage, de rappeler que le projet de future Constitution européenne, proposé par la Convention, renforce le rôle des parlements nationaux. Ce projet leur garantit une meilleure information et surtout, pour la première fois, leur donne un rôle actif dans le contrôle de subsidiarité, par la création d'un mécanisme d'alerte précoce. Ces avancées, fortement soutenues par la France, ne font plus débat entre les Etats membres. Elles devraient donc être inscrites dans la future Constitution européenne que nous appelons de nos voeux.
Troisième interrogation, sur les visées "libérales" de la construction européenne. Il est clair que le projet européen n'est prisonnier d'aucune idéologie. Il est au demeurant le fruit de la volonté d'Etats dont les gouvernements ont des sensibilités différentes et surtout de la volonté des peuples européens, dans toute leur diversité. Jacques Delors a fait valoir que la construction européenne progressait sur trois piliers : "la compétition qui stimule ; la coopération qui renforce ; la solidarité qui unit". Les directives qui figurent dans le projet de loi d'habilitation s'inscrivent dans cette logique. Elles visent non pas à déréguler, mais au contraire à doter à l'Europe de meilleures règles : en matière de sécurité maritime, de contrôle des concentrations, de surveillance des entreprises du secteur financier, de réduction des rejets atmosphériques et des nuisances sonores En matière de services portuaires, la loi d'habilitation ne vise pas à introduire les dispositions de la directive dont la négociation n'a pas abouti, et sur laquelle la France était réservée. Dans le domaine social, la construction européenne conduit parfois à instaurer des normes européennes minimales inférieures aux normes françaises, mais reconnaissez que sans ces normes minimales, ce serait une pression concurrentielle encore plus forte que nous devrions subir. Quant à l'ordonnance évoquée sur le transport routier, elle sera évidemment prise après concertation entre les partenaires sociaux. Et il ne faut pas omettre tous les cas où l'Union européenne permet, en France comme ailleurs, des avancées du droit de travail, comme c'est le cas pour la directive relative à la protection des jeunes au travail qu'il vous est demandé de transposer aujourd'hui, pour le secteur maritime. Oui, l'Europe nous stimule et nous protège tout à la fois.
Quatrième interrogation, la plus importante sans doute aujourd'hui : quels dispositifs mettre en oeuvre pour trouver une solution pérenne aux retards chroniques de la France en matière de transposition des directives ? Le travail remarquable réalisé par Guy Geoffroy nous permet d'avoir un aperçu clair des différentes options.
Il y a en premier lieu un levier que personne ne m'a semblé contester : la poursuite de la modernisation de nos administrations, afin de traiter de façon plus efficace et plus précoce la transposition des directives, et en particulier celles de nature réglementaire. M. Lequiller, je vous remercie pour vos encouragements à l'égard des efforts engagés depuis plus d'un an et pour votre soutien à la suggestion que j'ai faite à Alain Lambert d'aller plus loin, c'est-à-dire d'inclure le respect des délais de transposition parmi les indicateurs de performance de la LOLF.
En deuxième lieu, vous avez été plusieurs à reconnaître qu'il fallait la discipline d'un rendez-vous régulier pour éviter de nouveaux retards pour les dispositions de nature législative. J'ai noté toutefois des nuances : faut-il un rendez-vous mensuel ou faut-il revenir au projet que j'avais envisagé l'année dernière, à savoir l'adoption deux fois par an d'un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire ? Mon sentiment est qu'un rendez-vous mensuel créerait sans doute des habitudes plus fortes.
Troisième élément, certains d'entre vous ont reconnu qu'il serait utile de recourir au Parlement à un mode simplifié d'examen du type de celle que vous avez évoqué, M. le Président, au moins pour certaines directives techniques. Cette faculté est déjà prévue par le règlement de votre Assemblée. Nul doute que certaines dispositions techniques du présent projet de loi auraient pu être adoptées sans longs débats. A cet effet, le gouvernement pourrait soumettre, à intervalles réguliers, une liste de directives à l'Assemblée nationale, afin de déterminer les dispositions qui pourraient bénéficier d'un examen simplifié.
Dernière piste évoquée enfin, celle d'une révision constitutionnelle, à l'occasion de l'adoption de la future constitution européenne. Sa mise en oeuvre permettrait en effet de mieux associer les parlementaires en amont des négociations européennes, c'est-à-dire au moment où, c'est vrai, l'essentiel se joue. Vos propos ont été éclairants à cet égard. La réflexion sur ce sujet doit sans doute encore être enrichie et le sera par l'exercice de comparaison institutionnelle que va entreprendre Christian Philip d'ici quelques mois, et pour lequel mon ministère apportera tout le soutien nécessaire.
Je souhaite en tous cas que le débat de ce jour donne l'impulsion politique nécessaire pour aboutir, dans les prochaines semaines, aux mesures, qu'elles soient de grande envergure ou plus modestes, qui s'avèrent indispensables pour mieux organiser notre travail collectif. Le but étant de mieux faire comprendre à nos concitoyens les enjeux de la construction européenne, dans toute sa dimension démocratique
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2004)
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser le gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives européennes et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Ce projet de loi qui permettra notamment de transcrire dans le droit interne plus de vingt textes communautaires, s'inscrit dans le cadre des efforts engagés par le gouvernement pour accélérer la transposition des directives européennes.
Je souhaite, en introduction de cette discussion générale, rappeler premièrement la situation de la France en matière de transposition des directives européennes, puis permettez-moi en deuxième lieu de décrire le contenu du projet de loi d'habilitation et le souci de concertation dans lequel le gouvernement l'a élaboré, avant d'évoquer, dans un dernier temps, la mise en place d'un dispositif pérenne qui nous évite d'accumuler de nouveaux retards, ce qui me paraît essentiel.
La situation de la France au regard de ses engagements communautaires
La législation européenne est constituée pour une part essentielle de directives, c'est-à-dire de lois-cadres qui fixent une obligation de résultat aux Etats membres, en leur imposant de prendre, dans un délai précis, les mesures nécessaires pour adapter leur droit interne.
Dès sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué toute l'importance qu'il accordait au respect par la France de ces engagements dans ce domaine. Un plan d'accélération de la transposition des directives communautaires a été élaboré à cette fin en novembre 2002, puis adapté six mois plus tard.
Disons-le clairement. Les résultats n'ont pas été à la hauteur de nos espérances. Les efforts engagés ont certes permis d'endiguer l'accumulation de nouveaux retards de transposition, mais pas de réduire ceux-ci de façon significative. Le déficit de transposition, c'est-à-dire la part des directives communautaires qui n'ont pas été transposées dans les délais, était de 3,8 % en novembre 2002. Ce chiffre est passé à 3,5 % un an plus tard, en légère réduction il est vrai, mais toujours sensiblement supérieur à l'objectif fixé par les Conseils européens successifs - 1,5 % -.
De ce fait, la France demeure aujourd'hui parmi les Etats européens les plus retardataires en matière de transposition des directives : 101 directives, dont 54 relatives au marché intérieur, étaient en souffrance au 1er janvier dernier. Nous accusons en moyenne un retard de 14 mois par rapport aux échéances de transposition.
Le coût qui en résulte pour notre pays est élevé, à trois titres.
C'est d'abord un coût juridique :
Même non transposée, toute directive a en effet un certain effet direct en droit national, qui introduit du flou sur la norme applicable : est-ce la directive ou la législation nationale en contradiction nationale avec cette dernière qui s'applique ? L'incertitude qui en résulte est préjudiciable à nos concitoyens, et fait peser sur l'Etat une lourde responsabilité, y compris financière, par exemple quand les directives portent sur des questions relatives à la sécurité ou à la santé.
La non-transposition nous expose par ailleurs à des poursuites en manquement devant la Cour de justice de Luxembourg, pouvant déboucher sur des sanctions financières sous astreinte. A la différence de l'Espagne et de la Grèce, la France n'a heureusement jamais à ce jour été condamnée financièrement. Mais avec plus de 200 procédures d'infraction à la législation du marché intérieur, dont 11 dans lesquelles la France est menacée d'astreinte, le risque est désormais présent.
Le coût est aussi économique.
La transposition est tout particulièrement indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur. L'harmonisation des législations à laquelle procèdent les directives a pour objet d'éviter une concurrence déloyale entre entreprises et de profiter pleinement des bénéfices du marché unique. Dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici 2010, l'Union européenne a ainsi adopté plus de 70 directives. Pour 40 d'entre elles, l'échéance de transposition est désormais échue. Or sur ces 40 directives, la France n'en a malheureusement transposé à ce jour que 19 ! Cela est lourd de conséquences, quand on sait que la bonne transposition détermine, dans une certaine mesure, la localisation des investissements des entreprises en Europe et donc en France.
Mais le coût de la non-transposition est surtout politique.
Comment être crédibles face aux 10 pays adhérents dont nous exigeons qu'ils intègrent l'acquis communautaire avant l'élargissement, c'est-à-dire avant le 1er mai 2004, si nous sommes nous-mêmes défaillants ? Comment rester une force de proposition dans l'Union européenne, si nous tardons à appliquer les règles que nous avons nous-mêmes contribué à définir ? De manière générale, comme j'ai pu le constater dans mes fréquents déplacements chez nos partenaires de l'Union élargie et dans mes contacts réguliers avec la Commission européenne, l'attitude de la France pourrait laisser à penser que nous ne sommes pas sincèrement attachés à notre rôle de moteur de la construction européenne. Ou même que nous refusons ce qui fait le caractère unique de la construction européenne, à savoir la primauté du droit communautaire, alors même que nous l'avons fermement défendu dans le projet de Constitution européenne.
Les causes de ces retards de transposition sont bien connues. Elles ont notamment été bien identifiées par votre délégation pour l'Union européenne, dans un rapport annuel remarquable établi par M. Christian Philip.
- Les difficultés résident tout d'abord dans les pesanteurs administratives, que dénonçait encore récemment le Premier ministre dans sa communication en Conseil des ministres du 31 décembre dernier. 60% des directives ne nécessitent d'ailleurs que des dispositions réglementaires pour être transposées. Pour les autres, c'est également dans les administrations que les projets de loi sont élaborés et peuvent prendre de premiers retards. Face à ces carences, le gouvernement a décidé d'agir en mettant en place un plan d'action destiné à accélérer le rythme de la transposition :
- bilans réguliers en Conseil des ministres ;
- désignation d'un correspondant "transposition" dans chaque cabinet ministériel ;
- diffusion systématique des fiches d'impact aux Assemblées ;
- responsabilisation des administrations par la large diffusion du tableau des retards par ministère chef de file, dans la presse comme sur le site internet du ministère délégué aux Affaires européennes. Ce tableau comprend désormais également les décisions-cadre - 3ème pilier -, suite à une demande justifiée formulée par Christian Philip au nom de la délégation pour l'Union européenne.
Ces efforts se poursuivent : la France a ainsi notifié à la Commission depuis le 1er janvier la transposition de 12 directives de nature réglementaire. La pression exercée sur les administrations doit cependant s'intensifier. Il faut revoir, sans doute, l'organisation administrative de certains ministères, sur le modèle des ministères les plus performants comme celui de l'Agriculture. C'est dans cet esprit que j'ai proposé à mon collègue Alain Lambert, dans le cadre d'une réflexion globale sur la prise en compte des questions européennes au sein de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), d'intégrer les retards de transposition des directives de nature réglementaire aux indicateurs de performance qui seront définis d'ici au mois de septembre. Le respect de l'Etat de droit, qu'il soit français ou communautaire, doit en effet devenir un paramètre essentiel de la bonne administration, par opposition à la mal-administration.
Mais les difficultés s'expliquent aussi par la charge de travail des Assemblées. Sous cette législature, neuf lois transposant des directives européennes ont certes été adoptées, mais douze autres projets de loi destinés à transposer plus de trente directives sont en cours d'examen ou, en instance. Le gouvernement avait en particulier adopté l'été dernier deux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire (DDAC), qui n'ont pu être examinés depuis cette date, simplement en raison de la charge de travail des Assemblées.
Cette situation n'est pas viable. C'est pourquoi, à quelques semaines du rendez-vous historique de l'élargissement, le recours à une loi d'habilitation nous est apparu comme nécessaire.
Le projet de loi d'habilitation
Le recours à l'article 38 de la Constitution est bien encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Permettez-moi de souligner cependant que le gouvernement ne s'est engagé dans cette voie qu'avec un souci de concertation étroite et de transparence totale avec les Assemblées.
Sur la méthode : le président de l'Assemblée nationale, comme celui du Sénat, ont été consultés dès l'automne 2003 par le Premier ministre non seulement sur le principe du recours aux ordonnances, mais également sur la liste des directives concernées. Toutes les directives qui soulevaient des réserves de la part du Parlement ont été retirées du projet de loi d'habilitation, soit 12 textes au total, dont le "paquet télécom" que l'Assemblée nationale a examiné en février. Votre rapporteur, ainsi que l'ensemble des orateurs qui en ont fait la demande, ont eu accès à l'ensemble des projets d'ordonnances, qu'ils soient définitifs ou à l'état d'ébauche, afin de pouvoir apprécier au mieux les intentions du gouvernement. Je suis, bien sûr, aujourd'hui à votre disposition pour vous apporter tous les éclaircissements nécessaires.
Sur les dispositions concernées : les directives choisies, qui sont relatives au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement, ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, sont en nombre limité. Elles n'ont aucune perspective d'adoption par un autre véhicule législatif à court terme. Leur échéance de transposition est par ailleurs dépassée ou expire dans l'année. Les directives portent, soit sur des dispositions de nature technique, soit sur des domaines plus importants, mais dans lesquels les retards ne sauraient en aucun cas être tolérés. Permettez-moi à cet égard de développer un exemple : celui de la sécurité maritime. La France a été à la pointe des décisions communautaires intervenues après les catastrophes de l'Erika et du Prestige, qui ont souillé notre littoral et causé d'immenses dommages écologiques, économiques, sociaux et humains. Le projet de loi d'habilitation prévoit la transposition de quatre directives relatives à la sécurité maritime. Toutes ces directives sont en retard de transposition : par exemple la directive relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi du trafic des navires, adoptée suite au naufrage de l'Erika, pour laquelle la Commission a engagé le 26 février dernier une procédure d'infraction contre 12 Etats membres, dont la France. L'Europe ne pourra lutter efficacement contre les "voyous" des mers que si chaque Etat - et la France tout particulièrement - adopte sans tarder les dispositions prévues au niveau communautaire. Nous serions bien coupables si un nouveau drame intervenait, faute d'avoir pris à temps les mesures adéquates.
En ayant recours selon ces modalités aux ordonnances, le gouvernement n'entend en rien rejeter sur le Parlement une responsabilité dans les retards de transposition qui se sont accumulés depuis plus de dix ans. Il a souhaité au contraire mettre en avant l'esprit indispensable de coopération qui doit exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour que la France respecte, dans les meilleurs délais, ses engagements européens. C'est dans ce même esprit que votre Assemblée a accepté d'examiner dans des délais brefs ce projet de loi.
La mise en place d'un dispositif pérenne qui permette de ne plus accumuler de nouveaux retards
Permettez-moi de souligner, en conclusion, que le recours à la loi d'habilitation pour transposer des directives communautaires n'est, par définition, qu'une solution exceptionnelle aux effets ponctuels. Si nous n'engageons pas une réflexion plus profonde sur l'insertion de la norme européenne dans la législation française, les retards s'accumuleront à nouveau inexorablement et la France se retrouvera peut-être, d'ici deux ou trois ans, confrontée à une situation similaire.
C'est pourquoi le gouvernement a plaidé, depuis un an, pour la mise en place, de façon pragmatique, d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001. Les discussions avec les deux Assemblées ont été engagées par le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement. J'ai la conviction que ces discussions aboutiront très vite, car il va de notre engagement à bâtir l'Europe. Je me félicite déjà qu'un plus grand nombre de projets de loi transposant des directives européennes ait pu être examiné par le Parlement dans les dernières semaines, et soit programmé au printemps prochain. C'est un signal important adressé à nos partenaires et aux institutions européennes.
Au-delà de cette mesure, il nous faut méditer l'exemple de certains Etats voisins, notamment les pays nordiques qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives. Je salue à cet égard le travail d'analyse comparée des institutions qui a été engagé par votre Assemblée, avec le rapport de M. Guy Geoffroy, et avec le prochain rapport annuel de M. Christian Philip. Regardons en effet le cas du Danemark. Ce pays compte à ce jour 5 directives en retard de transposition : 5 directives seulement ! Et la qualité de cette transposition opérée ne saurait être contestée au vu du faible nombre d'infractions communautaires qui le concernent. Comme vous le savez, ces pays associent étroitement les parlementaires en amont de la négociation des directives européennes, si bien qu'en aval la transposition s'accomplit de façon simplifiée. La moitié de notre législation est désormais d'inspiration communautaire. Inspirons-nous de cette expérience positive. L'instauration d'un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire est en effet peut-être à considérer. Ainsi, pour certaines directives d'intérêt secondaire, une procédure d'examen simplifiée, s'inspirant de celle déjà en vigueur dans votre Assemblée, mériterait à mon avis d'être examinée.
Chacun s'est réjoui de l'heureuse initiative prise par le président Debré de mettre en place des séances mensuelles de questions d'actualité au gouvernement consacrées à la thématique européenne. Ces séances illustrent la volonté de l'Assemblée nationale de s'ouvrir encore davantage aux enjeux de la construction communautaire. Mais les questions européennes sont omniprésentes dans notre vie quotidienne et touchent désormais tous nos concitoyens. Aussi, c'est un véritable rééquilibrage du travail législatif qui doit sans doute être opéré, autour de cinq priorités :
- reconnaître la place primordiale qu'a prise la législation européenne, fruit de notre souveraineté partagée, dans notre législation nationale ;
- faire en sorte que la représentation nationale débatte et oriente davantage la position française lors de la négociation des actes communautaires, en utilisant plus largement la procédure de l'article 88-4 de la Constitution ;
- développer les échanges, voire les liens de travail entre les Assemblées et les représentants de la France au Parlement européen ;
- économiser en revanche le temps parlementaire consacré à la transposition des directives de portée limitée ou exclusivement techniques ;
- mettre, de façon générale, autant l'accent sur l'application du droit communautaire que sur sa négociation dans les instances communautaires.
Mesdames et Messieurs les Députés,
La volonté politique ne saurait s'exprimer durablement dans la négociation européenne, si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de la mise en oeuvre du droit, fruit de cette négociation. Il nous faut faire preuve de détermination pour préparer l'avenir, comme pour effacer les retards du passé. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à transposer des directives souvent anciennes, puisque la plupart d'entre elles ont été adoptées en l'an 2000, et certaines, dès 1993 ou 1994. Grâce à ce projet, vous pouvez notamment mettre un terme à 12 procédures d'infraction déjà engagées contre la France, et apporter une meilleure sécurité juridique à tous nos concitoyens. Telles sont les conditions dans lesquelles le gouvernement vous présente ce projet de loi portant habilitation du gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires.
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi tout d'abord de remercier votre rapporteur, M. Geoffroy, pour le travail très complet, tout à fait pertinent et fort opportunément prospectif qu'il a accompli. Je remercie également tous les orateurs qui se sont exprimés pour la qualité de leurs interventions.
Arrivée au terme de cette discussion générale, je souhaiterais apporter une réponse d'ensemble à vos interrogations, à vos réserves comme à vos propositions.
Vous avez, me semble-t-il, exprimé un souci commun : faire en sorte que le processus d'élaboration et de mise en oeuvre de la législation européenne soit plus directement en phase avec les aspirations de notre pays. Bien sûr, ce souci commun s'exprime avec des nuances. Je souhaiterais revenir sur les différentes questions évoquées en les regroupant en quatre rubriques :
La question du principe du recours à une loi d'habilitation ;
Le rôle des Parlements nationaux dans la décision européenne ;
La teneur de la législation européenne au regard de la vision que nous avons de l'Europe ;
Les pistes à explorer en vue de solutions pérennes pour ne plus accumuler de retards de transposition et améliorer la qualité de notre travail législatif européen.
Permettez-moi de reprendre ces différents points :
Tout d'abord, le recours à une loi d'habilitation était-il justifié ? Je ne reviendrai pas sur l'encadrement juridique du recours aux ordonnances prévu par l'article 38 de la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le gouvernement a bien évidemment pris soin de respecter les termes de la Constitution. L'habilitation est précise et circonscrite dans le temps, qu'il s'agisse de la transposition-même des directives, ou des articles connexes qui ont été rédigés dans un souci de cohérence.
Chacun a convenu ici de la nécessité pour la France de respecter ses engagements européens, et donc de remédier à notre retard de transposition, d'autant que plusieurs des directives concernées ne sauraient sans risque attendre davantage, en particulier celles relatives à la sécurité maritime .
Dans ce contexte, votre rapporteur M. Geoffroy, tout comme MM. Lequiller, Philip et Gantier ont bien compris la nécessité du recours à une loi d'habilitation, même si cette procédure a, de façon légitime, soulevé de leur part certaines réserves. Il aurait pu par exemple être souhaitable de débattre plus longuement de la directive relative à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, si celle-ci n'enregistrait déjà tant de retard. De même, les dispositions relatives au système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre auraient pu mériter un débat plus large, si le calendrier international n'avait pas été aussi contraignant. Nous sommes en retard de transposition depuis le 31 décembre. Or la France se veut exemplaire dans l'application du Protocole de Kyoto. Quant aux autres textes sur l'environnement évoqués, ils s'inscrivent pleinement dans la logique de notre future charte pour l'environnement.
Vous avez été plusieurs à saluer l'esprit de dialogue et de transparence entre le gouvernement et les Assemblées, qui a présidé à l'élaboration de ce projet. Le Parlement a non seulement été consulté de manière préalable sur la liste des directives à transposer, mais il s'est par ailleurs vu communiquer avec le projet de loi les projets d'ordonnances, qu'ils soient du reste définitifs ou provisoires. Tous les groupes qui l'ont souhaité ont eu accès à ces textes, par le biais de votre rapporteur. En retirant du projet de loi les dispositions qui exigeaient, du point de vue des Assemblées, un plus large débat, le gouvernement a enfin scrupuleusement suivi les demandes parlementaires.
Deuxième point soulevé : existe- t-il un déficit démocratique de la construction européenne qui serait dû au manque d'implication des Parlements nationaux, en France notamment ? En tant que ministre des Affaires européennes, je ne vous surprendrai pas en souscrivant aux propos de M. Gantier sur l'importance de la législation communautaire au niveau de nos institutions nationales. L'Europe est encore trop souvent perçue comme "bruxelloise", alors qu'elle est désormais au coeur de la politique française. Alors que nous en sommes l'un des principaux acteurs.
Il existe bien des dispositifs qui permettent déjà d'associer notre Parlement à l'élaboration de la norme communautaire : aux termes de l'article 88-4 de la Constitution en particulier, le gouvernement soumet aux Assemblées tout projet d'acte communautaire de nature législative. 317 textes ont été ainsi transmis en 2003 et l'Assemblée nationale a sur cette base adopté 8 résolutions en 2003 afin d'orienter la position du gouvernement dans la négociation. Le gouvernement examine toujours avec grand soin ces résolutions, par exemple celle sur le deuxième paquet ferroviaire élaborée par Christian Philip en 2003. Je considère également avec une grande attention les propositions de résolution déposées par votre Délégation pour l'Union européenne, qui sont toujours d'une grande qualité : j'ai même pris l'initiative de relancer les présidents des commissions pour que ces propositions soient dûment examinées.
Permettez-moi, au passage, de rappeler que le projet de future Constitution européenne, proposé par la Convention, renforce le rôle des parlements nationaux. Ce projet leur garantit une meilleure information et surtout, pour la première fois, leur donne un rôle actif dans le contrôle de subsidiarité, par la création d'un mécanisme d'alerte précoce. Ces avancées, fortement soutenues par la France, ne font plus débat entre les Etats membres. Elles devraient donc être inscrites dans la future Constitution européenne que nous appelons de nos voeux.
Troisième interrogation, sur les visées "libérales" de la construction européenne. Il est clair que le projet européen n'est prisonnier d'aucune idéologie. Il est au demeurant le fruit de la volonté d'Etats dont les gouvernements ont des sensibilités différentes et surtout de la volonté des peuples européens, dans toute leur diversité. Jacques Delors a fait valoir que la construction européenne progressait sur trois piliers : "la compétition qui stimule ; la coopération qui renforce ; la solidarité qui unit". Les directives qui figurent dans le projet de loi d'habilitation s'inscrivent dans cette logique. Elles visent non pas à déréguler, mais au contraire à doter à l'Europe de meilleures règles : en matière de sécurité maritime, de contrôle des concentrations, de surveillance des entreprises du secteur financier, de réduction des rejets atmosphériques et des nuisances sonores En matière de services portuaires, la loi d'habilitation ne vise pas à introduire les dispositions de la directive dont la négociation n'a pas abouti, et sur laquelle la France était réservée. Dans le domaine social, la construction européenne conduit parfois à instaurer des normes européennes minimales inférieures aux normes françaises, mais reconnaissez que sans ces normes minimales, ce serait une pression concurrentielle encore plus forte que nous devrions subir. Quant à l'ordonnance évoquée sur le transport routier, elle sera évidemment prise après concertation entre les partenaires sociaux. Et il ne faut pas omettre tous les cas où l'Union européenne permet, en France comme ailleurs, des avancées du droit de travail, comme c'est le cas pour la directive relative à la protection des jeunes au travail qu'il vous est demandé de transposer aujourd'hui, pour le secteur maritime. Oui, l'Europe nous stimule et nous protège tout à la fois.
Quatrième interrogation, la plus importante sans doute aujourd'hui : quels dispositifs mettre en oeuvre pour trouver une solution pérenne aux retards chroniques de la France en matière de transposition des directives ? Le travail remarquable réalisé par Guy Geoffroy nous permet d'avoir un aperçu clair des différentes options.
Il y a en premier lieu un levier que personne ne m'a semblé contester : la poursuite de la modernisation de nos administrations, afin de traiter de façon plus efficace et plus précoce la transposition des directives, et en particulier celles de nature réglementaire. M. Lequiller, je vous remercie pour vos encouragements à l'égard des efforts engagés depuis plus d'un an et pour votre soutien à la suggestion que j'ai faite à Alain Lambert d'aller plus loin, c'est-à-dire d'inclure le respect des délais de transposition parmi les indicateurs de performance de la LOLF.
En deuxième lieu, vous avez été plusieurs à reconnaître qu'il fallait la discipline d'un rendez-vous régulier pour éviter de nouveaux retards pour les dispositions de nature législative. J'ai noté toutefois des nuances : faut-il un rendez-vous mensuel ou faut-il revenir au projet que j'avais envisagé l'année dernière, à savoir l'adoption deux fois par an d'un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire ? Mon sentiment est qu'un rendez-vous mensuel créerait sans doute des habitudes plus fortes.
Troisième élément, certains d'entre vous ont reconnu qu'il serait utile de recourir au Parlement à un mode simplifié d'examen du type de celle que vous avez évoqué, M. le Président, au moins pour certaines directives techniques. Cette faculté est déjà prévue par le règlement de votre Assemblée. Nul doute que certaines dispositions techniques du présent projet de loi auraient pu être adoptées sans longs débats. A cet effet, le gouvernement pourrait soumettre, à intervalles réguliers, une liste de directives à l'Assemblée nationale, afin de déterminer les dispositions qui pourraient bénéficier d'un examen simplifié.
Dernière piste évoquée enfin, celle d'une révision constitutionnelle, à l'occasion de l'adoption de la future constitution européenne. Sa mise en oeuvre permettrait en effet de mieux associer les parlementaires en amont des négociations européennes, c'est-à-dire au moment où, c'est vrai, l'essentiel se joue. Vos propos ont été éclairants à cet égard. La réflexion sur ce sujet doit sans doute encore être enrichie et le sera par l'exercice de comparaison institutionnelle que va entreprendre Christian Philip d'ici quelques mois, et pour lequel mon ministère apportera tout le soutien nécessaire.
Je souhaite en tous cas que le débat de ce jour donne l'impulsion politique nécessaire pour aboutir, dans les prochaines semaines, aux mesures, qu'elles soient de grande envergure ou plus modestes, qui s'avèrent indispensables pour mieux organiser notre travail collectif. Le but étant de mieux faire comprendre à nos concitoyens les enjeux de la construction européenne, dans toute sa dimension démocratique
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2004)