Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 4 juillet 2005, sur le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi, sur le débat au sein de la majorité, sa représentativité et les pouvoirs du Parlement.

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Circonstance : Examen par l'Assemblée nationale du projet de loi d'habilitation sur les ordonnances pour l'emploi à partir du 28 juin 2005

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Une semaine chargée en actualité, avec la désignation de la ville qui organisera les Jeux Olympiques, avec le G8, et puis, en politique, avec le vote de la loi d'habilitation sur les ordonnances et la motion de censure. Vous serez l'orateur demain pour l'UDF, pour ce vote de motion de censure. Allez-vous voter la censure ?
R - Certainement pas, nous ne voterons pas la censure, débat qui n'a absolument aucun sens puisque l'Assemblée a voté la confiance au Gouvernement, il y a exactement un mois, jour pour jour !
Q - Et vous vous étiez abstenu, l'UDF s'était abstenue, n'avait pas voté la confiance.
R - L'UDF n'avait pas en effet voté la confiance. De là à voter la censure, c'est-à-dire une procédure qui est engagée uniquement pour permettre au PS de régler ses questions internes, de montrer qu'il y a un peu de cohésion dans le parti, bien entendu, il n'en est pas question. La réalité est qu'il faut au moins donner au Gouvernement le temps de montrer s'il est, oui ou non, capable de répondre aux problématiques du pays.
Q - Donc, vous voterez la loi d'habilitation des ordonnances ?
R - Nous ne voterons pas la loi d'habilitation des ordonnances...
Q - Alors là, ce n'est pas clair ! Vous ne votez pas la censure mais vous ne votez pas les ordonnances ?!
R - Non, la censure, c'est autre chose. La censure, c'est renverser un gouvernement et c'est appeler, grosso modo, à des élections législatives anticipées...
Q - Pourquoi ne voterez-vous pas la loi d'habilitation sur les ordonnances ?
R - Pour deux raisons. La première, c'est que l'on ne dessaisit pas le Parlement de ses droits. Il s'agit d'une question majeure, qui est l'organisation du travail en France. Le Parlement ne pouvait-il pas consacrer un mois à débattre et à discuter, au cours du mois de juillet, de cette question ?
Q - Ils vous répondent qu'il y a une urgence, que l'emploi, le chômage sont un vrai problème et qu'il faut que tout se mette en place dès le 1er septembre. Donc, urgence, les ordonnances...
R - Bien sûr. Cela n'empêchait pas cela. On pouvait tout à fait avoir ce débat au cours du mois de juillet, préparer les décrets d'application et faire en sorte qu'au 1er septembre, les choses soient en place. Et deuxième élément : c'est penser que c'est seulement la réorganisation de quelques éléments du droit du travail qui va relancer l'emploi et qui va permettre que les 4 à 5 millions de nos compatriotes qui sont en dehors du marché de l'emploi, depuis quinze à vingt ans, que cette question va être réglée comme cela, c'est se tromper. La réalité est que l'emploi est une résultante, et c'est la résultante de l'économie, d'une croissance, d'un pays qui met en place une politique sur le long terme qui favorise l'emploi.
Q - Le "contrat nouvelle embauche", vous n'y croyez pas ?
R - Je ne crois pas que ce soit en mesure de régler la question. Il y a quelques bonnes mesures qui sont prévues par le Gouvernement. Mais considérer qu'une seule mesure va permettre d'améliorer tout à coup l'horizon de l'emploi, c'est se tromper. Et je crois d'ailleurs que les Français n'y croient pas non plus.
Q - Le Gouvernement annonce une baisse plus marquée du chômage au second semestre et une reprise de la croissance, autour de 2,5 %, l'an prochain...
R - Les gouvernements successifs seraient bien inspirés de faire une chose : d'éviter les effets d'annonce. Comme je suis l'orateur du groupe, je me suis amusé à regarder cela. Sur les cinq dernières années, tous les gouvernements successifs annoncent que dans six mois tout ira mieux. En 2002, J.-P. Raffarin annonçait déjà qu'à partir de 2003, les choses iraient bien. En 2003, J.-L. Borloo annonçait qu'en 2007, nous serions au plein emploi. Et F. Fillon, quand il était ministre du Travail, annonçait aussi la décroissance du chômage à partir de l'année suivante ! Donc, cessons les effets d'annonce ! Cessons d'aller dire aux Français que demain sera mieux qu'aujourd'hui ou qu'hier, quand, au quotidien, nos compatriotes voient les choses différemment. Mettons en place des politiques et après nous verrons.
Q - L'UDF sera-t-elle unanime cette fois-ci, pour ne pas voter la loi d'habilitation des ordonnances ? On a vu qu'au moment de la confiance, certains avaient voté pour ce Gouvernement...
R - Nous verrons cela demain. Nous sommes un parti qui admet le débat et qui admet aussi que chacun puisse avoir une liberté de vote. Ce serait bien que nous soyons unanimes sur un sujet comme celui-ci...
Q - On dit que le Gouvernement pourrait également mettre en oeuvre le 49.3 pour avoir une adoption sans vote ?
R - Non, ce n'est pas la peine, le débat est terminé. Mais le Parlement a tellement renoncé à exercer ses droits que lorsque nous évoquions, mercredi après-midi, le débat sur la loi d'habilitation pour permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance, savez-vous combien nous étions ? Moins de dix !
Q - Vous ne faîtes pas de la publicité pour le Parlement en disant cela !
R - La réalité est que nous sommes dans une démocratie profondément malade. Nous sommes dans un système où l'exécutif concentre tous les pouvoirs et où le législatif a abandonné la totalité de ses pouvoirs. Il les a abandonnés parce qu'il y a le poids du fait majoritaire, parce que l'Assemblée représente de moins en moins la France. 35 % du premier tour de l'élection présidentielle ! C'est cela, la représentation ! Et donc on est dans une fin de règne. On est dans un système qui, progressivement, est en train de se déliter. Et seulement une politique de rupture complète et totale avec la politique actuelle sera en mesure de redonner confiance au pays, parce que le pays vit une vraie déprime collective aujourd'hui ! Tant ceux qui ont voté "non", qui sont les exclus de la croissance et du progrès depuis 20 ans, que ceux qui ont voté "oui", qui se disent : mais dans quel pays est-on ?!
Q - Le Gouvernement Villepin a exactement un mois. Quel bilan en faites-vous ? On parle surtout de N. Sarkozy. Lui dit : "je n'en fais pas trop, je n'en fais même pas assez !". Est-ce votre avis ?
R - Je crois que, de toute façon, les politiques n'en feront jamais assez, c'est très clair. Et c'est vrai que N. Sarkozy a probablement été le seul, en 2002, à comprendre que c'était le risque, le mouvement qui permettaient de pouvoir essayer de régler les choses. Et que les Français admettaient que l'on prenne des risques, et même que l'on se trompe et que l'on perde. Mais ce que les Français n'acceptaient pas, ou n'acceptent pas, c'est l'idée de l'immobilisme, ou de faire mine de bouger en changeant les noms.
Q - Alors, de Villepin, est-ce l'immobilisme ?
R - Nous verrons bien. Ce qui est certain, c'est que c'est quasi mission impossible. Quand vous avez aussi peu de confiance dans le pays, arriver à mener des politiques de rupture qui permettent, grosso modo, de faire en sorte que le pays retrouve confiance en l'avenir, c'est difficile et c'est compliqué.
Q - Mercredi, on saura quelle sera la ville qui organisera les JO. Est-ce un enjeu important pour la France ? Diriez-vous que la France a besoin des JO ?
R - Elle en a à coup sûr besoin, parce que, comme je vous le disais, dans cet état de déprime collective dans lequel nous sommes, si de plus nous n'avons pas les JO, on va prendre encore un coup sur la casquette, cela ne fait pas de doute.
Q - En fin de semaine, c'est le G8, les pays les plus industrialisés du monde, qui se réunissent en Ecosse. On va parler de l'Afrique, du réchauffement climatique, peut-être des subventions à l'agriculture. Quel est l'enjeu là aussi ?
R - La réalité est qu'il faudrait faire peu d'efforts pour permettre à tous ces pays d'Afrique de pouvoir accéder un peu à des conditions de vie meilleures... J'ai été au Niger l'année dernière, qui vit une période de famine extrêmement dure actuellement. Faire en sorte que l'on accède au minimum de soins, au minimum de conditions pour avoir une vie décente, ce serait un si faible effort au niveau de la planète. Et donc, que l'on essaie de sortir de l'égoïsme des nations, en trouvant des modes de financement qui soient des modes de financement différents de ceux qui, actuellement, dépendent de la volonté des Etats. Donc, l'idée d'un impôt mondial, à un titre ou à un autre, que ce soit sur les transactions financières, sur les ventes d'armes ou sur les ventes de billets d'avion, peu importe le modèle, mais il est clair qu'il faut trouver un mode de financement qui permette à ces pays d'accéder au développement. Et qu'en même temps, on essaie de faire en sorte que leur dette soit diminuée, c'est très bien. La seule chose, c'est qu'il faut en même temps mettre en place les conditions dans ces pays pour que la corruption ne soit pas généralisée et que l'argent que l'on y met ne reparte pas immédiatement dans les comptes en banque des pays développés.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 juillet 2005)