Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur la nécessité de sécuriser et de réguler à une échelle internationale le commerce électronique pour en favoriser le développement, Ottawa le 8 octobre 1998.

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Circonstance : Conférence de l'OCDE sur le commerce électronique, à Ottawa, le 8 octobre 1998

Texte intégral

Je souhaiterais, tout d'abord, remercier le Gouvernement canadien et le Secrétariat Général de l'OCDE d'avoir pris l'initiative d'organiser cette Conférence et vous exprimer la satisfaction que j'éprouve à participer à cette manifestation. Le Gouvernement français est particulièrement sensible à tous les sujets dont nous allons, débattre ensemble au cours de ces deux jours. Comme d'autres pays représentés dans cette enceinte, nous avons déjà engagé un certain nombre de réflexions et d'actions pour faire entrer notre pays dans la société de l'information et participer au développement du commerce électronique. Un programme d'action gouvernemental, rendu public en janvier 1998, a fixé le cadre de cette action.
Nous partageons le sentiment général, qui nous réunit ici, que l'instauration de la confiance sur les réseaux est une condition nécessaire pour que le commerce électronique apporte davantage de bien-être et davantage de croissance pour tous.
Pour instaurer cette confiance, nous devons faire preuve de pragmatisme. Nous avons besoin des entreprises, des utilisateurs et des Etats pour rendre le commerce électronique aussi sûr que le commerce traditionnel.
En même temps, il importe que cette coopération entre les acteurs se développe au niveau international.
1) Il appartient au secteur privé de développer les pratiques et les outils pour instaurer la confiance.
Tout d'abord, nous comptons fortement sur la mobilisation des entreprises et des utilisateurs pour instaurer la confiance. Nous avons en France, comme dans d'autres pays, apprécié la capacité des acteurs privés à apporter des solutions aux questions complexes soulevées pour le développement du commerce électronique. Je voudrais en donner deux exemples qui, vous m'en excuserez, sont tirés d'expériences françaises :
· Le premier exemple, vous le connaissez sans doute, est celui de la télématique. Vous savez que la France a acquis un certain savoir-faire en développant une pratique significative du commerce électronique, puisque grâce au Minitel, ce sont plus de 16 millions de personnes qui, chaque jour, vivent la relation écran/clavier/transaction. Nous avons ainsi été confrontés à des problèmes proches de ceux dont nous discutons aujourd'hui. Dès les premières années du développement du Minitel, des activités et des contenus préjudiciables et illégaux sont apparus. Il n'a pas été nécessaire pour faire face à ces problèmes de créer un droit spécifique. Le droit classique s'est appliqué. En revanche, les Pouvoirs publics, les professionnels et les utilisateurs se sont réunis au sein d'instances créées sous l'égide des Pouvoirs publics et chargées - je crois avec succès - de concevoir et de faire respecter les règles éthiques appropriées.
· Le deuxième exemple concerne la publicité. Dans ce secteur, une structure d'autorégulation, le Bureau de Vérification de la Publicité, a été créée. Elle réunit les acteurs de la profession et a pour mission d'assurer le respect d'un certain nombre de règles éthiques en matière de message publicitaire. On peut là aussi estimer que cette structure permet une discipline efficace de la profession.
J'ai déjà indiqué à la Conférence de Bonn, en juillet 1997, que le secteur privé, par l'autorégulation ou le développement d'outils technologiques, a un rôle fondamental à jouer dans le développement de la confiance. A cet égard, les Pouvoirs publics, en France, ont incité les acteurs à mettre au point une démarche d'autorégulation pour les communications sur Internet et les services en lignes. Cette initiative devrait trouver un débouché concret.
D'une manière plus générale, de nombreuses questions juridiques se posent quant aux conséquences du développement d'Internet. Ces interrogations ont conduit le Premier ministre a demander à la plus haute instance juridictionnelle administrative française, le Conseil d'Etat, de réfléchir à l'adaptation de notre droit à la réalité des réseaux. Ce rapport, rendu public cet automne analyse le rôle des différents acteurs et les évolutions souhaitables. Il est à votre disposition pour enrichir une réflexion collective. Le Gouvernement entend en tirer rapidement les conclusions.
2) Si les entreprises et les utilisateurs doivent être les principaux inspirateurs de la confiance, les Gouvernements sont les garants de l'intérêt public.
Les Etats ont des responsabilités propres à l'égard des citoyens qu'il leur appartient d'exercer, en fonction de leurs traditions juridiques spécifiques. A celles-ci s'ajoute l'édification, pour les Etats-membres de l'Union européenne, d'une vision coordonnée qui doit conduire à une pratique commune et même un jour à une pratique unique sur les principaux problèmes évoqués aujourd'hui.
La mise en uvre effective de ces responsabilités publiques est elle aussi une condition essentielle de la confiance des acteurs dans la pratique du commerce électronique.
En premier lieu, la confiance nécessite un cadre juridique sûr, stable et qui préserve les intérêts légitimes de tous les acteurs. Ce cadre juridique, et je tiens à le rappeler avec force, existe. Nous ne sommes pas dans un espace de non-droit. Certes, nous devons être prêts à envisager l'adoption de règles spécifiques dans les cas particuliers où le droit général serait inopérant. Mais il est souhaitable de faire application en priorité des règles applicables à l'ensemble des transactions commerciales. Certains principes de nos droits nationaux peuvent se révéler particulièrement utiles dans le nouveau monde des réseaux, par exemple pour traiter l'allocation des ressources rares.
En second lieu, les citoyens sont attachés à ce que l'Etat préserve l'intérêt public, c'est-à-dire pour une large part la protection des plus faibles. Les Pouvoirs publics doivent veiller à ce que la concurrence s'exerce loyalement entre les acteurs. Ils doivent s'assurer que le fonctionnement du marché accorde une protection adéquate au consommateur, car les deux parties à la transaction ne sont le plus souvent pas en situation d'égalité, notamment dans les transactions électroniques transfrontalières. La protection de la vie privée et des données personnelles est également un droit dont les Pouvoirs publics sont en dernier ressort les garants, tout comme ils sont les garants de la prévention et la répression des activités criminelles, ou simplement illégales. Enfin, la fiscalité relève à l'évidence des Pouvoirs publics à qui il incombe de sécuriser la ressource publique et d'éviter toute distorsion inéquitable à l'égard du commerce traditionnel. Nous sommes attachés, comme le montrent les travaux récents et à venir de l'OCDE, à une concertation avec le secteur privé dans ce domaine.
Je suis donc persuadé que les initiatives du secteur privé et la responsabilité des Pouvoirs publics sont complémentaires..
3) A terme, la confiance dans les réseaux reposera sur la capacité, des uns et des autres, à coopérer davantage.
Il importe à mon sens de nous engager encore plus avant dans la voie de la coopération. Dans mon esprit, il y a la place pour deux types de coopération :
· D'une part, une coopération entre l'industrie, les utilisateurs et l'administration pour s'assurer d'un fonctionnement du réseau respectueux des grands principes déontologiques.
En France, nous poursuivons, depuis 1996, une concertation spécifique avec les utilisateurs, au sein du Conseil National de la Consommation, organisme paritaire, qui veille par les avis qu'il rend, à la loyauté des transactions.
Outre cette concertation spécifique, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a confié, dès septembre 1997, à Francis Lorentz une mission générale de proposition qui a été une première occasion d'associer l'ensemble des acteurs, publics et privés, pour mieux comprendre les enjeux du commerce électronique et définir les actions prioritaires pour en permettre le développement.
De même, la collaboration entre le secteur privé, les utilisateurs et les Pouvoirs publics peut s'avérer utile pour définir des normes techniques.
Enfin, nous considérons que la gestion des noms de domaines, qui constitue d'une certaine manière une ressource rare, doit permettre aux Etats d'exprimer leur point de vue qui est le leur, non seulement comme utilisateurs, mais aussi au regard de l'intérêt général.
· D'autre part, la confiance ne pourra se développer sans qu'un deuxième type de coopération, à savoir la coopération internationale, se poursuive et s'intensifie. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous satisfaire du rôle joué par l'OCDE et de l'ensemble des travaux que cette Organisation entreprendra après cette Conférence. Je pense plus particulièrement à la préparation des Lignes Directrices sur la protection du consommateur ou encore aux travaux sur la mise en uvre sur les réseaux mondiaux des principes de protection de la vie privée et des données personnelles. Ces travaux doivent compléter utilement ceux menés sur ces questions ou dans d'autres domaines par l'Union Européenne, le Conseil de l'Europe ou encore la CNUDCI. Le Gouvernement français a déposé, auprès des Etats-membres de l'Union européenne un mémorandum sur le développement du commerce électronique. Ce document invitait l'Union européenne et les Etats membres à rechercher le plus grand accord au plan communautaire et international sur les questions à résoudre pour aboutir à la création d'un marché sans frontières du commerce électronique.
En conclusion, je suis convaincu que la confiance des utilisateurs dans le commerce électronique reposera sur :
- premièrement l'action des entreprises en coordination avec les consommateurs et en coopération avec les Pouvoirs publics;
- deuxièmement l'exercice pondéré mais sans complexe par les Gouvernements de leurs responsabilités ;
- et enfin, une collaboration entre les Etats pour répondre aux enjeux nouveaux que constituent les réseaux mondiaux.

(source http://www.industrie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)